Peuples indigènes et autochtones en Bolivie

Mirna Angela Cuentas Alarcon*

  

147La Bolivie se situe au cœur de l’Amérique du Sud, avec une population de 8 274 325 habitants (selon le recensement de 2001) et une projection de celle-ci à 10 027 643 habitants en 2009. 62,06 % de ces habitants déclaraient leur appartenance à un peuple indigène ou autochtone. Indigène se rapporte aux peuples qui se situent dans les terres basses (Oriente, Chaco, Amazonie) et qui figurent sur les listes établies par les institutions internationales comme celle de la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail. Les peuples qui se situent dans les terres hautes (région des hautes Andes) se définissent comme des peuples autochtones, dénomination qui date de l’époque coloniale, lorsqu’il était fait mention des « communautés autochtones » et de leurs habitants. Ils étaient alors appelés autochtones, nom qui leur est resté jusqu’à aujourd’hui.

Ces peuples sont reconnus par la Nouvelle Constitution Politique de l’État, ratifiée en 2009, en raison de leur existence précoloniale, en tant que « collectivités humaines qui partagent une identité culturelle, une langue, une tradition historique, des institutions, des territoires et une cosmogonie » (articles 2 et 30).

Le recensement de l’année 2001 reconnaissait officiellement 33 peuples indigènes et autochtones à partir d’une question permettant à chacun de déclarer son appartenance à l’un d’eux.

Population de 15 ans et plus, par sexe et selon le peuple autochtone ou indigène avec lequel elle s’identifie (recensement de 2001)

Peuple autochtone ou indigène

Total

Hommes

Femmes

TOTAL
5 064 992 2 477 061 2 587 931
1 Quechua 1 555 641 749 672 805 969
2 Aymara 1 277 881 633 757 644 124
3 Guarani (Izoceño, Ava, Simba) 81 011 42 452 38 559
4 Chiquitano, besiro, napeca, paunaca, moncoca 112 218 59 219 52 999
5 Araona 92 54 38
6 Ayoreo 860 440 420
7 Baure 496 293 203
8 Canichana 213 127 86
9 Cavineño 852 468 384
10 Cayubaba 328 197 131
11 Chacobo 255 135 120
12 Chiman (Tsimane) 4 331 2 307 2 024
13 Esse Ejja (Chama) 409 218 191
14 Guarasugwe 9 5 4
15 Guarayo 6 010 2 986 3 024
16 Itonama 1 492 841 651
17 Joaquiniano 169 89 80
18 Leco 2 443 1 349 1 094
19 Machineri 15 8 7
20 More 44 22 22
21 Moseten 813 450 363
22 Movima 6 183 3 331 2 852
23 Moxeño (Trinitario, Javeriano. Loretano, Ignaciano) 46 336 25 025 21 311
24 Pacahuara 32 21 11
25 Reyesano, Maropa 2 741 1 486 1 255
26 Siriono 134 73 61
27 Tacana 3 580 2 026 1 554
28 Tapiete 19 13 6
29 Urus (Uru Chipaya, Uru – hito, Murato 1 210 684 526
30 Weenhayek (mataco) 1 022 525 497
31 Yaminawa 45 25 20
32 Yuqui 112 63 49
33 Yurakare 1 399 751 648

Source : Instituto Nacional de Estadistica et VAIPO (Vice-ministère des Affaires Indigènes et Peuples autochtones. Cette institution faisait partie du Ministère des Affaires Indigènes et Peuples autochtones ; ce ministère n’existe plus aujourd’hui), 2001.

La Bolivie est un pays varié tant par sa population que par ses différents biotopes. Du fait de son gradient d’altitude qui varie entre 90 et 6 542 mètres, la Bolivie est l’un des 8 pays les plus riches du monde au plan de la diversité biologique. Son territoire comprend 4 biomasses, 32 régions écologiques et 199 écosystèmes. Dans toutes ces régions ont habité et habitent différents peuples indigènes et autochtones. Pour comprendre leur survivance, il est important de connaître le processus historique qu’ils ont parcouru jusqu’à aujourd’hui et qui a conduit à leur récente reconnaissance officielle.

