Défis environnementaux, Communs et re-légitimation de l’État

Par Yves Achille et Alain Dontaine, enseignants à l’Université de Grenoble Alpes

Bonnefoi DontaineComment lutter contre la mondialisation actuelle et ses dérives ? Quelles sont les logiques qui ont précipité la crise majeure, à la fois économique, sociale et environnementale, que nous vivons aujourd’hui ? Dans notre ouvrage Mondialisation et exclusions[1], au croisement de l’économie et de la géopolitique, nous avons mis au jour les processus qui ont abouti à l’impasse actuelle de notre monde. Dans Construire un autre monde. Une réponse par les Communs globaux[2] nous avons montré que la lutte contre la mondialisation néolibérale et ses effets dévastateurs nécessite une réorganisation profonde de la société, dont une réponse par les Communs Globaux. Il est en effet impérieux de penser une réappropriation de l’État, afin d’inventer de nouveaux outils démocratiques, à partir de la généralisation des Communs et de leur articulation du local au global. Cet article présente les conclusions de ces deux ouvrages parus en 2023.

L’urgence de construire un autre système mondial

Si l’urgence de répondre au défi climatique est largement partagée parce que les conséquences du réchauffement sont de plus en plus visibles, les autres enjeux (lutte contre la déforestation, maintien de la biodiversité, qualité et disponibilité de l’eau…) s’avèrent nettement moins médiatisés et sont le plus souvent abordés de manière séparée. Or, il est évident que les interactions entre ces problèmes mondiaux sont multiples (la déforestation accélère le réchauffement climatique et dégrade la biodiversité, le gaspillage et l’accaparement de l’eau entraînent l’aridité des sols et limitent la croissance des végétaux, donc la fonction d’absorption du CO2…) et qu’ils sont à la fois la cause et la conséquence d’un monde globalisé en proie à une triple crise économique et financière, sociale et environnementale. L’analyse des multiples interactions entre ces trois niveaux montre que le système capitaliste actuel ne profite qu’à une minorité, dans les sociétés des pays riches comme des pays émergents, et repose sur l’exclusion des pays les plus pauvres à la fois au niveau des revenus et de la prise des décisions. L’augmentation de la pauvreté qui en résulte induit des crises identitaires et une multiplication des conflits. Les déséquilibres globaux produits par le capitalisme financier sont amplifiés par des processus géopolitiques. Dans un monde devenu apolaire, la perte de puissance des États-Unis tant sur le plan militaire que du soft power ainsi que l’émergence de nouveaux acteurs (pays émergents, multinationales…) ne permettent plus une régulation politique internationale efficace. Le monde actuel, né de la globalisation et du néo-libéralisme, est dans une impasse et nous sommes confrontés à l’obligation de changer de paradigme. Il convient de renverser les priorités en posant le primat du respect des équilibres environnementaux, en permettant à l’homme de s’insérer harmonieusement dans son environnement naturel et en remettant l’économie au service de l’homme. Une telle démarche ne peut être possible à travers une réforme progressive du système actuel puisqu’elle suppose d’en changer les fondements. Elle oblige à penser et construire un autre monde.

Quels acteurs pourraient y contribuer ?

Le premier groupe d’acteurs susceptibles de participer à cette construction correspond aux ONG internationales : ce sont a priori celles disposant de structures capables de s’insérer dans la construction de réponses aux enjeux des grands problèmes mondiaux tels que le climat, l’eau, la santé, etc. Pourtant, leur capacité de réponse à ces défis reste limitée par de multiples facteurs. En premier lieu, elles ne doivent relever en principe ni de l’État ni du marché. Or, un examen attentif de leur situation montre que du fait de leur dépendance aux bailleurs de fonds (principalement les États), elles sont engluées dans des contraintes de professionnalisation qui se traduisent par une perte de valeurs, les conduisent à des logiques de marchandisation (partenariats avec des multinationales, produits partage, street-fundraising, etc.) et provoquent un impératif d’exposition médiatique privilégiant l’émotion, voire le voyeurisme. En outre, elles sont confrontées à un manque d’efficacité de leurs campagnes qui, au-delà de leur succès médiatique, n’induisent que peu de changements (en témoignent le Traité contre le commerce des armes ou l’action visant à interdire le glyphosate). Le plus souvent, les engagements obtenus ne sont pas contraignants, donc in fine non tenus. Enfin, elles sont souvent confrontées à des problèmes de gouvernance comme le montrent leur faible degré de transparence, voire leur opacité, ou les scandales qui les frappent régulièrement (Arche de Zoé, Oxfam, Emmaüs…).

