Salam Alsharef[1]
De point de vue de l’économie politique, les accords d’Oslo sont basés sur la soi-disant théorie de la « paix économique », qui est un constituant du néolibéralisme. Cette théorie stipule qu’en créant de l’interdépendance économique entre les acteurs d’un conflit, la guerre devient couteuse et par conséquent la tendance des acteurs à entrer en guerre serait réduite. L’implication au niveau de la politique économique de cet argument est la suivante : libéralisez vos économies, vous récolterez la « paix ».
En effet, le mot interdépendance décrit une relation entre acteurs, mais ne dit rien sur la nature de leur interaction. Par exemple, la dépendance d’un acteur sur l’autre est aussi une forme d’interdépendance. En conséquence cet article vise à analyser certains éléments du cadre socio-économique du Processus de paix palestino-israélien en tant qu’instruments ayant des fins politiques et géopolitiques.
Le dessin économique des accords d’Oslo
Comme annexe des accords d’Oslo, un accord économique a été signé. C’est le Protocole de Paris qui définit la relation entre l’économie palestinienne et celle d’Israël, ainsi que les responsabilités d’Israël et de l’Autorité palestinienne vis-à-vis l’économie de Cisjordanie et de Gaza. D’une manière globale, c’est une institutionnalisation et un approfondissement de la situation qui ont été imposés par Israël depuis la colonisation de ces territoires en 1967. L’évolution de l’économie de Cisjordanie et de Gaza a été fortement affectée par le dessin général de l’accord d’Oslo et plus particulièrement par le dessin du Protocole de Paris.
La production dans les secteurs réels
Le découpage des territoires de Cisjordanie et Gaza en trois zones, dont la plus grande partie reste sous contrôle israélien, s’est traduit par une domination sur les terres les plus fertiles et sur le bassin fluvial de la Cisjordanie, domination qui a été renforcée par la colonisation et la construction du mur de séparation. En 2004 plus de 84 % des territoires confisqués pour la construction du mur étaient des terres agricoles. Cela a rendu impossible une expansion de la surface agricole utile.
L’essor d’une agriculture intensive a été trop limité à cause des obstacles énormes, établis par Israël, pour l’importation de la technologie et des intrants nécessaires sous le prétexte des normes de sécurité. Selon le rapport de 2013 de la CNUCED[2]« Entre 1995 et 2012, la part de l’agriculture dans le PIB est tombée de 12 % à 4,9 % ».
Le secteur manufacturier s’est érodé en conséquence de l’ouverture économique complète et brutale de l’économie palestinienne à l’économie internationale. « Le secteur manufacturier et l’agriculture, se sont effondrés, et leur part cumulée dans le PIB a accusé une baisse spectaculaire depuis la création de l’Autorité palestinienne en 1994, où elle représentait 31 %, pour s’établir à 15 % seulement en 2011[3] ». Le déclin de ces secteurs selon la CNUCED « a alimenté la dépendance économique et la dépendance à l’égard de l’aide extérieure ».
Les relations commerciales
Le Protocole de Paris a institutionnalisé le modèle de relations commerciales qui avait été imposé par Israël depuis 1967 sous la forme d’une union douanière. Une union douanière équivaut à l’imposition de la politique commerciale israélienne à l’économie de Cisjordanie et de Gaza, bien que leurs structures économiques et leur niveau de développement soient extrêmement différents, donc ce qui va pour l’un ne convient surtout pas à l’autre.
De plus, la signature de Protocole de Paris a coïncidé avec la signature par Israël des accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994 qui ont libéralisé le secteur manufacturier. Cela s’est traduit par l’ouverture brutale et complète de l’économie des territoires palestiniens à l’économie internationale, sans même pouvoir bénéficier du « traitement différencié » que permettent les accords de l’OMC. Donc une ouverture de facto plus violente même que celle qu’envisageaient les recommandations néo-libérales de l’époque.
En plus, le Protocole a introduit des restrictions quantitatives sur certaines exportations palestiniennes vers Israël, surtout pour des produits agricoles compétitifs par rapport aux produits israéliens analogues. Dans le même temps, Israël a continué à subventionner ses produits agricoles non compétitifs.