Histoire

L’existence de ces peuples avant l’arrivée des Espagnols est établie, tant dans la partie andine (terres hautes) que dans la région des terres basses. Les référents historiques qui en rendent compte ont pu être identifiés.

Pour cela nous remonterons à la période de la décadence de Tiawanaku dans la région de l’altiplano andin (en 1179 après J.C. pour des raisons encore indéterminées, bien qu’on présume une sécheresse prolongée). La population s’est alors dispersée, une période de crises et de conflits permanents commença. Au cours de cette période, les chefferies locales, ou seigneuries aymaras, dont les bases sont des ayllus[1] sont apparues. Ces ayllus reproduisaient la logique d’un espace relié à deux concepts complémentaires : l’Urqusuyu, espace masculin qui correspond à l’Altiplano et aux montagnes où l’activité principale était l’élevage de camélidés ; l’Umasuyu, espace féminin qui correspond aux vallées où l’activité principale était l’agriculture. Dans les basses terres, des vagues successives de migrants guaranis venus de l’est, qui allaient à la recherche de la « terre sans mal », reconnue pour être la terre bonne pour la culture, occupèrent la région sud de l’actuel territoire bolivien (à partir des Xème et XIème siècles).

Plus tard, aux XVème et XVIème siècles, entre 1450 et 1538, eut lieu le processus de la conquête et de l’expansion de l’empire Inca, dont l’organisation était basée sur la remise en ordre des territoires dominés. Cet empire s’étendit jusqu’à la région occupée par les Guaranis (le Chaco) et aux peuples résidant en ce lieu et jusqu’à la région de ceux qui étaient appelés chunchos ou sauvages (piémont et Amazonie), au cours de la seconde moitié du XVème siècle, pendant laquelle ces derniers furent soumis.

L’État inca développa d’autres fonctions dans le cadre d’un nouvel ordre centralisé. Une des stratégies utilisée pour la conquête a été le déplacement de populations d’une région à l’autre, afin de constituer des enclaves de différentes origines ethniques et culturelles. La population déplacée était appelée mitmas ou mitmaqunas et jouait un rôle stratégique.

« Dans certaines occasions, des personnes fidèles à l’Inca étaient aussi envoyées pour essayer de briser des résistances dans des régions ennemies récemment conquises ou pacifiées, après une rébellion »[2].

La conquête inca s’est consolidée de cette manière, intégrant des groupes de l’Altiplano dans la région andine. À cette époque, l’accès à la terre s’établissait selon différentes modalités : terre de l’État, terres privées affectées à l’Inca, terres affectées à leurs divinités et terres des ayllus affectées aux clans familiaux.

La découverte de l’Amérique et la conquête de ces territoires ont marqué, ensuite, une nouvelle étape. Un autre ordre colonial s’est établi. Il fut constitué par l’installation de nouvelles autorités et par l’imposition de nouvelles structures créées par l’administration hispanique, tels que la “répartition”[3], les “commanderies”[4], les “réductions”[5], le travail forcé[6] et la taxe[7] dans leurs différentes formes. Le résultat de la conquête fut que les peuples autochtones ont été obligés « d’acheter » leurs terres à la colonie espagnole (ce qui arriva dans la région andine). À la même période, dans les terres basses, les incursions espagnoles furent principalement motivées par la recherche du mythique Eldorado ou « grand paititi », le lieu où sont les richesses. Ceci a donné lieu à une série d’expéditions vers l’orient et à l’établissement d’Espagnols dans différentes régions. En parallèle à des expéditions militaires, se produisit la venue des religieux.

Ces religieux mirent en place les “réductions” (regroupement des colonies ethniques en villages d’indiens) ainsi que les missions qui regroupaient les villages dispersés en villages ordonnés, avec une structure urbaine établie autour d’une place. Ces regroupements étaient à la charge des « ordres religieux » tels que les Carmélites, les Augustins, les Dominicains, les Jésuites, les Franciscains, etc., dont la mission était la conversion et l’évangélisation des natifs qu’ils appelaient “indiens”, “néophytes”, “sauvages”, “sans âme” etc. Les caractéristiques des villages de mission persistent jusqu’à nos jours.