Le deuxième groupe d’acteurs relève du système coopératif. Mais là encore, les coopératives connaissent un problème majeur, celui d’obtenir une taille significative pour peser dans les grands débats mondiaux. L’impossibilité de recourir aux marchés financiers se traduit par un manque de fonds propres qui limite leurs possibilités de croissance, et la plupart des coopératives dans le monde reste d’une taille limitée. Même Mondragon, coopérative espagnole ayant acquis le statut de très grand groupe industriel et financier du fait du caractère protégé de l’économie franquiste, a finalement souffert énormément de l’insuffisance des capitaux disponibles pour financer son expansion lors de l’ouverture de l’Espagne dans la phase de globalisation. Son endettement considérable a entraîné des changements stratégiques l’éloignant considérablement du modèle initial et l’apparentant à une multinationale classique. L’augmentation des intérêts catégoriels au fur et à mesure que la structure a grandi et s’est complexifiée a entraîné la perte des principes d’égalité et de solidarité. La pression des associés pour distribuer le surplus pendant les années fastes a ensuite interdit la disponibilité d’un financement dans les périodes de basse conjoncture ou pour financer les sauts technologiques.

Un troisième acteur, les États, ne parait que très peu apte à conduire un réel changement vers un autre modèle de société[3]. D’un côté, la diminution considérable des recettes et des dépenses liées aux politiques d’austérité dans lesquelles ils se sont engagés depuis des décennies et le niveau d’endettement qui en résulte leur interdit toute action significative sans remettre en question les dogmes libéraux. De l’autre, les États ont perdu de vue l’intérêt général et confortent certains intérêts particuliers, ceux des classes dominantes. En témoigne en France la position affichée en faveur des Mégabassines et en particulier l’intervention musclée à Sainte-Soline : l’État a choisi de favoriser, par la violence, les intérêts d’une seule partie prenante – les agriculteurs liés à l’agrobusiness – au détriment de l’environnement, au lieu d’instaurer un dialogue entre les différents acteurs en vue d’en arriver à une position dans le respect des équilibres écologiques. De même, au niveau européen, la fixation de totaux admissibles de captures en ce qui concerne la Politique Commune de la Pêche ou la détermination du nombre de Droits à polluer sur le marché du carbone ne sont pas obtenues en suivant les recommandations des experts scientifiques, mais à partir des revendications des acteurs économiques, bien évidemment très différentes. C’est ce qui explique la surpêche de certaines espèces jusqu’à un niveau dramatique, ou l’existence entre 2005 et 2020, soit pendant plus de 15 années, d’un prix de la tonne de CO2 inférieur à 20 euros (et même inférieur à 10 euros entre 2012 et 2018), alors que le niveau de prix conduisant à induire des changements réels au niveau des investissements des entreprises est compris selon les experts dans une fourchette entre 30 et 100 euros[4]. Ce marché n’est devenu efficace qu’à partir du moment où la puissance publique est intervenue en instaurant un système de prélèvements lorsque le nombre de quotas était trop élevé et d’attribution dans le cas contraire. Au-delà de ces considérations, les États se détournent de solutions alternatives en justifiant la pensée dominante – libérale – et en disqualifiant tout débat relatif à ces questions sous prétexte qu’il relèverait du « populisme », pratiquant par là même l’amalgame entre populisme de droite et populisme de gauche.

Que nous apporte l’analyse des expériences alternatives menées dans d’autres parties du monde ?

 Parmi les expériences alternatives différant du système capitaliste basé sur la propriété privée, un premier exemple intéressant s’inscrivant dans un cadre non capitaliste est fourni par l’organisation économique de certaines réserves indiennes aux États-Unis. Recherchant l’autonomie et l’autogestion, les Nations indiennes ont mis en place de nombreuses stratégies pour y parvenir (artisanat, tourisme, activités minières, agricoles ou forestières, casinos…), développant une forme de « capitalisme collectif ». Mais, même si dans ces expériences c’est la collectivité qui crée l’entreprise capitaliste et qui bénéficie des retombées économiques, il n’en reste pas moins que ces stratégies se limitent à la reproduction d’un schéma capitaliste porteur de multiples déséquilibres (inégalités, voire exclusions, pauvreté, délinquance…).

