Un exemple dans la zone grise de la mondialisation : l’affaire du Probo Koala

160Avant-propos de la rédaction

Le rapport présenté ci-après a été diligenté par le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU et rédigé par M. Okechukwu Ibeanu, Rapporteur spécial, qui l’a présenté à l’Assemblée générale du 3 septembre 2009[1] après des missions en Côte d’Ivoire (4 au 8 août 2008) et aux Pays-Bas (26 au 28 novembre 2008).

Il a semblé intéressant à la rédaction de publier ce rapport dans le cadre du dossier du présent numéro pour au moins deux grandes raisons.

Tout d’abord, ce texte dresse un état détaillé de la catastrophe humaine qui a fait à Abidjan, entre août 2006 et juillet 2007, 17 morts et de l’ordre de 100 000 intoxiqués par des émanations de déchets dont la provenance a été attribuée au cargo Probo Koala affrété par la société Trafigura. Par cette description est mis en évidence une de ces zones grises évoquées dans l’éditorial entre le licite et l’illicite. Cet événement en constitue une illustration paroxysmique puisque des personnes appartenant et/ou gérant des organisations et des institutions parfaitement légales dont les activités sont encadrées par des règles, des codes juridiques précis, se sont retrouvées mêlées à une affaire dont les conséquences sont condamnables. Des actions illicites ont-elles dès lors été commises ? En ce sens, cette affaire peut apparaître comme un cas d’école puisque chaque partie prenante, chaque maillon dans l’enchaînement des événements et des actions prétend ne s’être comporté que dans le respect des règlements nationaux et internationaux en vigueur. Quelques maladresses ou décisions un peu rapides ont pu être admises, mais rien de fondamental. Trafigura a d’ailleurs contesté, puis minimisé le lien entre les déchets du Probo Koala et les conséquences humaines qui ont été observées.

C’est le second intérêt de ce rapport que d’essayer de démêler cet enchevêtrement de non responsabilité, les faits eux-mêmes donnant lieu à des interprétations contradictoires. Un paradoxe pourrait d’ailleurs être évoqué ici simplement pour susciter la réflexion des lecteurs. Si Yves Achille centre son analyse sur les organisations criminelles développant des actions illicites, l’illicite dans l’exemple présent semble ressortir finalement de la non organisation ( tout au moins apparente et/ou entretenue pour maintenir des zones de flou, la main invisible du crime en quelque sorte ). Ce rapport est donc un moment important dans l’histoire de cet épisode car il constitue une pièce dans la recherche de la manifestation de la vérité qui est encore cherchée aujourd’hui.

Au moment où il écrit, le Rapporteur spécial sait, et cela explique ses précautions, que les personnes soupçonnées d’être les principaux responsables de la catastrophe, en particulier les dirigeants de Trafigura, ont bénéficié d’un non lieu ou ont été acquittées à l’issue du procès qui s’est tenu à Abidjan en septembre-octobre 2008 ( cf. Annexe 1 pour la liste ). Cependant, il est à noter que Trafigura avait passé avant un accord financier avec le gouvernement ivoirien portant sur 152 millions d’euros en échange d’un abandon des poursuites[2]. Ce rapport laisse néanmoins à penser que le droit des victimes n’a guère été respecté. Dès lors, d’autres organisations se sont en partie appuyées sur cet exposé ( considéré par Trafigura comme sans fondement ) pour relancer des actions juridiques dans d’autres pays.

En Grande-Bretagne, une class action menée par des associations de victimes et soutenue par des organisations non gouvernementales (ONG), comme la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme a finalement débouché sur une transaction financière « à l’amiable », Trafigura versant 33 millions d’euros en septembre 2009 ( la destination et la répartition des sommes restent encore aujourd’hui opaques ). La justice française ne semble pas avoir encore donnée suite aux demandes de poursuites visant les dirigeants français de Trafigura. Seule la justice néerlandaise a condamné Trafigura à une amende d’un million d’euros pour exportation illégale de produits toxiques en juillet 2010, confirmé en décembre 2011, mais n’a pas voulu se prononcer sur les événements d’Abidjan ce qui reste central. La pression d’ONG reste donc forte pour que les poursuites ne soient pas éteintes à travers la publication de nouveaux rapports comme celui de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’homme (FIDH) en 2011[3] ou encore plus récemment avec celui d’Amnisty International et Greenpeace[4] en septembre 2012 faisant d’ailleurs suite à la décision de la Cour d’appel d’Amsterdam du 30 janvier 2012 d’autoriser les poursuites contre le président de Trafigura.

Si cet exemple est emblématique, il ne doit cependant pas faire oublier la circulation de déchets toxiques, massive et banalisée, qui constitue une menace permanente.

Pour finir, une précision un peu technique est ici utile pour situer la polémique sur la nature des déchets transportés par le Probo Koala. S’agissait-il simplement « d’eaux usées » ( slops ) liées au nettoyage des cuves d’hydrocarbures ( leur déversement n’en est pas moins interdit ) ou de produits très toxiques ( il a été établi la présence de sulfure d’hydrogène, gaz mortel ) ? Dans ce dernier cas se pose la question de l’origine de ce produit.

La FIDH indique dans son rapport que « le navire Probo Koala[5] a transporté du coker naphtha et du mercaptan (thiol), ainsi que du soufre, de la soude caustique, depuis le Texas. […] La présence de ces produits chimiques était due au fait que la société Trafigura s’était préalablement livrée à des opérations de transformation de naphte à bord du Probo Koala, en pleine mer : au lieu d’extraire le soufre dans une raffinerie terrestre, les courtiers en pétrole le font faire sur des bateaux, à l’aide d’adjuvants chimiques, l’objectif étant de produire une essence à moindre coût »[6]. L’essence ainsi obtenue a une teneur en souffre supérieure aux normes du Nord, elle est donc vendue au Sud qui, finalement, hérite aussi des déchets de l’opération…

 

Rapport du Rapporteur spécial sur les conséquences néfastes des mouvements et déversements de produits et déchets toxiques et nocifs pour la jouissance des Droits de l’homme

M. Okechukwu Ibeanu

 

 

I. Introduction 

Le Rapporteur spécial sur les conséquences néfastes des mouvements et déversements de produits et déchets toxiques et nocifs pour la jouissance des Droits de l’homme s’est rendu en Côte d’Ivoire, du 4 au 8 août 2008, et aux Pays-Bas, du 26 au 28 novembre 2008.

  • Ces deux visites ont été effectuées dans le cadre de l’examen par le Rapporteur spécial des conséquences pour la jouissance des droits de l’homme des mouvements des produits et déchets toxiques et nocifs du navire Probo Koala et de leur déversement à Abidjan le 19 août 2006 et les jours suivants. Le Probo Koala avait été affrété par la société de négoce de matières premières Trafigura et avait fait escale, notamment, à Amsterdam, avant de faire route vers la Côte d’Ivoire. Les conclusions formulées à l’issue de ces deux visites sont ainsi présentées en un rapport unique et complet.
  • Au cours de sa mission en Côte d’Ivoire, le Rapporteur spécial s’est entretenu avec des représentants du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de l’environnement et des eaux et forêts, du Ministère de la justice et des droits de l’homme, du Ministère de la production animale et des ressources halieutiques, du Ministère de la ville et de la salubrité urbaine, du Ministère de la santé et de l’hygiène publique, du Cabinet du Premier Ministre, de la Commission parlementaire de l’environnement, du Gouverneur du district d’Abidjan, du Bureau exécutif de la Commission nationale des Droits de l’homme de Côte d’Ivoire, du Bureau du Procureur de la République et du Centre ivoirien antipollution (CIAPOL), ainsi qu’avec le Président de la Commission internationale d’enquête sur les déchets toxiques déversés dans le district d’Abidjan et le Président de la Commission nationale d’enquête sur le déversement des déchets toxiques dans le district d’Abidjan, avec des représentants de l’Office national de la protection civile, de la Chambre de commerce et d’industrie, du Port autonome d’Abidjan, de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) et du Comité international de la Croix-Rouge, avec le chef du village d’Akouédo, avec des représentants de la société civile et avec des victimes. Le Rapporteur spécial a également pu se rendre sur certains des sites où des déchets du Probo Koala ont été déversés, dans les districts d’Abobo et d’Akouédo, à la Route d’Alépé et à Vridi.
  • Au cours de sa mission aux Pays-Bas, le Rapporteur spécial a rencontré des représentants du Ministère des affaires étrangères, du Ministère des transports et de son Inspection, du Ministère du logement, de l’aménagement du territoire et de l’environnement et de son Inspection et du Conseil municipal de la ville d’Amsterdam, ainsi que le maire d’Amsterdam et des représentants du Port d’Amsterdam, des Services portuaires d’Amsterdam et de Saybolt International, des parlementaires membres de la Commission permanente sur l’environnement, des représentants du ministère public, des universitaires, des avocats et des membres de la société civile. Le Rapporteur spécial s’est en outre entretenu avec le directeur de Trafigura et avec son avocat, ainsi qu’avec un conseiller extérieur désigné par Trafigura pour mener une enquête indépendante sur l’incident du Probo Koala. Avant de se rendre aux Pays-Bas, le Rapporteur spécial s’était déjà entretenu, le 10 septembre 2008, avec des représentants de Trafigura à Genève.
  • Les deux visites ont été effectuées à l’invitation des Gouvernements respectifs des deux pays. Le Rapporteur spécial tient à remercier le Gouvernement ivoirien et le Gouvernement néerlandais pour leur invitation et pour leur coopération à cette occasion.
  • Concernant sa mission en Côte d’Ivoire, le Rapporteur spécial souhaite remercier le Ministère ivoirien de l’environnement et des eaux et forêts, qui a joué le rôle principal dans l’organisation de la visite. Il tient également à exprimer sa reconnaissance à l’ONUCI et à sa Division des Droits de l’homme pour leurs efforts inlassables et pour l’appui qu’elles lui ont fourni tout au long de sa visite. Il exprime en outre sa sincère gratitude aux représentants de la société civile, notamment aux victimes et aux associations représentant leurs intérêts, qui ont pris le temps de s’entretenir avec lui au cours de sa mission et au sujet de celle-ci.
  • Pour ce qui est de sa mission aux Pays-Bas, le Rapporteur spécial souhaite remercier le Ministère des affaires étrangères pour le rôle moteur qu’il a joué dans l’organisation de sa visite. Il tient aussi à remercier tout particulièrement la Commission parlementaire permanente de l’environnement pour sa participation active et sa coopération tout au long de sa mission.
  • On trouvera dans le présent rapport les conclusions et recommandations formulées par le Rapporteur spécial à l’issue de ces deux visites. Le Rapporteur spécial, après avoir présenté les objectifs des missions ainsi que les normes internationales qui lui ont servi de cadre d’analyse, y décrit brièvement la succession des événements qui ont conduit au déversement à Abidjan des déchets du navire Probo Koala, les conséquences de ce déversement pour la jouissance des Droits de l’homme et les mesures prises par les responsables concernés et les autres parties prenantes. Le rapport s’achève par une série de recommandations portant sur les mesures qui doivent encore être prises pour permettre aux victimes et à leur famille de réaliser leurs droits.