Ce qui vient d’être décrit montre la diversité culturelle caractéristique des peuples andins majoritaires (Aymara, Quechua et Urus). Leur cosmogonie met l’accent sur ce qui se rapporte à leur géographie rituelle (collines, montagnes, etc.), leur symbolique etc., leurs moments historiques constitutifs (Ayllu ou époque des seigneuries Aymaras[8], l’État inca et la colonie) etc. Dans la région des terres basses, un éparpillement des peuples orientaux doit être signalé. Leur cosmogonie s’appuie sur un système de croyances qui fait référence aux maîtres de la forêt[9] et à des mythes qui expliquent leurs origines, etc. En les situant sur les aires géographiques de ce qui est aujourd’hui la Bolivie, nous trouvons les Guaranis dans la région du Chaco, les Moxos dans les plaines orientales, les peuples d’Amazonie et les Chiquitanos qui occupent un territoire voisin du bouclier chiquitano et dont l’histoire est liée à la venue des missionnaires.

L’histoire repère les éléments centraux de “l’héritage colonial” en établissant deux moments-clé. Le premier est celui de l’apogée de l’argent (métal), au cours de laquelle la société était divisée entre une « république des Espagnols » et la « république des Indiens », sous la dépendance de la Couronne d’Espagne.

Le second moment s’est produit le 6 août 1825 lorsque fut promulguée la Déclaration d’Indépendance qui fit naître le nouvel État, la Bolivie et une vie républicaine. À son début, la perception du tribut sur tous « les indiens mâles âgés de 18 à 50 ans » fut abolie, mais l’année suivante, le même tribut fut rétabli, portant sur tous ceux que l’on appelait « indiens ». À cette époque, apparut un intérêt pour les propriétés rurales et une attaque des possessions communautaires. Le « Décret de Confiscation qui édictait que toutes les propriétés communautaires appartenaient à l’État et que tous les indiens résidents sur ces terres devaient acheter leurs titres de propriété » fut promulgué. Suivant ce décret, les indiens, qui ne disposeraient pas de ces titres, au terme d’un délai de 60 jours, perdraient leurs terres. Cela entraîna des manifestations et des soulèvements. Ce processus s’intensifia entre 1860 et 1880. Jusqu’alors les 2/3 des terres cultivables étaient encore aux mains des communautés autochtones, mais les Lois d’Abolition de l’Inaliénabilité (Leyes de Ex-vinculacion), qui furent appliquées à partir de 1880, remirent en question la fiscalité et la propriété de la terre. Elles favorisèrent l’apparition des grandes propriétés agricoles.

Entre 1880 et 1932, la situation de la population “indigène” des terres hautes fut compliquée puisque fut remise en cause la propriété collective de la terre. Celle-ci constituait un obstacle face à la proposition du nécessaire développement d’une “paysannerie libre” (en référence à la population rurale) avec des titres de propriété individuelle et non communautaires. Cela a entraîné non seulement la ruine économique de la communauté, mais encore la fin de sa cohésion sociale en tant que peuple dont les membres sont devenus colons et pongos[10]. À la même époque, dans les terres basses, la demande de ressources naturelles de nature extractive (apogée du caoutchouc : 1880) fit recourir à l’utilisation de la main d’œuvre indigène ; ce qui entraîna le déplacement de groupes d’indigènes (Chiquitanos, etc.) vers les zones d’exploitation de la “siringa”[11]. Ces groupes se retrouvèrent ainsi, dans des conditions désavantageuses, entre les mains des élites.

Un fait important de l’histoire bolivienne se produisit au cours de la « guerre du Chaco » (1932-1935). Ce fut le moment d’une rencontre entre deux visions : celle du peuple guarani qui habitait le Chaco, lieu du conflit armé, et celle des soldats de l’occident (indigènes aymaras et quechuas) arrivés pour cette guerre. Ces soldats, recrutés de force, constituaient la population de la zone andine et avaient été amenés depuis les haciendas où ils vivaient comme indiens pongos, sous les ordres du patron pour lequel ils travaillaient. Ce fut précisément au cours de la guerre du Chaco, lorsque les Guaranis, les Aymaras et les Quechuas se rencontrèrent, qu’apparut la prise de conscience chez un groupe d’anciens combattants. Ils commencèrent à aborder des sujets tels que la « question indienne », le problème agraire, la question ouvrière, etc. Tout cela déboucha sur la révolution nationale de 1952 ; celle-ci eut comme résultat la mise en œuvre de réformes l’année suivante, en1953. Le décret-loi de réforme agraire au profit des ponchos[12] et des pututus[13], donc au profit des familles des peuples indigènes aymaras et quechuas qui habitaient en Ucureña[14], fut approuvé. Cette réforme reposait sur le principe central de « la terre appartient à celui qui la travaille ». Elle abolissait tout type de latifundia et, en conséquence, le « système du pongo[15] » et le « système du mita[16] ». Cette réforme consolidait un autre mode de propriété de la terre : le minifundia.

