Émergence, Semi-Périphérie et reconfiguration de la gouvernance commerciale multilatérale : Vers une nouvelle Économie politique des rapports Nord-Sud ?

Par Mehdi Abbas, Maître de conférences, Université Grenoble Alpes, laboratoire PACTE – CNRS

Introduction

late-medieval-market-scene-9760L’émergence de nouvelles puissances économiques s’apparente à un processus contradictoire, toujours en cours, de semi-périphérisation des rapports économiques internationaux. Cette différenciation est porteuse d’une reconfiguration des rapports structurels et institutionnels avec les Centres. Les négociations commerciales multilatérales de l’OMC sont un des « lieux » de cette reconfiguration qui prend forme au travers des débats sur la fin de l’auto-qualification au statut de pays en développement dans le système commercial multilatéral. L’article développe la proposition selon laquelle la question de l’auto-qualification est révélatrice des transformations structurelles et institutionnelles des rapports concurrentiels Nord-Sud. Puisque l’auto-qualification donne accès au traitement spécial et différencié, sa contestation par les Centres constitue le levier d’une rénovation de ce traitement spécial et différencié qui, à son tour, est porteuse d’une évolution des modalités de gouvernance des rapports Nord-Sud.

Les cinq décennies de globalisation économique ont donné lieu à une diffusion inégalitaire et asymétrique de la richesse et de la puissance dans l’économie politique internationale. Le schéma Centres-Périphéries, qui prévalait lors de la création du GATT (1947) ou de l’ajout de la Partie IV – Commerce et Développement (1965), voire lors du lancement du cycle d’Uruguay (1986-1995) a évolué du fait du processus contradictoire, toujours en cours et non déterministe, d’émergence d’une Semi-Périphérie[1].

Immanuel Wallerstein précise que la semi-périphérie « n’est pas un artifice statistique, ni une catégorie résiduelle » (Wallerstein, 2011a, p. 349). Il s’agit d’une catégorie analytique avec ses propres spécificités et significations. Pour expliquer l’émergence des zones semi-périphériques, Wallerstein a émis deux hypothèses : a) certaines de ces zones « ont été des zones centrales de versions antérieures d’une économie-monde (…), d’anciennes zones centrales se transformant en structures périphériques » (Wallerstein, 2011a, p. 103 et 349), b) il pourrait s’agir de « zones périphériques qui ont été promues plus tard (…) en raison de l’évolution de la géopolitique d’une économie-monde en expansion » (Wallerstein, 2011a, p. 103). Ces deux hypothèses sont validées par la composition, dans la phase actuelle de globalisation, du groupe des économies dites émergentes. Dans le second volume de The Modern World-System, Wallerstein explique que les transformations de la puissance économique relative des pays « peuvent être considérées (et le sont d’ailleurs le plus souvent) comme une sorte de mobilité » (Wallerstein, 2011b, p. 179) ascendante ou descendante d’un État par rapport à d’autres États dans le cadre du système interétatique.

La Semi-Périphérie est le produit de la façon dont les Centres ont organisé les processus de division internationale du travail, de division internationale des processus productifs et de transferts financiers internationaux. C’est au sein de la Semi-Périphérie que deux forces se confirment, polarisant cette zone dans deux directions différentes : d’une part, les dynamiques de la périphérie qui subordonnent ces zones aux besoins des États centraux, réduisant ainsi leur autonomie ; d’autre part, les politiques nationales visant à accroître l’autonomie, maintenir l’État à un point intermédiaire dans le continuum hiérarchique et, finalement, contester les Centres du système. Composées d’une combinaison spécifique de processus centraux et périphériques, les zones semi-périphériques occupent une position structurelle et fonctionnelle entre le Centre et la périphérie ; leurs économies sont en cours d’industrialisation ; leur appareil d’État en cours de modernisation ; elles présentent de fortes inégalités et de fortes disparités régionales ; elles projettent des géo-cultures et des influences qui sont loin d’être dominantes, mais leur permettant d’être des acteurs importants de la gouvernance internationale, conservant de ce fait le potentiel de transformation le plus élevé du système international[2]. Tout en étant en concurrence entre eux, les États semi-périphériques sont en rivalité avec les États du Centre pour améliorer leur statut et leur puissance (Wallerstein, 2004, p. 93).

L’article n’a pas pour objectif d’ouvrir un débat nominaliste sur la définition des pays en développement ou émergents ou périphériques[3]. Il mobilise une grille d’analyse structurelle et systémique à un enjeu de gouvernance économique internationale : la contestation de l’auto-qualification par les États du Centre et la remise en cause du traitement spécial et différencié qu’elle implique.

Les 164 États membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) se répartissent officiellement en trois catégories : les pays développés, les pays en développement (PED) et les pays les moins avancés (PMA)[4]. De ces trois catégories, seule la dernière fait l’objet d’une définition, l’Article XI.2 des Accords de Marrakech établissant l’OMC reprend la liste de l’Organisation des Nations Unies[5]. En revanche, il n’existe aucune typologie ou liste indicative des pays « développés » ou des pays « en développement » à l’OMC, héritage du régime du GATT (General Agreement on Tariff and Trade).  

La distinction de statut des États membres se fait conformément à la pratique de l’auto-qualification ou autodésignation. L’indifférenciation du statut de pays « en développement » se révèle problématique pour deux raisons.

La première est que le statut de pays en développement confère certains droits additionnels et des dérogations à la norme multilatérale ouvrant à un traitement spécial et différencié (TSD)[6]. Or, depuis 2001, l’OMC a pour agenda prioritaire la réforme du TSD[7] afin de le rendre plus efficace et plus opérationnel et de mettre, ainsi, le système commercial multilatéral au service du développement[8]. La seconde renvoie aux évolutions des rapports de richesse et de puissance qui ont conduit à une différenciation systémique entre les PED alors même que leur nombre au sein de l’OMC a augmenté. Ainsi, dans le sillage de la crise financière globale de 2007-2008 et les recompositions géoéconomiques qui s’en sont suivies, la question de la différentiation entre PED s’est trouvée posée, à l’initiative des États-Unis. En estimant que l’enlisement du Programme de Doha pour le développement (PDD), les avantages commerciaux réduits dont bénéficient certains PED et les dysfonctionnements de l’OMC en tant que système de négociation[9] résultent de l’absence ou de la faible différenciation entre les PED membres, les États-Unis, et avec eux le Canada et l’UE, font de l’auto-qualification un enjeu systémique.

Depuis 1995, le nombre d’États membres à l’OMC a augmenté de 28 % pour atteindre les 164. La quasi-totalité des nouveaux membres sont des PED. De sorte qu’une large majorité (77 %) des membres actuels et en accession appartient à cette catégorie. De facto, l’OMC est plus hétérogène et, en tant qu’organisation conduite par ses membres (member-driven organization), elle enregistre les nouveaux rapports de puissance et de richesse qui structurent l’économie politique internationale. Ainsi, au traditionnel et historique clivage entre pays développés et pays en développement (Centres-Périphéries), s’ajoute désormais celui entre, d’un côté, puissances ascendantes (Semi-Périphéries) aux capacités d’exportations industrielles concurrençant les puissances installées (les Centres ou la Quadrilatérale au sein de l’OMC)[10] et, de l’autre côté, les rivalités concurrentielles entre les États semi-périphériques et les périphéries (PED non-émergents)[11]. Cette nouvelle configuration de l’économie politique internationale est révélatrice des transformations structurelles et institutionnelles des rapports concurrentiels Nord-Sud et, à ce titre, levier de la rénovation du traitement spécial et différencié. En effet, les débats sur l’auto-qualification évoluent « main dans la main » avec la différenciation au sein de la Périphérie et l’émergence d’une Semi-Périphérie. Aussi, l’auto-qualification questionne l’avenir du traitement spécial et différencié et, ce faisant, elle questionne les enjeux d’efficience, de légitimité et d’équité de la gouvernance commerciale multilatérale.