II. But des visites et cadre d’analyse 

  • Les deux visites avaient essentiellement pour buts :
  • a) d’examiner les conséquences néfastes pour la pleine jouissance des droits de l’homme des mouvements et déversements des déchets du Probo Koala ;
  • b) de procéder à une évaluation des mesures prises par les responsables concernés et les autres parties prenantes fondée sur les obligations et responsabilités qui leur incombent en vertu du droit international des Droits de l’homme et du droit de l’environnement ;
  • c) de recenser les enseignements à tirer de cet incident et de recommander de nouvelles mesures pour garantir la pleine réalisation du droit des victimes à un recours utile et à réparation.
  • Bien que le Rapporteur spécial constate qu’un certain nombre d’États et de tierces parties sont impliquées dans les mouvements et déversements des déchets du Probo Koala, il se borne, dans le présent rapport, à évaluer les mesures prises par le Gouvernement néerlandais, le Gouvernement ivoirien et la société Trafigura. Ces limites, si elles sont imposées par les contraintes d’ordre pratique et financier qui pèsent sur la capacité du Rapporteur spécial à mener des missions de pays, tiennent également au rôle central que ces trois parties ont joué selon lui dans l’incident considéré.
  • Le Rapporteur spécial tient à souligner que ses visites n’avaient pas pour but de formuler des conclusions sur la question de la responsabilité éventuelle des différentes parties concernées au regard du droit pénal et du droit civil. Il n’ignore pas que Trafigura conteste actuellement les conséquences du déversement dans le cadre de procédures judiciaires engagées dans plusieurs pays, dont les Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, et il souligne que la question de la responsabilité n’entre pas dans le champ de son mandat. Son rapport est donc axé sur les droits des victimes de l’incident.
  • Pour évaluer le degré de réalisation des droits de ces personnes, le Rapporteur spécial se fonde en particulier sur les normes internationales relatives aux Droits de l’homme suivantes :
  • a) le droit à la vie, tel qu’il est consacré, notamment, par l’article 3 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme et par l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
  • b) le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, tel qu’il est énoncé, notamment, au paragraphe a) de l’article 25 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme et à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
  • Les principes que le Rapporteur spécial estime également être d’une grande importance pour garantir que la gestion des produits et déchets toxiques et nocifs en général soit fondée sur une approche axée sur les Droits de l’homme, et qu’il a pris en compte dans son analyse, sont ceux de la responsabilité, de la transparence, de l’accès à l’information et de la participation. Ces principes reposent sur le droit à un recours utile, le droit à la liberté d’expression et le droit de prendre part à la direction des affaires publiques, tels que consacrés, respectivement, par le paragraphe 3 de l’article 2 et les articles 19 et 25 du Pacte international relatif aux Droits civils et politiques.
  • Le Rapporteur spécial a également tenu compte des normes environnementales internationales pertinentes, celles-ci régissant notamment le transport de déchets dangereux et la prévention de la pollution marine. Il fait référence, à cet égard, à la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination (1989), qui instaure une procédure de consentement préalable en connaissance de cause applicable à de tels mouvements et prévoit que toutes les mesures possibles sont prises pour s’assurer que les déchets dangereux et autres déchets sont gérés de manière à protéger la santé des populations et l’environnement des effets nocifs qu’ils pourraient avoir. Le Rapporteur spécial fait également référence à la Convention internationale de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, telle que modifiée par le Protocole de 1978 qui s’y rapporte (Convention MARPOL).
  • Tant la Côte d’Ivoire que les Pays-Bas sont parties aux principaux traités internationaux relatifs aux Droits de l’homme ayant un rapport avec le mandat du Rapporteur spécial, ainsi qu’aux instruments internationaux susmentionnés relatifs aux déchets dangereux et à la prévention de la pollution par les navires ; ils sont donc tenus d’en mettre en oeuvre et d’en respecter les dispositions.
  • Pour ce qui est des responsabilités en matière de Droits de l’homme des sociétés transnationales et d’autres entreprises commerciales telles que Trafigura, elles découlent d’un ensemble évolutif de normes inscrites tant dans le système international des Droits de l’homme qu’hors de ce système. Ces normes comprennent le cadre « protéger, respecter et réparer », qui a été élaboré par le Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question des Droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises[1]. Ce cadre met l’accent sur l’obligation de protection incombant à l’État lorsque des tiers, y compris des entreprises, portent atteinte aux Droits de l’homme. Cela suppose des politiques, des règles et des recours appropriés, sur la responsabilité incombant aux entreprises de respecter les Droits de l’homme, ce qui signifie, pour l’essentiel, de faire preuve de diligence raisonnable pour s’assurer de ne pas porter atteinte aux droits d’autrui, et sur la garantie d’un meilleur accès des victimes à des recours effectifs, tant judiciaires que non judiciaires[2].
  • Parmi les sources de référence pertinentes ne relevant pas du cadre des mécanismes internationaux relatifs aux Droits de l’homme figurent les Principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l’intention des entreprises multinationales. Ces principes directeurs sont des recommandations adressées conjointement par des gouvernements aux entreprises multinationales, qui sont invitées à « respecter les Droits de l’homme des personnes affectées par leurs activités, en conformité avec les obligations et les engagements internationaux du gouvernement du pays d’accueil ».
  • Le Rapporteur spécial estime que ces principes et normes régissant les bonnes pratiques et le cadre « protéger, respecter et réparer » élaboré par le Représentant spécial du Secrétaire général fournissent des éléments d’appréciation fiables permettant d’évaluer les responsabilités de Trafigura en matière de Droits de l’homme et la mesure dans laquelle la Côte d’Ivoire et les Pays-Bas se sont acquittés de leur devoir de protéger dans le contexte des mouvements et déversements des déchets du Probo Koala en Côte d’Ivoire. Le Rapporteur spécial fait en outre observer que Trafigura est liée par la législation nationale du pays dans lequel elle mène ses activités, laquelle peut comporter des règles et règlements portant application des dispositions de la Convention de Bâle.

