Cuba : les coûts du blocus

Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC)

I&C 177 page de garde

L’embargo américain qui frappe Cuba depuis octobre 1960 a constitué et constitue encore un frein sévère au développement. Le déplacement dans l’île du Président Obama, en mars 2016, qui a été qualifié d’historique, paraît permettre d’ouvrir de nouvelles perspectives. Mais de quelles perspectives s’agit-il ? D’une part l’embargo, même s’il connaît quelques assouplissements, reste en place. D’autre part sa levée pourrait constituer un moyen de pression politique pour obtenir un changement complet du projet de société que le pouvoir cubain s’efforce de réaliser depuis 1961, et non d’une simple ouverture commerciale dont l’insularité rend la nécessité évidente.

En juillet 2016, le Secrétaire général des Nations unies a présenté à l’Assemblée générale le rapport demandé par la résolution 70/15 intitulée « Nécessité de lever le blocus économique, commercial et financier imposé à Cuba par les États-Unis d’Amérique » (A/71/150) qui contient les réponses des gouvernements et des organes et organismes des Nations Unies sur l’application de cette résolution. Le texte ci-dessous est extrait de ce rapport (p 136-148).

 Évolution récente de la situation économique à Cuba

 Le produit intérieur brut (PIB) de Cuba a enregistré une augmentation de 4,3 % en 2015 (après avoir accusé une croissance de 1,3 % en 2014). Les facteurs à l’origine de cette augmentation sont notamment les suivants : a) une avance de fonds au dernier trimestre de 2014 pour le financement des importations, qui a eu pour effet d’accroître la production au début de 2015 ; b) une hausse des investissements de 24,9 % en 2015, (contre une chute de 8,9 % l’année précédente) ; c) un volume plus important d’intrants importés, résultant d’une baisse des prix à l’échelon international, qui ont allégé la facture des importations de produits de base, et d) l’adoption dans les entreprises d’un système de primes de rendement visant à augmenter la productivité du travail, ce qui a permis d’établir un lien plus direct entre les producteurs et leurs résultats. Par ailleurs, le taux d’inflation a été de 2,8 % en 2015 (contre 2,1 % en 2014).

Sur le plan budgétaire, le Gouvernement avait prévu de clôturer l’exercice 2015 avec un déficit de 5,7 % du PIB, résultat qui s’explique par l’augmentation de 21,7 % des dépenses liées à des activités non budgétisées. Il convient de signaler que la politique de rationalisation des dépenses et d’utilisation efficace des ressources publiques établie en 2011, ainsi que l’engagement ferme du Gouvernement cubain de s’acquitter, comme prévu, de ses obligations externes, et, à cette fin, la priorité qu’il s’est fixé d’enregistrer un excédent de la balance des opérations courantes, ont donné à Cuba une plus grande crédibilité financière et facilité la renégociation de sa dette externe, ce qui a placé le pays en meilleure position vis-à-vis de ses principaux créanciers. Il convient de noter à cet égard que Cuba a renégocié sa dette avec le Club de Paris en décembre 2015.

Selon les projections, la croissance du PIB sera d’environ 2 % en 2016. Le ralentissement de la croissance après 2015 s’explique essentiellement par le manque de devises et par les baisses prévues des prix de plusieurs produits d’exportation, tels que le nickel. Le Gouvernement cubain a souligné qu’il tenterait en priorité de parvenir à un équilibre entre la dette contractée et sa restructuration, le paiement des dettes renégociées et de la dette courante et l’application du plan d’amortissement, de sorte que les crédits externes auprès des créanciers en fonction soient contractés de la capacité de paiement.

Pour l’année en cours, on estime à 7,1 % du PIB le déficit budgétaire qui sera financé par le Gouvernement grâce à l’émission d’obligations souveraines avec un taux d’amortissement allant de 1 à 20 ans et un taux d’intérêt moyen de 2,5 % par an. Cette hausse par rapport au déficit enregistré en 2015 tient au fait que l’État a accru le financement de l’activité des entreprises publiques pour soutenir la substitution des importations (augmentation de 31,4 % par rapport à l’année précédente) et accordé des subventions plus importantes pour financer les dépenses des ménages (augmentation de 5,7 %). Le solde de la balance des opérations courantes devrait rester excédentaire et se maintenir à peu près au même niveau qu’en 2015 par rapport au PIB.