Enfin, le Protocole a établi des restrictions quantitatives et qualitatives sur les relations commerciales de l’économie palestinienne avec des tiers. L’échange avec un tiers est permis selon « les besoins de l’économie palestinienne » mais seule Israël a l’autorité de facto pour définir ces besoins.
Ces restrictions ont pour objectif d’empêcher de possibles tentatives palestiniennes qui chercheraient à réduire la dépendance commerciale vis-à-vis d’Israël. « Cette dépendance structurelle s’est poursuivie en 2012, Israël étant à l’origine de 70 % des importations des Palestiniens et absorbant plus de 80 % de leurs exportations, ce qui s’est soldé par un déficit commercial bilatéral de 3,7 milliards de dollars, soit 77 % du déficit commercial des territoires et 37 % de son PIB. Le déficit structurellement élevé est directement lié à l’érosion forcée de l’appareil productif du secteur d’exportation palestinien et au manque de compétitivité de ce qu’il en reste à cause de coûts de production prohibitifs[4] ».
De plus, la division de la Cisjordanie en trois zones et le système complexe de check points créé par Israël en Cisjordanie ont entravé profondément la circulation des biens. « Les restrictions de circulation aggravent le chômage en réduisant la rentabilité et la viabilité des entreprises palestiniennes qui sont confrontées au gonflement des coûts de transaction, aux incertitudes grandissantes, aux inefficiences liées à une production à petite échelle et aux mesures qui limitent l’accès des producteurs aux technologies et aux intrants importés. Environ 540 points de contrôle, barrages routiers et autres obstacles physiques continuent d’entraver la circulation des Palestiniens à l’intérieur de la Cisjordanie et séparent les communautés palestiniennes en « bantoustans » cloisonnés, coupés du marché intérieur et des marchés internationaux[5] ».
Finance et fiscalité
Le schéma économique des accords d’Oslo a produit une crise budgétaire structurelle et permanente. Sur le plan des recettes, la faiblesse de l’activité économique, et l’érosion des secteurs productifs a réduit la base fiscale et la capacité de l’Autorité palestinienne à mobiliser des recettes. Celles-ci sont constituées par les droits de douane et par la TVA prélevés sur les importations palestiniennes qui transitent par Israël, qu’Israël perçoit au nom de l’Autorité palestinienne et lui reverse.
Tableau 1 : Recettes reversées par Israël en pourcentage du total des recettes de l’Autorité palestinienne
En 2010 | 46 % |
En 2011 | 53 % |
En 2012 | 61 % |
Source : Ministère palestinien des finances
Cet arrangement donne à Israël des moyens de pression sur l’Autorité palestinienne qui se trouve en position d’otage. Le retard du transfert de ces recettes ou sa rétention par Israël, sont des pratiques courantes, voir permanentes. Par exemple, en suite à la reconnaissance de l’État de Palestine en tant qu’État observateur non membre par les Nations unies en novembre 2012, Israël a suspendu le transfert des recettes douanières. Récemment, le Premier Ministre israélien a annoncé le blocage de 100 millions dollars de recettes douanières palestiniennes en suite à l’adhésion de l’Autorité palestinienne auprès de la Cour pénale internationale.
La financiarisation de l’économie de Gaza et de Cisjordanie
Devant ce déficit, l’Autorité palestinienne continue à emprunter et à accumuler les arriérés pour financer son déficit. L’augmentation des emprunts auprès des banques locales, qui ont atteint 1,4 milliard de dollars (68 % du revenu), suivant R. Khalidi[6], révèle la financiarisation accrue de l’économie palestinienne, mise en évidence par le ratio PIB/crédits au secteur privé, qui a atteint le niveau record de 29 % en 2011, soit plusieurs points au delà de la moyenne obtenue dans des pays comparables. Ces dernières années, alors que le crédit privé augmentait de 13 % par an, le PIB réel par habitant progressait à un rythme inférieur à un sixième de ce taux. De plus, les crédits accordés par les banques aux fonctionnaires ont plus que doublé pour atteindre 700 millions de dollars et, avec la dette de l’Autorité palestinienne, ils constituent près de la moitié des créances nettes du secteur bancaire, tandis que la partie de la dette publique contractée auprès des banques locales représente actuellement plus de 110 % de leurs fonds propres, d’après le Fonds monétaire international (FMI), en 2013[7].