III. Rappel des événements ayant conduit au déversement de déchets à Abidjan 

  • L’exposé ci-après des événements ayant conduit au déversement de déchets à Abidjan en août 2006 ne saurait être exhaustif. Il ne vise qu’à servir de base à l’analyse des conséquences de l’incident pour la jouissance des Droits de l’homme et des mesures pertinentes prises par les responsables concernés et les autres parties prenantes conformément à leurs obligations et responsabilités internationales en matière de Droits de l’homme.
  • Comme il a été indiqué précédemment, les déchets déversés à Abidjan provenaient du navire Probo Koala. Ce type de navire transporte généralement du minerai, des hydrocarbures et des marchandises en vrac de tout type. Il est doté de deux citernes de décantation destinées à la collecte des résidus des cargaisons, des eaux de lavage des citernes et des mélanges d’hydrocarbures. Outre les hydrocarbures, le Probo Koala était également autorisé à transporter de l’hydroxyde de sodium sous forme liquide (soude caustique), qui peut être utilisé pour retirer les mercaptans[3] de l’essence de base et des essences et pour nettoyer et dissoudre les résidus pétroliers.
  • Le Probo Koala, qui bat pavillon panaméen, a été affrété par la société Trafigura en octobre 2004. Trafigura est l’une des plus grandes entreprises du monde de négoce de matières premières dans le secteur de l’énergie. Ses activités portent sur l’ensemble des opérations d’approvisionnement et de négoce de pétrole brut, de produits pétroliers, d’énergies renouvelables, de métaux, de minerais métalliques et de concentrés destinés à la consommation industrielle. Trafigura compte 1 900 employés répartis dans 42 pays et son chiffre d’affaires, en 2008, s’élevait à 73 milliards de dollars des États-Unis.
  • Selon les informations communiquées par Trafigura, de l’essence de base a été transférée dans le Probo Koala en Méditerranée entre avril et juin 2006. Cette essence a été traitée à la soude caustique afin d’en réduire le taux de mercaptans, lesquels rendent impossible le mélange des produits pétroliers en vue de leur transformation en un produit négociable. Trafigura indique qu’après ce nettoyage à bord à la soude, les citernes de décantation du navire contenaient un mélange d’eau, d’essence de base et de soude caustique.
  • Le 30 juin 2006, alors qu’il faisait route vers le port de Paldiski, en Estonie, pour y décharger une partie de sa cargaison de carburant, le Probo Koala a fait escale dans le port d’Amsterdam pour faire le plein de carburant et décharger le contenu de ses citernes de décantation. Dans la nuit du 2 au 3 juillet 2006, un navire exploité par les Services portuaires d’Amsterdam, société spécialisée dans l’élimination des slops ayant des compétences dans le domaine du déchargement et du traitement d’un large éventail des déchets propres aux navires, y compris les slops relevant de la Convention MARPOL, a déchargé la première partie des déchets contenus dans les citernes de décantation du Probo Koala.
  • Les fortes odeurs émanant des déchets ont conduit les Services portuaires à en prélever un échantillon, qui a révélé une demande chimique en oxygène sensiblement supérieure à celle que cette société était autorisée et apte à traiter sur place, en sus d’une grande quantité de mercaptans, responsables de l’odeur nauséabonde dégagée. Le traitement nécessaire étant plus complexe et plus onéreux et ne pouvant être effectué qu’à Rotterdam, les Services portuaires d’Amsterdam ont établi, à l’intention de Trafigura, un devis révisé, qui tenait compte du degré de toxicité plus élevé des déchets révélé par l’analyse de l’échantillon et qui faisait passer le prix du traitement de 20 à 900 euros par mètre cube. Trafigura a refusé ce nouveau devis et a demandé que les déchets soient rechargés.
  • Le 5 juillet 2006, les Services portuaires d’Amsterdam ont rechargé les déchets et le Probo Koala a repris la mer pour Paldiski où, entre le 9 et le 13 juillet, il aurait déchargé 3 300 tonnes de pétrole et embarqué environ 26 000 tonnes d’essence sans plomb, à destination de Lomé (Togo) et de Lagos (Nigéria).
  • Le 19 août 2006, le Probo Koala a accosté à Abidjan. Par l’intermédiaire de sa filiale, Puma Energy Côte d’Ivoire, et avec l’aide de WAIBS, son agent maritime à Abidjan, Trafigura avait convenu avec une société qui venait d’être créée, Tommy Ltd., que celle-ci déchargerait et traiterait les slops contenus dans ses citernes de décantation. Cette société avait fait une offre de 30 dollars par mètre cube pour les déchets relevant de la Convention MARPOL, et de 35 dollars par mètre cube pour les résidus de produits chimiques, ce après quoi Trafigura avait donné ordre à WAIBS de prendre des dispositions pour décharger les déchets et pour coordonner l’opération avec Tommy Ltd.
  • Tommy Ltd. a loué 12 camions, qui ont déversé les déchets dans différents sites du district d’Abidjan entre le 19 août au soir et le 20 août 2006 au matin. Selon les indications fournies par l’Équipe des Nations Unies pour l’évaluation et la coordination en cas de catastrophe[4] dépêchée sur place à la demande du Coordonnateur des opérations humanitaires à Abidjan, il est possible qu’une nouvelle opération de déversement de déchets dangereux du même type ait eu lieu dans la nuit du 14 au 15 septembre.
  • Selon le Ministère ivoirien de la santé et de l’hygiène publique, on recenserait 18 points de déversement répartis sur huit sites. D’autres sites ont également été signalés. Aucun des sites de déversement ne disposait d’installations adaptées au traitement des déchets chimiques. Des odeurs suffocantes se sont dégagées de ces sites.
  • IV. Conséquences pour la jouissance des Droits de l’homme
  • Les habitants des zones proches des sites de déversement ont été directement exposés aux déchets par contact cutané et par inhalation de substances volatiles. Il y aurait eu en outre exposition secondaire par contact avec les eaux de surface et les eaux souterraines et, à terme, par la consommation d’aliments provenant de cultures issues des terres contaminées ou irriguées par des eaux contaminées.
  • Le 20 août 2006, des milliers de personnes se sont rendues dans des centres de soins de santé, se plaignant de nausées, de maux de tête, de vomissements, de douleurs abdominales, de réactions cutanées et d’atteintes diverses aux yeux, aux oreilles, au nez, à la gorge, aux poumons et à l’estomac. Certains résidents ont été contraints de fuir de chez eux et nombre d’entreprises ont été privées de recettes commerciales pendant une longue période après la contamination. De nombreuses manifestations ont eu lieu dans le district d’Abidjan. Des ONG ont indiqué au Rapporteur spécial, lors de sa visite en Côte d’Ivoire, que ces manifestations avaient souvent été dispersées de manière violente.
  • Selon les estimations officielles, 15 personnes sont décédées, 69 ont été hospitalisées et plus de 108 000 consultations médicales ont été dispensées à la suite de l’incident[5]. Des ONG ont indiqué au Rapporteur spécial, au cours de sa visite, que ces chiffres pourraient bien être plus élevés compte tenu des nouveaux décès et des effets à long terme sur la santé qui ont été signalés. Selon une évaluation du Ministère de la santé et de l’hygiène publique, le nombre de cas probables d’exposition aux déchets du Probo Koala s’élève à 63 296 tandis que le nombre de cas confirmés est de 34 408. À cet égard, les incidences des déversements des déchets du Probo Koala sur la jouissance des Droits de l’homme concernent essentiellement le droit à la vie et le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible.
  • Le Rapporteur spécial considère que la perte de la vie à la suite de mouvements et de déversements de déchets toxiques constitue une violation du droit à la vie. Dans son interprétation du droit à la vie au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des Droits de l’homme a souligné que « l’expression “le droit à la vie inhérent à la personne humaine” ne peut pas être entendue de façon restrictive, et que la protection de ce droit exige que les États adoptent des mesures positives »[6]. Se fondant également sur l’obligation juridique générale découlant de l’article 2 du Pacte, qui impose aux États parties de « prendre des mesures d’ordre législatif, judiciaire, administratif, éducatif et autres appropriées pour s’acquitter de leurs obligations juridiques » au titre du Pacte[7], le Rapporteur spécial estime que le droit à la vie impose aux États le devoir d’adopter toutes les mesures voulues pour garantir la gestion sûre et rationnelle des produits et déchets toxiques et nocifs tout au long de leur cycle de vie. En outre, le fait pour les États parties de ne pas prendre des mesures appropriées de prévention, d’enquête, de sanction et de réparation en cas de décès causé par des produits et déchets toxiques et dangereux est constitutif d’une violation du droit à la vie.
  • De l’avis du Rapporteur spécial, des obligations similaires incombent aux États en ce qui concerne les conséquences néfastes des mouvements et déversements de produits et déchets toxiques et dangereux pour la santé des populations. À cet égard, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a souligné que l’amélioration de tous les aspects de l’hygiène du milieu et de l’hygiène industrielle, en tant que composantes du droit à la santé, comprenait « les mesures visant à empêcher et réduire l’exposition de la population à certains dangers tels que radiations ou produits chimiques toxiques et autres facteurs environnementaux nocifs ayant une incidence directe ou indirecte sur la santé des individus »[8].
  • Le Rapporteur spécial est conscient que l’existence d’un lien de cause à effet entre les violations présumées des droits à la vie et à la santé, d’une part, et les déchets déchargés du Probo Koala puis déversés, d’autre part, n’a pas encore été pleinement établie. Il souligne à nouveau, à cet égard, qu’il n’entend nullement préjuger des décisions que pourront prendre les tribunaux saisis de l’affaire. Bien qu’il ne soit pas en position de formuler des conclusions quant à la composition exacte et à la toxicité des déchets en question, le Rapporteur spécial souhaite néanmoins faire les observations suivantes :
  • Premièrement, des informations communiquées par Trafigura, dont le Rapporteur spécial a pris note, indiquent que, de par leurs caractéristiques, les déchets du Probo Koala pouvaient avoir dégagé une odeur extrêmement désagréable, mais qu’ils ne pouvaient être à l’origine des multiples traumatismes, maladies et décès dont il est fait état.
  • Deuxièmement, l’analyse des échantillons prélevés à Amsterdam, lorsque le Probo Koala y était à quai, et à Abidjan, après l’incident, a montré que les déchets déversés du navire étaient de nature pétrochimique. Selon l’Équipe des Nations Unies pour l’évaluation et la coordination en cas de catastrophe qui s’est rendue en Côte d’Ivoire peu de temps après l’incident, de tels déchets « peuvent être nocifs pour la population et l’environnement en cas d’exposition à haut niveau »[9].
  • Troisièmement, une mission en Côte d’Ivoire, mandatée par le secrétariat de la Convention de Bâle pour faire suite à une demande d’assistance technique émanant de la Côte d’Ivoire, a conclu que « sur la base des informations disponibles, les déchets du Probo Koala montrent les caractéristiques de dangerosité de la Convention de Bâle »[10].
  • Sur la base de ces considérations, et compte tenu des répercussions immédiates sur la santé publique et de la proximité des sites de déversement des zones habitées par les personnes touchées, le Rapporteur spécial estime que les éléments disponibles, à première vue, donnent de bonnes raisons de penser que les décès et les conséquences néfastes pour la santé signalés sont liés au déversement des déchets par le Probo Koala. Il y a donc des motifs suffisants pour examiner, sous l’angle des Droits de l’homme, les mesures prises par les parties concernées avant, pendant et après le déversement des déchets en prenant également en considération les normes pertinentes applicables en matière de mouvements de déchets dangereux et de pollution marine.
  • V. Dispositions prises par les Pays-Bas, la Côte d’Ivoire et Trafigura
  •  Les conséquences néfastes qu’auraient eues les déversements des déchets du Probo Koala pour la jouissance des Droits de l’homme ont amené le Rapporteur spécial à se pencher sur les dispositions prises par les Pays-Bas, la Côte d’Ivoire et Trafigura avant, pendant et après le déversement, afin de déterminer dans quelle mesure ceux-ci se sont acquittés des obligations et responsabilités qui leur incombent respectivement en vertu du droit international des Droits de l’homme et qui ont été mentionnées précédemment.