Cet article s’organise en quatre parties. La première revient sur les origines de la pratique de l’auto-qualification. La deuxième en présente l’évolution dans le régime GATT puis OMC en la mettant en parallèle avec l’évolution du traitement des PED dans le système commercial multilatéral. La troisième partie analyse les termes des débats actuels sur l’auto-qualification et leurs implications sur la gouvernance multilatérale des rapports pays développés-pays en développement à l’OMC. La quatrième partie conclura l’analyse en abordant le renouvellement des principes et règles de gouvernance des rapports commerciaux Centre-Semi-Périphérie-Périphérie auquel pourraient conduire les débats actuels sur la rénovation du traitement spécial et différencié.

1. L’auto-qualification, institution du compromis Centre-Périphérie dans le régime du GATT

Contrairement au FMI ou au Groupe Banque mondiale, le régime GATT-OMC ne dispose pas de système de classification analytique pour le statut de « pays en développement », ni de « liste » de pays composant chacun des groupes.

Cette situation trouve son origine dans le « défaut de naissance »[12] du GATT, accord temporaire appelé à s’institutionnaliser en raison de l’échec du projet de création de l’Organisation Internationale du Commerce (OIC). Sensé être le Chapitre IV d’un traité beaucoup plus ambitieux[13], le GATT ne comporte aucune mesure, prescription ou règle nécessitant la distinction entre pays développés et pays en développement. Dès lors, n’y figure aucune définition ou typologie des pays qui le compose. Il se contentent de reprendre la formulation figurant dans le chapitre III de la Charte de la Havane intitulé « développement économique et reconstruction » et qui mentionne les pays dont « les ressources sont encore relativement peu développées »[14]. Lors des négociations, qui ont abouti à la Charte de La Havane, les États-Unis ont proposé que les pays en développement adhèrent à la future OIC dans des conditions égales à celles de tous les autres pays, quel que soit leur stade de développement. Le principe de l’égalité de traitement a néanmoins été refusé par les pays en développement participant au processus[15]. Par conséquent, les articles 8 à 15 de la Charte de La Havane sur « le développement et la reconstruction économique » ont été rédigés de manière à prendre en compte les préoccupations des pays en développement mais sans aucune référence analytique aux pays concernés[16]. L’échec du projet de création de l’OIC institutionnalise le GATT comme forum de la régulation commerciale multilatérale.  

Le GATT de 1947 ne comportait initialement qu’un seul article –Article XVIII. Aide de l’État en faveur du développement économique – susceptible de concerner les économies périphériques. Dans sa version originelle, cet article porte essentiellement sur l’autorisation des aides gouvernementales. C’est dans le cadre des débats sur sa rénovation, en 1955, que l’expression « partie contractante en développement » apparaît et que l’usage de l’auto-qualification débute simultanément à l’institutionnalisation de la non-réciprocité (Article XVIII.bis). En effet, pour bénéficier des dispositions de l’Article XVIII rénové[17] un pays doit s’auto-désigner « partie contractante en développement ». L’Article stipule que les « parties contractantes reconnaissent que la réalisation des objectifs du présent Accord sera facilitée par le développement progressif de leurs économies, en particulier dans le cas des parties contractantes dont l’économie ne peut assurer à la population qu’un faible niveau de vie et en est aux premiers stades de son développement ». L’Annexe I du GATT 1947 précise à cet égard que « L’expression “aux premiers stades de son développement” ne s’applique pas seulement aux parties contractantes dont le développement économique en est à ses débuts, mais aussi à celles dont les économies sont en voie d’industrialisation à l’effet de réduire un état de dépendance excessive par rapport à la production de produits primaires ».

Avec la décolonisation, l’accès aux indépendances et l’affirmation du non-alignement, le droit du développement s’institutionnalise et impose une vision binaire de l’économie politique internationale entre un Nord et un Sud. En 1961, l’ONU décrète la première décennie des Nations Unies pour le développement qui reconnait que le commerce international est le premier instrument de développement[18]. Ne pouvant rester à l’écart de ces évolutions, le GATT[19] adopte, dès 1961, une Déclaration sur la promotion du commerce des pays en développement suivie, en 1963, d’un Programme d’actions en sept points dont l’une des mesures phares est l’adoption de tarifs préférentiels par les pays développés relativement aux exportations des pays en développement. Cette mesure était en discussion dans les travaux préparatoires de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), entrée en fonction en 1964 et souvent présentée comme « l’anti-GATT »[20].

C’est, précisément en réaction à la création de la CNUCED que les États du Centre s’engagent dans l’élaboration de dispositions spécifiques à destination des économies périphériques. Cela aboutit à l’ajout de la Partie IV – Commerce et développement qui comprend trois articles fixant les principes à observer, les objectifs à atteindre et les engagements souscrits par chaque partie contractante (Cf. Figure 1).

 Cherchant à privilégier, face à la toute nouvelle CNUCED dirigée par R. Prebisch, la légitimité de l’institution (le GATT) fondée sur l’efficacité d’un système commercial multilatéral libre-échangiste et afin d’éviter un blocage institutionnel dû à la difficulté de réformes substantives du régime commercial, les Parties Contractantes ont fait preuve d’un « dualisme pragmatique »[21] en procédant par l’ajout de textes juridiques à la structure d’origine de l’Accord général : la Partie IV en 1965 et la clause d’habilitation en 1979[22].

Si du point de vue substantiel, la Partie IV innove (abandon du principe de réciprocité) elle n’apporte aucune précision quant à la définition de critères ou d’une méthodologie permettant de qualifier un pays comme « partie contractante en développement ». En outre, entre 1955 et 1994, ni les trente-deux processus d’accession au GATT au titre de l’Article XXXIII, ni les différends commerciaux Nord-Sud n’ont permis de clarifier la typologie ou les critères de qualification d’un membre en pays en développement[23].

En 1971, les Nations Unies créent la catégorie des PMA et la Yougoslavie propose, qu’au sein du GATT, soient inclues des dispositions au bénéfice des « pays les moins avancés parmi les PED ». Cette initiative sera suivie de la création d’un Groupe informel de PED, comprenant, entre autres, l’Argentine, le Brésil, l’Égypte, l’Inde, la Yougoslavie le Chili, le Pakistan et l’Uruguay. Avec l’appui d’autres PED, ce groupe jouera un rôle important dans la préparation du cycle de Tokyo (1973-1979), première négociation commerciale multilatérale abordant les rapports entre Centres et Périphéries. Le cycle de Tokyo se déroule dans un contexte d’instabilité structurelle, de contestation de l’ordre économique international et d’affirmation, au sein des instances multilatérales, des économies périphériques devenues majoritaires. Les économies du Centre concèderont la mise en place du Système Généralisé de Préférences (SGP)[24], la reconnaissance d’un traitement spécial et différencié et l’adoption de la clause d’habilitation. La clause d’habilitation introduit l’idée d’une graduation des droits et obligations en fonction du niveau de développement. En cela, elle reflète une première évolution des rapports concurrentiels Nord-Sud et la réaction protectionniste des pays développés face à l’arrivée de produits compétitifs en provenance du Sud[25]. En revanche, son adoption ne donne pas lieu à une réflexion sur d’éventuels critères de catégorisation des pays.

2. L’auto-qualification et la rénovation du traitement spécial et différencié dans le régime OMC

La pratique de l’auto-qualification aurait pu être questionnée à l’occasion du cycle d’Uruguay (1986-1994) et de la création de l’OMC (janvier 1995). Il n’en est rien. La Déclaration ministérielle de Puna del Est (1986) se contente de réaffirmer le principe d’un « traitement différencié et plus favorable » à destination des PED en ne définissant pas les pays susceptibles d’être concernés. L’idée d’une taxonomie des parties contractantes (puis « membres » avec la mise en place de l’OMC) ne figure pas à l’ordre du jour des négociations. Les Accords de l’OMC, au titre de l’Article XVI.1, endossent les pratiques du GATT puisque « sauf disposition contraire du présent accord ou des Accords commerciaux multilatéraux, l’OMC sera guidée par les décisions, les procédures et les pratiques habituelles (…)  du GATT de 1947 » parmi lesquelles figurent la pratique de l’auto-qualification.