L’étude des minorités paysannes présentes en Amérique latine montre que, même si elles ont été amenées à adopter en partie des pratiques capitalistes et productivistes du fait des projets de développement gouvernementaux impulsés par les organisations internationales, leurs pratiques ont été à l’origine d’un renforcement de l’autosuffisance, de l’organisation collective et des liens entre communautés, à partir de stratégies coopératives : celles-ci permettent d’organiser l’investissement, la transformation et la commercialisation de manière collective et de redistribuer les profits au bénéfice de l’ensemble de la communauté. Les solidarités individuelles, familiales et collectives qui en résultent s’opposent directement à la logique de profit individuel et s’inscrivent dans le respect d’une cosmovision partagée se référant au Buen Vivir.

Le concept du Buen Vivir repose sur l’acceptation de la diversité et sur l’harmonie retrouvée avec la nature. Il suppose une nouvelle forme de vie en commun qui s’oppose à la privatisation des espaces publics et oblige à participer à des actions collectives. Il repose sur des valeurs autres que celles du marché, de la concurrence et de l’individualisme. Ainsi, les notions de biens communs, de biens publics, mais aussi de biens relationnels sont fondamentales pour poser les bases matérielles de ce nouveau monde et émanciper les individus et les sociétés tout en respectant la nature. Les droits fondamentaux (santé, culture, éducation, logement, travail) doivent être considérés comme des biens communs auxquels toute les personnes doivent avoir accès et qui, par conséquent, ne doivent pas tomber dans la logique du marché. Ainsi, en réaction à la privatisation de l’eau imposée par des firmes multinationales, l’expérience des systèmes de gestion collective de l’eau en Bolivie[5] montre qu’il est possible de gérer collectivement une ressource rare en la mettant à la disposition du plus grand nombre. Les Communs semblent donc une réponse adaptée aux mutations indispensables qu’il convient d’opérer.

Qu’est-ce qu’un Commun ?

L’exemple de l’arnica des Vosges permet d’illustrer clairement la nature et l’intérêt d’un commun. L’arnica est une plante bien connue pour ses effets thérapeutiques. Elle intéresse donc de grands laboratoires comme Weleda, Lehning, Boiron. Elle peut être cultivée et est essentiellement produite, dans ce cas, dans les pays d’Europe de l’Est. Elle doit alors être transportée jusqu’en France, mais perd ainsi une caractéristique fondamentale pour les laboratoires homéopathiques, sa fraîcheur. Elle existe en revanche à l’état naturel dans les montagnes des Vosges. Jusque dans les années 2000, les équilibres naturels permettaient une exploitation raisonnée de l’arnica sauvage : une présence humaine discrète (exploitation forestière et mode d’élevage extensif) évitait la prolifération des conifères, bruyères ou myrtilliers et favorisait le développement de la plante. Mais à partir de cette date, cette ressource est menacée. La pression foncière dans les vallées repousse les agriculteurs vers les terres de montagne pour leur activité d’élevage, et l’intensification de cette activité entraîne la diffusion de fertilisants et de produits phytosanitaires, le chaulage et la fumure des sols. En résulte une modification de son acidité qui porte préjudice à la plante, d’autant que d’un autre côté le développement des activités de loisirs (VTT, ski, trial, etc.) renforce la dégradation des sols. L’arnica se raréfie, et les activités économiques comme les paysages sont menacés, ce qui entraîne une réaction des acteurs intéressés. Des négociations vont regrouper pendant deux années les communes, le parc naturel des Vosges, une association d’économie montagnarde regroupant les cueilleurs, les laboratoires pharmaceutiques, les agriculteurs et les entrepreneurs de loisirs et vont aboutir à l’établissement d’une convention engageant l’ensemble des parties prenantes. Celle-ci porte sur la limitation de la présence d’animaux dans les prairies concernées, l’impossibilité d’amendements chimiques, de traitements phytosanitaires, de chaulage ou de fumure, l’interdiction d’arrachage des plants et l’autorisation exclusive de la cueillette manuelle pendant des périodes limitées dans le temps. Le respect de ces mesures est de la compétence des maires des communes concernées, et les contrôles sont confiés à l’ONF. Un régime de sanctions est défini le cas échéant.

Ainsi, un commun se définit par une ressource qui est menacée et qu’on veut protéger, un périmètre du commun délimité (ayants droits), une organisation du groupe (système de gouvernance) avec partage des responsabilités, la détermination d’un faisceau de droits et d’obligations reposant sur des règles précises, et enfin un système de contrôles et de sanctions.