A. Pays-Bas 

  • Le Rapporteur spécial a centré son attention sur deux aspects : a) les procédures suivies lors du déchargement interrompu des déchets et l’autorisation subséquente accordée au navire de se rendre en Estonie ; b) les mesures prises par le Gouvernement après que les déchets ont été déversés en Côte d’Ivoire, en particulier pour faire la lumière sur les faits et pour écarter le risque que des incidents de ce type se reproduisent à l’avenir.
  • S’agissant du premier point, le Rapporteur spécial note que, tant au niveau national qu’au niveau européen, la législation permet l’application des dispositions de la Convention de Bâle et de la Convention MARPOL. Les lois nationales pertinentes sont la loi sur la gestion de l’environnement et la loi sur la prévention de la pollution par les navires. La première relève de la compétence du Ministère du logement, de l’aménagement du territoire et de l’environnement et de son Inspection, la seconde de la compétence du Ministère des transports, des travaux publics et de la gestion de l’eau et de son Inspection.
  • Au niveau de l’Union européenne, la législation applicable comprend le règlement (CEE) no 259/93 du Conseil, tel que modifié, concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l’entrée et à la sortie de la Communauté européenne, lequel transpose les obligations énoncées par la Convention de Bâle dans la législation européenne. Le Rapporteur spécial note que les règlements sont obligatoires dans tous leurs éléments et directement applicables dans tous les États membres de l’Union européenne sans qu’il soit besoin de les transposer en droit national.
  • Les circonstances entourant le déversement des déchets du Probo Koala étaient inhabituelles. Premièrement, comme il est indiqué dans le résumé des événements, des incertitudes quant à la composition exacte et à la nature toxique des déchets sont apparues après qu’une partie des déchets du Probo Koala a été déchargée du navire. Deuxièmement, il s’en est suivi une discussion intense entre les autorités compétentes sur la question de savoir si les Services portuaires d’Amsterdam étaient, officiellement, les détenteurs des déchets et, partant, tenus de les éliminer selon des méthodes respectueuses de l’environnement. La situation était rendue encore plus complexe par l’absence d’accord entre Trafigura et les Services portuaires d’Amsterdam concernant le coût plus élevé demandé pour le traitement des déchets après analyse d’un échantillon, et par la demande subséquente de Trafigura de recharger les déchets à bord, situation qui a pu créer des incertitudes quant au cadre législatif applicable.
  • Dans ces circonstances, il aurait fallu inspecter le navire et analyser des échantillons pour établir l’origine et la composition exacte des déchets et ainsi déterminer quel était le cadre juridique applicable. Le Rapporteur spécial, s’il a bien été informé que les relevés d’hydrogène sulfuré montraient qu’il n’y avait pas de danger pour la santé de l’homme, qu’un échantillon avait été prélevé par l’Institut médico-légal des Pays-Bas, que la police nationale avait procédé à une inspection du navire et qu’une société d’évaluation avait fait des relevés, croit comprendre que les services concernés n’ont pas procédé à des inspections supplémentaires et que la possibilité d’immobiliser le Probo Koala n’a pas été pleinement envisagée.
  • La loi sur la gestion de l’environnement et le règlement (CEE) no 259/93 du Conseil fournissaient pourtant des motifs pour empêcher le rechargement des déchets déjà déchargés ainsi que le départ du navire. La loi sur la gestion de l’environnement, en particulier, interdit d’éliminer des déchets industriels ou dangereux en les transférant à un tiers qui n’a pas été autorisé à les recevoir conformément au paragraphe 2 de l’article 10.37 de ladite loi, ce qui soulève clairement la question de savoir si les Services portuaires d’Amsterdam avaient accepté les déchets qui avaient été déchargés et si le fait de les recharger constituait un mouvement transfrontière au regard du règlement (CEE) no 259/93 du Conseil. En outre, ce règlement n’autorise les mouvements de déchets dangereux vers un autre État membre de l’Union européenne que si le consentement en a été donné, tandis que l’exportation vers des pays qui ne sont pas membres de l’OCDE est interdite[11].
  • La loi sur la prévention de la pollution par les navires oblige le commandant d’un navire à amener les résidus de certaines catégories de substances nocives figurant dans l’annexe II de la Convention MARPOL à une installation portuaire de réception.
  • Si le Rapporteur spécial reconnaît que le cadre juridique pertinent est complexe et qu’il y a des incertitudes quant à sa juste application dans le cas du Probo Koala, il regrette qu’aucune des dispositions précitées n’ait été invoquée pour empêcher le rechargement des déchets à bord du Probo Koala et le départ de celui-ci, compte tenu en particulier de ce que le commandant du navire aurait fait des déclarations contradictoires sur la nature des déchets.
  • En ce qui concerne les mesures correctives prises par le Gouvernement après le déversement des déchets en Côte d’Ivoire, le Rapporteur spécial a pris note de plusieurs initiatives d’établissement des faits prises par les autorités locales et centrales. Parmi celles-ci figurent :
  • a) la réalisation d’une enquête par la Commission Hulshof, laquelle a été mise en place par la municipalité d’Amsterdam (voir le paragraphe 73) ;
  • b) l’établissement d’un compte rendu factuel et d’un résumé de la législation pertinente par l’Inspection du Ministère du logement, de l’aménagement du territoire et de l’environnement ;
  • c) l’émission d’un avis consultatif par le Conseiller parlementaire néerlandais.
  • Le Rapporteur spécial accueille avec satisfaction les mesures prises par le Gouvernement pour mettre en place un groupe de travail interministériel chargé de coordonner le suivi de l’affaire Probo Koala. Selon les informations qu’il a reçues, ces mesures comprennent l’élaboration d’un protocole pour les « situations inhabituelles », qui permettrait de définir les responsabilités et les processus de prise de décisions, et la réalisation d’une étude sur les moyens de mieux harmoniser les différents cadres juridiques concernés. Le Rapporteur spécial se félicite également des efforts déployés par le Gouvernement pour renforcer la coopération et la coordination entre les différentes inspections dans ce contexte.
  • Les considérations financières ayant, semble-t-il, été décisives dans la décision de recharger les déchets à bord du Probo Koala, le Rapporteur spécial encourage les Pays-Bas à envisager la création d’un fonds ou d’un autre mécanisme de financement dans le cadre de la mise en oeuvre des mesures prises à la suite de cet incident. Un tel instrument de financement permettrait d’assurer le déchargement et l’élimination dans de bonnes conditions des déchets toxiques et dangereux aux Pays-Bas lorsqu’il y a désaccord sur le paiement ou lorsque le transporteur des déchets n’est pas disposé à payer pour l’élimination de ces déchets selon des méthodes respectueuses de l’environnement et que l’inaction pourrait entraîner un risque sérieux qu’un dommage grave ou irréversible soit causé à la santé des populations et à l’environnement. Une fois les responsabilités établies par les tribunaux, le transporteur serait tenu de rembourser les frais engagés.
  • Le Rapporteur spécial constate néanmoins avec satisfaction que des mesures améliorées ont été prises pour éviter que de tels incidents se reproduisent. Il a, à cet égard, été informé qu’un incident similaire, impliquant un autre navire qui avait été affrété par Trafigura, s’était produit en 2007. Dans ce cas, l’Inspection du Ministère du logement, de l’aménagement du territoire et de l’environnement avait prélevé des échantillons et les déchets avaient été traités dans une usine de traitement des déchets toxiques après que les résultats de l’analyse de ces échantillons avaient été connus et que les autorités locales avaient donné l’autorisation de traiter ces déchets. Fait significatif, la société de récupération des déchets et Trafigura étaient arrivés à un accord sur le traitement des déchets.
  • Le Rapporteur spécial prend également bonne note de l’enquête menée par le ministère public, laquelle a débouché sur l’engagement de poursuites judiciaires contre Trafigura, le commandant du Probo Koala, les Services portuaires d’Amsterdam et la municipalité d’Amsterdam. Ces procédures sont actuellement en cours.
  • Au niveau international, le Rapporteur spécial est conscient de l’appui fourni par les Pays-Bas au déploiement de l’Équipe des Nations Unies pour l’évaluation et la coordination en cas de catastrophe à la suite du déversement des déchets en Côte d’Ivoire en 2006. Les Pays-Bas ont contribué financièrement à un projet mis en oeuvre par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) en partenariat avec le Ministère ivoirien de l’environnement et des eaux et forêts. Ce projet met l’accent sur l’élaboration d’un plan de gestion des déchets dangereux dans le district d’Abidjan et sur le renforcement des capacités en matière de gestion des déchets dans le port d’Abidjan, notamment le transfert de technologie en vue de renforcer les capacités techniques du Centre ivoirien antipollution.
  • Par ailleurs, le Centre régional de la Convention de Bâle pour les pays francophones d’Afrique, sis au Sénégal, met en oeuvre un volet régional du projet du PNUE afin de renforcer les capacités institutionnelles de la Côte d’Ivoire et d’autres pays. Ce volet comprend la fourniture d’une assistance technique aux fins de l’élaboration de normes et de règlements visant à combler les lacunes au niveau national, l’objectif général étant de renforcer la capacité de surveiller et d’encadrer les mouvements transfrontières de déchets et de produits chimiques dangereux.
  • Il serait utile et nécessaire que le Gouvernement néerlandais continue de prêter son concours au Gouvernement ivoirien, en particulier en lui faisant profiter de son savoir-faire technique, pour l’aider à faire face aux problèmes de soins de santé, de décontamination et autres qui doivent encore être résolus.

B. Côte d’Ivoire

  •  Le Rapporteur spécial, dans le cadre de sa visite en Côte d’Ivoire, a notamment examiné les procédures suivies avant et pendant le déversement des déchets du Probo Koala et évalué les mesures correctives adoptées par le Gouvernement après l’incident. Ces mesures portaient, entre autres choses, sur la décontamination, l’accès aux soins de santé, l’indemnisation et l’accès à la justice, éléments que le Rapporteur spécial estime être essentiels pour la réalisation du droit des victimes du déversement à un recours effectif et à réparation.
  • Les articles 19 et 28 de la Constitution ivoirienne garantissent le droit à un environnement sain. L’importation de déchets et de déchets dangereux en Côte d’Ivoire est interdite par la loi n° 88-651 du 7 juillet 1988 et par la loi-cadre n° 96-766 du 3 octobre 1996. En vertu de ces lois, l’importation non autorisée de déchets dangereux et de substances toxiques est constitutif d’une infraction pénale.
  • Le déversement des déchets du Probo Koala a fait apparaître des lacunes dans les procédures administratives destinées à empêcher l’importation de déchets dangereux et un non-respect de celles-ci en dépit des garanties juridiques mentionnées précédemment. En ce qui concerne le déchargement des déchets dans le port d’Abidjan, on retiendra, parmi les irrégularités constatées, l’octroi à Tommy Ltd. d’une licence l’autorisant à mener ses activités dans le port sans que sa demande ait fait l’objet d’une évaluation et d’un examen rigoureux. S’agissant de la question de l’inspection des navires, les autorités n’ont pas contrôlé la nature des déchets ni évalué leur incidence potentielle sur la santé des populations et sur l’environnement avant leur déchargement. Le Rapporteur spécial note, à cet égard, que le Centre ivoirien antipollution n’a pas de présence permanente dans le port d’Abidjan et qu’il n’est pas en mesure de procéder à des inspections systématiques des navires à quai.
  • S’agissant des mesures correctives prises après le déversement, un comité de crise a été mis en place sous la direction du Ministère de l’environnement et des eaux et forêts et une annonce officielle a été diffusée afin d’informer le public de l’emplacement exact des sites pollués, de souligner la nécessité de rester à l’écart de ces sites et de donner des indications concernant les centres de soins auxquels il était possible de se rendre pour faire des examens médicaux. Le Ministre de l’environnement et des eaux et forêts a également pris contact avec le secrétariat de la Convention de Bâle ; un comité interministériel sur les déchets toxiques a été créé, et un plan national de lutte contre les déchets toxiques a été élaboré pour répondre aux problèmes sanitaires, environnementaux et économiques urgents qui se posaient. La crise et les troubles sociaux importants qu’elle a entraînés ont conduit à la démission du Gouvernement le 6 septembre 2006.
  • En ce qui concerne les soins de santé, le Rapporteur spécial a pris note des informations communiquées par le Gouvernement, selon lesquelles des soins médicaux ont été dispensés gratuitement dans une cinquantaine de permanences d’accès, notamment des établissements de santé publics et privés, et dans des unités mobiles. Le Rapporteur spécial, au cours de sa visite, a été informé que ces permanences ne disposaient que rarement du matériel et des médicaments nécessaires pour traiter les patients. En outre, de nombreuses personnes, en particulier parmi celles qui vivent à proximité des sites pollués, souffrent encore de problèmes de santé. Des effets néfastes sur les femmes enceintes et sur les enfants, notamment des fausses couches et des naissances d’enfants mort-nés, ont également été signalés. La surveillance des effets à long terme sur la santé de la population et la fourniture de soins aux plus vulnérables restent donc nécessaires.
  • Pour ce qui est de la décontamination, le Gouvernement a confié les opérations de nettoyage à Séché, groupe français qui est intervenu par l’intermédiaire de sa filiale Trédi International. Celle-ci, dans le district d’Abidjan, a extrait 9 300 tonnes de terre et de liquide contaminés, qui ont été expédiés en France et incinérés dans une usine spécialisée appartenant à Trédi[12]. Il a été indiqué au Rapporteur spécial que huit sites avaient été décontaminés de cette manière. Il n’avait toujours pas, cependant, été procédé à une décontamination complète.
  • Le Gouvernement a invité les victimes à s’inscrire sur une liste officielle en vue d’être indemnisées. Cependant, des controverses ont éclaté, concernant l’exactitude de ces listes, qui ont été dressées à partir d’informations fournies par les hôpitaux publics. En effet, de nombreuses personnes n’ont pas été enregistrées car elles se sont adressées à des cliniques non homologuées par l’État ou à des guérisseurs traditionnels. En outre, certaines victimes n’ont pu être enregistrées car elles n’avaient pas de carte d’identité officielle.
  • Il a été porté à la connaissance du Rapporteur spécial que certaines victimes avaient été indemnisées, tandis que d’autres ne l’ont pas été ou ne l’ont été que partiellement. Les entreprises touchées, en particulier dans la zone industrielle de Vridi, affirment également qu’elles n’ont pas été suffisamment indemnisées. La lenteur du processus, le manque de transparence, la reconnaissance limitée accordée aux victimes et à leur souffrance sont particulièrement préoccupants dans ce contexte.
  • En février 2007, le Président de la Côte d’Ivoire a conclu un accord à l’amiable avec Trafigura. Sur la base de cet accord, Trafigura a versé 198 millions de dollars au titre du préjudice subi par l’État, du remboursement des frais de décontamination et de l’indemnisation des victimes. L’État s’est engagé à indemniser directement toute personne qui affirmait avoir subi un préjudice. Les associations de victimes ne semblent pas avoir été consultées avant la conclusion de cet accord, ce qui est très préoccupant, d’autant plus que celui-ci prévoit que l’État ivoirien renonce à toute action en responsabilité et en dommages intérêts en cours ou future. Le Rapporteur spécial a également reçu des plaintes concernant la répartition inéquitable des sommes perçues au titre de l’accord et du manque général de transparence quant à l’utilisation qui a en a été faite.
  • Pour ce qui est de l’accès à la justice, le Procureur de la République a procédé à une enquête sur l’incident, à la suite de laquelle des poursuites ont été engagées contre plusieurs personnes. En mars 2008, cependant, la cour d’appel a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour intenter une action pénale contre Trafigura. En octobre 2008, le propriétaire de Tommy Ltd. et un représentant de l’agent maritime WAIBS ont été respectivement condamnés à des peines d’emprisonnement de vingt et de cinq ans pour leur rôle dans l’incident ; sept autres personnes ont été acquittées. Une action collective pour dommages corporels est toujours en cours devant la High Court of Justice, au Royaume- Uni, dans le cadre de laquelle plus de 20 000 victimes disent avoir subi des dommages corporels du fait de leur exposition aux déchets du Probo Koala, exposition due aux actions de Trafigura.
  • En ce qui a trait à la question de la vérification des faits et de la divulgation de la vérité concernant l’incident, le Rapporteur spécial a pris note des rapports publiés par les commissions nationale et internationale d’enquête sur les déchets toxiques dans le district d’Abidjan et il engage le Gouvernement à donner suite aux recommandations que celles-ci ont formulées. Le Rapporteur spécial relève que ces rapports n’ont pas été largement diffusés.
  • Certaines mesures ont été prises pour prévenir de futurs déversements de déchets. Le Rapporteur spécial se félicite en particulier de l’initiative visant à élaborer un plan de gestion des déchets dangereux dans le district d’Abidjan dans le cadre du projet mentionné précédemment (voir le paragraphe 50), qui a été réalisé avec l’assistance du PNUE. Il convient de renforcer plus avant les capacités des institutions compétentes dans ce domaine. Dans le même temps, il ne sera possible d’assurer une prévention efficace que dans la mesure où ces initiatives s’accompagneront d’une réforme institutionnelle et d’un renforcement des autorités de contrôle indépendantes dans le domaine de la gestion des déchets.

