Présentation
Si l’objectif d’un développement économique et social peut conduire à une mobilisation des habitants d’un pays, les conditions permettant cet engagement peuvent être difficiles à réunir en raison des héritages historiques, du contexte politique ou social et des conditions de vie de ces habitants. Les mécanismes devant induire des processus de progrès économique et social peuvent également être contrariés ou rendus inutilisables, réduisant les possibilités d’atteindre cet objectif. Les caractéristiques particulières, historiques et politiques, qui s’opposent à un développement de la Palestine sont complexes et les obstacles multiples. Leurs analyses dépasseraient sans doute le volume habituel d’un dossier de la revue. Par suite nous tournerons notre regard non pas sur la Palestine mais sur les Palestiniens et leurs conditions de vie. Celles-ci sont en effet assez révélatrices de ces obstacles qui s’opposent à un développement. Nous avons donc construit ce dossier dans une double optique. L’objet de sa première partie sera de rendre compte des conditions de vie des Palestiniens. La seconde partie du dossier sera consacrée à quelques analyses des dynamiques économiques et sociales en œuvre.
Dans la première partie du dossier, après une chronologie rapide et quelques données statistiques, l’examen des conditions de vie en Palestine sera décliné en une série d’approches en forme de fiches ou d’articles. Celles-ci traiteront de la population, des réfugiés, de la santé à travers un extrait d’un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé, de l’éducation à travers l’exemple des universités de Gaza, des questions de l’accès à la terre, des possibilités réduites de déplacement, du logement et de l’accès à l’eau. Ces différentes approches ont été produites par des organisations ou des auteurs que nous remercions ou rédigées par le comité éditorial de la revue.
La seconde partie repose sur l’analyse que Salam Alsharef a consacrée à l’économie palestinienne, accompagnée d’un encart présentant le commerce extérieur des territoires palestiniens, et sur l’étude de la bourgeoisie palestinienne faite par Tarik Dana. Ces articles ont bien sûr pour finalité d’alimenter une réflexion ou d’ouvrir le débat sur la question du futur d’une économie et d’une société palestinienne.
Source : Université du Texas
Carte de la Cisjordanie sur le site : http://www.lesclesdumoyenorient.com
Chronologie succincte de la Palestine
24 juillet 1922 : la Palestine est placée sous tutelle britannique par la Société des Nations. Cette mise sous tutelle est entendue comme une phase préparatoire à une indépendance. En mars 1923, les frontières de la « Palestine mandataire » sont définitivement arrêtées après la révision de son tracé Nord. Elle recouvre les espaces occupés aujourd’hui par Israël, la Cisjordanie et Gaza.
1936 : premiers mouvements de protestation et de résistance palestiniens face à l’immigration que connaît le pays.
26 novembre 1947 : la Couronne britannique abandonne sa tutelle sur la Palestine et confie le règlement de la question à l’Organisation des Nations unies (ONU). Cette dernière élabore un plan de partage qui prévoit la naissance de deux États indépendants, la ville de Jérusalem étant placée sous mandat international.
14 mai 1948 : l’indépendance de l’État d’Israël est proclamée. Les tensions suscitées autour du plan de partage de l’ONU dégénèrent en conflit armé. Il s’accompagne d’un exode massif de la population palestinienne, la Nakba (le désastre). À son issue, en 1949, le cessez le feu s’accompagne du tracé de nouvelles frontières (la « ligne verte ») : la Galilée occidentale, la partie Nord de la bande de Gaza, une partie de l’Ouest de la Cisjordanie et la partie Ouest de Jérusalem (Jérusalem-Ouest) sont rattachés à Israël. Gaza est placée sous administration égyptienne et la Cisjordanie et la partie Est de Jérusalem (Jérusalem-Est) sont annexées par la Transjordanie (aujourd’hui la Jordanie).
Fin octobre et novembre 1956 : la France, la Grande-Bretagne et Israël entrent en guerre contre l’Égypte. L’armée israélienne occupe Gaza et une grande partie du Sinaï avant que de s’en retirer, remplacée par des « casques bleus » installés par l’ONU le long de l’ancienne ligne de front.
1959 : création du Fatah par Yasser Arafat.