L’approche Centres-Périphéries du traitement spécial et différencié dans le régime OMC

L’un des résultats les plus significatifs des négociations du cycle d’Uruguay a été la refonte des rapports Nord-Sud et la mise en place d’un nouveau régime de commerce et de développement[26]. En effet, avec les Accords du cycle d’Uruguay, l’agenda commercial s’est étendu au-delà des « mesures aux frontières » pour inclure les régulations « à l’intérieur des frontières », à savoir les services, les mesures de soutien interne, les régimes de propriété intellectuelle, les mesures liées à l’investissement, etc. Les PED ont accepté cette extension des engagements à de nouveaux domaines intéressant principalement les économies du Centre, à condition que ces dernières acceptent, en échange, d’ouvrir des domaines qui les intéressent, principalement l’agriculture, les textiles et l’habillement. Il est bien établi dans la littérature que cette promesse n’a pas été tenue et que les avantages que les pays développés ont tirés de la combinaison de la réduction des barrières tarifaires dans les PED, de l’inclusion des questions « liées au commerce » et de l’extension normative du régime commercial multilatéral ont largement dépassé les avantages que les pays en développement ont tirés d’un meilleur accès aux marchés des pays développés. En outre, la capacité institutionnelle limitée des pays en développement a encore restreint les avantages qu’ils pouvaient tirer de l’intégration plus poussée prévue par le cycle d’Uruguay[27]. Dans le même temps, ce cycle a fourni la base à partir de laquelle les futurs accords commerciaux au niveau régional et bilatéral ont été négociés avec des conditions encore plus exigeantes – OMC-Plus – pour les PED et avec des coûts de mise en œuvre et d’ajustement importants. Parmi les résultats « pro-développement » des Accords de l’OMC figurent l’inclusion de 183 dispositions relevant du traitement spécial et différencié. À ces dernières s’ajoutent, depuis 1995, celles adoptées lors de différentes conférences ministérielles, des décisions du Conseil général et les dispositions contenues dans l’Accords sur la facilitation des échanges. Mais, aucune de ces dispositions ne contribue à l’établissement d’une taxonomie des pays.

En effet, les Accords de l’OMC et le GATT de 1994 se contentent, dans une note explicative, d’indiquer que « dans les dispositions du GATT de 1994, l’expression “partie contractante” sera réputée s’entendre d’un “Membre”. Les expressions “partie contractante peu développée” et “partie contractante développée” seront réputées s’entendre d’un “pays en développement Membre” et d’un “pays développé Membre” ». Le régime OMC n’apporte aucune innovation par rapport au GATT, exception faite de l’institutionnalisation de la catégorie des PMA avec la Décision sur les mesures en faveur des pays les moins avancés. Il existe, néanmoins, des éléments de différenciation juridique dans certains accords, à l’exemple de la Décision sur les mesures concernant les effets négatifs possibles du programme de réformes sur les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires. De même, certains accords annexés à l’Accord de Marrakech établissant l’OMC font références à des catégories de pays sans pour autant que l’on puisse en conclure qu’il s’agit d’une taxonomie officielle (Cf. Tableau 1).

Abbas Figure 1_page-0001

La procédure de règlement des différends de l’OMC aurait pu contribuer à la clarification des débats sur la catégorisation des pays. Or, sur la période 1995-2022, les panels et l’organe d’appel s’en sont abstenus. L’unique différend, qui aurait pu éclairer la problématique, à savoir le différend Communautés européennes – Conditions d’octroi de préférences tarifaires aux pays en développement s’est contenté de réitérer la démarche de la différenciation sans y apporter aucune clarification. Ainsi, les Accords de l’OMC prolongent-ils l’approche prévalant depuis l’adoption de la clause d’habilitation selon laquelle lors de la négociation d’engagements commerciaux une différenciation entre les pays devrait être négociée au cas par cas et en aucune manière selon des critères préétablis ou une méthodologie spécifique.

Tableau 2. Les Accords de l’OMC présentant des éléments de différenciation entre pays membres


La clause d’habilitation du Tokyo round

–        Introduit le principe juridique de la gradation des droits et obligations en fonction du niveau de développement

–        Institutionnalise le groupe des Pays les moins avancés

L’Accord sur l’agriculture de l’Uruguay round

Reprend trois catégories de PED :

–        Les Pays les moins avancés

–        Les Pays en développement importateurs nets de produits alimentaires

–        Les autres Pays en développement

L’annexe VII de l’Accord sur les subventions et mesures compensatoires

–        Exempte de certaines obligations les PMA désignés comme tels par l’Organisation des Nations unies et Membres de l’OMC

–        Exempte de certaines obligations les PED tant que leur PIB n’aura pas atteint les 1 000 dollars par an.

L’annexe concernant l’ADPIC de la Déclaration de Doha

–        Reconnaissance de la catégorie des pays ayant des capacités insuffisantes dans le secteur pharmaceutique

L’Accord sur le mécanisme d’examen des politiques commerciales

–        Introduit une périodicité différente en fonction de « leur part du commerce mondial pendant une période représentative »

Le mémorandum d’accord sur le règlement des différends

–        Article 3.12 (droit des PED de demander l’application de la Décision du 5 avril 1966 – procédure accélérée)

–        Article 4.10 (durant des consultations, une attention toute particulière doit être accordées aux problèmes et intérêts des PED)

–        Article 8.10 (le groupe spécial doit, dans un litige entre une partie en développement et une partie développée et à la demande de la partie en développement, inclure au moins un membre provenant d’un PED)

–        Article 12.10 (extension des délais de procédure devant les groupes spéciaux pour les PED)

–        Article 2:11 (les rapports de groupes spéciaux dans des procédures impliquant des PED doivent explicitement indiquer de quelle manière ont été prises en compte les dispositions sur le traitement différencié et plus favorable invoquées au cours de la procédure) 

–        Article 21. 2

–        Article 24 (procédures spéciales pour les PMA)

–        Article 27.2 (assistance aux PED par le Secrétariat)

Source : Composition personnelle de l’auteur.

3. Semi-périphérisation, nouvelle économie politique des rapports Centres-Périphéries et retour du débat sur l’auto-qualification

Lors du lancement du PDD, la question de l’auto-qualification n’a pas été posée, pas plus qu’elle ne l’a été durant les premières années des négociations. C’est n’est qu’à partir de 2009, que les pays développés membres en ont fait le nœud gordien des défaillances de la fonction de négociation de l’OMC et une des pierres d’achoppement des réformes de l’institution. Les évolutions successives du PDD vont, de façon incrémentale, conduire à une reconsidération du triptyque efficacité-légitimité-équité. Ce changement résulte, avant toute chose, de la réaction de la puissance installée – les États-Unis – à l’érosion de sa position concurrentielle face à la puissance ascendante – la Chine[28] et, in extenso, de l’évolution des rapports de puissance et de richesse, depuis la crise financière globale de 2007-2008, au détriment des États du Centre par rapport aux États semi-périphériques.

Le Programme de Doha pour le Développement : le cycle de l’affirmation de la Semi-Périphérie

Lancé en 2001, le PDD visait à corriger l’iniquité des Accords du cycle d’Uruguay[29]. D’où l’engagement que « toutes les dispositions relatives au traitement spécial et différencié seront réexaminées en vue de les renforcer et de les rendre plus précises, plus effectives et plus opérationnelles ». Dans le sillage de l’échec de la conférence ministérielle de Cancun (2003) émerge l’idée que le manque d’efficacité du TSD résulte, en grande partie, du caractère trop générique de ses dispositions. Celles-ci ne « colleraient » plus à la diversité des situations et problématiques des pays en développement, eux-mêmes plus divers et plus hétérogènes. Dès lors, pour les rendre « plus précises, plus effectives et plus opérationnelles » il conviendrait d’introduire une différenciation entre les pays auxquelles elles s’adressent[30]. Cette proposition connaît une évolution substantielle avec la crise financière globale de 2007-2009.

