L’activité minière en Argentine s’est fortement développée à partir des années 2000 et est devenue essentielle pour certains territoires et de plus en plus importante pour l’économie nationale replaçant la cordillère des Andes au cœur des problématiques économiques, politiques et sociales, locales, provinciales et nationales. Ces régions, géographiquement périphériques, acquièrent alors une centralité stratégique. Le développement exponentiel du potentiel géologique a été facilité par l’instauration d’un cadre législatif spécifique, dans les années 1990, favorisant de nouvelles exploitations de grande envergure. Les investissements proviennent d’une trentaine de pays représentant plus de 150 entreprises, dont plus de la moitié sont originaires d’Amérique du Nord[3]. La participation des acteurs publics ou privés locaux (14 %) n’est pas négligeable, mais la supériorité quantitative des capitaux investis par le Canada (43 %), l’Australie (13 %) et les États-Unis (8 %) interroge les rapports Nord/Sud, d’autant que les minéraux extraits sont pour la grande majorité destinés à l’exportation[4]. L’exploitation et la prospection des gisements d’or (33 %), d’argent (21 %) et de cuivre (19 %) représentent à eux seuls, les trois-quarts des sommes investies dans les projets miniers[5].
Les exportations sont passées de 3 milliards de dollars en 2002 à 16 milliards en 2011. Sur la même période, le nombre de projets, inférieur à 20, est monté à plus de 600. L’activité fournit plus d’un demi-million d’emplois selon les chiffres de 2011 du Secretaría de Minería, lequel considère ces dix dernières années comme « la décennie minière » ( Il convient toutefois de noter que ces chiffres contrastent avec ceux publiés par l’INDEC datant de 2010, qui donne une moyenne d’un peu moins de 20 000 travailleurs enregistrés dans l’activité minière non énergétique[6]). La manipulation de ces chiffres est souvent dénoncée par les acteurs de la société civile opposés au développement de cette industrie, montrant que la megamineria[7], est très demandeuse en capitaux[8] mais emploie peu de main d’œuvre[9].
Notre travail propose d’aborder l’impulsion minière par le prisme du développement énergétique et territorial de la province de San Juan. Cette province, ouvertement pro-minière à la différence d’autres de la Cordillère, propose une vision nouvelle de l’activité. La nueva minería se veut une industrie moderne, sociale, durable et respectueuse de l’environnement.
À l’aune des rapports de pouvoirs entre les compagnies du Nord et les pouvoirs locaux, en déclinant l’analyse de ces relations à différentes échelles, nous observerons l’impact de cette activité sur les intégrations régionales et le développement territorial. Parmi nos préoccupations, les questions de l’eau et de l’énergie sont centrales, l’exploitation des mines en étant fortement demandeuse et concurrençant d’autres activités dans une province aux ressources énergétiques limitées[10] et au climat semi-aride[11].
Pour ce faire, l’article s’intéressera dans un premier temps au choix de l’activité minière à San Juan, puis analysera les dépendances et les défis énergétiques et abordera enfin les conflits et suivis environnementaux.
- Le choix san juanino de l’activité minière
Durant 150 ans, l’Argentine a assigné à l’agriculture et à l’élevage un rôle fondamental dans le développement du pays. Dans ce cadre, les activités minières n’ont pas été favorisées jusqu’aux politiques néolibérales des années 1990, attirant des investisseurs étrangers. La dynamique de ce secteur a été la seule à ne pas chuter lors de la crise de 2001.
En Argentine, les ressources minières sont du domaine des provinces qui octroient les concessions et fixent, dans le cadre de la loi nationale, les droits d’exploitation. La loi nationale d’investissement minier (loi n°24 196) de 1993 fixe le cadre politique établissant un régime pour les investissements, leur garantissant la stabilité fiscale pour 30 ans, des avantages pour l’importation des équipements (exemption de certaines taxes dont la taxe d’importation) et le niveau des royalties maximales fixé à 3 % de la valeur boca de mina[12] des minéraux extraits. Souvent les royalties sont inférieures à 3 %, car elles sont fixées à partir des négociations entre l’entreprise et les provinces. Par exemple, pour la mine de Veladero, Barrick Gold n’a reversé que 1,7 % en royalties[13]. De plus, la valeur est calculée sur la déclaration sur l’honneur de l’entreprise.