1964 : création de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), à l’initiative de la « Ligue arabe ». En 1967, le Fatah rejoindra l’OLP.
5 au 11 juin 1967 : suite au retrait des « casques bleus », la « guerre des six jours » se déclenche. De manière unilatérale, l’armée israélienne occupe et prend le contrôle de la Cisjordanie et de Gaza (ainsi que du plateau du Golan et du Sinaï). Le 27 juin 1967 Israël décide de la réunification de la ville de Jérusalem par l’annexion de cette ville. Jérusalem sera, par la suite, proclamée capitale inaliénable de l’État hébreux. Le 22 novembre 1967, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 242 qui prescrit un retrait de l’armée israélienne des territoires occupés et une mutuelle reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance de chaque État.
1987 : création du Hamas à l’initiative du mouvement des Frères musulmans.
1987-1993 : première Intifada (soulèvement), mouvement de grande ampleur qui touche l’ensemble des territoires occupés. En 1988, l’OLP reconnaît le droit à l’existence de l’État d’Israël, ce qui se traduit par la reconnaissance internationale de l’Organisation comme représentant du peuple palestinien.
13 septembre 1993 : les accords d’Oslo (Oslo 1) sont conclus entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat. Ils constituent une déclaration de principes suivant lesquels sont reconnus par les deux parties, d’une part le droit de l’État israélien à vivre en paix et dans la sécurité et d’autre part la reconnaissance de l’OLP comme représentant du peuple palestinien.
28 septembre 1995 : le second accord intérimaire d’Oslo (Oslo 2) fait suite au premier accord. Il met en place un pouvoir exécutif palestinien, l’Autorité palestinienne (AP), et un législatif, le Conseil palestinien. Cet accord comporte également un plan de partage des compétences sur les territoires occupés, éclatés entre une zone A sous la compétence exclusive de l’AP, une zone B où l’AP exerce une responsabilité en matière civile alors que l’État israélien garde la charge des questions de sécurité et une zone C où l’État d’Israël est responsable en ces deux matières. Cet accord reconnaît également la compétence exclusive d’Israël envers les citoyens israéliens établis dans les territoires occupés. Le caractère intérimaire de cet accord laisse entendre que de nouvelles négociations devaient être conduites en vue d’un accord définitif. Cette troisième étape de règlement du conflit n’a pas abouti en dépit des efforts de négociation menés à Camp David (juillet 2000), à Taba (janvier 2001) et de l’initiative de Genève (décembre 2003).
Janvier 1996 : l’AP dont Yasser Arafat est devenu le Président est installée à Ramallah.
2001-2004 : seconde Intifada : l’embrasement des territoires occupés s’accompagne de l’opération « rempart » menée par l’armée israélienne (29 mars-avril 2002) qui occupe temporairement les principales villes palestiniennes. Les combats qui en résultent sont violents et entraînent de nombreuses victimes et la destruction d’infrastructures importantes de l’AP.
Été 2005 : Israël se retire de Gaza, après en avoir évacué les colons qui y résidaient.
Juin 2006-juin 2007 : après l’enlèvement d’un de ses soldats, l’État d’Israël décrète le blocus de Gaza. La victoire électorale du Hamas en janvier 2006 et sa prise de pouvoir à Gaza entraîne un renforcement du blocus qui, parfois temporairement assoupli, n’a jamais été levé depuis.
27 décembre 2008-18 janvier 2009 : l’armée israélienne mène contre Gaza l’opération « plomb durci ». Pour Gaza le coût humain est lourd, de l’ordre de 1 400 victimes et les destructions matérielles sont très importantes.
8 juillet-26 août 2014 : l’armée israélienne mène contre Gaza l’opération « bordure protectrice ». Les pertes humaines sont à nouveau très lourdes, de l’ordre de 2 100 victimes, alors qu’environs 20 000 logements sont détruits ou rendus inhabitables.
Données statistiques
La diversité des sources statistiques comme celles des chiffres qu’elles avancent, invitent à une certaine prudence dans leur interprétation.