L’histoire a montré le processus d’exclusion qui s’ensuivit et auquel furent soumises les populations indigènes et autochtones, depuis les époques passées jusqu’à la décennie des années 50. Les soulèvements et les rébellions ont eu pour moteur la non-reconnaissance des divers peuples ayant des cultures propres en plus de la revendication de leurs terres. À partir de la réforme agraire de 1953 on chercha l’homogénéisation de la population rurale, en les dénommant paysans, en ne reconnaissant pas les différents peuples indigènes et autochtones existants, pas plus que leur logique d’organisation communautaire. La réforme ignorait le mode de vie des indigènes qui se consacrent à des activités de chasse, de pêche, de cueillette, complétées par des activités agricoles et d’élevage, ce qui implique l’usage d’espaces et non de petites parcelles.

Période contemporaine

Les peuples qui se sentaient exclus ont commencé à prendre conscience de leur réalité, et, à partir des deux dernières décennies du XXème siècle (1980-1990), le mouvement indigène bolivien va s’organiser autour d’un processus revendicatif. Celui-ci avance, face à l’État et à la société, des demandes dont l’objet est d’obtenir la reconnaissance de leurs droits et de leurs formes traditionnelles d’organisation en matière d’administration du territoire et d’organisation socio-politique.

Une pression internationale tendant à constituer un droit indigène (source de droits collectifs et individuels) a contribué à l’avancement du processus[17] ; dans le même sens, la violence subie par les indigènes a engendré leur exigence d’être reconnus comme des acteurs sociaux actifs. Ceci déboucha sur la marche historique « pour le territoire et la dignité » (1990).

Les principales revendications du mouvement indigène bolivien se sont orientées vers la reconnaissance de leurs droits, spécialement de leurs droits territoriaux. La présence de ces populations indigènes au siège du gouvernement a montré la diversité culturelle et a eu pour résultat la reconnaissance par Décret Suprême de cinq territoires indigènes.

On doit signaler que, dans l’histoire du pays, un Aymara des terres hautes, Victor-Hugo Cardenas, fut élu vice-président de la République au suffrage direct et exerça cette fonction au cours d’un mandat de quatre ans, ce qui fut une façon d’intégrer un représentant de la population indigène autochtone.

Ultérieurement, en 1994, la législation a introduit le caractère multi-ethnique et pluri-culturel de la Bolivie et a stipulé qu’étaient reconnus, respectés et protégés dans le cadre de la loi, les Droits Sociaux, Économiques et Culturels des Peuples Indigènes résidant sur le territoire national. Cette ouverture d’un espace de participation aux peuples indigènes et autochtones a permis, deux ans plus tard, la reconnaissance de leurs espaces territoriaux sous la forme de titres de propriété portant sur les « terres communautaires d’origine » ; celles-ci sont entendues comme des « espaces géographiques qui constituent l’habitat de peuples indigènes et autochtones auxquels ils ont traditionnellement accès et sur lesquels ils maintiennent et développent leurs propres formes d’organisation économique, sociale et culturelle, de manière à assurer leur survie et leur développement[18] ». Ces terres ne peuvent être divisées ou détournées, elles sont collectives et sont composées de propriétés communautaires et de co-propriétés.

Cependant, malgré son inscription dans la législation bolivienne, le caractère multi et pluri-culturel, soit ne répondait pas aux aspirations, soit était très lent dans sa mise en œuvre. De ce fait, la revendication de multi-culturalité s’exprime à nouveau en 2002. Le mouvement indigène des basses terres a pris la tête d’une marche « pour la souveraineté populaire, le territoire et les ressources naturelles » qui revendiquait une plus grande implication et participation dans les décisions du pays.