Les institutions publiques encadrant le secteur minier ont été repositionnées afin de réformer les codes miniers provinciaux dans une optique de décentralisation des affaires minières tout en répondant au code minier national modifié en 1997. Pour ceci, le projet PASMA[14], appuyé par le Conseil fédéral minier COFEMIN[15], devait homogénéiser le code minier avec les 23 codes miniers provinciaux. Il fut abandonné en 2001 faute de financement[16]. En 2003, le gouvernement national lance le « Plan minier national » qui manifeste la volonté de transformer l’activité minière en moteur et modèle de croissance économique. Treize provinces, à différents degrés, développent une activité minière métallifère ou non métallifère. Ce cadre juridico-politique, très avantageux, a impulsé une extension du nombre et de la taille des projets miniers.
La province de San Juan est celle possédant le plus de prospection et de projets miniers. Avec 80 % de territoires de montagne et une superficie de 90 000 km², elle a attiré 42 projets miniers métallifères (figure 1). Seuls trois de ces projets sont en exploitation pour l’extraction d’or et d’argent, Veladero (Barrick Gold, Canada), Gualcamayo (Yamana Gold, Canada) et Casposo (Troy Ressources, Australie). La mine Pascua Lama, projet binational argentino-chilien est en construction et les rapports de faisabilité sont achevés pour les projets Hualilán (Compañía Minera Colorado S.A (Plata Mining [USA] et Minera Metatrón [Arg]) et Pachón (Glencore [GB]). Les autres projets en sont à l’étape de prospection.
Les entreprises exploitant les gisements dans la Province sont des entreprises de pays du Nord (Canada et Australie) ayant investis 800 millions de dollars obtenant une production en 2011 d’1,2 milliards d’once d’or et 2,2 milliards d’once d’argent (tableau 1).
Figure 1. Sites miniers de la province de San Juan
Tableau 1. Les trois projets san juaninos en exploitation
Veladero | Gualcamayo | Casposo | |
Distance à San Juan Capitale (km) | 350 | 280 | 478 |
Altitude (m) | 3400 | 2500 | 2500 |
Réserves prouvées (millions équivalent once d’or) | 12.8 | 2,4 | 0.24 |
Production d’or en once (2011) | 1 000 000 | 160 000 | 47 000 |
Production d’argent en once (2011) | 1 600 000 | 2000 | 630 000 |
Investissement total (millions dollars) | 600 | 142 | 58 |
Date de mise en exploitation | oct-05 | avr-09 | Déc-10 |
Vie utile | 19 | 10 | 9 |
Nombre d’emplois | 900 | 460 | 375 |
Les concentrations des minéraux étant assez faibles dans les exploitations à ciel ouvert, c’est pourquoi les exploitations affectent des superficies importantes. À titre d’exemple, l’entreprise Troy Resources exploitant la mine Casposoa a acheté 72 000 ha à des vieilles familles de San Juan en 2001 pour couvrir les zones susceptibles de contenir des gisements exploitables. Outre les questions d’appropriation du capital foncier par des entreprises étrangères, ce type d’exploitation interroge également sur la valorisation maximale de la ressource qui se fait en dehors du pays d’extraction. En effet, l’intégralité de la production de ces trois mines est exportée vers les pays d’appartenance des entreprises exploitantes pour y réaliser le raffinage du « doré »[17] et la revente de l’or pur sur les marchés mondiaux.