En 2016, le Gouvernement cubain prévoit des investissements qui s’élèveront à 7,841 milliards de pesos (en majorité grâce à des financements externes) ; il y a lieu de penser que ces investissements donneront un nouvel élan à la croissance économique dans les années à venir.

Le blocus imposé à Cuba reste en vigueur malgré le rétablissement des relations diplomatiques le 17 décembre 2014

 Le blocus imposé à Cuba par les États-Unis demeure en vigueur. Néanmoins, à la suite du rétablissement des relations diplomatiques entre ces deux pays en décembre 2014 et de la visite historique du Président Obama à Cuba en mars 2016, certaines restrictions frappant les voyages, les télécommunications, les services financiers, les envois de fonds et l’aviation, entre autres, ont été progressivement levées (ou assouplies)[1].

Pourtant, dans la pratique, plusieurs mesures annoncées n’ont pas encore pu être mises en œuvre. L’autorisation pour Cuba d’utiliser le dollar dans ses opérations extérieures en est un exemple. Le Gouvernement des États-Unis avait annoncé en mars 2016 que cela était possible pour certaines transactions ; toutefois, Cuba n’a pu réaliser aucune opération bancaire avec cette devise dans les banques de pays tiers qui craignent toujours de se voir imposer des amendes de plusieurs millions de dollars si elles effectuent des transactions avec Cuba. Les banques cubaines ne peuvent pas non plus établir de relations de correspondant bancaire avec des établissements financiers des États-Unis. Les rares investissements provenant de ce pays ont été autorisés par le Bureau du contrôle des avoirs étrangers des États-Unis, après examen au cas par cas.

Il convient de souligner que le tourisme de citoyens américains à Cuba reste interdit. Le Gouvernement des États-Unis n’a autorisé ses nationaux à se rendre sur l’île que si le motif de leur voyage correspond à l’une des 12 catégories établies et après obtention d’un permis (même si les conditions d’obtention de ces permis se sont assouplies). Ces catégories sont les suivantes : a) visites familiales ; b) voyages d’affaires officiels du Gouvernement des États-Unis, de gouvernements et de certaines organisations non gouvernementales ; c) journalisme; d) recherche et réunions professionnelles ; e) activités religieuses ; f) activités éducatives ; g) activités liées aux spectacles ; h) compétitions athlétiques ou expositions; i) soutien aux citoyens cubains ; j) projets humanitaires ; k) activités organisées par des fondations privées, des instituts de recherche ou des établissements d’enseignement et l) exportations, importations ou transmission d’informations ou de matériaux d’information. Au début de 2016, ces catégories ont été élargies pour inclure l’organisation de réunions professionnelles ou de conférences à Cuba ; les projets de préparation et d’intervention en cas de catastrophe naturelle ; les productions artistiques à Cuba (cinématographiques, télévisées et musicales notamment) et les compétitions sportives pour amateurs ou semi-professionnels, les spectacles publics, les visites de centres de santé, les ateliers et les expositions.

Les sanctions prises à l’encontre des entreprises qui entretiennent des relations commerciales avec Cuba sont maintenues : exemples les plus récents

Les États-Unis ont imposé une amende à l’entreprise Halliburton

Le Département du trésor des États-Unis a imposé une amende de 304 706 dollars à l’entreprise américaine Halliburton pour violation des règles qui régissent le blocus contre Cuba. Selon le rapport du Bureau du contrôle des avoirs étrangers, cette entreprise et ses filiales aux Îles Caïmans ont exporté, entre les mois de février et d’avril 2011, des biens et des services d’une valeur s’élevant à 1 189 752 dollars afin d’appuyer des activités de prospection de pétrole et de gaz et de forage dans le Bloc Sud Costa Adentro dans la province de Cabinda (Angola). Selon le Bureau du contrôle des avoirs étrangers, l’entreprise cubaine Uniòn-Cuba Petróleo (CUPET) détenait une participation de 5 % dans le consortium de production de gaz et de pétrole qui opérait sur le territoire angolais. Cette mesure constitue un nouveau facteur dissuasif pour les entreprises américaines et étrangères qui souhaiteraient entretenir des relations commerciales avec Cuba.