Du point de vue social, cela équivaut à la montée du poids politique interne des capitalistes palestiniens. Par ailleurs, devant une telle situation économique non soutenable de l’Autorité palestinienne et la non rentabilité des investissements à long terme, une question se pose sur les incitations à investir pour les grands capitalistes tant qu’une telle configuration reste d’actualité.
L’aide internationale
En plus du développement économique, un second objectif, important et original, de l’aide dispensée par la communauté internationale était de construire des institutions avec l’idée qu’elles constitueraient la structure du futur État palestinien, selon Anne le More[8]. Pourtant, l’aide des bailleurs de fonds a pris un caractère d’urgence dès le milieu des années 1990 et non, comme on le considère habituellement, après le déclenchement de la deuxième Intifada. Dès le début du Processus de paix, les donateurs sont donc passés des programmes plus classiques d’investissement et d’aide technique initialement envisagés à une contribution massive au budget de l’Autorité palestinienne afin qu’elle puisse payer les salaires de ses fonctionnaires.
Tableau 2 : ratio de l’aide rapportée au total des dépenses publiques de l’Autorité palestinienne
Année | Ratio en pourcentage | Année | Ratio en pourcentage |
1999 | 55,09 | 2006 | 101,69 |
2000 | 53,15 | 2007 | 73,07 |
2001 | 79,40 | 2008 | 99,30 |
2002 | 162,61 | 2009 | 91,00 |
2003 | 78,35 | 2010 | 76,00 |
2004 | 72,99 | 2011 | 71,00 |
2005 | 55,97 |
Source : J. DeVoir et and A. Tartir, « Tracking External Donor Funding to Palestinian Non-Governmental Organizations in the West Bank and Gaza 1999-2008 », Palestine Economic Policy Research Institute-MAS, Ramallah, Palestine ; Ministère palestinien des finances (période 2009-2011).
À partir de ce qui précède, il devient clair que l’Autorité palestinienne doit son existence à sa soumission aux conditions politiques associées aux financements des bailleurs de fond. Mais quelles sont ces conditions ?
Pour prendre un exemple, voici quelques-unes des conditions émises par le Congrès américain :
« Aucun financement de l’Autorité palestinienne ne sera permis dans le cas où celle-ci deviendrait un membre en tant qu’État de l’ONU, ou dans n’importe quel organisme spécialisé de l’ONU (mis à part l’UNESCO), étant donné qu’une telle reconnaissance serait faite sans un accord préalable négocié entre Israël et les Palestiniens.
Aucun financement de l’Autorité palestinienne ne sera permis dans le cas où celle-ci engagerait une procédure auprès de la Cour pénale internationale, ou soutiendrait d’une manière active une telle procédure, étant donné que cette procédure pourrait mettre en accusation des citoyens israélien en matière de crimes de guerre contre les Palestiniens[9] ».
L’Autorité « palestinienne »
La fonction de l’aide internationale peut être illustrée par la structure de la dépense publique de l’Autorité palestinienne (Tableau 3), et par la distribution sectorielle de ses salariés (Tableau 4). L’inflation du poids de la Police et des agences de sécurité de l’Autorité palestinienne, est reflétée par leur part dans la dépense publique totale et le fait que le ratio policiers et agents de sécurité sur l’effectif de la population est le plus élevé du monde : un policier ou agent de sécurité pour 80 habitants. Les agences de sécurité ont la mission d’établir l’ordre interne en coopérant avec Israël. En terme pratique, la coopération avec la puissance coloniale revient à participer à la répression de la résistance palestinienne et de toute force politique refusant les accords d’Oslo, ses conséquences et essayant de changer le statu quo du Processus du paix qui n’avance jamais. Ce qu’exploite Israël pour changer la situation en annexant des terres, en construisant des colonies et en menant des politiques de judaïsation de Jérusalem et de destruction de son patrimoine culturel.
