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1er octobre 2022

D’un acteur masqué à l’interprète sans fard d’un agenda caché : un examen rétrospectif des relations du Japon avec l’Afrique sous influence croissante de la Chine

par Eiichi Yoshida, Professeur, École supérieure d’études culturelles et sociales urbaines, Université Municipale de Yokohama. 

(Traduit de l’anglais par la rédaction)

yoshida2I. Introduction

Les relations du Japon avec les pays africains ont consisté à s’assurer un accès aux ressources de l’Afrique tout en constituant un marché pour les exportations japonaises ainsi qu’un marché lié à l’aide. En d’autres termes, on peut estimer que ces relations ont été entretenues durant de nombreuses années en parallèle avec une diplomatie de l’aide au développement afin de renforcer la base économique nationale.

Par exemple, l’Ouganda et la Tanzanie, pays bien connus pour leur production de coton à fibres longues, étaient importants pour le Japon, car le Japon fut dans le passé un grand exportateur de textiles et de vêtements. Le gouvernement japonais était profondément conscient de la nécessité de sécuriser ses ressources et de diversifier son approvisionnement, tirant en cela les leçons de son expérience en temps de guerre. Ainsi, le Japon utilisa dès le début de l’après-guerre ses méga conglomérats commerciaux, les Sogo-Shosha, pour mener des explorations minières à l’étranger en coopération avec des organisations nationales telles que la Japan National Oil Corporation et la Metal Mining Agency. En Afrique, la société japonaise Nikko investit directement dans les mines de cuivre de Musoshi dans la Copperbelt (« ceinture de cuivre ») du Zaïre en 1968. Mais la persistance de troubles politiques dans la région rendit impossible d’expédier le minerai depuis Benguera en Angola, alors Nikko essaya d’utiliser le port de Nacala au Mozambique, mais là encore, les troubles politiques au Mozambique même, rendirent les expéditions difficiles, entraînant d’énormes pertes, et finalement le Japon jeta l’éponge en 1983. On estime que l’une des raisons pour lesquelles les investissements japonais dans les ressources minérales n’ont pas progressé depuis en Afrique tient aux pertes majeures subies en raison de ces troubles politiques.

Cependant, l’Afrique reste un partenaire important pour l’approvisionnement sur le long terme en ressources minérales ; Actuellement, selon la Japan Oil Gas and Metal National Corporation[ii], les ressources de l’Afrique subsaharienne représentent une part importante des importations de certains minéraux, avec 35% des importations de chrome provenant d’Afrique du Sud, 46% du palladium d’Afrique du Sud, 12% du minerai de zirconium du Sénégal, 31% du ferrochrome à haute teneur en carbone d’Afrique du Sud,  71% du minerai de manganèse d’Afrique du Sud, 79% du platine d’Afrique du Sud et 17% du ferro-vanadium d’Afrique du Sud (données de 2019). L’industrie japonaise est fortement dépendante, en particulier de l’industrie minière sud-africaine. Cette dépendance à l’égard de l’Afrique du Sud n’a pas fondamentalement changé depuis la période de l’apartheid ; Le platine et le palladium sud-africains sont devenus les matières premières les plus importantes des catalyseurs d’automobiles, lorsque se sont renforcé les réglementations en matière de gaz d’échappement à partir de la fin des années 1970, cet approvisionnement constituant un aspect crucial de la mondialisation de l’industrie automobile japonaise dans les années 1980 et 1990.  

En outre, certains secteurs industriels domestiques au Japon furent encouragés en tant que fournisseurs de produits destinés à l’aide internationale. Des projets pour distribuer des pesticides et des engrais en Afrique furent mis en œuvre, au nom de l’aide aux pays bénéficiaires pour stimuler leur production alimentaire. Dans les années 1960 et 1970, l’industrie chimique japonaise, qui avait une capacité de production excédentaire, fut relancée par la création de ce marché d’aide, la fourniture de ces produits étant réservé à l’industrie japonaise. Et les Sogo Shosha japonais, ces conglomérats commerciaux disposant de bureaux dans les pays destinataires, étaient des fournisseurs éligibles pour soumissionner à ce mécanisme, qui constitua ainsi un projet majeur en soutien aux exportations des industriels japonais de la chimie vers les pays bénéficiaires.

Ces anecdotes historiques révèlent un concept antérieur de l’aide japonaise à l’Afrique qui s’est maintenu jusqu’à récemment, mais qui s’est modifié rapidement au cours du nouveau millénaire en raison de la rapide expansion économique de la Chine et de son importance pour le développement de l’Afrique. Il s’agit, plus précisément, de la progression rapide du commerce d’importations de ressources naturelles qui a favorisé la croissance accélérée de la Chine, de l’augmentation rapide de ses exportations avec une compétitivité-prix élevée, et de l’essor rapide de sa coopération au développement en Afrique.