Les États-Unis ont imposé une amende à l’entreprise CGG Services S.A.

D’après le rapport du Bureau du contrôle des avoirs étrangers, l’entreprise CGG Services S.A. et ses filiales se sont vu infliger une amende de 614 250 dollars pour avoir fourni, entre 2010 et 2011, des services, des pièces de rechange et du matériel venant des États-Unis à des navires menant des activités de prospection de gaz et de pétrole dans les eaux territoriales cubaines. Le Bureau du contrôle des avoirs étrangers a également signalé que la filiale vénézuélienne de la succursale de CGG Services S.A. aux États-Unis avait réalisé cinq transactions liées à la gestion d’informations provenant d’études sismiques menées par un organisme cubain dans la zone économique exclusive de Cuba.

Les États-Unis ont imposé une amende à l’entreprise WATG Holdings Inc.

Selon les rapports du Bureau du contrôle des avoirs étrangers, la filiale britannique de WATG Holdings Inc., Wimberly Allison Tong & Goo Limited, a participé, pour le compte d’une entreprise qatarienne, à la conception des plans de construction d’un hôtel à Cuba et perçu trois paiements au titre de cette prestation. L’entreprise a reçu une amende de 140 400 dollars pour violation du régime de sanctions unilatérales imposées à Cuba. Le Bureau du contrôle des avoirs étrangers indique que ces paiements ont été effectués entre octobre 2009 et mai 2010 et que leur montant s’élevait à 284 515 dollars.

Depuis l’annonce du 17 décembre 2014, le Gouvernement des États-Unis a infligé des amendes à sept entreprises (quatre américaines et trois étrangères), dont le montant total s’élève à 2 835 622 225 dollars. À ce jour, 48 amendes ont été imposées pour violation des régimes de sanctions contre Cuba et d’autres pays durant le mandat du Président Obama (2009-2016). Le montant total de ces amendes se chiffre à 14 397 112 121 dollars[2].

Opposition de la communauté internationale

Au cours de la soixante-dixième session de l’Assemblée générale des Nations Unies en octobre 2015, une résolution exigeant la levée du blocus économique, commercial et financier imposé à Cuba par les États-Unis a été adoptée pour la vingt-quatrième fois. Au total, 191 États Membres de l’Organisation des Nations Unies –soit une écrasante majorité – ont voté pour cette résolution. Les États-Unis et Israël ont voté contre et aucun pays ne s’est abstenu. Depuis 1992, l’Assemblée générale vote chaque année sur la résolution demandant la levée des sanctions imposées par les États-Unis. Cette résolution a recueilli un soutien croissant ces dernières années : en 2014, 188 pays s’étaient prononcés en faveur de la levée du blocus et seuls les États-Unis et Israël avaient voté contre.

Impact économique global du blocus économique, commercial et financier

D’après le rapport établi tout récemment par le Gouvernement cubain en juin 2015, les pertes économiques résultant du blocus s’élevaient, compte tenu de la dépréciation du dollar par rapport à la valeur de l’or sur le marché international, à 833 755 millions de dollars. Si l’on évalue ces pertes aux prix courants, ce montant représente 121 192 millions de dollars, soit 139,1 % du PIB de Cuba en 2015[3].

Modernisation du modèle économique cubain et septième Congrès du Parti communiste cubain

Modernisation du modèle économique cubain : bref aperçu

Depuis la prise de fonctions officielle de Raúl Castro en tant que Président de Cuba, en février 2008, le rythme des changements et des réformes –d’importance variable – s’est accéléré, ce qui commence à donner un nouveau visage à l’économie et à la société cubaines. Il convient de signaler que si des réformes administratives et institutionnelles ont été mises en oeuvre à compter de 2007, avec notamment la réorganisation des entités du secteur public, la mise à niveau des activités commerciales, l’adoption de mesures de lutte contre la corruption, et l’amorce de changements destinés à stimuler le secteur agricole, ces réformes ont trouvé un second souffle à partir de 2008, puis ont été consolidées en avril 2011 après l’adoption des Orientations de la politique économique et sociale du Parti et de la Révolution, qui constituent la feuille de route pour la modernisation du modèle économique cubain.