L’accession de la Chine, lors de la Conférence ministérielle de Doha (2001), marque le point de départ de l’affirmation des capitalismes semi-périphériques dans le système commercial multilatéral[31]. C’est précisément la façon dont a été gérée cette accession et les supposés avantages que la Chine a retiré de son statut de PED à l’OMC qui ont propulsé l’auto-qualification au cœur des débat sur le traitement spécial et différencié[32]. L’argument vaut également pour l’Inde, le Brésil et la Corée du Sud entre autres. Toutefois, en annonçant, en mars 2019, qu’il renonçait au TSD mais pas aux flexibilités négociées, le Brésil endosse l’approche des pays développés[33]. Indéniablement, les économies émergentes ont su tirer avantage du compromis libre-échangiste des Accords de l’OMC. Simultanément, elles ont pu profiter de leur statut de PED pour utiliser pleinement les dérogations et flexibilités offertes par le régime OMC en matière de politique commerciale[34]. Mais, surtout, elles ont pu générer et exploiter, grâce à leurs stratégies de développement industriel et de rattrapage technologique, le potentiel des transformations productives associé à un système commercial ouvert, non discriminant et fondé sur des règles, système institué par les capitalismes historiques.

Le rééquilibrage des rapports de richesse et de puissance produit par l’émergence est à l’origine d’une double évolution du régime commercial multilatéral. D’une part, l’émergence fait éclater la fiction d’une Périphérie cohésive à l’OMC. Contrairement aux premières années du PDD, où les coalitions du Sud ont été actives, elles n’ont tenu aucun rôle significatif aux conférences ministérielles de Bali (2013) et de Nairobi (2015) ou de Genève (2022). Conformément aux analyses de I. Wallerstein, sans mettre fin aux antagonismes Centres-Périphéries, la libéralisation multilatérale devient le théâtre d’affrontements entre capitalismes installés et capitalismes émergents doublés de conflits inter-périphéries conduisant à une fragmentation des coalitions du Sud[35] en raison de l’opposition entre la préférence commercialiste des émergents et la préférence protectionniste des PED non-émergents[36]. D’autre part, l’émergence conduit à la transformation du traitement spécial et différencié. Tout d’abord, le paragraphe 44[37] du PDD est victime de l’enlisement des négociations commerciales multilatérales puisque, sur la période 2009-2021, les dispositions relatives au TSD ne sont présentes que dans 40 % des décisions prises à l’OMC, contre 70 % durant la période 1995-2008, et les textes comportant une référence explicite aux TSD passent de 27 à 19 %[38]. Progressivement, l’expression « traitement spécial et différencié » ne semble concerner que les « plus vulnérables des États Membres de l’OMC » et les PMA. Ensuite, à partir de la conférence ministérielle de Hong Kong (2005), les « flexibilités » négociées se substituent au principe d’un traitement spécial et différencié. Enfin, le passage d’un TSD centré sur la catégorisation des pays à un TSD centré sur les politiques et mesures prises par les États est acté à l’occasion de l’adoption de l’Accord sur la facilitation des échanges (AFE) conclu en décembre 2013 et entré en vigueur en février 2017 (Voir Encadré 1).

Il est difficilement contestable qu’une différenciation structurelle soit à l’œuvre au sein des PED depuis la création de l’OMC (1995) ou le lancement du cycle de Doha (2001). Justifie-t-elle une remise en cause de l’approche binaire sur laquelle s’est construite la régulation des rapports commerciaux multilatéraux ? Le débat ne peut être tranché ni d’un point de vue quantitatif, ni d’un point vue qualitatif[39]. Ce qui est sous-jacent à la distinction d’un groupe de pays bénéficiant de droits différenciés, i.e. plus favorables, c’est le contenu que donnent les États membres aux questions d’efficacité, d’équité et de légitimité des dispositifs de gouvernance commerciale multilatérale. Progressivement, une approche plus orientée sur la nature des mesures que sur le statut des pays gagne en légitimité. Elle constitue un des paramètres de l’économie politique de la différenciation.


Encadré 1

Le Traitement Spécial et Différencié dans l’Accord sur la Facilitation des Échanges (AFE) de l’OMC

L’Accord sur la facilitation des échanges (AFE) contient une approche rénovée du TSD qui le fait sortir de sa logique stato-centrée, source de conflits d’intérêts interétatiques, pour une logique centrée sur la nature des mesures. La section II de l’accord porte sur les dispositions relatives au TSD pour les PED et les PMA. Il y est précisé que :

Une assistance et un soutien pour le renforcement des capacités devraient être fournis pour aider les pays en développement et les pays les moins avancés Membres à mettre en œuvre les dispositions du présent accord, conformément à leur nature et à leur portée. L’étendue et le moment de la mise en œuvre des dispositions du présent accord seront liés aux capacités de mise en œuvre des pays en développement et des pays les moins avancés Membres. Dans les cas où un pays en développement ou un pays moins avancé Membre continuera de ne pas avoir la capacité nécessaire, la mise en œuvre de la (des) disposition(s) concernée(s) ne sera pas exigée jusqu’à ce que cette capacité de mise en œuvre ait été acquise.

De plus, trois catégories de dispositions sont mentionnées :

–       La catégorie A contient les dispositions qu’un PED ou un PMA désignera pour mise en œuvre au moment de l’entrée en vigueur du présent accord, ou dans le cas d’un PMA dans un délai d’un an après l’entrée en vigueur ;

–       La catégorie B contient les dispositions qu’un PED ou un PMA désignera pour mise en œuvre à une date postérieure à une période de transition suivant l’entrée en vigueur du présent accord ;

–       La catégorie C contient les dispositions qu’un PED ou un PMA désignera pour mise en œuvre à une date postérieure à une période de transition suivant l’entrée en vigueur du présent accord et exigeant l’acquisition de la capacité de mise en œuvre grâce à la fourniture d’une assistance et d’un soutien pour le renforcement des capacités.

Outre que la mise en œuvre est conditionnée par la fourniture d’une assistance technique, chaque pays désignera par lui-même les dispositions qu’il inclue dans chacune des catégories A, B ou C. Cependant, dans le cadre de la catégorie C, l’assistance n’est pas assurée par un cadre légal.

Économie politique de la différenciation et avenir du système commercial multilatéral

À partir de la conférence ministérielle de Cancun (2003), les États-Unis n’ont cessé d’évoquer les problèmes que posent les « won’t do countries », i.e. le Sud Global[40] (Brésil, Chine, Inde) et certains PED, concernant la libéralisation des échanges. Lors de la conférence de Nairobi (2013), les capitalismes centraux ont insisté pour que la déclaration finale fasse clairement référence au fait que de « nouvelles approches sont nécessaires pour obtenir des résultats significatifs dans les négociations multilatérales » d’où l’insistance sur de « nouvelles modalités » de négociations et de « nouvelles questions » à négocier[41].

C’est dans ce contexte (septembre 2018) que, l’Union européenne prend l’initiative de publier un document de réflexion sur l’avenir de l’OMC comprenant des propositions de réforme du TSD[42]. L’UE convient que certains Membres en développement sont mieux placés que d’autres pour assumer davantage d’obligations. Pour remédier à ce manque de capacité des PED les moins développés, elle propose deux suggestions. Premièrement, elle estime que les PED doivent être encouragés à « sortir » du TSD. S’il choisit de recourir au TSD, un pays doit expliquer comment il entend en faire usage en matière de développement et il doit fournir une date à laquelle une extinction des dispositions du TSD sera effective, de sorte que le pays assume, à termes, pleinement toutes les obligations de l’OMC. Deuxièmement, l’UE déclare que, pour les futurs accords, le TSD devrait être à la fois axé sur les besoins et fondé sur des preuves, ce qui signifie que, comme point de départ, toutes les parties devraient reconnaître que la mise en œuvre universelle des Accords de l’OMC est l’objectif. Les flexibilités négociées doivent être proportionnelles au nombre d’engagements pris.