Le gouverneur Ing. Jose Luis Gioja inclut les activités minières dans son programme politique dénommé Segunda reconstrucción de San Juan défendant la conception de Domingo Faustino Sarmiento (Président de la Nation 1868 – 1874) de transformer San Juan en province moderne, productive et exportatrice et la voulant en plus économiquement et socialement soutenable et responsable. Afin de répondre à ces objectifs, le gouvernement provincial a fixé un cadre institutionnel et juridique spécifique. En effet, la structure institutionnelle de la province a été remodelée pour offrir des interlocuteurs spécifiques permettant aux investisseurs étrangers de comprendre l’environnement local et de défendre les intérêts de sa population en exigeant des investissements dans les infrastructures de santé, d’énergie et d’alimentation en eau potable. La création de la Comisión Evaluadora Multidisciplinaria Ambiental y Minera (CEMAM), en charge de réaliser les suivis environnementaux, montre cette volonté d’introduire une meilleure gouvernance et est composée de représentants des différentes institutions concernées par le processus de production, mais excluant la société civile.
La province a su concevoir une structure juridique qui établit des revenus supplémentaires que les entreprises doivent prévoir d’apporter :
– fidéicommis publics : fonds destinés à des travaux d’infrastructures hydrauliques, sanitaires, à l’éducation, agriculture, tourisme et activités minières ; avec le fidéicommis de Gualcamayo se réalise la construction de l’hôpital de Huaco et la rénovation du réseau d’alimentation en eau potable de Bajo Huaco ; avec celui de Pascua Lama, on construit la route provinciale 430 dans le département d’Iglesia ;
– fonds spécial pour le développement minier : toutes les entreprises de services ou les fournisseurs doivent verser 4 pour mille de la facturation mensuelle au fonds destiné à la formation des ressources humaines, à l’éducation et à la diffusion de l’activité minière ;
– accords sur le payement des royalties minières : si l’once d’or se vend à un prix égal ou supérieur à 1000 $ plus de deux mois de suite, les entreprises s’engagent à payer 3 % de la valeur obtenue pour la commercialisation des minéraux sans effectuer de déduction ;
– droits d’exploitation IPEEM perçus par l’ Instituto Provincial de Exploraciones y Explotaciones Mineras ;
– autres bénéfices accordés : fonds pour l’extension du système électrique central.
Cette structure juridique et économique répond à la volonté de créer un développement endogène, rejoignant les visions de la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) en faveur du financement du processus de développement par des capitaux privés. Cette vision, de plus en plus contestée, se renouvelle aujourd’hui autour de ce que certains auteurs appellent le « consensus des commodities »[18].
Avant de nous pencher sur le développement territorial, il convient de s’interroger sur la dimension énergétique permettant de répondre aux besoins de ces entreprises parallèlement à une demande toujours croissante de la consommation des ménages.
- Dépendances et défis énergétiques
La situation énergétique de l’Argentine est problématique car le pays a perdu au début du XXIème siècle son autosuffisance et doit importer des quantités croissantes de carburants dans un contexte où la production nationale d’hydrocarbures baisse et la demande énergétique s’accroit. San Juan consomme annuellement en moyenne, tous types de consommateurs confondus de l’ordre de 2044 GWh en 2013, avec une croissance de 34 % en 4 ans[19]. Cet approvisionnement se fait principalement par le Système interconnecté national (SIN), bien qu’au regard de la situation du pays, la province de San Juan soit assez mal desservie par les lignes à haute et très haute tension.
L’approvisionnement énergétique se fait également par l’importation de gaz naturel à travers les gazoducs reliant San Juan à la région de Cuyo et à la province de Neuquèn. La quantité de gaz consommée à San Juan par la population est de l’ordre de 300 000 m3 en été et est multipliée par 5 en hiver, soit environ 1,5 millions de m3, ce qui rend la capacité de transport insuffisante. Afin de répondre à la demande, il existe dans la province des projets d’exploration d’hydrocarbures. Il existe aussi des projets d’exploitation d’uranium.