Un fait important à signaler a été les élections de 2005 qui ouvrent une nouvelle époque dans l’histoire du pays, par la participation active des indigènes, autochtones et paysans. En tant que mouvements sociaux, ceux-ci sont arrivés au gouvernement par l’intermédiaire du Movimiento Al Socialisme (MAS) et de son leader, l’actuel président Evo Morales. En plus d’être le premier président d’origine quechua, il a réussi à obtenir l’appui le plus fort de l’histoire de la Bolivie avec 54 % des suffrages. Il a assumé la présidence avec un calendrier d’engagements avec les mouvements sociaux (peuples indigènes, autochtones, paysans, comités de quartier, etc.). Il a promulgué la Loi Spéciale de Convocation à l’Assemblée Constituante et au référendum sur l’autonomie. Nous citons ce fait parce que, lors des élections à l’Assemblée Constituante, le parti du gouvernement (MAS) l’a emporté dans tout le pays, avec une forte participation des organisations indigènes, autochtones, paysannes et de colons[19]. Ces organisations indigènes des terres basses (Chiquitanos, Mojeñotrinitarios, Guaranis, etc.) ou des terres hautes (Aymaras et Quechuas) ont eu des représentants à l’Assemblée Constituante.

La demande d’une nationalisation des hydrocarbures a été un autre de ces engagements. Elle a été réalisée en 2006. Cette question est largement en relation avec les peuples indigènes car les concessions coïncident avec les espaces occupés par ces peuples, spécialement les Guaranis dans le Chaco bolivien. Sur cette question, les organisations d’indigènes et de paysans avaient fait une proposition pour une réglementation assurant le contrôle socio-environnemental et l’établissement d’un processus de consultation et de participation des peuples indigènes, autochtones et paysans lors d’activités pétrolières (en application du droit d’être consulté figurant dans la Convention 169 de l’OIT). Celle-ci pose le principe qu’avant le début d’une activité pétrolière, une consultation des peuples indigènes, autochtones et paysans doit être réalisée.

Sur la même question, une réglementation concernant l’imposition directe des hydrocarbures et la création d’un fonds de développement au bénéfice des peuples indigènes, autochtones et paysans fut approuvée.

Sur l’ensemble des questions agraires, les peuples indigènes, autochtones et paysans[20] sont parvenus à obtenir des avancées intéressantes, marquant un grande avancée dans leur lutte historique pour la terre et le territoire. La politique agraire actuelle s’oriente vers la distribution et la redistribution de terres remises en dotation collective et gratuite aux peuples indigènes, autochtones et paysans. L’accès à la propriété de la terre en personne propre aux femmes est une autre avancée qui a été inscrite dans la nouvelle Constitution Politique de l’État, approuvée par le référendum de janvier 2009[21].

La Nouvelle Constitution Politique de l’État conçoit la Bolivie comme un État de droit plurina­tional, communautaire et inter-culturel, avec une reconnaissance explicite de toutes les cultures existant dans le pays. De même, elle leur garantit le libre pouvoir de décision dans le cadre de l’unité nationale, leur droit à disposer de leur propre culture et à leur établissement sur leur propre territoire. Elle stipule que la Bolivie est constituée de peuples indigènes, autochtones et paysans, de communautés inter-culturelles et afro-boliviennes, et de plus, elle reconnaît comme langues officielles le castillan et toutes les langues des nations et des peuples indigènes, autochtones et paysans[22].

Le recensement de 2001 décomptait 33 peuples indigènes et autochtones. La nouvelle Constitution ajoute la reconnaissance des « descendants d’Africains » qui furent amenés depuis l’Afrique au temps de la colonisation. Elle ajoute également deux peuples indigènes, les maropas et les toromonas, en même temps qu’elle a reconnu comme langues officielles des langues (puquina, machajuyai-kallawaya, zamuco) qui ne figuraient pas dans le recensement de 2001 qui marquait le fait officiel de ces reconnaissances. Les Kallawayas sont, depuis l’époque pré-inca, des médecins herboristes qui existent encore aujourd’hui et se trouvent au nord de la ville de La Paz. Ce groupe a été inscrit au « patrimoine oral et intangible de l’humanité » (UNESCO 2004).