Dans le sillage de l’UE et en préparation de la XIIème Conférence ministérielle, les États-Unis diffusent (février 2019) un document portant sur la réforme du TSD[43]. Trois propositions en structurent l’argumentaire : i) l’économie mondiale a drastiquement évolué depuis la création de l’OMC et la mise en place du TSD ; ii) l’auto-qualification au statut de PED est problématique car autorisant des abus en termes d’exemptions aux disciplines collectives, le TSD étant instrumentalisé par certains PED pour se soustraire aux disciplines commerciales collectives et ; iii) en raison de l’absence d’une définition précise du « développement », le TSD échoue à distinguer entre différents niveaux de développement, ce qui réduit son efficacité. Dès lors, les États-Unis font prévaloir que l’auto-qualification empêche une « véritable libéralisation » et n’est plus pertinente à la lumière des « grandes avancées en matière de développement » de ces dernières décennies, à savoir l’émergence de nouvelles puissances commerciales. En outre, ils s’opposent à la multiplication des flexibilités accordées aux pays en développement au motif que, d’une part, elles fragmentent le système commercial multilatérale réduisant ainsi son efficacité et, d’autre part, elles sont plus conçues comme un moyen de se soustraire aux disciplines commerciales multilatérales que comme un levier pour des politiques commerciales pro-développement. Le document conclut que « l’auto-déclaration et sa conséquence première – l’incapacité de faire la différence entre les membres – mettent l’OMC sur la voie de l’échec des négociations. C’est aussi une voie vers l’inutilité institutionnelle, où l’OMC reste ancrée dans le passé et incapable de négocier des disciplines pour relever les défis d’aujourd’hui ou de demain, alors que d’autres institutions internationales vont de l’avant ».

L’argumentaire des États-Unis véhicule une conception du TSD, partagée par l’ensemble des États membres développés, selon laquelle il n’est pas un dispositif échappatoire aux règles de l’OMC ou un levier pour l’érection de barrières protectionnistes. Il constitue un dispositif transitionnel en vue de l’intégration au système commercial multilatéral. Dès lors, le système de négociation de l’OMC gagnerait en efficacité et en légitimité en distinguant plusieurs catégories de pays en fonction de leur niveau de développement et de leurs besoins commerciaux en matière de développement. Partant de ces considérations, les États-Unis proposent quatre critères conduisant à l’exclusion d’un pays des bénéfices du traitement spécial et différencié si l’un d’eux est satisfait : i) appartenance ou accession à l’OCDE ; ii) appartenance au G20 ; iii) classification comme pays à « revenu élevé » (PRE) par la Banque mondiale ; ou iv) part du commerce mondial de marchandises supérieure à 0,5 %. Ils précisent, en outre, que ces critères n’empêchent pas des accords sectoriels dans lesquels d’autres membres seraient également inéligibles à un traitement spécial et différencié. En juillet 2019, les États-Unis complètent leur proposition en indiquant que l’inclusion de critères unilatéraux pour l’utilisation du traitement spécial et différencié doit faire partie des changements à apporter dans « la fonction négociation de l’OMC ». Au vu de ces critères, une trentaine de pays seraient exclus des bénéfices d’un traitement spécial et différencié (Cf. Tableau 2).

Tableau 2. Pays concernés par les propositions étatsuniennes

Pays

Membre

de l’OCDE

Membre

du G20

PRE Banque mondiale

Part dans le

commerce de marchandise

Afrique du Sud

 

×

 

0,47

Antigua et Barbuda

 

 

×

0,00

Arabie Saoudite

 

×

×

1,37

Argentine

 

×

×

0,34

Bahreïn

 

 

×

0,09

Barbade

 

 

×

0,02

Brésil

 

×

 

1,16

Brunei

 

 

×

0,04

Chili

×

 

×

0,36

Chine

 

×

 

13,15

Colombie

×

 

 

0,21

Corée du Sud

×

×

×

2,85

Costa Rica

×

 

 

0,07

Emirats Arabes Unis

 

 

×

2,42

Hong Kong

 

 

×

2,81

Inde

 

×

 

1,70

Indonésie

 

×

 

0,88

Israël

×

 

×

0,30

Koweït

 

 

×

0,33

Macao

 

 

×

0,03

Mexique

×

×

 

2,42

Oman

 

 

×

0,20

Panama

 

 

×

0,60

Qatar

 

 

×

0,38

Saint-Kitts-et- Nevis

 

 

×

0,00

Seychelles

 

 

×

0,03

Singapour

 

 

×

2,05

Taïwan

 

 

×

1,74

Thaïlande

 

 

 

1,29

Trinidad et Tobago

 

 

×

0,04

Turquie

×

×

 

0,95

Source : Site de l’OCDE, du G2O et de la Banque mondiale pour l’appartenance ; données OMC pour le pourcentage des exportations mondiales, année de référence 2019.

Aux propositions américaines et européennes s’ajoutent celles de la Norvège, initiatrice de « conversations constructives » sur la dimension « développement » des négociations, endossées par le Canada, Hong Kong, l’Islande, le Mexique, la Nouvelle Zélande, Singapour et la Suisse[44]. Se voulant moins clivante que la proposition américaine, l’initiative de la Norvège évacue la problématique de la catégorisation des pays (excepté pour les PMA) et des critères d’éligibilité au profit des enjeux de développement auxquels les pays font face et la façon dont un accord permettrait d’y répondre. À l’instar de ce qui existe dans l’Accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC) ou l’Accord général sur le commerce et les services (AGCS), les discussions devraient porter sur les flexibilités en termes d’engagements, d’obligations et d’assistance technique auxquels les PED pourraient prétendre en fonction des problématiques sectorielles et de besoins de développement. La proposition du Canada (septembre 2018) développe une approche similaire en portant la discussion sur la définition d’un nouvel équilibre entre réciprocité et flexibilités au motif que tous les pays n’ont pas à bénéficier et ne réclament pas les mêmes niveaux de flexibilités[45].

Les propositions des pays développés, particulièrement celle des États-Unis, ont suscité la réaction des PED qui s’est déployée en deux temps. Tout d’abord, un groupe de dix pays a déposé une communication dans laquelle ils réfutent l’argumentation étatsunienne[46]. Leur position consiste à rappeler en usant de l’argumentaire statistiques, que la « fracture du développement » (development divide) demeure réelle malgré les changements dans l’économie mondiale depuis 1995. De surcroît, la globalisation a généré de nouveaux écarts structurels (development gaps) tels que la fracture numérique et, suite à la crise pandémique, la fracture sanitaire et vaccinale. Ils ont conclu que tant du point de vue de la technicité des négociations que des capacités à mettre en œuvre les accords et à adapter les législations nationales rien ne justifie d’effacer la distinction entre pays développés et pays en développement à l’OMC. Dès lors, le statut auto-déclaré de PED devrait être maintenu lorsqu’il s’agit de se mettre en conformité, de façon graduelle et progressive, aux disciplines de l’OMC. Ils concluent en attirant l’attention sur le fait que, ce n’est pas tant l’auto-qualification qui menace les fondements du système OMC et en érode la fonction de négociation[47], mais plutôt la « prolifération du protectionnisme et de l’unilatéralisme incompatibles avec l’OMC, le blocage du processus de sélection des membres de l’Organe d’appel et l’impasse du cycle de développement de Doha », autant de sujets sur lesquels la responsabilité des États-Unis et des capitalismes du Centre, engagés dans une lutte hégémonique avec la Chine, est première.

Un second groupe de pays en appelle à un renforcement de la dimension développement ou « ambition » des négociations en les rattachant explicitement aux Objectifs du développement durable des Nations Unies (ODD) qui serviraient de fondement à la légitimité des mesures à adopter. Ils déclarent que les « ODD énoncent les défis auxquels les pays en développement sont toujours confrontés en matière de développement, notamment la lutte contre la pauvreté et la faim. Les règles de l’OMC doivent soutenir ces efforts et non les entraver »[48]. Tout en reconnaissant que le TSD n’est pas une fin en soit, ces pays défendent la position selon laquelle le TSD est un « droit ancré dans le traité et non négociable pour tous les membres en développement »[49]. De même, tout en critiquant les positions des pays développés en faveur du renforcement des disciplines et de la transparence, ils estiment que « le non-respect des obligations n’est pas délibéré », mais résulte d’insuffisances dans les capacités de mise en œuvre et de respect des disciplines. Ces pays laissent entendre qu’ils seraient disposés à assumer des obligations supplémentaires s’ils bénéficiaient des capacités pour le faire et si les pays développés étaient disposés à les aider. Ils souscrivent ainsi à l’approche retenue dans l’Accord sur la facilitation des échanges (AFE).