L’activité minière a entraîné une hausse de la demande énergétique absorbant environ 21 % de l’énergie consommée dans la province[20]. Les mines Gualcamayo et Casposo sont connectées au SIN. La mine Gualcamayo a financé une ligne électrique de 132 kV depuis Jachal (123 km) qui possède trois sous stations : Jachal, Huaco et Gualcamayo (19 millions $)[21]. La mine Casposo, la Nation et la Province ont financé la ligne électrique de 500 kV et de fibre optique[22] unissant Calingasta et Rodeo (91 km) et celle de 132 kV de Rodeo à Jachal (45 km), inaugurée en décembre 2010. Ces lignes sont desservies par deux stations de transformation à Jachal et à Calingasta ainsi qu’une ligne de 33 kV de Calingasta à Villa Corral (40 km) jusqu’à la mine Casposo. La connexion permet à Casposo d’économiser l’équivalent de 300 000 litres de combustible par mois. La ligne de 500 kV a également été pensée pour approvisionner les projets Pachón, los Azules et Altares qui ensemble demanderaient un tiers de l’énergie générée dans la province de San Juan et obligerait ces entreprises à investir pour la connexion de cette ligne à d’autres provinces ou au Chili voisin[23].
Les mines éloignées du réseau électrique interconnecté sont approvisionnées en gasoil par des convois de camions citernes. On compte par exemple dix à douze camions par jour qui montent à Veladero (environ 9000 m3 de combustible et 240 000 l de lubrifiant par mois) en provenance de Mendoza à 1000 km[24] pour alimenter 22 générateurs (18 MW).
La mine s’est également équipée d’une éolienne de 2 MW de puissance, pour une production annuelle de 5 GW. Son acheminement a été difficile dû aux contraintes importantes de l’environnement de montagne et fonctionne avec certaines difficultés du fait de la faible densité de l’air liée à l’altitude (4100 m, le plus élevé de la planète). Elle a également investi dans 11 MW d’énergie solaire[25]. De plus, pour les mines de Pascua Lama et Veladero, l’entreprise Barrick prévoit la construction d’une centrale thermoélectrique de 17 MW (70 millions $) et un parc éolien de 18 éoliennes est prévu pour produire 36 MW (barrickargentina.com). Pour compléter ce potentiel énergétique, à 7 km de la mine de Veladero, il existe la possibilité d’exploiter des ressources géothermiques. Le projet est en développement depuis 2010, faisant intervenir la Energía Provincial Sociedad del Estado (EPSE) et des entreprises privées. Il existe donc dans la province des formes de coopération public-privé dans des projets innovants tels que celui-ci qui permettrait également de connecter les communautés isolées.
Ces collaborations qui s’insèrent dans la stratégie des grandes firmes minières transnationales pour se rendre « environnementalement acceptables » en « verdissant » leur image[26] ont également un effet d’entraînement. Ainsi la province a vite appuyé la politique de diversification énergétique de la province développant les sources énergétiques renouvelables disponibles – hydroélectricité, génération solaire et biomasse –. Le meilleur exemple est le premier parc de génération solaire du pays, installé dans le département d’Ullúm, expérimentant les trois technologies de silice – monocristallin, polycristallin et amorphe – sur des structures diverses. Ces structures tests ont facilité l’adaptation aux conditions climatiques et de radiations locales des projets postérieurs comme celui de Veladero[27]. De plus, la province accueille à Cañada Honda le premier parc de génération solaire connecté au SIN, prévu à 20 MW et qui a une capacité installée de 7 MW. D’autres projets existent pour une capacité installée de 40 MW. Ces initiatives s’insèrent dans un plan provincial qui développe la carte éolienne et solaire de tout San Juan dans le but d’identifier et de mesurer ces ressources. L’objectif du plan est plus ambitieux car il cherche à développer la fabrication de lingots de silicium solaire, de cellules photovoltaïques et de panneaux solaires. À l’heure actuelle, ce projet d’intégration verticale a été approuvé et l’usine est en construction. Cette usine serait la première en Amérique latine et permettrait de répondre à une demande croissante à l’échelle du continent.
La province rend également prioritaire la construction de retenues hydrauliques pour impulser l’hydroélectricité et stocker l’eau[28]. Les projets hydro-énergétiques s’implantent sur le rio San Juan. Le barrage Punta Negra (140 MW) est en construction entre le barrage los Caracoles (capacité installée 120 MW) et celui d’Ullúm-la Olla (45 MW), renforçant une série de barrages en chaîne finissant avec le barrage de Quebrada de Ullúm (41 MW). Celui-ci a été le premier à être construit, non pour des raisons techniques, mais pour sa localisation géographique à proximité de la ville de San Juan dans le but de développer une activité touristique. En amont le Tambolar (70 MW) et l’Horcajo sont en projet.