La dépendance économique et financière de l’Autorité palestinienne et la structure de sa dépense, rendent claire qu’elle n’est qu’un sous-traitant sécuritaire local des puissances coloniales, qui tient son existence à sa soumission aux conditionnalités politiques liées aux financements externes que déploient les puissances coloniales pour inciter le clientélisme chez des acteurs politiques locaux.
L’aide internationale a placé certaines classes sociales palestiniennes en situation de dépendance aux flux financiers internationaux dont les conditions politiques d’octroi impliquent une coordination et une coopération avec Israël en faveur de cette dernière.
L’aide internationale en tant que subvention à l’occupation
Du côté israélien, par une série d’effets pervers, cette aide internationale a favorisé la pérennisation de l’occupation militaire qui, en d’autres circonstances, aurait été bien plus onéreuse[10]. L’aide internationale finance la reconstruction et la gestion des crises sociales et économiques qui font suite aux agressions militaires israéliennes. Cela revient donc à dispenser l’occupant de ses responsabilités, et même faire de l’agression un acte économiquement rentable ou, au moins, couvrant une partie de ses coûts.
Nikki Tillekens estime que 71 % de l’aide internationale aboutissent dans les circuits de l’économie israélienne, soit plus de 8.7 milliard de dollars sur un total de 12 milliards, entre 2000 et 2008[11]. Selon Anne le More, « La légalité de l’intervention des bailleurs de fonds a également été remise en question. Selon le droit humanitaire et les Conventions de Genève, c’est Israël, la puissance occupante, qui demeure responsable des besoins de la population des territoires palestiniens ».
Tableau 3 : répartition par secteur des dépenses publiques de l’Autorité palestinienne en 2012
Secteur | Part des dépenses publiques en pourcentage |
Police et agences de sécurité | 30 % |
Éducation | 18 % |
Santé | 11 % |
Secteurs économiques | 3 % |
Source : Ministère palestinien des finances
Tableau 4 : répartition par secteur des salariés de l’Autorité palestinienne
Secteur | Nombre de salariés employés dans le secteur | Part dans l’emploi total de l’administration publique, en pourcentage |
Police et agences de sécurité | 64 000 | 42,1 |
Enseignants | 45 000 | 29,6 |
Personnel de santé | 12 000 | 7,9 |
Emploi total de l’administration publique | 152 000 | 100,0 |
Source : Banque mondiale, « Sustaining Achievements in Palestinian Institution-building and Economic Growth », Economic Monitoring Report to the Ad Hoc Liaison Committee, 2011.
Suivant Anne le More, l’assistance financière internationale a « contribué à accentuer un rapport de force déjà peu équilibré entre les deux parties[12] ». Donc l’aide internationale ne permet pas seulement de préserver le statu quo issu de la négociation du Protocole, mais il ouvre la voie pour un renforcement de la puissance israélienne et à l’amélioration de ses positions sur le terrain.
Le rôle des organisations non gouvernementales (ONG) dans le contexte du Processus de paix
Les ONG sont des associations qui travaillent dans la société civile et qui se caractérisent par une relation ambiguë à l’État, bien qu’elles aient la volonté d’inscrire leurs actions en dehors des pouvoirs des États. Pourtant ces derniers figurent parmi leurs principaux contributeurs et parfois leurs principaux partenaires. Ainsi les ONG sont plutôt les sous-traitants des États et des institutions internationales.
En effet, l’importance prise par les ONG au niveau global est liée à l’essor du néolibéralisme. La majorité des ONG est financée principalement par les promoteurs du néolibéralisme (Banque mondiale, États-Unis, Union européenne etc.).
Néolibéralisme et ONG
Afin de remettre les actions des ONG dans leur contexte, un petit éclairage sur certains aspects du néolibéralisme du point de vue de l’économie politique semble nécessaire.