De fait, la majorité des PED à l’OMC défend la position selon laquelle un système multilatéral efficace et inclusif doit comporter : i) des droits inconditionnels des pays en développement aux flexibilités prévues par les dispositions relatives au TSD ; ii) l’auto-évaluation et la détermination par les pays en développement de leur statut de développement ; iii) le maintien des dispositions existantes en matière de TSD et ; iv) le renforcement du TSD dans les négociations actuelles et futures de l’OMC[50]. Dès lors, l’auto-qualification, composante d’un espace politique pour le développement, permettrait aux PED de se conformer, progressivement, aux disciplines de l’OMC, de mener les réformes institutionnelles domestiques, les transformations structurelles et les mises à niveau technologique et productive en fonction de leurs enjeux et capacités nationales de développement. Les priver de cet espace politique et de flexibilités porterait atteinte à la légitimité même du système fondé sur des règles.

4. Vers un nouveau compromis Centres–Semi-Périphéries à l’OMC ?

La trajectoire du PDD depuis 2001, les préférences des acteurs concernant l’auto-qualification et l’hétérogénéité croissante au sein de la Périphérie concurrent à ce que le statu quo ne soit plus possible. Les capitalismes centraux ont insisté pour que la déclaration finale de la conférence ministérielle de Nairobi (2015) fasse explicitement référence au fait que de « nouvelles approches sont nécessaires pour obtenir des résultats significatifs dans les négociations multilatérales »[51]. Un nouveau design institutionnel de la gouvernance des rapports entre Centres, Semie-Périphéries et Périphéries semble émerger. Il peut être analysé selon deux perspectives.

La première est relative à l’approche de la différenciation. Elle s’organise selon deux logiques : i) les propositions stato-centrées, privilégiant la création de groupes de pays aux droits différenciés ; ii) les propositions centrées sur les politiques et mesures auxquelles souscriraient les PED en fonction de leurs intérêts et besoins de développement. Au sein d’une organisation conduite par ses membres et régie par le principe du consensus, la probabilité d’un compromis sur de nouvelles catégories formelles de PED semble hypothétique[52]. Par ailleurs, l’une ou l’autre des approches n’est soutenable qu’à la condition que les États membres engagent une réflexion sur la façon dont la réduction thématique et géopolitique de la non-réciprocité serait compensée par de nouveaux droits ou une nouvelle articulation entre engagements et flexibilités, voire des dispositifs inédits d’inclusion et d’amélioration du traitement des PED[53].

La seconde perspective concerne les trois scénarios d’évolution de la gouvernance des rapports entre pays de niveaux inégaux de développement. Tout d’abord, la graduation qui est l’évolution à minima puisqu’elle renouerait avec l’approche de la clause d’habilitation. Sur la base de critères reconnus par l’ensemble des membres, certains PED ne pourraient plus prétendre au TSD. Le statut de PED demeurerait, mais sa portée serait considérablement réduite puisque les pays émergents ou les PED appartenant aux pays à revenu élevé (PRE) de la Banque mondiale, perdraient l’accès à des droits différenciés. Ce scénario est déjà à l’œuvre puisqu’en annonçant, en mars 2019, qu’il renonçait au TSD mais pas aux flexibilités négociées, le Brésil endosse cette approche. Il en va de même de la Corée du Sud qui, depuis février 2020, ne s’identifie plus comme PED et renonce à invoquer le TSD dans les négociations[54].

Ensuite, la catégorisation viserait à institutionnaliser, selon des critères génériques, géographiques ou sectoriels précis, des taxonomies de PED. La catégorisation existe déjà à l’OMC puisque certains accords (l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce, l’accord sur l’agriculture, l’accord sur les subventions, le mécanisme d’examen des politiques commerciales) subdivisent les membres en développement en sous-groupes. La multiplication des coalitions thématiques[55] (G20, G33, etc.), sectorielles (Groupe des produits tropicaux, Groupe Non Agricultural Market Access NAMA-11, etc.) ou géographique (ACP, Membres asiatiques en développement, Pays en développement sans littoral, etc.) montre que la catégorisation pourrait s’institutionnalisée. Elle aurait pour effet de multiplier les sous-groupes de PED en concurrence les uns avec les autres en matière de TSD.

Enfin, l’individuation qui consisterait à adopter un TSD au cas-par-cas, produit-par-produit ou sur une base sectorielle. Chaque PED devrait apporter la démonstration que les flexibilités demandées servent sa stratégie de développement. L’individuation du TSD serait porteuse d’une fragmentation du régime commercial multilatéral car le traitement d’un PED dépendrait, sur une base ad hoc ou unilatérale, uniquement des intérêts des pays développés[56]. En contrepartie, elle répondrait à la différenciation structurelle et à l’hétérogénéité institutionnelle entre PED. En outre, elle apparaît en adéquation avec la pratique du plurilatéralisme et des initiatives conjointes (Joint Statement Initiatives)[57] c’est-à-dire des négociations entre pays aux intérêts convergents relativement aux modalités et finalités des négociations, qui se sont multipliées ces dernières années à l’OMC.

Ainsi, parmi les résultats « inattendus » du PDD pourrait figurée une évolution substantielle des institutions gouvernant les rapports Centre–Semi-Périphérie (Voir Figures 2.1 et 2.2.). Le traitement des PED dans le système commercial GATT-OMC sur la période 1964 à 2023 aura été à l’articulation de trois principes : la non-discrimination, la non réciprocité et le traitement spécial et différencié. Depuis la conférence ministérielle de Bali, une évolution dans les institutions de traitement des Semi-Périphéries est perceptible. Progressivement et face à l’érosion de la position dominante des économies du Centre, se met en place un dispositif de gouvernance des rivalités inter-étatiques qui articulerait  flexibilités, réciprocité graduée et individuation des droits selon les capacités matérielles et compétitives du pays concerné.

Abbas figure 2_page-0001

Cette évolution, souhaitée au nom de l’efficacité du système de négociations (préférence portée par les capitalismes centraux), questionne la légitimité (capacité à répondre aux besoins de développement de la majorité des membres) du régime OMC et, par conséquent, l’équité (équilibre des droits et concessions) des dispositifs de différenciation. Les ODD offriraient un principe de cohérence concernant le contenu et l’orientation des mesures de TSD que pourraient invoquer un PED. Le compromis efficacité-légitimité-équité implique que toute reconsidération de la pratique de l’auto-qualification devra s’accompagner d’une extension des droits différenciés, dont pourraient se prévaloir les PED membres de l’OMC, et, simultanément, d’une réflexion sur la substance de ces « nouveaux » droits différenciés. À l’aune des conflits-coopérations entre États membres, trois options se confrontent : la graduation des PED, la catégorisation des PED en plusieurs sous-groupes ou la fragmentation du statut. Les modalités, les critères de différenciation et la substance des mesures à prendre, si l’une ou l’autre de ces options s’imposait, constitue le nouveau Grand bargain Nord-Sud à l’OMC.

Notes :

[1] L’origine de l’approche Centres-Périphéries réside dans les travaux de Raúl Prebisch. Toutefois, c’est à Immanuel Wallerstein que l’on doit le concept de Semi-Périphérie. Les caractéristiques et les propriétés de la Semi-Périphérie dans le système mondial, d’abord exposés dans quelques essais et, plus tard, développés plus rigoureusement dans son ouvrage The Modern World-system. Cette entreprise a été complétée, débattue et alimentée par d’autres auteurs qui ont considérablement enrichi la notion de Semi-Périphérie. Voir Wallerstein, I. (1976). « Semi-peripheral Countries and the Contemporary World Crisis ». Theory and Society, 3(4), 461–483 ; Wallerstein, I. (2011a). The modern world-system I: Capitalist agriculture and the origins of the European world-economy in the sixteenth century. Oakland, CA: University of California Press ; Wallerstein, I. (2011b). The modern world-system II: Mercantilism and the consolidation of the European world-economy, 1600–1750. Oakland, CA: University of California Press ; Arrighi, G., & Drangel, J. (1986). « The Stratification of the World-Economy: An Exploration of the Semiperipheral Zone ». Review, X(1), 9–74 ; Terlouw, K. (2002). « The Semiperipheral Space in the World-System ». Review, 25(1), 1–22.