Dans le cadre du programme Fondo Nacional Sectorial (FONARSEC), le Secretaría de Estado de Ciencia, Tecnología e Innovación, l’EPSE, l’Institut National de Technologie Industrielle (INTI) et trois entreprises privées de Mendoza, développent un projet expérimental de génération électrique à partir des résidus solides urbains dans le département de Sarmiento (45 km au Sud de la capitale)[29]. Un autre projet traiterait les résidus industriels viti-vinicoles obtenant du biogaz pour produire de l’électricité à vendre au SIN.
Le fort dynamisme dans le développement minier et énergétique avec le soutien des politiques publiques entraine également certains questionnements.
- Conflits et suivis socio-environnementaux
Le développement minier fait face à une opposition de la part de certains groupes de la société, notamment à partir des années 1995, après l’opposition des communautés d’Esquel (province du Chubut) contre Yamana Gold, dont les luttes donnent naissance à la création de la red de Comunidades Afectadas por la Minería (red CAMA) qui sera remplacée en 2006 par la Unión de Asambleas Ciudadanas contra la Contaminación y el Saqueo (UAC)[30]. Ce mouvement cherche à imposer une plus grande participation de la société civile aux projets miniers. Dans la province de San Juan, les manifestations sont toutefois restées modestes en comparaison d’autres provinces.
Les manifestations prennent également de l’ampleur en Europe, comme celle qui a eu lieu à Paris en 2013 contre la mine Pascua Lama, défendant les populations locales face aux impacts environnementaux de la mine. En revanche dans les pays concernés, les manifestants font appel à des « mots d’ordre mondialisés » comme le changement climatique ou la protection de la biodiversité[31], par exemple la campagne pour la protection de la réserve de San Guillermo située à environ 70 kilomètres de la mine Veladero.
Dans la province de San Juan, à la suite des manifestations de Jachal en 2004, trois consultations publiques ont été interdites à Calingasta, localité proche des mines de Casposo et Veladero[32]. D’autre part, la Camara Minera a organisé des campagnes de communication – comme celle proposée lors de la mise en exploitation de la mine Veladero en 2005 – et d’autres actions dans la ville de San Juan, autour de l’importance des minéraux dans les produits utilisés dans la vie moderne, en les identifiant par un astérisque orange (logo de la Camara minera). En 2005, avant cette campagne, 70 % de la population est contre l’activité minière ; en 2010, elle n’est plus que de 37 %. La résistance initiale a progressivement laissé place à une forme de consensus favorable à l’activité minière dans les communautés les plus proches des zones d’exploitation qui y cherchent de l’emploi, obtiennent des nouvelles infrastructures (réseau d’alimentation en eau potable et électricité) et équipements (services sanitaires ou par exemple le centre de formation professionnelle à Calingasta). Les fidéicommis exigés par la province aux entreprises et les fonds reversés par elles aux municipios ont permis ces nouvelles dynamiques.
Le suivi environnemental des activités productives minières est défini par le Diagnóstico de Impacto Ambiental (DIA), soumettant l’exploitation à des conditions de contrôle spécifiques. Pour la mine Casposo par exemple, les relevés environnementaux sont réalisés de manière systématique tous les 5 jours pour la qualité de l’air et tous les 15 jours pour les niveaux piézométriques ainsi que pour la qualité de l’eau du puits de 100 m de profondeur situé en contrebas du système de stockage des déchets résultant du traitement des minéraux (depósito de cola).