Tableau 1 : le produit intérieur brut palestinien (PIB), en millions de dollars aux prix de 2004, (Cisjordanie et Gaza ensemble)
Année | 1995 | 2000 | 2004 | 2008 | 2009 | 2010 | 2012 | 2013 |
Produit intérieur
brut |
3 300,0 | 4 335,9 | 4 329,2 | 5 212,1 | 5 663,6 | 6 122,3 | 7 314,2 | 7 477,0 |
Taux de croissance du PIB en % | 7,1 | -9,3 | 10,2 | 6,1 | 8,6 | 8,2 | 6,2 | 2,2 |
Revenu national brut (RNB) | 3 774,6 | 4 832,6 | 4 557,4 | 5 772,2 | 6 133,4 | 6 486,9 | 7 791,5 | 8 068,2 |
Source : Bureau central palestinien de statistiques
Les fluctuations de l’activité économique, marquée, par exemple, par une récession de 1999 à 2003, apparaissent ici clairement. L’économie palestinienne montre sa sensibilité à la fois aux conjonctures politique et économique (interne et externe). L’écart entre les chiffres toujours supérieurs du RNB à ceux du PIB trouve son explication dans les revenus de transfert (travailleurs en Israël, transferts des diasporas, aides internationales) reçus par les ménages et administrations des territoires occupés.
Tableau 2 : Composition du PIB palestinien (Cisjordanie et Gaza ensemble)
Répartition estimée de la valeur ajoutée par secteur d’origine, en 2012 (unité : %) | agriculture | 4,2 |
industrie | 17,9 | |
services | 77,9 | |
Emplois et ressources estimés du PIB en 2013 (unité : % du PIB) | Consommation des ménages | 99,5 |
Consommation des adminis-trations publiques | 29,5 | |
Formation brut de capital fixe | 18,0 | |
Formation de stock | 0,0 | |
Exportations | 15,9 | |
Importations | -62,0 |
Source : Bureau central palestinien de statistiques
L’insuffisance de la production palestinienne à répondre aux besoins de la population est ici criante. Ceci renforce la situation de dépendance de cette économie.
Tableau 3 : disparités économiques et sociales entre la Cisjordanie et Gaza
Cisjordanie | Gaza | ||
Superficie (en km2) | 5 655 | 365 | |
Population en 2014 (en millions de personnes) | 2,79 | 1,76 | |
Densité de peuplement en 2013 (en habitants /km2) | 462 | 4 429 | |
Population active estimée en 2010 (en milliers de personnes) | 1 025 | 348 | |
Répartition estimée de la population active par secteur d’activité en 2010 (en %) | primaire | 19,5 | 5,1 |
secondaire | 33,3 | 15,6 | |
tertiaire | 47,2 | 79,3 | |
Taux de chômage en 2014 (en % de la population active) | 23 | 35 | |
Pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté en 2014 (en % de la population active) | 18* | 38 |
*75,3 % à Jérusalem-Est
Sources : Bureau central palestinien de statistiques, CIA Factbook, Banque mondiale.
La situation spécifique de Gaza, à la fois bande de terre étroite et surpeuplée et zone sous blocus depuis 2007, explique l’ampleur de ces disparités.
Tableau 4 : informations complémentaires
monnaie | Nouveau shekel (israélien) | |
Indicateur de développement humain (IDH) en 2010 | Valeur de l’indicateur | 0,614 |
Rang du pays | 114ème | |
Taux annuel d’inflation (en %) | En 2012 | 2,8 |
En 2013 | 1,7 | |
Produit intérieur brut par habitant en 2014 (en dollars) | 2453 | |
Dette extérieure en 2014 (en dollars) | De l’ordre de 4 milliards | |
Estimation des inégalités de revenu en 2009 (en % du revenu total des ménages) | Part des 10 % de ménages les moins bien rémunérés | 3,2 |
Part des 10 % de ménages les mieux rémunérés | 28,2 |
Sources : Bureau central palestinien de statistiques, CIA Factbook, Banque mondiale.