C. Trafigura 

  • Dans le cadre de l’examen du rôle joué par Trafigura dans le déversement des déchets du Probo Koala, le Rapporteur spécial a centré son attention sur l’obligation qui incombe à l’entreprise de respecter les Droits de l’homme.
  • Il est souligné dans les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales (voir le paragraphe 17) que les entreprises doivent se conformer aux législations nationales et respecter les principes établis par les instruments internationaux pertinents. Le cadre général relatif aux entreprises et aux Droits de l’homme élaboré par le Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question des Droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises prévoit que les entreprises, outre qu’elles doivent se conformer aux lois nationales, doivent avant toute chose respecter les Droits de l’homme[13]. Cette obligation est indépendante des devoirs des États[14] et incombe aux entreprises même là où la loi nationale fait défaut[15].
  • Pour s’acquitter de cette obligation, les entreprises doivent faire preuve de diligence raisonnable, processus par lequel celles-ci non seulement veillent au respect des lois nationales, mais évaluent les incidences négatives que leurs activités peuvent avoir sur le respect des Droits de l’homme, les préviennent et y remédient. La portée du principe de diligence raisonnable est déterminée en fonction du contexte national dans lequel l’entreprise mène ses activités, des incidences sur les Droits de l’homme que peuvent avoir ces activités dans ce contexte et de la mesure dans laquelle les relations associées à ces activités peuvent être pour quelque chose dans des atteintes aux Droits de l’homme[16].
  • Le Rapporteur spécial estime que, pour déterminer si le principe de diligence raisonnable a été appliqué dans l’affaire Probo Koala, il faut examiner la question de savoir si Trafigura a pris toutes les précautions nécessaires pour prévenir toute éventuelle incidence négative sur les Droits de l’homme du déversement de ses déchets et si elle pouvait raisonnablement savoir que ses actions ou omissions contribueraient à la commission d’une violation des Droits de l’homme. De l’avis du Rapporteur spécial, ces précautions devaient être particulièrement importantes dans le cas de la Côte d’Ivoire en raison du climat d’insécurité qui y régnait et de la précarité de l’état de droit dans le pays du fait de la crise, qui avait débuté en 2002. Plusieurs accords politiques visant à résoudre cette crise ont été signés et mis en oeuvre, dont le plus récent est l’Accord politique de Ouagadougou du 4 mars 2007.
  • Dans ce contexte, le Rapporteur spécial estime que la mise en oeuvre du principe de la diligence raisonnable dans l’affaire du déversement des déchets du Probo Koala à Abidjan devait comporter les éléments ci-après :
  • a) transparence et divulgation de toutes les informations relatives à la composition du contenu des citernes de décantation du Probo Koala et à la destination du navire aux fins de l’élimination des déchets avant leur déchargement ;
  • b) évaluation, avant le déversement des déchets, des capacités des installations portuaires de réception et des installations d’élimination des déchets en matière de traitement des déchets selon des méthodes respectueuses de l’environnement ;
  • c) adoption de mesures correctives après le déversement des déchets.
  • En ce qui concerne le premier élément, le Rapporteur spécial a pris note des prétendues incohérences dont il est fait état concernant la manière dont le Probo Koala et son agent maritime ont décrit la composition et la nature des slops aux autorités portuaires d’Amsterdam. Selon le rapport de la Commission Hulshof (voir paragraphe 48 ci-dessus), dont le Rapporteur spécial a reçu une copie, le contenu des citernes de décantation du Probo Koala a été qualifié tantôt de « mélange d’eau de nettoyage de citerne, de gazole et de soude caustique », tantôt d’« eau de nettoyage de citerne huileuse et résidus de cargaison », tantôt de « liquides aqueux de nettoyage » et tantôt de « déchets provenant du dégraissage à la vapeur ». Le Rapporteur spécial note également que, par la suite, après que le navire eut quitté Amsterdam et alors qu’il arrivait à Abidjan, Trafigura a qualifié les déchets d’« eaux usées chimiques », par opposition à des « eaux usées au sens de la Convention MARPOL ».
  • En outre, la forte demande chimique en oxygène des déchets n’était apparemment pas connue au moment où le Probo Koala a fait escale à Amsterdam ; elle n’a été mise en évidence que lorsqu’un échantillon a été prélevé par les Services portuaires d’Amsterdam. De même, il y aurait eu un manque de clarté quant au lieu où se rendait le Probo Koala pour décharger ses déchets après son escale à Amsterdam. À cet égard, les expressions « la prochaine occasion propice » et « en mer pour ordres » ont été utilisées, alors qu’initialement « Paldiski (Estonie) » avait été indiqué. Le Rapporteur spécial n’ignore pas que cette façon de faire n’est pas rare dans ce type de transactions, mais il constate que le caractère très vague des différentes indications données n’a pas favorisé la transparence du processus décisionnel concernant le traitement de déchets potentiellement toxiques.
  • En ce qui concerne l’évaluation des installations portuaires de réception, l’analyse effectuée une fois le navire à Amsterdam a montré que les déchets ne pouvaient pas y être traités et que seul le port de Rotterdam disposait d’installations de traitement adaptées. Dans ces circonstances, le Rapporteur spécial considère qu’il incombe à Trafigura de montrer en quoi le port d’Abidjan était aussi bien ou mieux équipé pour traiter les déchets.
  • Le Rapporteur spécial note, à ce sujet, que Trafigura affirme que le port d’Abidjan est généralement considéré comme un site adapté au déchargement des résidus de citerne de décantation relevant de la Convention MARPOL. Selon les informations communiquées par Trafigura, quelque 30 000 tonnes de résidus d’hydrocarbures et d’eaux usées ont été déchargés par des navires à Abidjan entre le 1er janvier et le 6 septembre 2006.
  • Le Rapporteur spécial constate que les affirmations de Trafigura sur cette question ne sont pas étayées par les conclusions de la mission d’assistance technique en Côte d’Ivoire mandatée par le secrétariat de la Convention de Bâle, laquelle a indiqué que « [le] port d’Abidjan ne dispose pas des installations nécessaires pour le déchargement et le traitement des déchets couverts par la [Convention MARPOL]. La mission n’a pas été en mesure de confirmer si le port était en fait autorisé à recevoir de tels déchets »[17].
  • À l’époque des faits, le port d’Abidjan ne comptait, d’après les informations disponibles, qu’une seule société ayant une expérience confirmée dans la fourniture de services d’élimination des slops, la Société ivoirienne des techniques des énergies (ITE). S’il n’est pas inhabituel pour un négociant tel que Trafigura de travailler avec plusieurs sociétés pour le déchargement et le traitement de ses déchets, dans le cas d’espèce, confier la tâche à ITE semblait, compte tenu du principe de diligence raisonnable, être la seule possibilité envisageable.
  • Pour ce qui est de la décision de confier le déchargement des déchets à Tommy Ltd., le Rapporteur spécial prend acte des informations communiquées par Trafigura, selon lesquelles sa filiale Puma Énergie avait pris contact avec l’agent maritime WAIBS, qui lui a ensuite indiqué que Tommy Ltd. était à même de s’occuper des slops. Le port d’Abidjan aurait confirmé que la société Tommy Ltd. était enregistrée et Puma Énergie aurait reçu une copie des licences et autorisations pertinentes. En outre, WAIBS et Tommy Ltd. avaient été informés de la composition des déchets, y compris de sa demande chimique en oxygène. La société Tommy Ltd. avait indiqué qu’elle assumerait l’entière responsabilité de l’opération[18].
  • Le Rapporteur spécial estime que ces éléments ne constituent pas une évaluation complète des capacités de réception du port d’Abidjan réalisée en vue d’assurer le traitement des déchets selon des méthodes respectueuses de l’environnement. Le Rapporteur spécial, à cet égard, dispose d’autres informations qui semblent indiquer que la société Tommy Ltd. avait été créée peu de temps seulement avant l’arrivée du Probo Koala et qu’elle n’avait pas d’expérience préalable du traitement des déchets et ne disposait pas des équipements, du matériel et des compétences nécessaires pour traiter les déchets. Selon le Rapporteur spécial, il est préoccupant que Trafigura ne semble pas avoir pris en considération ces carences.
  • Le principe de la diligence raisonnable aurait dû, à tout le moins, conduire à se renseigner plus avant sur la capacité de Tommy Ltd. à traiter les déchets selon des méthodes respectueuses de l’environnement, en particulier compte tenu du fait que Tommy Ltd. avait informé Trafigura qu’elle déchargerait les déchets du Probo Koala « en un lieu situé à l’extérieur de la ville, appelé Akouédo, lequel est bien équipé pour recevoir tout type de produit chimique[19]». Lors de sa visite à Abidjan, le Rapporteur spécial a pu se rendre à Akouédo. Il s’agit d’une décharge municipale à côté de laquelle des communautés pauvres vivent d’une agriculture de subsistance dans des conditions extrêmement précaires. Certaines personnes vivant à proximité subsistent en recyclant des ordures pour leur usage personnel ou à des fins de revente. La décharge d’Akouédo n’était en aucune manière équipée pour traiter les déchets du Probo Koala.
  • En ce qui concerne le troisième élément de la diligence raisonnable, le Rapporteur spécial note que Trafigura, immédiatement après l’incident, a dépêché à Abidjan deux cadres supérieurs, ainsi qu’une équipe d’experts médicaux, un géologue et un ingénieur spécialiste du raffinage, afin de procéder à une évaluation d’impact et d’apporter son concours à la gestion de la crise. Trafigura a également déclaré qu’elle coopérerait pleinement avec le Gouvernement ivoirien et l’Équipe des Nations Unies pour l’évaluation et la coordination en cas de catastrophe qui enquêtait sur l’incident.
  • En novembre 2006, Trafigura a fait réaliser une enquête indépendante sur l’incident, laquelle a donné lieu à l’élaboration d’un rapport intermédiaire mais n’a pas été menée à terme afin de ne pas préjuger de l’issue de la procédure judiciaire en cours au Royaume-Uni[20]. Un audit d’environnement a également été réalisé dans le cadre de l’accord de règlement mentionné précédemment. En avril 2008, Trafigura a accepté de payer une somme supplémentaire de 7,6 millions d’euros au titre des travaux de remise en état et d’autres projets relatifs aux soins de santé, à l’éducation et à l’environnement.
  • Si le Rapporteur spécial, de manière générale, juge positifs les efforts déployés par Trafigura pour réparer le dommage, il l’incite à continuer de financer et d’appuyer les travaux qui doivent encore être accomplis pour remédier à la situation. En outre, le Rapporteur spécial est vivement préoccupé par les informations selon lesquelles la société a engagé ou a menacé d’engager des poursuites en diffamation contre divers organisations de la société civile et organes de presse qui ont rendu compte de l’incident du Probo Koala en des termes critiques. Ces poursuites pourraient avoir pour effet d’empêcher la diffusion indépendante d’informations et de museler les critiques publiques. Le Rapporteur spécial, à cet égard, estime que Trafigura, en tant qu’entité en vue dans cette affaire, devrait faire preuve de retenue.