La question de la pollution de l’eau a toutefois engendré un grand nombre de plaintes, mais afin de montrer les efforts effectués pour le respect de la qualité de l’eau, les mines de Casposo et de Gualcamayo organisent des campagnes de contrôle participatives, associant les communautés aux prélèvements d’eau dans les différents points de contrôle du bassin versant. Les représentants des communautés suivent étape par étape le processus, depuis l’extraction jusqu’à l’analyse des résultats. Les participants sont généralement des habitants de Calingasta qui se rendent à San Juan ou à Buenos Aires aux frais de la mine pour se porter garant de l’intégrité des échantillons prélevés. La mise en place de cette participation a permis de légitimer les processus d’utilisation des produits chimiques toxiques tels que le cyanure[33]. Dans la mine Casposo, par exemple, sont consommés environ 2,4 t de cyanure[34] par jour, produit en Suisse par la compagnie Dupont, introduit par le port de Buenos Aires et acheminé par camion.
Cette politique de « porte ouverte » n’est pas partagée par les mégaprojets. Cette situation n’est pas exclusive à la province de San Juan, la taille et l’échelle d’exploitation semblent influencer le degré de transparence et d’accès aux données et aux chantiers miniers.
L’activité est également accusée de prélever un volume d’eau important en amont des exploitations agricoles bien qu’elle consomme moins d’1 % de l’eau utilisée (contre 91 % pour l’agriculture et 2,8 % pour l’alimentation en eau potable)[35]. En particulier, la mine Casposo se sert d’un aqueduc de 8,5 km provenant de la Quebrada Vallecito et utilise environ 2,1 l/s des 11,1 l/s que leur accorde la concession. À chaque étape, l’eau utilisée est récupérée et traitée pour être réutilisée, ce qui permet de réduire la consommation, mais également de limiter les risques de pollution.
Dans le cas de Casposo, le système de stockage des déchets résultant du traitement des minéraux (depósito de cola) est construit sur 5 mètres de stériles imperméabilisés par une couche d’argile et une membrane. Quand il pleut, l’eau en contact avec les résidus est drainée par ce dispositif vers deux bassins de rétention en série dans lesquels la qualité de l’eau est contrôlée à chaque écoulement. Le plan de monitoreo[36] oblige à présenter tous les résultats du suivi environnemental (qualité de l’air, de l’eau, des vibrations, évolution de l’écosystème) à la Comisión Evaluadora Multidisciplinaria Ambiental (CEMAM) dépendant de l’Autoridad Ambiental Minera pilotée par le Ministère des Mines qui élabore un rapport final unique en incluant toutes les données fournies par les membres de la Commission. Ces contrôles, nécessaires restent cependant souvent discrédités par les associations, les processus de vérification et de suivi n’étant pas toujours accessibles au public[37].
Commentaires finaux
En Argentine, l’activité minière a connu un véritable essor entre les années 2000 et 2008, à partir de cette date elle a été freinée. Différents facteurs rendent moins facile ou moins rentables l’exploitation des minerais :
– 1) les investissements réalisés avec un prix de l’once d’or extrêmement haut ont été réduits avec la diminution progressive des taux sur les marchés mondiaux[38] et l’augmentation parallèle du coût des matières premières telles que l’acier et du pétrole dont dépendent toute la machinerie ;
– 2) l’inflation et les restrictions imposées à l’importation et au transfert de dollars à l’étranger – mesures qui auraient pour objectif d’augmenter les réinvestissements dans le pays – ont freiné les investissements étrangers puisque le capital investi devient moins rentable pour les actionnaires ;
– 3) les mobilisations de la société civile, de plus en plus importantes – encouragées par le mouvement des autoconvocados –, ralentissent ou bloquent la mise en opération des plus gros projets comme le montrent les mobilisations de Famatina (La Rioja) en 2012 ou celles contre le projet de Pascua Lama.
Des territoires jusqu’alors considérés comme des territoires à la marge, se trouvent placés au centre des stratégies d’entreprises transnationales, directement connectées aux réseaux de la mondialisation. Ces territoires, dont les populations sont parmi les plus pauvres, obtiennent lors de l’installation de telles activités des moyens financiers importants. Toutefois les relations de pouvoir à toutes les échelles sont des rapports de force dissymétriques : l’État national voit dans les entreprises transnationales une source d’investissements directs étrangers importants qui imposent dans une certaine mesure leurs conditions ; les politiques publiques de la province de San Juan sont également encline à envisager l’installation de ces entreprises comme une opportunité de développement et une source de financement de projets ; à l’échelle locale, la question est souvent plus délicate pour les communautés locales, car ce sont les populations les plus vulnérables et celles qui seraient le plus directement affectées par les conséquences que peuvent engendrer de telles exploitations. Se lisent donc dans ces jeux d’acteurs et d’échelle, les complexes rapports Nord/Sud nés de la mondialisation.
