Le commerce extérieur palestinien est organisé suivant les dispositions adoptées par le Protocole de Paris (1994) qui est une annexe des accords d’Oslo et régule les relations économiques nouées entre Israël et les territoires occupés sous administration de l’Autorité palestinienne.
Ce Protocole, sous un premier regard, offre des perspectives non négligeables pour un développement futur de l’économie palestinienne. Le besoin de corriger les relations de dépendance étroite qui la lie à l’économie israélienne, est reconnu. Il est admis que l’Autorité palestinienne doit être pourvue des moyens de gestion et d’essor de son commerce extérieur et, par cela, de mener une politique de développement. Enfin la reconnaissance mutuelle d’intérêts divergents entre les deux économies ouvre la voie, pour l’économie palestinienne, à des relations économiques nouvelles qui pourraient être nouées avec d’autres partenaires. Ainsi, depuis 1994, des dispositions spécifiques ont été négociées par l’Autorité[1] sous la forme :
– d’accords de libre-échange avec L’Union européenne en 1997, l’Association européenne de libre-échange et le Canada en 1998, les États de la Ligue arabe en 2000 ;
– d’une exemption de droit à l’entrée pour les produits palestiniens, accordée en 1996 par les États-Unis ;
– d’un accord de libre-échange limité aux seuls produits manufacturés avec la Turquie en 2004.
Pourtant le bilan de ces différents accords reste bien mince, sans doute du fait des autres dispositions contenues dans le Protocole de Paris[2]. Celui-ci invite à la constitution d’une zone de libre-échange entre Israël et les territoires occupés sous administration de l’Autorité, ne laissant que de faibles marges de manœuvre à l’Autorité. Les dispositions de commerce extérieur adoptées par Israël s’appliquent mécaniquement aux échanges extérieurs palestiniens qui échappent ainsi à l’Autorité, à l’exception de ces quelques marges de manœuvre. Il s’agit :
– de six produits agricoles, pour lesquels les restrictions quantitatives sont négociées suivant un calendrier, séparément de l’accord général ;
– de deux listes de produits (listes A1 et A2 du Protocole) pour lesquels l’Autorité peut bénéficier d’une certaine flexibilité sous la forme de gestion des quotas à l’importation qui sont appliqués à ces produits ;
– une liste de biens de production (liste B du Protocole), dont la quantité importée est laissée à l’appréciation de l’Autorité, pourvu que ces biens répondent aux spécifications israéliennes.
Par ailleurs, en tenant compte des accès réduits des territoires occupés à l’extérieur ne transitant pas par Israël[3], un dispositif de prélèvement des droits et taxes à l’importation est instauré suivant lequel Israël opère ces prélèvements et restitue ensuite ces recettes à l’Autorité.
De plus le Protocole prescrit :
– l’indépendance de la politique fiscale menée par l’Autorité sous réserve que le taux de TVA qu’elle pratique ne soit pas inférieur de plus de deux points à celui en vigueur en Israël ;
– l’autonomie des deux parties pour la détermination (quantitative et qualitative) des flux de main d’œuvre passant des territoires occupés sous administration de l’Autorité à Israël.
Enfin le Protocole ne règle pas la question monétaire. La possibilité de créer une monnaie palestinienne est reconnue, mais remise à de futures négociations. Celles-ci n’ayant pas eu lieu à ce jour, la monnaie israélienne, le nouveau shekel, est la monnaie d’échange circulant dans les territoires occupés sous administration de l’Autorité.
Placé dans le cadre institutionnel qui vient d’être vu, le commerce extérieur palestinien connaît une évolution décevante que retrace le tableau 1.
Tableau 1 : le commerce extérieur palestinien de 1995 à 2013 (en millions de dollars)
années | 1995 | 1999 | 2002 | 2006 | 2010 | 2012 | 2013 |
Exportations de B et S | 499 | 684 | 380 | 678 | 1152 | 1670 | 2067 |
Importations de B et S | 2176 | 3353 | 2519 | 3202 | 4626 | 6467 | 6447 |
Solde de la balance des B et S | -1677 | -2670 | -2139 | -2250 | -3474 | -4797 | -4380 |
Solde de la balance en % du PIB | -52,1 % | -63,9 % | -62,3 % | -54,6 % | -41,7 % | -46,8 % | -40,7 % |
Taux de couverture (en %) | 23,0 % | 20,4 % | 15,1 % | 21,2 % | 24,9 % | 25,9 % | 32,1 % |
Transferts courants nets | 400 | 374 | 1052 | 1276 | 1991 | 1116 | 1874 |
Solde de la balance incluant les transferts | -1277 | -2296 | -1087 | -974 | -1483 | -3681 | -2506 |
PIB : produit intérieur brut ; B et S : biens et services ; Taux de couverture : rapport exportations / importations.