 VI. Recommandations

  • Le Rapporteur spécial recommande au Gouvernement néerlandais et aux acteurs étatiques concernés :
  • a) d’harmoniser et de renforcer la législation existante sur la prévention de la pollution marine et sur la gestion de l’environnement en vue de garantir des inspections plus rigoureuses des navires et, si nécessaire, leur immobilisation pendant un laps de temps raisonnable, en particulier en cas d’incohérence ou d’inexactitude dans les déclarations concernant leur cargaison et les déchets se trouvant à leur bord ;
  • b) d’envisager de créer un mécanisme financier qui permettrait d’assurer le déchargement et l’élimination dans de bonnes conditions des déchets toxiques et dangereux aux Pays-Bas ; ce mécanisme devrait être élaboré en se fondant sur le principe du « pollueur-payeur » et il devrait prévoir le remboursement par le transporteur des frais liés aux déchets après détermination des responsabilités par les tribunaux ;
  • c) de continuer à soutenir le Gouvernement ivoirien afin de lui permettre de suivre et de traiter efficacement les possibles effets à long terme de l’incident sur la santé des populations et sur l’environnement.
  • Le Rapporteur spécial recommande au Gouvernement ivoirien et aux acteurs étatiques concernés :
  • a) d’engager un vaste processus de consultation, auquel seraient notamment associés les acteurs de la société civile et dans le cadre duquel seraient sollicitées les vues des victimes, des familles des victimes et des associations de victimes sur les questions en suspens et sur les mesures nécessaires pour faire face aux effets à long terme de l’incident sur la santé des populations et sur l’environnement ;
  • b) d’allouer des ressources suffisantes pour assurer aussi rapidement que possible la décontamination complète de tous les sites de déversement et de solliciter une assistance financière et technique à cette fin ;
  • c) de prendre de nouvelles mesures pour protéger le droit de toutes les victimes et de leur famille à la vie, au meilleur état de santé physique et mentale possible et à un environnement sain, notamment en réalisant une enquête sur la santé dans les zones touchées, en cartographiant les problèmes sanitaires qui se posent encore et en fournissant une assistance médicale adéquate aux victimes, y compris le traitement des manifestations nouvelles et à long terme des maladies dues au déversement des déchets ;
  • d) de prendre des mesures supplémentaires pour renforcer l’octroi d’indemnités à toutes les victimes et pour mener à bien ce processus avec toute la célérité voulue et de manière claire et transparente ;
  • e) de mettre en oeuvre des réformes structurelles pour améliorer les capacités de traitement des déchets dans le port d’Abidjan et de renforcer le suivi et la supervision par les organismes environnementaux concernés afin de garantir que les déchets sont traités selon des méthodes respectueuses de l’environnement ;
  • f) d’assurer aux personnes touchées le plein accès à l’information sur les mesures prises pour faire face aux possibles effets néfastes à long terme de l’incident sur la santé et sur l’environnement.
  • Le Rapporteur spécial recommande à Trafigura :
  • a) en ce qui concerne l’incident du Probo Koala, de continuer à fournir une aide financière au Gouvernement ivoirien en vue de régler les problèmes en suspens liés à la décontamination, aux soins de santé et à l’indemnisation, et d’appuyer les réformes structurelles visant à renforcer les capacités de gestion des déchets dangereux selon des méthodes respectueuses de l’environnement ;
  • b) dans le cadre de ses activités en général, de veiller à communiquer en temps utile des informations fiables sur ses activités et sur la nature et la composition des déchets générés par celles-ci ;
  • c) de fournir en temps opportun des informations suffisantes sur l’incidence potentielle de ses activités sur l’environnement, sur la santé et sur la sécurité et de s’assurer de façon systématique que les déchets sont traités selon des méthodes respectueuses de l’environnement, notamment en procédant à des évaluations rigoureuses de l’adéquation des installations portuaires de réception et en respectant un juste équilibre entre les intérêts commerciaux et les prescriptions en matière de droits de l’homme et d’environnement ;
  • d) d’élaborer un cadre de politique générale et de gestion portant sur la responsabilité de l’entreprise et les Droits de l’homme, prévoyant notamment la présentation de rapports annuels sur les incidences sociales, environnementales et économiques des activités de l’entreprise.
  • Le Rapporteur spécial recommande à la communauté internationale, notamment aux organismes des Nations Unies et aux donateurs :
  • a) de continuer à aider le Gouvernement ivoirien et les acteurs étatiques concernés à faire face aux possibles effets à long terme de l’incident sur la santé des populations et sur l’environnement, en mettant l’accent sur la décontamination, les soins de santé, l’indemnisation et la promotion des droits des victimes ;
  • b) de continuer à aider le Gouvernement ivoirien et d’autres pays, selon qu’il convient, à renforcer leurs capacités de surveiller et d’encadrer les mouvements tant transfrontières qu’internes de déchets et de produits chimiques toxiques et dangereux, en leur prêtant une assistance financière et technique.

 

ANNEXE 1

 LES PERSONNES POURSUIVIES ET JUGÉES AU PROCES D’ABIDJAN DE SEPTEMBRE – OCTOBRE 2008[21]

* Personnes ayant bénéficié d’un non-lieu à l’issue de l’instruction

(1) Claude Dauphin, Président Directeur général de la société Trafigura Limited, mis en cause pour complicité d’empoisonnement et infractions aux codes de l’environnement et de la santé publique, a bénéficié d’un non-lieu, « n’ayant personnellement commis aucun fait (…) ou acte répréhensible ».

(2) Jean-Pierre Valentini, Responsable du département Afrique au sein de Trafigura Limited, mis en cause pour complicité d’empoisonnement et infractions aux codes de l’environnement et de la santé publique, a bénéficié d’un non-lieu, « n’ayant personnellement commis aucun fait (…) ou acte répréhensible ».

(3) Kablan N’Zi, Administrateur général de la société Puma Energy C.I, poursuivi pour empoisonnement et infractions aux codes de l’environnement et de la santé publique, a bénéficié d’un non-lieu au motif que « la complicité des faits d’empoisonnement ne peut être objectivement et à bon droit mise à sa charge (…) et que l’analyse de [ses] agissements (…) n’établit pas qu’il a accompli des actes tombant sous le coup des lois portant code de l’Environnement et de la Santé publique ».

(4) Jorge Luis Marrero, Responsable de la logistique pour l’activité essence de Trafigura Limited, a bénéficié d’un non-lieu, au motif « qu’aucun fait délictuel ni criminel ne saurait [lui] être légitimement reproché ».