Une philosophie replaçant le citoyen au centre du débat public

La définition des biens communs relève à l’origine du droit romain : un bien commun est un bien inappropriable par essence (comme l’air ou l’eau), mais qui peut être dégradé par la consommation de chacun. Les communs (terres communes possédées collectivement, ou règles sociales comme la vaine pâture) ont été un mode important de structuration des sociétés villageoises pendant le Moyen Âge, en particulier à la fin de la vassalité. C’est pour permettre l’essor du capitalisme que le mouvement des enclosures y mit un terme avant la révolution industrielle. Cette définition a ensuite été marquée par l’approche libérale : elle a été reprise par l’économiste néoclassique Paul Samuelson qui distingue ces biens communs des biens privés (exclusion, rivalité), des biens collectifs publics (non-exclusion, non-rivalité), à l’image d’un phare, de la police ou de l’armée, et des biens de club (exclusion, non-rivalité) comme la télévision par abonnement ou les infrastructures payantes comme les autoroutes. On définit donc à travers cette approche un bien commun par ses caractéristiques de bien non exclusif (la ressource est en accès libre) et rival (la consommation par une personne en limite l’accès aux autres).

Mais à l’évidence, cette définition ne peut plus fonctionner dans les sociétés marquées par plus de 40 années de néo-libéralisme : l’extension de la marchandisation impose de revenir sur cette limitation de la sphère intéressant les biens communs aux biens non exclusifs et rivaux. En effet, l’eau, par exemple, peut être accaparée par certains, que ce soit au niveau des particuliers (l’attention se porte actuellement sur les propriétaires de piscines), au niveau local (les agriculteurs, et particulièrement dans le cas des mégabassines comme à Sainte Soline) ou au niveau national et international (l’Éthiopie qui, par la mise en service d’un barrage sur le Nil, menace à la fois l’Égypte et le Soudan, dépendants de ce fleuve à plus de 97 %, pour leurs besoins en eau). Il en est de même pour les forêts, biens communs à l’évidence du fait de leur fonction dans la photosynthèse, la préservation de la biodiversité et en termes d’absorption du carbone, mais que les multinationales s’approprient en Amazonie et détruisent afin de planter des palmiers à huile ou du soja.

De ce fait, indépendamment de ces critères relatifs à la rivalité et à l’exclusion, un bien commun doit être défini comme tel lorsqu’il s’avère fondamental pour des collectivités ou pour l’humanité et doit donc être conservé en accès ouvert, sans appropriation. À partir de là nous proposons de passer des biens communs aux Communs. Ces derniers ne sont plus définis par une quelconque propriété particulière mais par une volonté d’appropriation politique des enjeux. La notion de bien commun peut alors être étendue à un nombre très important de biens fondamentaux. Il est ainsi possible de « penser la monnaie comme un bien commun, qui puisse être créée sans forcément recourir à la dette, pour des motifs d’intérêt général, notamment au profit d’activités non rentables au sens du marché, mais profitables, pour ne pas dire indispensables, à la société. Par voie de conséquence, puisqu’on ne peut pas demander ce type de financement à des institutions bancaires qui ont une exigence lucrative, il faut que d’autres acteurs puissent également accéder au rang de créateurs de monnaie. Si l’on ne souhaite pas que ce pouvoir dépende uniquement de l’État, il doit prendre la forme d’un bien commun gouverné par des mécanismes collectifs associant tous les acteurs, citoyens, États, entreprises, collectivités, acteurs financiers[6]. » Pour l’instant, ces Communs sont gérés par les États. Si ceux-ci s’avèrent globalement efficaces dans la gestion des biens publics (phares, armée, police, justice), malgré une diminution considérable de leurs dépenses et de leurs ressources, leur gestion dans le cadre des biens communs est marquée au mieux par l’inefficacité, au pire par l’inaction. Ainsi, Les négociations internationales sur le partage de l’eau du Nil n’ont abouti à aucune avancée, et les multiples Conférences des parties, y compris la Cop 21, n’empêchent pas les émissions mondiales de croître toujours davantage. Le passage de biens communs aux Communs, afin d’en garantir l’efficacité et surtout le caractère démocratique, passe par un acte militant, celui d’une délibération politique portant sur l’affirmation de leur l’importance et le refus de l’exclusion. Cela suppose, également, la mise en place d’une gouvernance collective. Ainsi, la co-construction de Communs est un élément capital de ce type de société que l’on cherche à construire.