Des réformes d’une portée et d’une importance plus grandes ont été approuvées et sont entrées en vigueur en 2013, telles que la nouvelle loi sur le régime fiscal, l’autorisation de constituer des coopératives non agricoles et la nouvelle politique de commercialisation dans le secteur de l’agriculture et de l’élevage. Il convient de mentionner en particulier l’annonce de l’unification monétaire, qui constitue une première étape vers l’unification des taux de change. En outre, l’Assemblée nationale a approuvé, à la fin de 2013, le nouveau Code du travail qui a, entre autres, pour objet de prévenir l’exploitation de la main-d’oeuvre et la violation des droits des travailleurs. Il a été publié, en septembre 2013, un important décret-loi qui contenait les normes et un règlement régissant le fonctionnement de la zone spéciale de développement de Mariel, située à environ 50 kilomètres à l’ouest de La Havane, laquelle devrait être un important pôle d’attraction pour les investissements directs étrangers.

En avril 2014, la nouvelle loi sur les investissements étrangers a été approuvée (remplaçant la loi de 1995), et le portefeuille des investissements par secteur a été publié. D’importantes mesures de renforcement de l’autonomie et de la compétitivité des entreprises publiques ont également été annoncées. En vue d’attirer les capitaux étrangers, le Gouvernement s’est employé, depuis 2010, à élaborer un ensemble de mesures visant à assainir les finances externes du pays, en particulier grâce au réaménagement de sa dette extérieure. De ce fait, on a assisté à une augmentation progressive des investissements étrangers à Cuba. Au cours du second trimestre de 2016, divers pays, notamment la Chine, le Canada, l’Australie, le Mexique, le Brésil et le Viet Nam ainsi que des pays européens se sont engagés à réaliser 47 projets d’investissement, à la fois dans la zone spéciale de développement de Mariel (créée en 2013) et ailleurs. Une entreprise américaine, Starwood Hotels and Resorts Worldwide, a créé une association (la première de ce type depuis 1959) avec les entreprises cubaines GrupoTurismo Gaviota et Grupo Empresarial Hotelero Gran Caribe S.A. pour la gestion et la construction d’hôtels à Cuba. Depuis 2014, Cuba a publié un portefeuille d’investissements contenant des projets concrets dans différents secteurs de l’économie. Ce portefeuille est mis à jour tous les ans et comprend actuellement 326 projets (il en comptait 246 au départ), ce qui permet aux investisseurs étrangers de choisir les secteurs dans lesquels ils souhaitent investir, même si les investissements ne sont pas limités à ce portefeuille. C’est ainsi que le nouveau portefeuille d’investissements contient trois projets sup-plémentaires dans les secteurs de la santé, du tourisme et des transports (chantiers navals), du bâtiment et des matériaux de construction, ainsi que de l’industrie légère et sidérurgique et mécanique, de l’industrie alimentaire et de l’audiovisuel.

Le processus de transformation économique à Cuba vise à pallier les restrictions externes faisant obstacle à la croissance économique, qui sont imputables à des problèmes structurels et, notamment, au blocus économique, commercial et financier imposé à Cuba pendant plus de cinquante ans. Ces restrictions ont été aggravées par des facteurs externes négatifs, observés principalement entre 2008 et 2009. Ainsi, des mesures draconiennes ont été prises dans le secteur agricole à partir de 2007 pour faire face à l’augmentation, chaque année, du coût des importations de denrées alimentaires. L’octroi de droits d’usage de terrains, l’adoption de mesures facilitant la construction de logements sur ces terrains, l’extension des superficies octroyées et des durées d’exploitation, l’octroi de crédits, la mise en place d’un régime fiscal préférentiel et la création d’un marché de gros pour l’achat d’intrants et de machines, le développement rapide de la commercialisation des produits agricoles dans trois provinces ainsi que d’autres réformes de moindre envergure visant à promouvoir la production agricole et à dynamiser sa croissance sont autant de mesures destinées à réduire le coût des produits alimentaires.