Tableau 5 : quelques aspects du niveau de développement humain dans les territoires palestiniens occupés
Population sous alimentée, en million et pourcentage* | 1,4 million en moyenne sur les années 2011-13, soit 31,5 % | |
Enfants souffrant d’insuffisance pondérale, en pourcentage | 3,7 % en 2010 | |
Population n’ayant pas accès à un système amélioré de distribution d’eau potable, en pourcentage | Population urbaine | 18,4 % estimé en 2012 |
Population rurale | 17,7 % estimé en 2012 | |
ensemble | 18,2 % estimé en 2012 | |
Population n’ayant pas accès à un système d’assainissement amélioré, en pourcentage | Population urbaine | 5,2 % estimé en 2012 |
Population rurale | 7,2 % estimé en 2012 | |
ensemble | 5,7 % estimé en 2012 | |
Taux d’alphabétisation des adultes, en pourcentage | hommes | 98,4 % en 2013 |
femmes | 94,1 % en 2013 | |
Espérance vie, en années | hommes | 73,6 en 2014 (estimation) |
femmes | 77,9 en 2014 (estimation) | |
Taux de mortalité infantile, pour 1 000 naissances | 19,2 en 2012 (23,9 en 2002) | |
Taux de mortalité juvénile (moins de 5 ans), pour 1000 naissances | 22,6 en 2012 (28,5 en 2002) | |
Nombre de médecins pour 100 000 habitants | 160 en 2013 | |
Nombre de lits d’hôpitaux pour 100 000 habitants | 130 en 2013 | |
Proportion de la population ayant un accès au téléphone fixe (en%) | 39,8 % en 2014 | |
Proportion de la population ayant un accès au téléphone portable (en %) | 97,8 % en 2014 | |
Proportion de la population ayant un accès à Internet (en %) | 48,3 % en 2014 |
* Ce chiffre atténue les inégalités entre régions occupées. Ainsi la proportion de la population de Gaza en situation d’insécurité alimentaire passe ainsi de 53 % en 2006 à 56 % en 2008 pour atteindre 75 % en 2009, après que la zone ait subi l’opération « plomb durci ». (Source : Jean-Paul Chagnollaud, Sid-Ahmed Soiuah, Atlas des Palestiniens, Éditions Autrement, Paris, 2011).
Sources : Bureau central palestinien de statistiques, CIA Factbook, Banque mondiale.
La population palestinienne
Parler de population n’est pas chose simple : la résidence sur un territoire donné (lequel faut-il considérer ?) ne correspond pas, de très loin, à la qualité de Palestinien, sans parler même de citoyenneté ou de nationalité palestinienne. La population des actuels territoires occupés, Cisjordanie et Gaza, peut constituer une première approche. Il s’agit d’une population à fort taux d’accroissement naturel comme le montre le tableau 1 ci-dessous.
Tableau 1 : évolution de la population palestinienne en Cisjordanie et Gaza (saisis ensemble)
années | effectif | années | effectif |
1995 | 2,34 | 2008 | 3,82 |
1999 | 2,96 | 2010 | 4,05 |
2002 | 3,23 | 2012 | 4,29 |
2006 | 3,61 | 2014 | 4,54 |
Source : Bureau central palestinien des statistiques
Unité : million de personnes
Les caractéristiques démographiques principales de cette population jeune sont données dans le tableau 2 ci-dessous.
Tableau 2 : caractéristiques démographiques principales de la population palestinienne de Cisjordanie et Gaza en 2014 (au 20 juin 2014)
Cisjordanie | Gaza | |
Effectif | 2 731 052 | 1 816 379 |
Taux de natalité | 23,41 ‰ (estimation) | 32,2 ‰ (estimation) |
Taux de mortalité | 3,51 ‰ (estimation) | 3,09 ‰ (estimation) |
Taux de fécondité | 2,83 enfants par femme | 4,24 enfants par femme |
Taux de mortalité infantile | 13,49 pour 1 000 naissances | 15,46 pour 1 000 naissances |
Espérance-vie | 75,7 ans (estimation) | 74,64 ans (estimation) |
Moyenne d’âge | 22,4 ans | 18,2 ans |
Part des moins de 15 ans | 33,7 % | 43,2 % |
Part des plus de 65 ans | 4,4 % | 2,6 % |
Taux d’alphabétisation | 95,3 % (Cisjordanie et Gaza réunis) | |
dont hommes | 97,9 % | |
dont femmes | 92,8 % | |
Taux de chômage des 15-24 ans | 38,8 % (Cisjordanie et Gaza réunis) | |
dont hommes | 34,5 % | |
dont femmes | 62,2 % |
Source : Bureau central palestinien de statistiques et CIA, The World Factbook.