Une relégitimation du rôle de l’État

La construction de Communs offre donc la possibilité de sortir de la logique binaire État/marché. Elle permet de lutter contre la désimplication et l’abstentionnisme qui caractérisent la crise actuelle du politique. Elle ne peut cependant être systématisée qu’au travers de luttes sociales devant conduire à la réappropriation de l’État par les citoyens afin de le remettre au service de l’intérêt général. Dans cette optique, celui-ci aurait un grand rôle à jouer pour faciliter cette co-construction de Communs, tant à l’échelle locale que nationale et supranationale. Il devrait en premier lieu dresser une cartographie des Communs existants, puisque ces expériences multiples restent encore pratiquement invisibles. Il pourrait alors répondre à la demande de reconnaissance, de protection et de soutien des communs contre les tentatives de marchandisation. À l’image de l’octroi de subventions aux ONG/associations, l’État pourrait également aider au financement de Communs : une telle contribution est apportée par le gouvernement belge à des Communs réhabilitant des bâtiments vides de Bruxelles pour les mettre temporairement à disposition de projets citoyens à haut impact sociétal. Enfin, l’État pourrait aider à la structuration de Communs globaux. Les négociations internationales pourraient alors faire intervenir dans la prise de décision des acteurs majeurs apportant une contribution décisive qui permettrait de relativiser les intérêts catégoriels et en finirait avec l’inaction.

Quelle place attribuer aux entreprises dans cette régulation mondiale ?

Une telle régulation mondiale devrait encadrer le fonctionnement des multinationales de manière à ce que leurs actions s’inscrivent dans le cadre de la recherche de l’intérêt général. Cette démarche ne relève pas de l’utopie : dans le domaine de la santé, bien commun s’il en est, l’initiative DNDI – Drugs for Neglected Diseases Initiative (Médicaments contre les maladies négligées) – en témoigne. Il s’agit d’une organisation de recherche indépendante, à but non lucratif, basée à Genève, ayant pour objectif le développement de médicaments sur les maladies tropicales négligées. Elle associe, à l’initiative de Médecins sans frontières, l’OMS, l’institut Pasteur et plusieurs autres organismes de santé de pays émergents ou en développement, afin de proposer des traitements sur des maladies graves répandues dans les pays tropicaux, mais négligées par les grands laboratoires pharmaceutiques en raison de l’insolvabilité des populations concernées. Plus de 350 partenariats avec des organismes publics ou privés ont été signés à cette fin et témoignent de la faisabilité et de la pertinence d’un modèle de recherche et développement orienté dans l’intérêt des patients et détaché d’objectifs de profitabilité : les multinationales pharmaceutiques ne sont pas impliquées dans le programme de développement du médicament, dans l’évaluation des médicaments, ni dans l’analyse des résultats obtenus. Elles sont aussi tenues à distance des systèmes de gouvernance et de financement afin de garantir la liberté de choix et d’action de DNDi. Ce dispositif, limitant le rôle des firmes multinationales à de simples exécutants qui contribuent à la mise en œuvre du programme sans leur conférer un rôle quelconque dans la prise de décisions stratégiques, peut très bien être envisagé dans la recherche d’une régulation internationale collégiale relative aux biens communs globaux qui serait orchestrée par des organisations internationales spécialisées.

Pour drastiques qu’ils soient, l’accélération des perturbations majeures liées aux contraintes écologiques rend ces changements inéluctables.

Notes :

[1] Yves Achille et Alain Dontaine, Mondialisation et exclusions, le défi de la sécurité globale, Eliott Editions, Paris, 2023.

[2] Yves Achille et Alain Dontaine, Construire un autre monde, une réponse par les Communs globaux, Eliott Editions, Paris, 2023.

[3] Anne-Laure Delatte, L’État droit dans le mur, rebâtir l’action publique, Fayard, Paris, 2023.

[4] Judith Rochfeld, Justice pour le climat ! les nouvelles formes de l’action citoyenne, Odile Jacob, Paris, 2019.

[5]  Voir Franck Poupeau, Claude Le Gouill, Andrès Fonseca Zubieta, Marcelo Perez Mercado, « Territoires de l’eau et communs en Bolivie », Notes techniques n° 45, AFD, Janvier 2019, étude disponible sur : https://www.afd.fr/fr/ressources/territoires-de-leau-et-communs-en-bolivie.

[6] Nicolas Dufrêne, La dette au XXIè siècle, comment s’en libérer, Odile Jacob, Paris, 2023, p. 13.

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