Par ailleurs, des initiatives ont été prises pour accroître la productivité de l’économie qui, du fait de son faible niveau, ne permet pas de relever l’ensemble des salaires, lesquels accusent une baisse en termes réels depuis des années. La réduction des effectifs des entreprises publiques et l’autorisation donnée aux citoyens d’exercer 201 professions à leur compte ont principalement pour objectif d’augmenter la productivité. La réduction des effectifs du secteur public s’est ralentie depuis mars 2011, mais on a constaté une augmentation notable du nombre de professions indépendantes. Selon les données les plus récentes dont on dispose, Cuba comptait, à la fin du mois de mars 2016, 507 342 travailleurs indépendants, nombre bien supérieur aux 156 000 personnes qui travaillaient à leur compte lorsque ce statut avait été autorisé, en octobre 2010. Le secteur privé de l’économie cubaine comprend donc désormais 28 % des travailleurs cubains.

De même, le Gouvernement cubain a autorisé à titre expérimental, en 2013, la création de coopératives non agricoles bénéficiant de facilités de crédits, d’une exemption d’impôts pendant trois mois et de la possibilité de se tourner vers le marché de gros, encore naissant, pour l’achat d’intrants et de matériel.

D’autres réformes, telles que l’autorisation d’acheter et de vendre des automobiles et des logements, ainsi que la nouvelle loi sur la migration, ont été réclamées par la population et intégrées dans les Orientations de la politique économique et sociale du Parti et de la Révolution, adoptées en avril 2011 par l’Assemblée nationale. L’achat et la vente de logements ont créé des conditions favorables à la réalisation de travaux de rénovation des logements (octroi de prêts à faible taux d’intérêt et de subventions).

L’élimination progressive du dualisme monétaire à Cuba est un sujet de conversation constant, mais on ne connaît pas le calendrier d’application de cette décision (l’annonce concernant le lancement du processus d’unification monétaire, faite par le Gouvernement en octobre 2013, était peu détaillée). L’unification du système exigera la plus grande prudence, car il interviendra après une période prolongée de dualité des monnaies et des taux de change à Cuba, qui a engendré des disparités considérables. On a fait état de certaines expériences menées au sein d’un groupe d’entreprises utilisant différents taux de change, mais il n’existe pas de rapport officiel sur les modalités de fonctionnement de ces entreprises et les résultats obtenus. En mars 2014, des décisions concernant les prix et la comptabilité ont été rendues publiques ; elles seront appliquées une fois que l’élimination du dualisme monétaire aura pris effet. De même, des méthodes ont également été arrêtées pour la fixation des prix de gros et de détail par les entreprises. Si aucune date précise n’a été donnée pour le calendrier d’application, il a été indiqué que le processus d’unification monétaire prendrait fin en 2017 et n’aurait pas d’incidences néfastes sur le budget des ménages cubains.

La mise en œuvre de mesures dans les différents secteurs de l’économie repose sur une méthode consistant à mener des expériences à petite échelle (ou des projets pilotes) adaptées à des situations concrètes. En outre, l’approche suivie dans ce processus de modernisation du modèle économique consiste essentiellement, comme l’a affirmé à maintes reprises le Président Raúl Castro, à agir « avec détermination, mais sans précipitation ». Dans le discours qu’il a prononcé le 24 février 2013, il a déclaré ce qui suit : « À ceux qui, animés de bonnes ou de mauvaises intentions, dans le pays ou à l’étranger, nous exhortent à hâter le pas, nous disons que nous avancerons avec détermination, mais sans précipitation, la tête sur les épaules et les pieds sur terre ; nous éviterons de recourir à des thérapies de choc qui nuiraient à la population et nous n’abandonnerons personne ; nous renoncerons à l’immobilisme et aux positions archaïques afin de lever les obstacles au développement des forces productives et de promouvoir l’expansion économique, pilier sur lequel reposent, notamment, les succès de la révolution dans le domaine social, à savoir l’éducation, la culture et le sport, qui devraient être des droits fondamentaux de l’homme et non être l’affaire de tel ou tel secteur ».

