Ce dossier a été conçu à partir de communications présentées lors du colloque « Ressources minières dans les Amériques », tenu à l’Université Stendhal de Grenoble les 11-13 juin 2014. Il s’agit des textes portant plus spécifiquement sur des questions relevant du développement. Les contraintes éditoriales de volume ont amené à ne pas reproduire certains graphiques et photos dans les cas où cela n’affectait pas la compréhension des textes ; les bibliographies ont été intégrées en notes de bas de page. Les résumés de ces articles sont mis en ligne sur le site de la revue : http://informations -et-commentaires.nursit.com . D’autres textes issus de ces communications font l’objet d’une publication dans la revue en ligne de l’Institut des Amériques, IdeAs. Nous tenons à remercier les organisateurs de ce colloque pour l’intérêt du thème abordé et pour cette collaboration en termes de publication.
La revue a consacré, dans un passé proche, le dossier de son numéro 151 (« Extraction minière ou destruction sociale », avril-juin 2010) à ce thème. Les exemples donnés actuellement en Amérique latine se distinguent par le thème « néo (ou post) extractivisme » qui leur est accolé. Qu’est-ce qui peut distinguer cette expression du simple extractivisme (recherche d’une croissance économique accélérée par la mise en exploitation rapide de l’ensemble des ressources minières d’un pays) ? Des caractéristiques particulières paraissent s’appliquer aux exploitations minières de différents pays de ce continent. Cette situation nouvelle pourrait donc marquer un nouveau moment dans les relations Nord/Sud.
La pression redoublée des firmes transnationales (FTN) minières provenant des pays du Nord sur les ressources naturelles des pays du Sud est la première de ces caractéristiques. Il est devenu à la fois plus difficile d’échapper à leur appétit et de se passer de leurs compétences financière, technique ou commerciale. Le nouveau contexte, celui d’un monde néolibéral, dans lequel ces FTN, aiguillonnées par le haut prix de certaines matières premières, agissent, est significatif. Dans les pays latino-américains, il se traduit par un affaiblissement institutionnel des autorités politiques à un moment où les pouvoirs acquis par ces firmes paraissent les placer au dessus des États. Les gouvernements progressistes, arrivés démocratiquement au pouvoir dans certains pays d’Amérique du Sud n’avaient certainement pas en projet de mettre le développement futur de leur pays entre les mains d’intérêts privés étrangers. Pourtant les assouplissements donnés aux codes miniers ou les garanties offertes aux investisseurs étrangers se retrouvent dans ces pays comme dans ceux qui n’ont pas connu une telle évolution politique[1]. Dès lors, l’extractivisme qui a pu apparaître parfois comme un moyen associé à des projets de développement, ne devient-il pas avec le néo-extractivisme une fin en soi, l’attirance pour une rente facile, déconnectée des aspirations sociétales des peuples ?
Les formes techniques actuelles des exploitations minières en Amérique latine constituent une seconde caractéristique. Le gigantisme de ces exploitations, la généralisation des mines à ciel ouvert en sont les principaux aspects. Nous sommes donc en présence d’activités de plus en plus couteuses en capitaux, en terre, en énergie (électrique) et en eau. Cette charge redoublée, pesant sur les régions qui les accueillent et leurs espaces naturels, a aussi un prix social et humain : populations à déplacer, à reloger et à réinsérer dans un tissu économique et social lui-même à reconstruire[2].
Enfin les activités minières s’inscrivent de plus en plus dans un cadre réglementé, voulu par les pouvoirs publics des pays d’accueil, qui fait contraste avec l’apparent pouvoir du privé. Plus que jamais sur ce continent se pose la question de l’efficacité de cette réglementation. Cette efficacité ne repose pas seulement sur les rapports de force établis entre les pouvoirs publics et les intérêts privés, qui la font être respectée ou contourner, mais se doit de prendre en compte les différents impacts, environnementaux et sociaux, résultant de l’exploitation minière, ce qui implique une évaluation correcte de ces impacts.
Engagée sur la voie du néo extractivisme, les pays latino-américains peuvent-ils espérer y trouver un réel développement économique, social et humain ? Les différents articles de ce dossier soulèvent nombre d’interrogations. La nature conflictuelle des rapports politiques et sociaux nouveaux créés par l’essor de l’activité minière est au cœur de ces questionnements. Elle se situe en effet en interaction sur différents espaces, le monde, la nation, la région et le local. Leur articulation et la cohérence qui pourrait en résulter interrogent.
La dualité d’un temps présent et immédiat, souvent perçu comme heureux puisqu’il est celui d’un progrès attendu, et d’un futur rempli de multiples incertitudes est aussi centrale. Ici se joue aussi bien l’avenir des espaces naturels, que le futur démocratique de sociétés dont l’avenir est soumis aux rapports de pouvoir établis entre État et intérêts économiques privés. C’est aussi, autour des mines, le futur des membres d’une société en plein changement. Le sort qui leur est réservé : salariés dans une activité officiellement reconnue, travailleurs du secteur informel ou exclus privés de tout accès à des ressources et donc prêt à accepter les pires conditions d’exploitation, est révélateur d’un modèle de société et d’un type de développement qui peut se dessiner.
Le comité éditorial
Notes:
[1] Cela ne signifie pas que les politiques de ces gouvernements progressistes, visant à capter la plus grande part possible des rentes minières pour en faire la source de financement d’actions sociales multiples, aient été illégitimes ou inefficaces, bien au contraire.
[2] Là encore si la charge pesant sur le pays d’accueil peut être lourde, les entreprises minières peuvent faire profiter leur voisinage des infrastructures routières, énergétiques qui leur ont été nécessaires, tout comme des écoles ou des centres de santé qu’elles ont été amenées à édifier., mais cela peut aussi conduire à des formes de privatisations et à des dominations étrangères privées sur ces services.