Dans la partie suivante, cet article examine les changements de la politique japonaise principalement en Afrique subsaharienne avant et après l’expansion de la présence chinoise en Afrique, en s’intéressant à la mise en place de la conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique, la TICAD, et à la transformation des débats dans ce forum, avec en particulier la participation du secteur des affaires japonais pour y inclure sa propre stratégie pour l’Afrique.

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1er juillet 2022

Dossier:

Algérie 1962-2022. Les contradictions du processus d’édification d’une économie nationale

Présentation du dossier par Mehdi Abbas

Le-Memorial-du-martyr-guide-touristique-algerie01Il y a soixante ans (juillet 1962), l’Algérie accédait à son indépendance. La jeune nation en formation engageait un processus de développement économique, social et politique d’une ampleur inégalée face aux destructions et désarticulations massives produites par 132 années de colonisation et 8 ans de guerre.

Tout processus de développement, c’est-à-dire d’industrialisation, est un processus contradictoire de transformation des rapports sociaux au service de la formation d’un appareil industriel autonome. L’Algérie n’y échappe pas, offrant ainsi une expérience contrastée, exemplaire et contradictoire que les contributions de ce dossier restituent.

Expérience contrastée, face à l’immensité de la tâche d’édification d’une base autonome d’accumulation, des progrès sociaux et infrastructurels réalisés (éducation, santé, niveau de vie), mais avec de nombreuses zones d’ombre (démographie, agriculture, emploi, égalité des genres, désindustrialisation, déforestation, développement urbain anarchique). Expérience contrastée car entre 1970 et 2020, l’Algérie a investi (formation brute de capital fixe) deux fois plus que le Maroc et quatre fois plus que la Tunisie. Or, ces pays voisins ont enregistré des taux de croissance plus élevés. Expérience contrastée d’édification d’un État qui débouche sur de très nombreux et profonds problèmes de gouvernance au point d’éroder la légitimité même de l’institution étatique au-delà de la crise du « régime » ou du « système ».

Expérience exemplaire de l’écart entre un modèle de développement – l’industrialisation par les industries industrialisantes – et la stratégie mise en œuvre pour le réaliser. Exemplaire des problèmes de rupture avec les structures de l’héritage colonial, pas seulement français, mais également ottoman, ce dernier étant sous étudié et très peu documenté. Expérience exemplaire de par les questionnements qu’elle suscite : une économie pétrolière peut-elle « réussir » sa diversification ? Plus fondamentalement, une économie pétrolière est-elle réformable et à quelles conditions sociales et d’économie politique ? Quels dispositifs institutionnels seraient à même de garantir le passage d’un usage improductif de la rente à un usage productif ? Est-il possible de rompre avec les schémas de spécialisation intensifs en ressources, dont la permanence sur plus de deux siècles est notable ?

Expérience contradictoire d’une ambitieuse politique de développement volontariste fondée sur les ressources en hydrocarbures, la machine-outil et l’étatisme (1962-1992) puis sa déconstruction méthodique (1992-2022). Ces soixante années ne seraient-elles pas les deux phases d’un cycle d’économie politique, dont le point bas de retournement n’est toujours pas atteint, de construction-déconstruction d’un régime d’accumulation ? Expérience contradictoire qui, malgré des indicateurs socioéconomiques globalement satisfaisants, génère un « développement mécontent » au sein d’une jeunesse (30 % de la population est âgée de 19 à 25 ans et 54 % est âgée de moins de 30 ans) qui, dans son immense majorité, rêve d’ailleurs. Expérience contradictoire de construction d’un rapport au monde au travers de politiques protectionnistes, suivie d’une libéralisation imposée par le FMI en 1994, d’un isolement forcé entre 1992-2005 puis d’une exposition irréfléchie et excessive à la concurrence marchande au profit de certains groupes sociaux domestiques. Contradiction de la construction d’un rapport au marché mondial tout à la fois source de modernisation, de réaction conservatrice et de fermeture de l’ordre social.

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1er juin 2022

50 ans de la catégorie des PMA : difficultés persistantes, nouveaux défis

Par Rolf Traeger et Antipas Touatam Gendergue[1]

50_ans_PMA1.  Les pays les moins avancés : 50 années d’histoire (1971-2021)

La création de la catégorie des « pays les moins avancés » (PMA) par l’Assemblée générale des Nations Unies le 18 novembre 1971 (résolution 2768) consacrait la reconnaissance par la communauté internationale des handicaps particuliers auxquels étaient confrontés ces pays dans leur développement économique et social. Cette reconnaissance donnait suite aux travaux de la   Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), qui lança les discussions sur « les pays les moins avancés parmi les pays en développement » et recommanda dès sa première Conférence – tenue en 1964 – l’adoption de politiques et mesures internationales pour soutenir leur croissance. Par-là la CNUCED joua un rôle déterminant dans l’avènement de la catégorie des PMA.