Du point de vue de l’économie politique néolibérale, l’État est une entrave à l’entrée des capitaux. Il est également une agence qui impose des tarifs et des barrières non tarifaires à la circulation du capital sous sa forme de marchandises et différentes restrictions à sa circulation sous sa forme financière et monétaire. C’est une entité qui peut, dans son espace, mobiliser les ressources d’une manière non conforme aux intérêts des centres capitalistes. Donc l’objectif premier du néolibéralisme est de se débarrasser de cette entité dans un moment délicat où le taux des profits dans les pays des Centres est arrivé à ses limites.
Donc, dans le contexte où le néolibéralisme cherche à « flexibiliser » le marché de travail, à privatiser les entreprises publiques, à inonder les pays avec des biens importés et par conséquent à éradiquer leurs capacités productives et prélever des intérêts au titre des dettes extérieures, dans ce contexte, vient la double fonction des ONG :
– d’un côté la fonction socio économique qui consiste à remplir une partie du vide crée par la réduction du rôle économique et social de l’État. Cela se fait à travers des projets temporaires, dotés d’une logique de self-help, autrement dit une logique d’individualisation de la solution des problèmes collectifs, à travers, par exemple, les projets d’endettement de masse comme le microcrédit ;
– la deuxième fonction est de nature sociopolitique : en fait les actions les ONG mettent l’accent sur les projets et non pas les mouvements, syndicats et partis politiques. Elles cherchent à mobiliser et sensibiliser les gens à produire à la marge de la structure politique et économique présente et non pas à lutter afin de changer les rapports de force sociaux afin de transformer le pouvoir et la société. Elles se focalisent sur l’aide financière et technique et non pas sur les conditions structurelles qui déterminent la vie quotidienne des gens.
En plus, les ONG produisent un morcellement des actions politiques et sociales en sous groupes non unifiés et sont incapables de produire une vision globale des causes structurelles des problèmes sociaux. Il est important de noter que lorsque les mouvements sociaux déstabilisent le statut quo politique et économique, le niveau de financement des ONG augmente.
En définitive, les ONG n’ont pas un compte à rendre à la population locale, mais à leurs bailleurs des fonds, ce qui produit un déficit démocratique énorme.
Tableau 5 : Répartition du financement des ONG par secteur en bénéficiant
Secteur | Part du financement en pourcentage |
Droits de l’homme | 30 |
Économie | 21 |
Santé | 10 |
Action sociale | 25 |
Éducation | 14 |
Source : J. DeVoir et and A. Tartir, Tracking External Donor Funding to Palestinian Non-Governmental Organizations in the West Bank and Gaza 1999-2008, Palestine Economic Policy Research Institute-MAS, Ramallah, Palestine
Le cas palestinien
Selon le rapport MAS, le nombre des ONG présentes en Cisjordanie a été multiplié par quatre sur la période 2001-2009. Les ONG à Gaza et en Cisjordanie reçoivent à peu près de 10 % de l’aide internationale attribuée à ces territoires. La part de l’aide externe dans le total de leurs sources de financement est passée de 46 % en 1999 à 78 % en 2009, alors que la part des différentes sources de financement interne a évolué de 54 % jusqu’à 22 % aux mêmes dates[13]. Le tableau 5 illustre la répartition sectorielle du financement externe des ONG
Les ONG jouent un rôle de stabilisateur social dans le cadre de la politique économique néolibérale de l’Autorité palestinienne et dans le contexte de la colonisation. Elles fournissent des services sociaux, santé, éduction, aide alimentaire dans une approche qui consiste à proposer une seule manière pour assurer la survie : la dépendance aux cartons de l’aide internationale.
De plus les ONG fournissent 10 % des emplois dont les salaires sont les plus élevés. Donc en bref les ONG sont des acteurs dans le système de régulation de la misère afin que celle-ci ne dépasse pas un seuil explosif ce qui pourrait menacer le statut quo politique exploité par Israël.
Les ONG continuent cependant de jouer un rôle de régulation de l’Autorité palestinienne même : le pouvoir social qu’elles possèdent, fondé par leur rôle socio économique, leur permet d’exercer un pouvoir parallèle à celui de l’Autorité palestinienne. Si jamais cette dernière devenait incontrôlable par suite de l’arrivée au pouvoir d’un mouvement politique non souhaitable, les ONG pourraient jouer un rôle de régulation sociale en prenant en partie la place d’une Autorité palestinienne affaiblie par la baisse des financements fournis par les aides internationales. C’est ce qu’on a vécu à la suite de la victoire électorale du Hamas.