Source : CNUCED
La caractéristique première de ce commerce extérieur est son déséquilibre. Le taux de couverture des importations de biens et services (B et S) par les exportations n’est que de 32,1 % en 2013. Malgré l’amélioration constatée ces dernières années, ce taux montre bien une situation qui perdure depuis 1995. La faiblesse des exportations de B et S est à l’origine de ce déséquilibre. Celles-ci ne représentent, en 2013 que 19 % du produit intérieur brut (PIB) alors que les importations atteignent 62 % de celui-ci. Le résultat est un déficit continu et conséquent de la balance des B et S qui atteint 4,38 milliards de dollars en 2013, soit 40,3 % du PIB. Les transferts courants nets, principalement composés des salaires des travailleurs frontaliers palestiniens, employés en Israël, et des aides remises à leurs familles par les diasporas palestiniennes à l’extérieur, atténuent ce déficit, ce qui démontre leur caractère stratégique pour l’équilibre extérieur de l’économie palestinienne. De ce fait, l’accueil de travailleurs palestiniens frontaliers devient un moyen de pression politique effectif.
La polarisation de ce commerce extérieur sur les échanges opérés avec Israël est sa seconde caractéristique. Le tableau 2 présente ses principaux aspects.
Tableau 2 : commerce extérieur palestinien avec Israël (en millions de dollars et en %)
années | 1995 | 1999 | 2002 | 2006 | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 |
Solde bilatéral des échanges de B et S avec Israël | -922 | -1598 | -886 | -1887 | -2737 | -3085 | -3481 | -3096 |
Solde bilatéral en % du PIB palestinien | -28,6 % | -38,2 % | -25,8 % | -40,9 % | -32,8 % | -31,9 % | -33,9 % | -28,8 % |
Part d’Israël dans le commerce palestinien | 92,3 % | 68,6 % | 53,3 % | 72,5 % | 75,5 % | 68,7 % | 64,6 % | 60,4 % |
Part du commerce bilatéral dans les échanges israéliens | 4,3 % | 3,7 % | 1,8 % | 2,2 % | 2,7 % | 2,7 % | 2,8 % | 2,7 % |
Source: CNUCED
Le commerce extérieur avec Israël, bien que fluctuant, représente toujours plus de la moitié du commerce extérieur palestinien. Ainsi, en 2013, il représente 60,4 % de ce dernier. Mécaniquement, la conséquence de cette polarisation est l’ampleur du déficit de ce commerce bilatéral, plus de 3 milliards de dollars en 2013 (63 % du déficit total). Ce résultat est d’autant plus préoccupant que ces échanges bilatéraux révèlent une importante asymétrie. Si, en 2013, le commerce palestinien avec Israël représente 60,4 % du commerce total palestinien, la part de la Palestine dans le commerce israélien n’atteint, elle, que 2,7 %. Cette concentration se retrouve dans le tableau 3 qui présente les principaux clients et fournisseurs du commerce extérieur palestinien.
Tableau 3 : principales origines et destinations des échanges extérieurs palestiniens
Principaux fournisseurs | Part dans le total des importations | Principaux clients | Part dans le total des exportations |
Israël | 71,3 % | Israël | 81,7 % |
Union européenne | 9,9 % | Jordanie | 7,8 % |
Turquie | 5,0 % | Union européenne | 0,7 % |
Chine | 4,2 % | Reste du monde | 9,8 % |
Reste du monde | 9,6 % |
Source : Service économique du Consulat de France à Jérusalem, « Le commerce extérieur des Territoires palestiniens en 2012 », Direction général du Trésor, juin 2014.
Cette concentration est sans doute exagérée du fait des flux de réimportation et de réexportation. L’interprétation des dispositions du Protocole de Paris faite par les autorités israéliennes traite les opérations de commerce internationale palestiniennes effectuées par l’entremise de transitaires israéliens comme des exportations vers ou des importations depuis Israël[4]. Il est donc permis de penser que les résultats constatés sont surévalués, d’autant plus que du fait de la fragmentation des territoires sous contrôle de l’Autorité, des échanges intérieurs allant d’une enclave palestinienne à l’autre bénéficient d’une réduction de délais et coûts de transaction liés aux contrôles israéliens en étant déclarés comme exportation vers Israël suivi d’une réimportation vers un autre territoire occupé[5].
La composition par catégories de marchandises de ce commerce extérieur est donnée, pour 2012, par le tableau 4.