(5) Paul Short, Responsable du département transport et exécution des contrats de Trafigura Limited, a bénéficié d’un non-lieu, au motif « qu’aucun fait délictuel ni criminel ne saurait [lui] être légitimement reproché ».

(6) Nobah Amonkan, directeur général de la société Waibs a bénéficié d’un non-lieu.

(7) Koné Kpandotien Paul, officier de Marine, a bénéficié d’un non-lieu.

(8) Gouro Karamé, vidangeur, revendeur de résidus de produits pétroliers, (9) Coulibaly Léhé, mécanicien, et (10) Kintega Madi, soudeur, ont bénéficié d’un non-lieu, puisque « il ne résulte d’aucun élément du dossier de la procédure qu’[ils] ont commis des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale », ainsi que (11) Yoro Sidibé.

* Personnes accusées et jugées devant la Cour d’assises d’Abidjan (12 personnes)

 – Personnes condamnées

(1) Monsieur Salomon Ugborugbo, Directeur général de la société Tommy (lequel a procédé à l’enlèvement et au déversement des déchets toxiques) condamné à 20 ans d’emprisonnement pour empoisonnement.

(2) Monsieur Essoin Kouao dit Désiré, employé de la société Waibs, qui avait donné les coordonnées de la société Tommy à la filiale ivoirienne de Trafigura (la société Puma Energy), à 5 ans d’emprisonnement pour complicité d’empoisonnement.

– Personnes acquittées

(1) Adja Ehouman David, Directeur technique de Waibs, accusé de complicité d’empoisonnement et d’aide et fourniture de moyens à la commission d’infractions aux lois portant codes de l’Environnement et de la protection de la Santé publique, et acquitté.

(2) Bombo Dagui Marcel, commandant du port autonome d’Abidjan, renvoyé pour complicité d’empoisonnement et complicité d’infractions aux lois portant codes de l’Environnement et de la protection de la Santé publique, et acquitté.

(3) Tibé Bi Balou Jean-Christophe, Administrateur des affaires maritimes et portuaires, poursuivi pour délit d’importation de déchets toxiques ayant occasionné mort d’hommes, et acquitté.

(4) Tétialou Owonhon Anne-Marie, sous brigadier des douanes, (5) Yao Kouassi, brigadier des douanes, et (6) Yoboué Théophile Ambroise, sous brigadier des douanes, renvoyés pour complicité d’empoisonnement et infractions aux codes de l’Environnement et de la protection de la Santé publique, et acquittés.

(7) Epla Akoua Paul, agent de transmission, mis en cause pour infractions aux codes de l’Environnement et de la protection de la santé publique, et acquitté.

(8) Kacou Aka Eugène, agent shipping à Waibs, acquitté.

(9) Diakité Ali, garagiste et revendeur de résidus de produits pétroliers, et (10) Konaté Boulaye, garagiste, commerçant et revendeur de résidus de produits pétroliers, accusés d’avoir permis le transit, transport, dépôt, stockage et épandage des déchets industriels toxiques sur tout le territoire du District d’Abidjan, et acquittés.

ANNEXE 2

Protocole d’accord entre Trafigura et l’État de Côte d’Ivoire, 13 février 2007

 Entre

  1. L’État de Côte d’Ivoire, personne morale de droit public, agissant tant en son nom propre, qu’au nom de ses démembrements (notamment les personnes morales de droit public et sociétés à participation financière publique), des collectivités locales et de toutes les victimes des déchets toxiques, représenté par Monsieur Laurent Gbagbo, Président de la République de Côte d’Ivoire et agissant pour les besoins des présentes, par Monsieur Tagro Asségnini Désiré, Conseiller Spécial chargé des Affaires Juridiques, suivant pouvoir joint en annexe.

d’une part,

 ET

  1. La société Trafigura Beheer B.V, société de droit néerlandais, sise Van Heuven Goedhartlaan 937, 1181 LD Amstelveen Pays-Bas, représentée par Monsieur Eric de Turckheim (administrateur) et Monsieur Pierre Eladari, dûment habilités à cet effet par procuration en date du 1er février 2007. Ci-après dénommée « Trafigura Beheer BV »
  2. La société Trafigura Limited, société de droit anglais dont le siège social est sise Portman House 2 Portman Street W1H 6DU Londres Grande Bretagne, société en charge de la gestion opérationnelle des Parties Trafigura (tel que ce terme est défini ci-après) représentée par Monsieur Eric de Turckheim et Monsieur Pierre Eladari, dûment habilités à cet effet par procuration en date du 2 février 2007. Ci-après dénommée « Trafigura Ltd»,
  3. La société Puma Energy Côte d’Ivoire, société anonyme de droit de Côte d’Ivoire au capital de 75 000 000 francs CFA, sise rue du canal de Vridi, 15 B.P. 522 Abidjan 15 représentée par son administrateur général, Monsieur Pierre Eladari, Ci-après dénommée « Société Puma», Trafigura Beheer BV, Trafigura Ltd, Société Puma, agissant à titre conjoint et solidaire et étant ensemble désignées les « Parties Trafigura»,

Les parties Trafigura agissant tant en leur nom propre qu’au nom et pour le compte (i) de leurs dirigeants, salariés et préposés, (ii)) de l’ensemble des sociétés dans lesquelles Trafigura Beheer BV détient directement ou indirectement une fraction quelconque du capital ou des droits de votes, et (iii) des dirigeants, salariés et préposés des sociétés visées au (ii) ci-dessus.

d’autre part,

 IL A ÉTÉ PRÉALABLEMENT EXPOSÉ CE QUI SUIT 

  1. Les Parties Trafigura exercent leurs activités dans le secteur de l’énergie et des métaux de base. Trafigura Beheer B.V est la société mère. Monsieur Claude Dauphin est Président de Tragfigura Beheer BV, Trafigura Ltd, filiale de Trafigura Beheer BV, assure la gestion opérationnelle des activités des Parties Trafigura. Monsieur Jean-Pierre Valentini est salarié de Trafigura Ltd. La Société Puma est une filiale de Trafigura Beheer BV qui développe en Côte d’Ivoire des activités de stockage, distribution et vente au détail de produits pétroliers. Monsieur N’Zi Kablan est administrateur général adjoint de la Société Puma.
  2. Le Probo Koala, navire affrété par la société Trafigura Beheer BV, a déchargé 528 m3 de slops dans le port d’Abidjan le 19 août 2006. Aux termes d’accords en date du 18 août 2006, ces slops ont été confiés à la Compagnie Tommy, qui s’est engagée à procéder à leur élimination conformément à la réglementation en vigueur.
  3. Les 19 et 20 août 2006, la Compagnie Tommy a confié ces slops à divers prestataires qui les ont déversés dans plusieurs communes du District d’Abidjan. Les jours suivants, de nombreux habitants d’Abidjan se sont plaints d’une forte odeur et de troubles respiratoires. Certains d’entre eux ont été hospitalisés. Des décès ont été recensés.
  4. À la suite des évènements visés aux paragraphes 2 et ci-dessus (les « Évènements»), autrement appelés affaire des déchets toxiques, les autorités judiciaires ivoiriennes ont diligenté une enquête qui a conduit à l’inculpation de plusieurs personnes dont Monsieur N’Zi Kablan, placé sous mandat de dépôt le 1er septembre 2006. Ce dernier a été poursuivi sur le fondement de trois incriminations :
  • les dispositions de la loi ivoirienne portant protection de la santé publique et de l’environnement contre les effets des déchets industriels toxiques et nucléaires et des substances nocives ;
  • les dispositions de la Convention de Bâle sur les mouvements transfrontières des déchets dangereux et leur élimination ;
  • les articles 97, 99 et 101 du Code de l’Environnement ivoirien.
  1. La société Trafigura Ltd s’est constituée partie civile le 8 septembre 2006, entre les mains du doyen des juges d’instruction près le Tribunal de Première Instance d’Abidjan-Plateau afin d’apporter son soutien aux autorités ivoiriennes et d’apprécier les causes et l’étendue de son préjudice consécutif aux Évènements.
  2. Messieurs Dauphin et Valentini, qui s’étaient rendus à Abidjan pour témoigner de la compassion et de l’appui des Parties Trafigura à la Côte d’Ivoire, ont été inculpés et placés sous mandat de dépôt le 18 septembre 2006. Ils ont été poursuivis sur le fondement de quatre incriminations :
  • les dispositions de la loi ivoirienne portant protection de la santé publique et de l’environnement contre les effets des déchets industriels toxiques et nucléaires et des substances nocives ;
  • les articles 342 alinéa 4, 343 et 348 du Code pénal ivoirien ;
  • les dispositions de la Convention de Bâle sur les mouvements transfrontières des déchets dangereux et leur élimination ;
  • les articles 97, 99 et 101 du Code de l’Environnement ivoirien.
  1. Parallèlement, l’État ivoirien a assigné les 5 et 17 octobre 2006 différentes parties impliquées dans les Évènements, dont les sociétés Trafigura Beheer BV, Trafigura Ltd et la Société Puma devant les tribunaux civils ivoiriens, aux fins d’obtenir leur condamnation solidaire au versement immédiat d’une somme provisionnelle de 5 000 milliards de francs CFA ainsi qu’au paiement de sommes devant être déterminées par un collège d’experts désigné par le tribunal.
  2. En outre, la société Leigh Day & Co, a assigné Trafigura Ltd devant les juridictions britanniques le 6 et 7 novembre 2006, au nom de 11 plaignants, afin d’obtenir un Group Litigation Order et la condamnation de Trafigura Ltd au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice que les personnes réunies au sein du Group Litigation Order estiment avoir subi à la suite des Évènements. Par ailleurs, des investigations sur le Probo Koala et sur sa cargaison ont été effectuées par les autorités publiques des Pays-Bas et d’Estonie.
  3. Le 22 décembre 2006, Messieurs Dauphin et Valentini ont bénéficié d’une ordonnance de mise en liberté provisoire prononcée par le juge en charge de l’instruction ouverte devant le tribunal de Première Instance d’Abidjan-Plateau. Cette mise en liberté provisoire est subordonnée au paiement d’un cautionnement de 2,5 milliards de francs CFA par inculpé et à l’émission d’une caution bancaire solidaire de 10 milliards de francs CFA. Cette ordonnance a fait l’objet d’un appel du Procureur de la République du Tribunal de 1ère Instance d’Abidjan Plateau, actuellement pendant. À la date des présentes, Messieurs Dauphin, Valentini et Kablan demeurent en détention.
  4. Les parties conviennent que leur objectif prioritaire est de fournir une assistance à toute personne physique ou morale ayant subi un préjudice direct ou indirect à la suite des Évènements (y compris leurs ayant droits) et de permettre auxdites personnes d’obtenir réparation de leur préjudice (ci-après les « Victimes»).
  5. Par ailleurs, conscientes du caractère fâcheux pour leur réputation et leur image à la suite de l’affaire dite des déchets toxiques, et soucieuses de consolider leurs liens forts avec la Côte d’Ivoire, les Parties Trafigura ont demandé une transaction avec l’État de Côte d’Ivoire, en la personne du Président de la République, lequel a désigné son Conseiller Spécial chargé des Affaires Juridiques, pour y procéder. L’État de Côte d’Ivoire accepte cette proposition et confirme pour sa part sa volonté d’accueillir avec bienveillance les activités des Parties Trafigura sur le sol ivoirien et plus généralement reconnaît que les activités des Parties Trafigura contribuent, à travers la Société Puma, à l’amélioration de son environnement global.
  6. C’est dans ce cadre qu’après discussions et échanges de vues les parties se sont rapprochées et ont décidé par le présent protocole de mettre fin définitivement aux différents litiges exposés ci-dessus de manière transactionnelle en se consentant les concessions réciproques exposées ci-après, sans que ces dernières puissent être analysées en une quelconque reconnaissance de responsabilité par l’une des parties ou une reconnaissance des allégations de l’autre partie.