La fonction des ONG dans la sphère politique palestinienne est semblable à ce qui se retrouve partout ailleurs. Elles servent à occulter :
– la représentation politique du peuple palestinien par le remplacement des acteurs locaux constituant la sphère politique et sociale palestinienne par des ONG financées par les patrons d’Israël.
– l’objectif de la lutte palestinienne en remplaçant la libération nationale et le retour des réfugiés par des projets insensés comme la « promotion de la démocratie », destinée à un peuple qui n’a pas d’État !
Comment les ONG contribuent-elles à cette occultation ?
– Directement, par l’interdiction explicite faite à ses membres de travailler dans la sphère politique palestinienne traditionnelle.
– De manière indirecte par la création d’un réseau d’avantages socioéconomiques, dont l’accès nécessite de travailler dans les domaines prédéfinis par les bailleurs de fonds et intégrés dans le cadre colonial des accords d’Oslo ! Par exemple, le thème du droit au retour des réfugiés est tabou. On peut travailler sur la question des réfugiés seulement du point de vue humanitaire, et non pas politique.
Donc, si la colonisation classique consistait à employer la force militaire et l’occupation directe, le néo-colonialisme y a ensuite ajouté l’arsenal des instruments économiques. Le colonialisme contemporain y ajoute encore les ONG comme un instrument parmi d’autres qui vise à la refondation de la sphère politique et de la société civile à l’image des intérêts des bailleurs de fonds. Dans le contexte palestinien, si Israël joue le rôle de hard power pour la répression du mouvement de libération nationale palestinien, l’aide internationale et les ONG constitue des éléments clés dans le soft power qui complètent ce hard power.
Le dessin économique des accords d’Oslo a renforcé la dépendance de l’économie de Cisjordanie et de Gaza à celle d’Israël et l’aide internationale, conditionnée politiquement, a rempli le déficit financier structurel. Le résultat final est la création un sous-traitant local, l’Autorité palestinienne, dont la survie dépend de sa soumission aux conditionnalités politiques et économiques liées à l’aide internationale. Ce fait constitue la raison principale de la division politique palestinienne, souvent réduite à la division Fatah versus Hamas.
D’un point de vue global, le dessin économique et le rôle que jouent l’aide internationale et les ONG, rendent claire leur contribution à la « pacification » du mouvement de libération nationale palestinien, au moment même où la voie politique proposée sous l’égide des bailleurs de fonds contributeurs de cette aide n’offre au peuple palestinien que le renoncement à son existence.
Notes:
[1] Doctorant, Université Pierre Mendès-France, Grenoble
[2] Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), « Rapport sur l’assistance de la CNUCED au peuple palestinien », New-York et Genève, 2013.
[3] Ibid.
[4] CNUCED, Rapport cité, 2013.
[5] Ibid.
[6] R. Khalidi, « After the Arab Spring in Palestine : Contesting the Neoliberal Narrative of Palestinian National Liberation », 23 mars 2013.
[7] FMI, « Recent experience and prospects of the economy of the West Bank and Gaza », Mémorandum des services au Comité de liaison special, Bruxelles, 2013.
[8] Anne Le More, « Killing with kindness: funding the demise of a Palestinian state », Journal of International Affairs, October 2005.
[9] Jim Zanotti, « U.S. Foreign Aid to the Palestinians », Congressional Research Service, 2014.
[10] Anne Le More, article cité, 2005.
[11] Nikki Tillekens, « 71% of Aid to the Palestinians Ends Up in the Israeli Economy », Alternative Information Center, 2010.
[12] Anne Le More, article cité, 2005.
[13] J. DeVoir et and A. Tartir, Tracking External Donor Funding to Palestinian Non-Governmental Organizations in the West Bank and Gaza 1999-2008, Palestine Economic Policy Research Institute-MAS, Ramallah (Palestine), 2009.