Tableau 4 : composition par produit du commerce extérieur palestinien en 2012
Principaux produits importés | Part dans le total des importations | Principaux produits exportés | Part dans le total des exportations |
Fruits et légumes | 8,3 % | Produits agricoles et agroalimentaires | 26,0 % |
Produits carnés | 4,6 % | Pierres de construction | 15,9 % |
Produits agricoles transformés | 11,0 % | Ferraille recyclée | 6,4 % |
Produits pétroliers | 17,2 % | Produits pharmaceutiques | 1,7 % |
Énergie électrique | 9,9 % | ||
Gaz | 3,3 % | ||
Demi-produits chimiques | 4,0 % | ||
Demi-produits métalliques | 5,6 % | ||
Matériaux de construction | 3,9 % | ||
Équipement électriques et mécaniques | 8,2 % | ||
Véhicules | 4,2 % | ||
Médicaments | 2,0 % |
Source : Service économique du Consulat de France à Jérusalem, art. cité, 2014.
Alors que la diversité des marchandises importées traduit l’insuffisance des productions palestiniennes à répondre aux besoins intérieurs, il apparaît nettement que les exportations palestiniennes portent largement sur des produits de faible valeur ajoutée, produits agricoles ou matières premières, et sont très peu diversifiées. Ainsi les produits pharmaceutiques, à plus grande valeur ajoutée et plus fort contenu technologique, ne représentent que 1,7 % des exportations. La diversification des activités productives et leur orientation vers des produits à plus grande valeur ajoutée sont donc un enjeu stratégique pour l’économie palestinienne. La réalisation d’un tel projet reste difficile, rencontrant des obstacles importants.
Les premiers de ces obstacles trouvent leurs sources dans la situation conflictuelle existant dans la région qui, dans une complète asymétrie, se traduit par des mesures de sécurité et des restrictions nombreuses à la circulation des biens et des personnes, imposées par la puissance occupante, allant jusqu’au blocus de Gaza depuis 2006 et 2007. Il s’y ajoute l’ampleur des destructions résultant des phases « chaudes » de ce conflit (Gaza en 2008 et 2014).
La discontinuité territoriale, issue des accords d’Oslo 2, fait des territoires occupés sous responsabilité de l’Autorité de véritables enclaves isolées les unes des autres. Combinée avec les restrictions et mesures de sécurité évoquées précédemment, cet isolement conduit les producteurs et exportateurs palestiniens à supporter des surcoûts en matière de transport et de frais de transaction, ce qui réduit la compétitivité de leurs produits, à la fois sur les marchés extérieurs et intérieurs et renforce leur dépendance à l’égard des fournisseurs et acheteurs israéliens.
D’autres obstacles trouvent leur origine dans le Protocole de Paris. Aux exceptions citées plus haut, le libre-échange voulu par ce Protocole place le commerce extérieur palestinien sous les mêmes dispositions douanières que le commerce israélien. La politique de libéralisation des échanges conduit par Israël dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, depuis 1994, a conduit l’économie palestinienne à devoir supporter les mêmes baisses tarifaires. Les activités productives palestiniennes à forte intensité de travail ont ainsi été directement exposées à la concurrence de producteurs situés dans des pays riches en main d’œuvre abondante et bon marché.
Enfin l’aide internationale, dont nous avons vu le rôle essentiel[6], a été affectée à des taches d’urgence humanitaire ou au financement du budget de l’Autorité, délaissant les investissements en infrastructure ou le développement de capacités de production.
Notes:
[1] Source : CNUCED, Rebuilding the Palestinian Tradable Goods Sector : towards Economic Recovery and State Formation, United Nations, New-York et Genève, 2011.
[2] Source : CNUCED, The Palestinian Economy : Macroeconomic and Trade Policy Making under Occupation, United Nations, New-York et Genève, 2011.
[3] Trois points de passage étaient prévus en 1994 : Rafah au Sud de la Bande de Gaza, Damya et le pont Alienby sur le Jourdain, entre les territoires occupés de Cisjordanie et la Jordanie.
[4] Dans le cas de réimportation, la localisation en Israël de l’importateur fait que les taxes et droits d’importation, payés aux autorités israéliennes, ne donnent pas lieu à réversion au profit de l’Autorité. Israël ne reconnaissant comme importations palestiniennes que les marchandises transitant sur son sol à destination clairement identifiée d’entreprises situées dans les territoires sous responsabilité de l’Autorité palestinienne, une part importante des recettes douanières de l’Autorité s’évapore ainsi. La CNUCED évalue à 80 %, en 2009, la part des importations qui relèvent de réimportations déguisées et ne donnent pas lieu à des recettes douanières. Source : CNUCED, The Palestinian Economy : Macroeconomic and Trade Making under occupation, art. cité, 2011.
[5] Source : Service économique du Consulat de France à Jérusalem, « Le commerce extérieur des Territoires palestiniens en 2012 », Direction général du Trésor, juin 2014.
[6] Cf. Salam Alshareff, « Économie politique des accords d’Oslo », dans ce numéro.