Dans la province de San Juan, depuis le début de l’activité minière, les rapports de force des différents acteurs ont connu une série d’ajustements permettant de retenir des devises supplémentaires. L’objectif est de permettre un développement local et non plus de fonctionner uniquement dans une logique d’extraction minière créant finalement assez peu d’emplois. Le développement territorial, dans le domaine de l’énergie est relativement positif, l’activité ayant permis de développer un réseau de connexion et d’approvisionnement permettant de répondre à la demande, et de lancer des chantiers innovants dans le domaine des énergies renouvelables. Il reste à noter que cet article est le fruit d’une recherche en cours, dans un pays fédéral qui mériterait l’étude de l’activité minière dans d’autres provinces de la Cordillère.
Notes:
[1] Maître de Conférences, Université de Savoie, UMR 5204 EDYTEM, Campus Scientifique, F73376 Le Bourget-du-Lac, marie-emilie.forget@univ-savoie.fr.
[2] Chercheuse, Centro de Estudios Urbanos y Regionales, CONICET (Argentine), Saavedra 15, 6° piso, Ciudad de Buenos Aires, scarrizo@conicet.gov.ar.
[3] « Inversión Pública y Servicios de la Nación », Dirección Nacional de Minería de la Secretaría de Minería du Ministerio de Planificación Federal, 2011.
[4] D. SZABLOWSKI, Transnational law and local struggles : mining, communities, and the World Bank, Ed. Hart,,Oxford, 2007 ; H. ALIMONDA (sous la dir), La naturaleza colonizada: ecología política y minería en América Latina, CLASCO Libros, Ediciones Ciccus, Buenos Aires, 2011,.
[5]Voir ROJAS & asociados : http://www.argentinamining.com.
[6] INDEC, « Evolution de la distribution fonctionnelle des revenus, 2011 », (source des données Sistema Integrado de Jubilaciones y Pensiones) http://www.indec.gov.ar/nuevaweb/cuadros/17/cgi_03_11.pdf.
[7] Exploitation minière à grande échelle sous la forme de mines à ciel ouvert exploitant des gisements de très faible concentration avec une emprise au sol qui peut atteindre jusqu’à 1000 ha et une profondeur de 200 à 800 m.
[8] Chaque million de dollars investis dans cette activité ne créée qu’entre 0,5 et 2 emplois directs. S. HERNÁNDEZ, “Sistemas Legales de Apoyo a la Pequeña y Mediana Minería”, voir : http://www.panoramaminero.com.ar/sergio%20Hernandez.
doc.
[9] COLECTIVO VOCES DE ALERTA, 15 Mitos y Realidades de la minería transnacional en Argentina Guía para desmontar el imaginario prominero, 2011.
[10] V. DOÑA, “Empredimientos Energéticos Ejecutados, en Ejecución y en Proyecto”, Documento de Trabajo, Resumen EPSE para Tiempo Argentino, Energía Provincial Sociedad del Estado, 2013.
[11] La province de San Juan possède deux rivières pour son approvisionnement en eau : le Jáchal (25 000 km² de bassin versant, 10 m3/s de module soit à 325 hm3/an) et le San Juan (25 670 km², 63 m3/s de module soit 1960 hm3/an).
[12] On considère le minéral boca de mina un minéral extrait, transporté et/ou stocké avant toute transformation. Sa valeur est estimée dans la première étape de sa commercialisation en déduisant les coûts directs ou opératifs pour amener le minéral à cette étape exceptant les coûts inhérents à l’extraction.
[13] COLECTIVO VOCES DE ALERTA, opus cité, 2011.