CECI ÉTANT EXPOSÉ, LES PARTIES SONT CONVENUES DE CE QUI SUIT :

 1 OBJET DU PROTOCOLE

 Le présent protocole d’accord a pour objet de résoudre de manière globale tout litige présent ou à venir consécutif aux Évènements survenus sur le territoire de la Côte d’Ivoire.

  1. ENGAGEMENTS DES PARTIES TRAFIGURA

2.1 Les Parties Trafigura s’engagent à verser à l’État de Côte d’Ivoire la somme forfaitaire et définitive de 95 milliards de francs cfa (95 000 000 000 francs CFA) aux fins d’affectation :

– d’une part, à hauteur de 73 milliards de francs cfa (73 000 000 000 francs CFA), à la réparation des préjudices subis par l’État de Côte d’Ivoire, ainsi qu’à l’indemnisation des victimes ;

– d’autre part, à hauteur de 22 milliards de francs cfa (22 000 000 000 francs CFA), au remboursement des frais de dépollution qu’aurait pu exposer l’État de Côte d’Ivoire dans le cadre du contrat conclu avec la société Tredi le 23 septembre 2006 et de son avenant en date du 6 octobre 2006 relatif au traitement des déchets issus du déchargement des slops du Probo Koala (ci-après le « Contrat Tredi »)

2.2 Les Parties Trafigura s’engagent à prendre en charge l’identification et la dépollution complémentaire des sites pouvant encore contenir des déchets se rapportant aux Évènements. À cet effet, dans les 30 jours de la signature du présent protocole, les Parties Trafigura se rapprocheront du CIAPOL et du BNETD, et/ou de tout autre organisme compétent aux fins de réalisation d’un audit par des sociétés de renommée internationale sur l’état d’avancement et les conditions d’exécution du Contrat Tredi. En conséquence, l’exécution de la dépollution complémentaire débutera sous le contrôle desdites parties, du CIAPOL et du BNETD dans les 3 mois de validation par les Parties Trafigura, le CIAPOL et le BNETD des conclusions de l’audit visé au présent paragraphe 2.2. L’exécution en sera assurée par la société Tredi ou par toute autre entreprise disposant de moyens techniques satisfaisants et fera l’objet d’un constat contradictoire par les sociétés ayant réalisé l’audit. Les frais relatifs à l’audit et au constat prévus au présent paragraphe 2.2 seront pris en charge par les Parties Trafigura.

2.3 Afin de garantir la bonne exécution des obligations des Parties Trafigura au titre du paragraphe 2.2, la Société Puma s’engage à constituer un nantissement sur sept bacs de stockage de produits pétroliers lui appartenant référencés 1 à 7 sis rue du Canal de Vridi, 15 BP 522 Abidjan 15, au profit de l’État de Côte d’Ivoire. Les frais relatifs au nantissement visé ci-dessus seront pris en charge par les Parties Trafigura.

2.4 L’État de Côte d’Ivoire envisage de construire une usine de traitement des déchets ménagers dans le District d’Abidjan. Après l’inauguration de ladite usine, les Parties Trafigura à travers la Société Puma, paieront, sous forme d’aide à l’État de Côte d’Ivoire, la somme de cinq milliards (5 000 000 000) de francs CFA.

  1. ENGAGEMENTS DE L’ÉTAT DE CÔTE D’IVOIRE

3.1 L’État de Côte d’Ivoire constate que les Parties Trafigura ont fait la preuve de leur sens des responsabilités et de leur volonté de s’intégrer dans le tissu économique de Côte d’Ivoire, et sont dès lors habilitées à poursuivre leurs activités dans ce pays.

3.2 L’État de Côte d’Ivoire s’engage à :

  • garantir les Parties Trafigura qu’il fera son affaire de toute réclamation au titre des Évènements ;
  • prendre toutes mesures appropriées visant à garantir l’indemnisation des Victimes des Évènements.
  1. RENONCIATIONS RECIPROQUES

4.1 Les parties Trafigura renoncent définitivement à toute réclamation de quelque nature que ce soit à l’égard de l’État de Côte d’Ivoire dès lors qu’elle aurait pour cause, conséquence ou objet, directement ou indirectement, les Évènements. En conséquence, la société Trafigura Ltd se désistera de sa constitution de partie civile déposée le 8 septembre 2006 entre les mains du doyen des juges d’instruction près le Tribunal de première instance d’Abidjan Plateau.

4.2 L’État de Côte d’Ivoire renonce définitivement à toute poursuite, réclamation, action ou instance présente ou à venir qu’il pourrait faire valoir à l’encontre des Parties Trafigura dès lors que ces poursuites, réclamations, actions ou instances ont ou auraient comme cause, conséquence ou objet, directement ou indirectement les Évènements.

En conséquence, l’État de Côte d’Ivoire :

– se désiste formellement de l’action en responsabilité et en dommages et intérêts actuellement pendante devant la première chambre présidentielle du Tribunal de première instance d’Abidjan Plateau et de sa constitution de partie civile devant les juridictions d’instruction dans les poursuites engagées contre les Parties Trafigura ;

– donne mainlevée de toutes mesures de saisie ou plus généralement de toute prise de garantie ou sûreté au préjudice des Parties Trafigura, et notamment des mesures ayant été prises en application des ordonnances signifiées les 17 octobre 2006 et 23 janvier 2007.

  1. MODALITÉS D’EXÉCUTION DU PROTOCOLE D’ACCORD

5.1 Au titre de paiement

Antérieurement à la signature du présent protocole, la Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie en Côte d’Ivoire, dite BICICI, aura émis au profit de l’État de Côte d’Ivoire, l’engagement irrévocable de payer le montant convenu à l’article 2.1 ci-dessus. Sur présentation du présent protocole dûment signé ainsi que des documents nécessaires, la banque effectuera automatiquement le virement sur un compte ouvert au nom de l’État de Côte d’Ivoire.

5.2 Au titre de la réalisation et de la mainlevée du nantissement

À défaut de début d’exécution de la dépollution complémentaire dans les délais prévus au 3ème paragraphe de l’article 2.2. des présentes, l’État de Côte d’Ivoire pourra réaliser le nantissement consenti par les Parties Trafigura, à due concurrence du montant de la dépollution tel qu’il résultera de l’audit. Dès l’établissement du constat de fin d’exécution de la dépollution complémentaire tel que prévu à l’article 2.2. des présentes, l’État de Côte d’Ivoire donnera mainlevée pleine et entière du nantissement consenti par les Parties Trafigura ; chaque partie s’emploiera à accomplir, ou faire accomplir, tous les actes nécessaires à la parfaite exécution du présent accord.

  1. PUBLICITE

Les termes du présent protocole d’accord seront rendus publics.

  1. RESOLUTION DES LITIGES

Les parties s’efforceront de traiter à l’amiable tout différend susceptible d’affecter la validité, l’interprétation et/ou l’exécution du présent accord. À défaut, les différends seront tranchés par les juridictions compétences ivoiriennes conformément au droit ivoirien.

  1. AUTORITE DE LA CHOSE JUGEE

Les parties s’engagent à exécuter de bonne foi le présent protocole valant transaction aux termes des dispositions de l’article 2044 du Code civil ivoirien et ayant l’autorité de la chose jugée en dernier ressort.

Notes:

[1] Nations Unies, A/HRC/8/5

[2] Nations Unies, A/HRC/11/13

[3] Soufre contenant des composés organiques.

[4] Équipe des Nations Unies pour l’évaluation et la coordination en cas de catastrophe, « Côte d’Ivoire − urban hazardous waste dumping » (Côte d’Ivoire: déversement de déchets dangereux en zone urbaine), 11-19 septembre 2006.

[5] Rapport de la Commission internationale d’enquête sur les déchets toxiques déversés dans le district d’Abidjan, 19 février 2007.

[6] Observation générale n° 6 sur le droit à la vie (1982), paragraphe (par.) 5.

[7] Observation générale n° 31 sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte (2004), par. 7.

[8] Observation générale n° 14 sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (2000), par. 15.

[9] Équipe des Nations Unies pour l’évaluation et la coordination en cas de catastrophe, op. cit., 11-19 septembre 2006.

[10] UNEP/CHW/OEWG/6/2, par. 3 c) de l’annexe.

[11] Décision 97/640/CE du Conseil concernant l’adoption, au nom de la Communauté, de l’amendement à la Convention de Bâle, tel qu’il figure dans la décision III/1 de la Conférence des Parties. En vertu de cet amendement, toutes les exportations de déchets dangereux destinés à être éliminés à partir de pays figurant dans l’annexe VII (États parties et autres États membres de l’OCDE, Communauté européenne, et Liechtenstein) de la Convention vers des pays qui n’y figurent pas sont interdites depuis le 1er janvier 1998.

[12] Voir le rapport de la Commission internationale d’enquête sur les déchets toxiques déversés dans le district d’Abidjan.

[13] Dans sa résolution 8/7, le Conseil, a accueilli avec satisfaction ce cadre général et souligné que les entreprises transnationales avaient l’obligation de respecter les Droits de l’homme.

[14] Nations Unies, A/HRC/8/5, par. 55.

[15] Ibid, par. 23.

[16] Ibid, par. 25.

[17] PNUE/CHW/OEWG/6/2, par. 3 f) de l’annexe.

[18] Observation générale n° 6 sur le droit à la vie (1982), par. 5.

[19] PNUE/CHW/OEWG/6/2, op. cit.

[20] Voir également <www.probokoalainquiry.com>.

[21] FIDH – LIDHO – MIDH, op. cit., pp. 32-33.