[2] « Ces Etats [semi-périphériques, MA], de force moyenne, mettent toute leur énergie pour évoluer le plus vite possible afin, au pire, de conserver leur place intermédiaire, mais avec l’espoir de gravir les échelons. Ils mobilisent délibérément les ressources du pouvoir d’État dans la sphère interne et interétatique afin d’améliorer le statut de leur État en tant que producteur, accumulateur de capital et de puissance militaire », I. Wallerstein (2004), Comprendre le monde. Introduction à l’analyse des systèmes-monde, La Découverte, Paris, p. 93. 

[3] Pour un débat sur les catégories de pays et les implications de l’émergence de nouvelles puissances économiques, voir Mondes en développement, n° 186, 2019/2.

[4] En plus de la liste des PMA, les pays de l’ancien bloc soviétique en Europe centrale et orientale sont désignés dans le langage du GATT-OMC comme des « économies en transition » et sont généralement exclus de la liste des pays en développement. À l’exception de la Roumanie, les économies en transition des autres pays d’Europe centrale et orientale n’ont pas accédé et n’accéderont pas à l’OMC avec le statut de pays en développement.

[5] https://www.un.org/development/desa/dpad/least-developed-country-category.html

[6] Le traitement spécial et différencié comporte six catégories de dispositions : i) les dispositions visant à améliorer les opportunités commerciales pour les PED-PMA, parmi lesquelles celles relatives à l’accès aux marchés des pays du Nord ; ii) les dispositions impliquant la prise en compte des intérêts des PED-PMA lors de l’adoption par les pays du Nord de mesures commerciales ; iii) les dispositions donnant aux PED-PMA une capacité discrétionnaire dans l’élaboration de leur politique commerciale et les exemptant des disciplines commerciales appliquées par et aux pays développés ; iv) les dispositions relatives à l’aide et à l’assistance technique ; v) les provisions relatives à la protection de leur marché intérieur ; vi) les provisions accordant aux PED-PMA des délais plus longs d’exemption à la norme multilatérale

[7] Conformément au paragraphe 44 de la déclaration ministérielle de Doha portant sur le Programme de Doha pour le Développement.

[8] Mehdi Abbas, « Mondialisation, Organisation mondiale du commerce et rapports Nord-Sud. Entre différenciation et espace politique pour le développement », Critique Economique, Vol. 8, n°20, été-automne 2007 et « Les rapports Nord-Sud et Sud-Sud dans le Cycle du développement de l’OMC », in Henri Regnault, Christian Deblock (eds.), Intégration Nord-Sud et stratégies de développement, Montréal, Athéna Éditions, 2006.

[9] Marie-Line Duboz, Matthieu Houser, « L’absence d’une définition précise de la notion de pays en développement à l’OMC : un handicap pour son fonctionnement », Mondes en Développement, 2013/3, n° 163, pp. 115-130.

[10] À savoir Etats-Unis, Union européenne, Canada et Japon.

[11] Ruvalcaba D. M. (2020). « The Semiperipheral States in the Twenty-first Century: Measuring the Structural Position of Regional Powers and Secondary Regionla States ». International Studies, 57(1), 20-50.

[12] John H. Jackson, « The Uruguay Round and the Launch of the WTO: Significance and Challenges », in Terence P. Stewart (ed.), The World Trade Organization, Washington, American Bar Association, 1996, pp. 5-28, p. 7.

[13] A savoir, la Charte de La Havane instituant une Organisation internationale du commerce.

[14] Conférence des Nations Unies sur le commerce et l’emploi. Acte Final et documents connexes, Commission intérimaire de l’Organisation Internationale du Commerce, avril 1948,

https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/havana_f.pdf

[15] À savoir : Brésil, Birmanie, Ceylan/Sri Lanka, Chili, Chine, Cuba, Inde, Liban, Pakistan, Rhodésie/Zimbabwe, Syrie. Voir Kenneth Dam, The GATT. Law and International Economic Organization, New York, Midway, 1977.

[16] Ces articles portaient sur l’accès aux capitaux et autres arrangements financiers, les investissements internationaux, les arrangements préférentiels entre pays en développement et les accords sur les produits de base.

[17] L’Article XVIII a été rénové pour, formellement, permettre aux PED de protéger leurs industries dans l’enfance, d’adopter des mesures restrictives en cas de difficultés ou de déséquilibre de la balance des paiements alors que l’article XVIII.bis institutionnalise le concept de non-réciprocité de traitement en faveur des PED. Pour le détail, Robert Hudec, Developing Countries in the GATT Legal System, London, Thames Essay, 1987.

[18] C’est l’intitulé de la résolution 1710 de l’Assemblée générale du 19 décembre 1961 proclamant la première décennie de l’ONU pour le développement.

[19] De fait, en 1958, le rapport du GATT, Tendances du commerce international, plus connu sous le nom de Rapport Haberler, concluait que les politiques commerciales des pays développés restreignaient l’accès aux marchés des exportations en provenance des pays en développement et empêchaient ces derniers de pleinement tirer profit d’un système commercial ouvert.

[20] Mehdi Abbas, « Les pays du Sud dans le système commercial multilatéral », Informations et Commentaires, n° 109, octobre-décembre 1999 à la p 55.

[21] Ismaël Camara, Comprendre le GATT, Montréal, Éditions le Griffon, 1990, p. 53.

[22] La clause d’habilitation autorise les parties contractantes du GATT puis de l’OMC, à partir de 1995, à accorder un traitement préférentiel aux PED sans réciprocité. La condition est que ce traitement différencié et plus favorable ne doit pas être conçu pour élever des obstacles au commerce vis à vis de pays tiers. Elle demeure la référence juridique pour les SGP tel l’initiative Tous sauf les Armes de l’Union européenne à destination des PMA ou l’US’ African Growth and Opportunity Act ou les SGP mis en place par les pays émergents (Chine et Inde) toujours à destination des PMA.

[23] Guglielmo Verdirame, « The Definition of Developing Countries under GATT and Other International Law », 1996, German Yearbook of International Law, 39, pp. 164-197 et Sonia Rolland, Development at the WTO, Oxford, Oxford University Press, 2012, pp. 71-72.

[24] C’est à l’initiative de la CNUCED, dès sa deuxième session en 1968, que le Système généralisé de Préférences que les pays développés accorderaient aux pays en développement est mis en place.

[25] Cette évolution concurrentielle dans les rapports Nord-Sud est à l’origine des premières propositions américaines de « graduer » les droits des PED en fonction de leur niveau de développement et de basculer certains pays dans la catégorie des « parties contractantes développées », Michael Hart, Bill Dymond, « Special and Differential Treatment and the Doha ‘Development’ Agenda », Journal of World Trade, Vol. 37, n°2, 2003, pp. 395-415, p. 402-403.

[26] Sonia Rolland, Op.cit., pp. 89-103 et Elimma C. Ezeani, The WTO and its Development Obligation. Prospect for Global Trade, London, Anthem Press, 2011.

[27] Constantine Michalopoulos, « The Role of Special and Differential Treatment for Developing Countries in the GATT and the World Trade Organization », World Bank Policy Research Working Paper, n° 2388, 2000, Washington, World Bank et Michael Finger, Peter Schuler, « Implementation of Uruguay Round Commitments: The Development Challenge », World Bank Policy Research Working Paper, n° 2215, 2001, Washington, World Bank.

[28] Hong Kyoungseo et alii, « WTO’s Special and Differentiated Treatment Principle and Solutions of the US-China Conflict », Journal of International Logistics and Trade, Vol. 19, n°4, 2021, pp. 185-196.

[29] Pascal Lamy, « Équité et justice dans la mondialisation », n° 4141, Janvier 2011, Études, pp. 7-17

[30] Mehdi Abbas, « Mondialisation, Organisation mondiale du commerce et rapports Nord-Sud. Entre différenciation et espace politique pour le développement », Critique Économique, Vol. 8, n°20, été-automne 2007, pp. 143-164.