Cependant, du fait des nombreux déplacements forcés qu’elle a subi, la population palestinienne comprend également un très grand nombre de Palestiniens résidants hors de Cisjordanie et Gaza. Le tableau 3 évalue ces différentes diasporas palestiniennes pour l’année 2007.
Tableau 3 : les diasporas palestiniennes en 2007
Pays de résidence | effectif | Pays de résidence | effectif |
Jordanie | 2 500 000 | Irak | 30 000 |
Israël | 1 400 000 | Égypte | 60 000 |
Syrie | 480 000 | Libye | 25 000 |
Liban | 450 000 | États-Unis | 210 000 |
Arabie saoudite | 500 000 | Canada | 20 000 |
Koweït | 400 000 | Europe occidentale | Environ 200 000 |
Autres pays du Golfe | 105 000 | Amérique latine | Quelques milliers |
Source : G. Mutin, Géopolitique du monde arabe, Éllipses, Paris, 2009.
Alors que, en 2007, la Cisjordanie et Gaza comptent ensemble 3,7 millions d’habitants, les Palestiniens établis en Israël (1,4 million) et les diasporas établies hors du territoire de la Palestine mandataire[1] (évaluées ensemble à 5,01 millions par G. Mutin) représentent presque un nombre équivalent. En ne retenant que la Palestine mandataire, il y a presqu’autant de Palestiniens vivant en dehors de celle-ci que de Palestiniens y résidant ((5,01 contre 5,1 millions), en 2007.
La prise en compte des populations habitants sur le territoire de la Palestine mandataire (qui recouvre Israël et les territoires occupés) révèle une autre question. Le tableau 4 ci-dessous la renseigne pour l’année 2008.
Tableau 4 : populations de la Palestine mandataire en 2008
Populations | Israël | Territoires occupés | Ensemble |
Citoyens israéliens de religion hébraïque | 5 278 200 | Environ 200 000
(colonies) |
5 478 200 |
Palestiniens | 1 477 400 | 3 825 510 | 5 302 910 |
Total | 6 755 600 | 4 025 510 | 10 781 110 |
Source : Jean-Paul Chagnollaud, Sid-Ahmed Souiah, Atlas des Palestiniens, Éditions Autrement, coll. Atlas/Monde, Paris, 2011.
Ce tableau montre une situation de quasi équilibre démographique entre les deux populations. Cette situation constitue une source de tension supplémentaire. Les politiques d’encouragement de la fécondité et de soutien à l’immigration pratiquées en Israël montrent l’enjeu important que cette question démographique représente pour cet État.
La question des réfugiés
La question des réfugiés trouve son origine dans le conflit armé qui fait suite au retrait de la puissance mandataire (Royaume-Uni), en 1947, et à la proclamation de l’État d’Israël, le 14 mai 1948. Il s’achève par le cessez le feu du 12 mai 1949 (Conférence de Lausanne) où se trouve défini un partage du territoire de la Palestine mandataire[2]. Avant le conflit, la population de la Palestine mandataire se compose de 1,582 million d’habitants, 717 000 de religion hébraïque et 865 000 de religions musulmane ou chrétienne. Cette première guerre israélo-arabe se traduit, pour Israël, par plusieurs annexions de territoires prévus pour relever d’un État arabe suivant le Plan de partage adopté le 29 novembre 1947 par l’Assemblée générale des Nations unies (résolution 181) et par un exode massif des habitants de religions musulmane ou chrétienne que nous pouvons appeler Palestiniens puisque reconnus comme tels par la communauté internationale du fait de ce plan de partage. Les conditions dans lesquelles se sont opérés ces départs, déplacements volontaires des populations suivant la thèse officielle ou exode provoqué[3] ont fait l’objet de nombreux débats depuis les années 1980. Il n’en demeure pas moins que de l’ordre de 716 000 Palestiniens (sur 865 000) ont dû quitter leurs villages et leurs terres[4], 156 000 Palestiniens demeurant sur place ou ayant été admis ensuite sur le territoire du nouvel État israélien. Il est donc aisé de comprendre combien, par son ampleur, cet épisode a pu s’inscrire profondément dans la conscience collective palestinienne : la Nakba (la catastrophe). Le tableau ci-dessous renseigne sur les lieux d’accueil de ces personnes déplacées.