[14] Le Proyecto de Apoyo al Sector Minero est financé entre 1996 et 2001 par l’État argentin, la Banque Mondiale et la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement.
[15] Le Consejo Federal de Mina est créé par la Loi nationale de réorganisation minière (Nº 24224) de 1993, dans le but de construire des scénarios d’investissement.
[16] M. DENOËL, Perceptions du territoire et mega-mineria argentine : au croisement du néo-extractivisme et du post-extractivisme, Mémoire de Master 2, M. Guibert (dir), Université Toulouse 2 Le Mirail, 2014.
[17] Lingots non raffinés qui sont constitués par l’amalgame des minéraux extraits par lixiviation de la roche mère et qui se compose d’or et de minéraux secondaires tels que l’argent ou le cuivre.
[18] M. SVAMPA, “Consenso de los commodities, giro ecoterritorial y pensamiento crítico en America Latina”. Revista del OSAL, « Movimientos socioambientales en America Latina », 32, 2012.
[19] MINISTERIO DE ECONOMÍA Y FINANZAS PÚBLICAS, “El Mercado Electrico Argentino”, Informe económico n°70, Nota Técnica n° 22, 2009 ; ASOCIACIÓN DE DISTRIBUIDORES DE ENERGÍA ELÉCTRICA DE LA REPÚBLICA ARGENTINA (AADERA), “Informe Anual”, 2013.
[20] AADERA, opus cité.
[21] Mining Press, “La línea eléctrica. Energia para todos”, Edicion especial Mina Gualcamayo La nueva mina de San Juan, Editorial V&C Visual, 2008.
[22] 31 millions $ ont été apportés par le fond Plan d’Infrastructure Electrique provinciale, 26 par la Nation et 15 par Troy Ressource.
[23] MINING CLUB ARGENTINA, “Con aporte de Casposo San Juan sumo línea eléctrica clave”, 14 déc. 2011.
[24] YPF, “Una solución energética para la minería”, Panorama minero, n° 408, oct 2013, pp 145-146.
[25] BARRICK GOLD, « Nueva planta solar en Veladero”, Somos Barrick, juin 2012, Disponible en ligne.
[26] M. DESHAIES, « Grands projets d’exploitation minière et stratégie des firmes pour se rendre environnementalement acceptables », L’Espace Politique, 2011, disponible en ligne : http://esacepolitique.revues.org/2113.
[27] BARRICK GOLD, opus cité, 2012.
[28] V. DOÑA, opus cité, 2013.
[29] voir http://sanjuan.gov.ar/printerFriendly.aspx?nId=9271
[30] L. WAGNER, Problemas ambientales y conflicto social en Argentina: Movimientos socioambientales en Mendoza. La defensa del agua y el rechazo a la megaminería en los inicios del siglo XXI. Thèse de doctorat, Université nationale de Quilmes, 2010.
[31] L. URKIDI, “A glocal environmental movement against gold mining: Pascua–Lama in Chile”, Ecological Economics, n° 70, 2010, p. 219-227.
[32] COLECTIVO VOCES DE ALERTA, opus cité, 2011.
[33] M. AUBERTIN, B. BUSSIERE, L. R. BERNIER, « Environnement et gestion des rejets miniers », CD-ROM, Presses internationales de Polytechnique, Corporation de l’École Polytechnique de Montréal, Montréal, 2002 ; G. BRIDGE, “Contested terrain: Mining and the Environment”, Annual Review of Environment and Resources, Vol. 29, nov. 2004.
[34] 500 gr par tonne de minéral traité, sachant que 1600 t de minéral est traité tous les jours permettant d’obtenir en moyenne 9 000 onces d’or par mois.
[35] A. PEREZ, “ Agua y Minería, una relación conflictiva”, Futuro sustenable, n° 34 sept_oct 2006.
[36] Plan de suivi de la mine.
[37] COLECTIVO VOCES DE ALERTA, opus cité, 2011.
[38] Le prix de l’once a chuté en 2014 à 1225 dollars après avoir atteint 1800 dollars l’once les années précédentes.