[31] Hopewell Kristen, Breaking the WTO. How Emerging Powers Disrupted the Neoliberal Project, Standford, Stanford University Press, 2016; et J. P. Singh, Sweet Talk: Paternalism and Collective Action in North-South Trade Relations, Standford, Stanford University Press, 2017 ; Braz Baracuhy, « The Geopolitics of Multilateralism: The WTO Doha Round Deadlock, the BRICs, and the Challenges of Institutionalised Power Transitions », CRP Working Paper, n° 4, Centre for Rising Powers, janvier 2012 ; et Brendan Vickers, « “Reclaiming Development” in Multilateral Trade », in Amrita Narlikar et Brendan Vickers (dir.), Leadership and Change in Multilateral Trading System, Boston, Martinus Nijhoff, 2009.

[32] James Bacchus, Inu Manak, The Development Dimension. Special and Differential Treatment in Trade, London, Routledge, pp.45-53 et Henry Gao et Weinhuan Zhao, « Myth Busted: China’s Status as a Developing Country gives it few benefits in the World Trade Organization », The Conversation, 6 octobre 2019, https://theconversation.com/myth-busted-chinas-status-as-a-developing-country-gives-it-few-benefits-in-the-world-trade-organisation-124602

[33] En février 2020, la Corée du Sud annonce, à son tour, qu’elle ne s’identifiera plus à l’OMC comme un PED et qu’à ce titre, elle renonce à invoquer un traitement spécial et différencié dans les négociations. Concrètement, cette déclaration est d’une portée limitée puisque, depuis 1998, Hong Kong, Singapour et la Corée du Sud sont excluent du traitement spécial et différencié par les États-Unis.

[34] Mehdi Abbas, « Emerging Countries and Trade Multilateralism: Hypothesis on the Rising Powers’ Global Political Economy », in Bernadette Gonzalez (dir.), Globalization: Economic, Political and Social Issues, New York, Nova Science Publisher, 2016.

[35] Clara Weinhardt, « Emerging Powers in the World trading System: Contestation of Developing Country Status and the Reproduction of Inequalities », Global Society, 2020, Vol. 34, n°3, pp. 388-408.

[36] À titre d’exemple, après s’être opposés aux côtés des PED à l’introduction des Questions de Singapour (investissement, concurrence, marché public et facilitation des échanges) depuis Doha (2001), les émergents, Chine en premier lieu, souhaitent désormais une négociation sur la concurrence et l’investissement. La raison en est l’internationalisation des entreprises chinoises et la sécurisation de ses investissements internationaux. De même, sans l’implication et l’approbation du Sud global, le paquet de Bali, comportant l’accord sur la facilitation des échanges, n’aurait jamais été conclu. On ajoutera la proposition indienne d’un accord sur la facilitation des services allant beaucoup plus loin que l’AGCS ou le TiSA (Trade in Service Agreement) en cours de négociation.

[37] https://www.wto.org/french/thewto_f/minist_f/min01_f/mindecl_f.htm

[38] Clara Weinhardt, Till Schöfer, « Differential Treatment for Developing Countries in the WTO: the Unmaking of the North-South Distinction in a Multipolar World », Third World Quaterly, 2022, 43(1), 74-93.

[39] Richard Kozul-Wrigth, « From Development to Differentiation: Just How Much Has the World Changed? », UNCTAD Research Paper, n° 33, 2019.

[40] Autre expression rendant compte du processus de semi-périphérisation.

[41] Paragraphes 30 et 34 de la Déclaration ministérielle de Nairobi, https://www.wto.org/french/thewto_f/minist_f/mc10_f/mindecision_f.htm

[42] European Commission, WTO Modernisation: Introduction to Future EU Proposals, Union Européenne, Septembre 2018, Bruxelles, https://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2018/september/tradoc_157331.pdf 

[43] Commmunication des États-Unis, « Procedures to Strengthen the Negotiating Function of the WTO », WT/CG/W/764, février 2019 et « An Undifferentiated WTO: Self-Declared Development Status Risks Institutional Irrelevance », WT/GC/W/757/Rev.1, février 2019.

[44] « Pursuing the Development Dimension in WTO Rule-Making Efforts », Communication de la Norvège, Canada, Hong Kong, Islande, Mexique, Nouvelle Zélande, Singapour et la Suisse.

[45] Communication du Canada, « Strengthening and Modernizing the WTO: Discussion Paper », JOB/GC/201, Septembre 2018

[46] « The Continued Relevance of Special and Differential Treatment in Favour of Developing Members to Promote Development and Ensure Inclusiveness », WT/GC/W/765/Rev.2, mars 2019.

[47] Les PED argumentent que bien qu’ils aient le droit d’utiliser le TSD, ils contribuent, dans la mesure de leurs moyens, au fonctionnement du régime OMC. Ainsi, les engagements pris par un certain nombre de membres en développement concernant la mise en œuvre de l’Accord sur la facilitation des échanges montrent bien que l’approche de l’auto-déclaration ne paralyse pas les négociations de l’OMC. La Chine et l’Inde ont implémenté 94,5 % et 95,8 % de leurs obligations dans l’AFE au titre de la catégorie A (mise en œuvre immédiate et sans assistante technique). Voir base de données de l’AFE, https://tfadatabase.org/

[48] « Strengthening the WTO to Promote Development and Inclusivity », Communication de l’Afrique du Sud, Bolivie, Cuba, Equateur, Inde, Malawi, Oman, Ouganda, Tunisie et Zimbabwe, WT/GC/W/778/Rev.1, Juillet 2019. Une version actualisée (WT/GC/W/778/Rev.2), Août 2019 inclue le Groupe Afrique (l’ensemble des pays africains membres de l’OMC).

[49] L’Inde et l’Afrique du Sud, en particulier, défendent la proposition d’un TSD « treaty-embedded right ».

[50] Kinda Mohamadieh, « Special and differential treatment », Third World Network, Breifing Papers, 10 novembre 2021, https://www.twn.my/title2/briefing_papers/MC12/briefings/SDT%20TWNBP%20MC12%20Mohamadieh.pdf

[51] Paragraphes 30 et 34 de la Déclaration ministérielle de Nairobi,  https://www.wto.org/french/thewto_f/minist_f/mc10_f/mindecision_f.htm

[52] Low P., Mamdouh H., Rogerson E. (2018), Balancing Rights and Obligations in the WTO. A Shared Responsability, Government Office of Sweden,

https://www.swedenabroad.se/globalassets/ambassader/fn-geneve/documents/balancing-rights-and-obligations-in-the-wto.pdf

[53] Hedge V., Wouters J. (2021), Special and Differential Treatment Under the World Trade Organization: A Legal Typology, Journal of International Economic Law, 24, 551-571, pp. 569-70.

[54] Cette déclaration est d’une portée limitée puisque, depuis 1998, Hong Kong, Singapour et la Corée du Sud sont excluent du traitement spécial et différencié par les États-Unis.

[55] Pour le détail, voir : https://www.wto.org/french/tratop_f/dda_f/negotiating_groups_f.htm

[56] En février 2020, les États-Unis ont déclaré l’Inde, l’Afrique du Sud, l’Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande, le Vietnam, le Brésil, l’Argentine, la Colombie et le Costa Rica comme « pays développés ». Les États-Unis, l’Australie et les membres du Groupe de Cairn ont supprimé la provision du TSD concernant les subventions accordées par les PED au titre de l’article 6.2 de l’Accord sur l’agriculture. Pareillement, les États-Unis ont exclu l’Inde et la Turquie des pays bénéficiant du TSD dans le cadre de l’exemption du droit de sauvegarde sur les cellules photovoltaïques en silicium cristallin et les machine à laver domestiques.

[57] Les JSI concernent le commerce électronique, les réglementations intérieures dans les services, la facilitation de l’investissement…. Contrairement aux accords commerciaux plurilatéraux qui ont leur place dans le régime OMC, les JSI, qui se sont multipliées ces quatre dernières années, ne bénéficient d’aucun statut juridique et rencontrent une opposition de nombreux pays qui y voient un moyen de contourner le principe du consensus.

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