Tableau 1 : les réfugiés palestiniens en 1948 et 1949
Lieux d’accueil | Nombre de réfugiés accueillis |
Bande de Gaza | 180 000 |
Cisjordanie | 280 000 |
Liban | 100 000 |
Syrie | 75 000 |
Jordanie | 70 000 |
Irak | 4 000 |
Égypte | 7 000 |
Total | 716 000 |
Source : UNRWA
Très tôt, la communauté internationale a accordé à ces Palestiniens déplacées le statut de réfugié palestinien, statut transmissible à leurs descendants. Une instruction des Nations unies précise que ce statut s’applique à « toute personne qui résidait habituellement en Palestine du 1er juin 1946 au 15 mai 1948 et qui a perdu son domicile et ses ressources en raison du conflit de 1948 ». En 1949, l’ONU s’est dotée d’un organisme spécifique, l’UNRWA (United Nations Relief and Work Agency), chargé de porter assistance à ces réfugiés. Il s’est agi de procurer à ceux-ci, dans l’urgence, les moyens de satisfaire leurs besoins essentiels, le logement, l’éducation, la santé et des subsides pour pouvoir simplement vivre. Des camps ont été construits par l’UNRWA, en Cisjordanie et à Gaza mais également au Liban, en Jordanie et en Syrie pour répondre à ces besoins.
La situation précaire réservée aux réfugiés palestiniens ne devait être que temporaire. La résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies du 11 décembre 1948 stipule en effet « qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsqu’en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les gouvernements ou autorités responsables ». Devant le refus de l’État d’Israël de se soumettre à cette résolution, le provisoire s’est installé dans la durée ; ainsi en est-il des réfugiés comme des camps qui en abritent un grand nombre.
Depuis 1949, le nombre de ces réfugiés a augmenté. Ainsi à Gaza et en Cisjordanie, leur nombre passe de 460 000 en 1949 à 1 453 609 au 1er juillet 2014. De multiples raisons expliquent cet accroissement. D’une part les réfugiés palestiniens de 1948-49, n’ayant pu obtenir l’autorisation de retourner dans leurs foyers ou une indemnisation leur permettant d’échapper à la précarité de leur statut, sont restés des réfugiés et ce statut s’est ensuite transmis à leurs descendants, des descendants plus nombreux du fait de l’accroissement démographique de cette population. D’autre part, la « guerre des six jours » de 1967 (qui a ajouté de l’ordre de 300 000 personnes déplacées supplémentaires, dont 175 000 étaient déjà des réfugiés) puis les multiples affrontements meurtriers qui ont opposé les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie aux forces occupantes ont ajouté un nouveau lot de personnes déplacées. Enfin le nombre des personnes déplacées se trouve encore accru depuis 1967 par les expulsions pratiquées par l’occupant dans les territoires de Gaza ou de Cisjordanie ou par des non renouvellements de permis de séjour (délivrés par l’occupant à Jérusalem) quelle qu’en soit la cause.
Le statut en matière de nationalité et de citoyenneté accordé à ces réfugiés demeure variable. La Jordanie a accordé la nationalité jordanienne à l’ensemble des Palestiniens installés sur son sol, à l’occasion de l’annexion temporaire de la Cisjordanie en 1950. La Syrie et l’Irak, sans accorder un statut identique, ont offert des garanties juridiques assurant aux résidents palestiniens une quasi égalité de droit avec leurs citoyens. L’Égypte s’est toujours refusée à offrir sa nationalité, faisant des Palestiniens installés sur son sol des quasi apatrides. Ce sort est partagé par les Palestiniens établis au Liban qui, de plus, relèvent d’un statut particulier leur interdisant l’exercice de certaines professions et faisant des camps de réfugiés de véritables enclaves, surveillées et contrôlées. Dans les territoires occupés la situation des Palestiniens est tout aussi diverse. En Cisjordanie, ils peuvent hériter de la nationalité jordanienne accordée en 1950 ; à Gaza l’héritage de la période « égyptienne » n’accorde pas une telle facilité ; les Gazaouis ne peuvent compter que sur l’octroi d’un passeport palestinien, accordé à partir de la mise en place de l’Autorité palestinienne, comme c’est le cas pour les Palestiniens de Cisjordanie.