Les 25 pays qui furent identifiés en 1971 comme étant les PMA étaient caractérisés comme « des pays dont le produit intérieur brut par habitant est très faible et qui rencontrent les obstacle les plus graves en matière de développement » (ONU DAES et CPD 2021, 9). L’identification se basa alors sur trois critères : un revenu par habitant particulièrement bas, un taux d’alphabétisation des adultes faible et une contribution moindre de l’industrie manufacturière au PIB.

Depuis lors, les critères d’identification des PMA ont subi des changements périodiques, mais gardant toujours une structure similaire : i) un critère basé sur le revenu ; ii) un critère basé sur le capital humain ; iii) un critère structurel. Ce dernier est celui qui a subi le plus de modification au cours des 50 années d’existence de la catégorie PMA. Au départ il se référait à la composition de l’économie ; plus tard il a commencé également à capturer les conséquences des facteurs structurels sur la vulnérabilité de ces économies aux chocs extérieurs. D’abord il a pris en compte la vulnérabilité aux chocs économiques ; ensuite, le critère a incorporé également la vulnérabilité aux chocs environnementaux. L’évolution de l’attention aux facteurs structurels vers la vulnérabilité reflète la succession de chocs extérieurs subis par les pays en développement (y compris les PMA) des années 1970 aux années 1990, qui a mené à l’incorporation de la question de la vulnérabilité dans la pensée et les politiques de développement (Guillaumont, 2009; Thorbecke, 2006).

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1er février 2022

L’industrie gazière: un secteur stratégique pour la Russie

Par Catherine Locatelli, Université Grenoble-Alpes

Brian-Cantoni-e1484126017356L’industrie gazière est un secteur stratégique pour la Russie. Elle l’est d’abord pour son approvisionnement interne. La part importante du gaz naturel dans le bilan énergétique russe (53,5 % de la consommation d’énergie primaire soit 444 Gm3)[1] notamment dans le secteur industriel et dans le secteur électrique (49 %) lui confère une position particulière au sein de l’économie[2]. Cette industrie est ensuite, au travers des exportations, 260 Gm3, dont 190 Gm3 à destination de l’Europe[3], une variable importante des équilibres budgétaires du pays ainsi qu’un vecteur potentiel de son intégration dans l’économie mondiale. Les hydrocarbures représentent ainsi plus de 60 % des exportations de la Russie et les rentrées fiscales liées à ce secteur 41 % du budget fédéral (Yermako et Henderson, 2020).

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1er septembre 2021

La tragédie néolibérale, la pandémie et la place du travail au Brésil[1]

Graça Druck, Professeure à l’Université fédérale de Bahia, Brésil[2]

Illustration Article G. DruckLa tragédie néolibérale avant la pandémie

La crise mondiale qui dure depuis la pandémie de Covid19 a mis à nu devant le monde entier la tragédie néolibérale qui, au cours des 40 dernières années, a dévasté les sociétés capitalistes. Nous vivions déjà une situation de régression sociale au niveau mondial : taux de chômage élevé, intensification de la précarité de l’emploi, augmentation des inégalités, concentration des revenus, appauvrissement, retrait des droits, augmentation du nombre de sans-abri, maladies professionnelles, démantèlement de la santé publique, de la sécurité sociale et de l’éducation publique, entre autres. Le résultat d’un ensemble de contre-réformes et de politiques des gouvernements néolibéraux (travail, sécurité sociale, État, fonction publique, etc.).

Ainsi, il existait déjà une conjoncture de crise sociale dans le monde entier. Dans les pays d’Amérique latine, en 2019, plusieurs explosions et convulsions populaires, mouvements et processus électoraux se sont élevés contre cette situation (Chili, Équateur, Colombie, Mexique, Argentine). Dans le cas du Brésil, les manifestations massives de défense de l’éducation publique contre les attaques du gouvernement Bolsonaro ont également marqué ce moment.

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1er mai 2021

Quelle dynamique de la bifurcation ?

Pierre Bailly, économiste, Université Grenoble-Alpes

La bifurcation ouverte par les deux grandes crises de la mondialisation néolibérale sur le plan du fonctionnement de l’économie avec la crise de la financiarisation (crise dite des subprimes de 208) puis celle du modèle libéral dans ses dimensions sociale et politique face à la pandémie (Covid 2020) inaugure une période de transformations profondes de l’ensemble du monde instauré après la Seconde Guerre mondiale. Les deux crises successives démontrent que la réduction de l’économie au domaine financier appuyé sur l’efficience des marchés pouvait dédaigner l’économie de la production repose sur des illusions violemment démenties par les faits. L’économie réelle retrouve une place prépondérante avec la pandémie pour faire face à la pénurie de biens (masques, respirateur et autre gel) et de services (les personnels formés) à laquelle les marchés financiers se révèlent incapables de répondre.

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