Le 20 décembre 2014, le Président a rappelé ceci : « Nous n’ignorons pas que des gens, motivés par de bonnes ou de moins bonnes intentions, dans le pays et à l’étranger, n’ont cessé d’émettre des avis sur le rythme de modernisation de notre modèle économique. On n’a pas manqué non plus, depuis l’étranger, de nous exhorter à hâter le processus de privatisation … ». Dans ce même discours, il a réaffirmé ce qui suit : « Le système économique qui prévaudra dans notre pays continuera de reposer sur l’idée que le peuple est propriétaire des moyens essentiels de production et sur le principe socialiste ‘de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins’ ».

Il convient de noter que les progrès réalisés dans ce domaine ont été compromis par le maintien du blocus qui rend très difficiles, voire impossibles dans bien des cas, les transactions bancaires et financières du pays, comme on l’a vu plus haut dans la section précédente. En outre, ce type de mesures illustre le caractère extraterritorial du blocus imposé à Cuba par les États-Unis.

Cuba a mené à bien d’importantes réformes depuis l’adoption des Orientations, mais le pays fait encore face à des difficultés considérables sur le court terme. Le processus de suppression du dualisme monétaire exigera des ajustements prudents afin que les entreprises cubaines n’en fassent pas les frais et que les perspectives de rentabilité soient maintenues pour les investisseurs potentiels. Néanmoins, le blocus que les États-Unis imposent toujours à Cuba crée une incertitude sur le plan juridique pour certains investisseurs étrangers.

Cuba s’attache actuellement à développer ses capacités institutionnelles afin d’améliorer la gestion des entreprises. Il lui reste encore à élaborer une stratégie de transformation de la production à long terme, car les séquelles du blocus se feront sentir sur le système de production du pays pendant de nombreuses années. Les difficultés statistiques découlant de la moder-nisation du modèle socialiste cubain sont immenses. Cependant, le pays a une idée claire de son avenir et dispose d’une feuille de route établie d’un commun accord grâce à un processus intense de consultation nationale, à un environnement stable et à une population qui recèle de nombreux talents au service du développement.

Résumé des conclusions du septième Congrès du Parti communiste cubain tenu en avril 2016

Le septième Congrès du Parti communiste cubain, organisé du 16 au 19 avril 2016 à La Havane, a permis de définir l’orientation des changements prévus pour les années à venir, ainsi que les limites idéologiques des réformes à entreprendre. Les travaux de ce congrès ont été répartis en quatre commissions, axées sur les thèmes suivants : i) l’élaboration du modèle économique et social auquel Cuba aspire ; ii) les axes et les secteurs stratégiques du plan national de développement économique et social à l’horizon 2030 ; iii) l’exécution du processus de réforme entrepris ces dernières années (lignes directrices en matière de politique économique et sociale) ; iv) la réalisation des objectifs que le Parti communiste cubain a fixés à sa première Conférence nationale, tenue en 2012.

Durant le Congrès, il a été annoncé qu’à peine 21 % des Orientations de la politique économique et sociale du Parti et de la Révolution, approuvées au sixième Congrès (tenu en avril 2011), avaient été mises en œuvre entièrement et que 78 % en étaient à différents stades de leur réalisation. Dès lors, 130 politiques ont été approuvées et 344 nouvelles normes juridiques de différents types ont été publiées, 55 ont été modifiées et 684 abrogées. À l’issue du processus de mise à jour de ces lignes directrices pour la période 2016-2021, 87,5 % de celles approuvées au sixième Congrès ont été maintenues, modifiées ou combinées entre elles. En tenant compte de l’intégration de 50 supplémentaires, cela donne un total de 274 lignes directrices, réparties en 13 chapitres pour la période 2016-2021.