Leur lieu de résidence a pu également changer en raison des multiples conflits qu’a connus le Moyen-Orient depuis 1967. Au cours des quinze dernières années, des réfugiés ou personnes déplacées palestiniens établis au Koweït, en Irak, ou plus récemment en Syrie ont dû changer d’exil[5]. Chassés du Koweït en 1991 par l’invasion irakienne, chassés d’Irak après l’invasion américaine à partir de 2003, sans parler du conflit syrien qui aurait conduit au départ près de la moitié des Palestiniens installés là, à l’absence d’une nationalité reconnue s’ajoute une errance qui semble sans fin.
Enfin, témoins du mal-vivre des plus pauvres des Palestiniens, les camps ne se sont pas vidés au fur et à mesure de l’intégration des réfugiés à leurs sociétés d’accueil. Ils abritent encore, dans des proportions variables mais souvent conséquentes nombre de ces réfugiés. Établi à partir des recensements faits par l’UNRWA, le tableau ci-dessous constitue un état de la question au 1er juillet 2014 (à l’exception de la Syrie).
Tableau 2 : Les réfugiés palestiniens en 2014 (hors Syrie)
Pays ou région | Bande de Gaza | Cisjordanie | Jordanie | Liban |
Population totale | 1 816 379 | 2 731 052 | 7,3 millions | 4,8 millions |
Nombre de réfu-giés | 1 258 559 | 762 288 | 2 097 338 | 449 957 |
Proportion de ces réfugiés dans la population totale (%) | 69,7 | 28,0 | 28,8 | 9,4 |
Nombre de camps de réfugiés | 8 | 19 | 10 | 12 |
Nombre de réfu-giés vivants en camp | 498 000 | 195 050 | 355 500 | 204 573 |
Part des réfugiés vivants en camp sur l’ensemble des réfugiés (%) | 39,5 | 25,8 | 17,5 | 45,5 |
Source : UNRWA
Les données récentes concernant la Syrie ne peuvent être connues. Le tableau 3 complète à partir d’informations datant du 1er janvier 2011.
Tableau 3 : les réfugiés palestiniens en Syrie en 2011
Population totale | 21,9 millions |
Nombre de réfugiés | 526 744 |
Proportion de ces réfugiés dans la population totale (%) | 2,4 |
Nombre de camps de réfugiés | 12 |
Nombre de réfugiés vivants en camp | 456 958 |
Part des réfugiés vivants en camp sur l’ensemble des réfugiés (%) | 86,8 |
Source : UNRWA
Notes:
[1] La Palestine mandataire désigne le territoire sous mandat britannique dont les frontières ont été arrêtées entre 1922 et 1923 à l’occasion du démantèlement de l’Empire ottoman. Il comprend la bande de Gaza, la Cisjordanie et Israël dans ses frontières de 1949 (la « ligne verte »).
[2] La Palestine mandataire désigne le territoire sous mandat britannique dont les frontières ont été arrêtées entre 1922 et 1923 à l’occasion du démantèlement de l’Empire ottoman. Il comprend la bande de Gaza, la Cisjordanie et Israël dans ses frontières de 1949 (la « ligne verte »).
[3] Le courant des « nouveaux historiens » israéliens, à partir de la consultation des archives israéliennes, porte un regard critique sur la politique pratiquée par Israël à l’égard des habitants de religion musulmane. Intimidations, exactions diverses allant jusqu’à la destruction de villages (plus de 500) n’ont pas été le seul fait de minorités extrémistes, mais auraient été l’application d’un plan prémédité, le plan Daleh. Cf. Benny Morris, Victimes, histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, Éditions Complexe, Paris, 2003.
[4] Il s’agit là d’un chiffre officiel de l’UNRWA, repris dans le tableau ci-dessus. Le nombre exact de personnes déplacées en Palestine entre 1948 et 1949 n’est pas connu. Il pourrait être de l’ordre de prés de 800 000 personnes.
[5] Cf. Jean-François Legrain, « Les réfugiés palestiniens ou la double (ou triple) peine », Grotius international, 5 juillet 2013. Sur le site : http://www. grotius.fr/author/legrain/