En ce qui concerne le rythme des changements, les références faites par le Président Castro vont dans le sens de la continuité du processus de réforme, appliqué de manière progressive et consensuelle. Le Président a clairement indiqué que « le rythme dépendra du consensus que nous serons en mesure de forger au sein de notre société et de notre capacité d’organisation à l’heure de procéder aux ajustements qui s’imposent, sans se précipiter, et surtout sans improviser, car cela ne nous mènerait qu’à l’échec[4] ». S’agissant des oppositions aux changements, le Président a mentionné que « l’obstacle fondamental que nous devons surmonter, comme nous l’avions prévu, sont les mentalités obsolètes, caractérisées par une attitude d’inertie ou l’absence de confiance dans l’avenir[5] ».

Les documents qui feront l’objet d’une consultation nationale en vue de leur future adoption (« Élaboration du modèle économique et social auquel Cuba aspire » et « Les axes et les secteurs stratégiques du plan national de développement économique et social à l’horizon 2030-40[6] ») donnent au processus de réforme une dimension supplémentaire. Ces projets constituent un pas en avant, d’une réforme économique pragmatique issue de l’expérience à une réforme qui peut désormais compter sur un programme de développement assorti de lignes stratégiques, dans lequel sont établis les principaux secteurs et objectifs et sont également définies les bases théoriques et les caractéristiques essentielles du modèle économique et social que Cuba espère mettre en place en procédant à sa mise à jour.

Parmi les principaux sujets abordés durant le Congrès, qui rendent compte de la philosophie des changements que Cuba entend mettre en place dans les années à venir, on notera les suivants : i) « L’introduction des règles de l’offre et de la demande ne remet pas en cause le principe de la planification. Ces deux concepts peuvent coexister et se compléter au profit du pays, comme en témoignent les succès obtenus avec le processus de réforme en Chine et celui de renouvellement au Vietnam » ; ii) « Nous réaffirmons le principe socialiste de la primauté de la propriété privée de l’ensemble du peuple sur les principaux moyens de production, ainsi que la nécessité de décharger l’État des autres activités qui ne sont pas déterminantes pour le développement de la nation » ; iii) « Les coopératives, le travail indépendant et les micro, petites et moyennes entreprises privées ne sont pas antisocialistes ni contre-révolutionnaires par nature, et la grande majorité de ceux qui travaillent de cette façon sont des révolutionnaires et des patriotes qui défendent les principes de cette révolution et bénéficient de ses acquis ».

En ce qui concerne les réformes politiques, des modifications ont été proposées pour ramener à 60 ans l’âge limite pour entrer au Comité central du Parti communiste cubain et à 70 ans celui pour briguer un poste de cadre au sein du Parti. Ces réformes s’ajoutent à l’annonce faite au sixième Congrès du Parti communiste cubain selon laquelle les postes politiques se limiteraient à seulement deux périodes consécutives de cinq ans.

Notes:

[1] On trouvera un examen détaillé des restrictions levées par les États-Unis sur le site Web de la coalition Engage Cuba intitulée « U.S. Regulatory Amendments to Cuba Sanctions since December 17, 2014 », mars 2016.

[2] Informations communiquées par le Ministère cubain pour le commerce extérieur et les investissements étrangers.

[3] Le texte intégral du document établi par le Gouvernement cubain peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.cubavsbloqueo.cu/sites/default/files/INFORME%20BLOQUEO%202015%20Esp.pdf

[4] Discours du Général de l’armée, Premier secrétaire du Comité central du Parti communiste cubain et Président du Conseil de l’État et du Conseil des ministres, Raúl Castro Ruz, lors de la clôture du septième Congrès du Parti, tenu au Palais des Conventions le 19 avril 2016, 58e année de la révolution, Granma, 20 avril 2016.

[5] Rapport principal du septième congrès du Parti communiste cubain, présenté par le premier secrétaire du Comité central et Général de l’armée, Raùl Castro Ruiz, le 16 avril 2016, 58e année de la révolution, Granma, 17 avril 2016.

[6] Ces documents ont été diffusés à l’échelle nationale (en version papier et éléctronique), par le biais d’une application mobile après la clôture du septième Congrès du Parti communiste cubain.