Deux textes juridiques (la Convention 169 de l’OIT et la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Indigènes), ratifiés par des lois de la République, ont permis des progrès impor­tants concernant les droits des peuples indigènes en Bolivie tout autant que la Nouvelle Constitution politique de l’État. Celle-ci reconnaît les peuples indigènes, autochtones et paysans (IOC) et a ins­crit « l’autonomie indigène, autochtone et paysanne » comme un des éléments centraux pour la nouvelle organisation territoriale de l’État. Un des moyens utilisés pour parvenir à l’autonomie est la transformation des terres communautaires d’origine (TCO) en Entités Territoriales Autono­mes Indigènes, Autochtones et Paysannes. De même, ces peuples vont participer aux prochaines élections en disposant de sièges [23] spécifiques. La récente loi promulguée, à l’occasion de la convo­cation d’élections en 2009, met en place sept “nominations” ou sièges spéciaux réservés aux peuples indigènes, autochtones et paysans minori­taires, ce qui permettra la présence de représen­tants de ces peuples dans la prochaine Assemblée Plurinationale. On doit signaler que toutes ces réussites ont été rendues possible grâce aux structures d’organisation que possèdent les peuples indigènes, autochtones et paysans.

Dans les terres basses, l’organisation de niveau national qui réunit les indigènes est la « Confederacion de Indigenas del Oriente Boli­viano » [Confédération indigène de l’est bolivien] (CIDOB) qui à son tour possède des organisations régionales dans les différents départements où sont présents des peuples indigènes. On trouve, ainsi, l’Asamblea del Pueblo Guarani (APG), la Central de Pueblos Indigenas del Beni (CPIB), la Central Indigena de la Region Amazonica de Bolivia (CIRABO), la Central Indigena de Pueblos de la Amazonia du Pando (CIPOAP), etc.

La même chose se répète dans les terres hautes. L’organisation qui représente les peuples autochtones au niveau national est le Consejo Nacional de Ayllus y Markas del Qollasuyo (CONAMAQ). Les paysans ont également leur organisation-mère, la Confederacion Sindical Unica de Trabajadores Campesinos de Bolivia (CSUTCB), avec des organisations régionales dans chacun des départements. De même, l’organisa-tion-mère des colons est la Confederacion Nacional de Colonizadores de Bolivia (CNCB) ; ces colons, à partir de 2009, prennent le nom de « Communautés interculturelles » en raison de la présence de populations originaires de différents secteurs du pays. On doit également signaler que les femmes aussi sont organisées au sein de la Federacion Nacional de Mujeres Indigenas, Originarias, Campesinas de Bolivia – “Bartolina Sisa” (FNMIOC-BS). Ces cinq organisations se situent au niveau national.

Conclusions

La Bolivie est un pays doté d’une diversité culturelle ; 36 peuples indigènes, autochtones et paysans, en plus des descendants d’africains sont reconnus. Tous sont établis dans tout le pays. La région andine est appelée Terres Hautes et la région qui correspond à l’Orient, l’Amazonie et le Chaco, Terres Basses. Tout au long de l’histoire, les peuples appelés indigènes, autochtones et paysans ont lutté pour obtenir la reconnaissance de leurs droits. À ce sujet, la Nouvelle Constitution Politique de l’État, récemment approuvée (2009), reconnaît les peuples indigènes, autochtones et paysans et stipule que la Bolivie est un État pluri-national. Dans ce cadre, les peuples indigènes peuvent se constituer en territoires indigènes, autochtones et paysans (TIOC) disposant de leurs autonomies indigènes.

 

Glossaire

Ayllu : « est une forme très particulière d’occupation d’un territoire qui cherche à disposer d’une diversité de sols, de climats et de niveaux d’altitude pour satisfaire les besoins. Au même titre que l’organisation sociale, la terre se dédouble en plusieurs niveaux de segmentation et de parcelles, dont les limites sont révisées périodiquement par les autorités moyennant un parcours appelé rodeo ». Cf. Ayllu : Pasado y futuro de los pueblos originarios, Taller de Historia Oral Andina [Atelier de l’histoire orale andine], éd. Aruwiyiri, 1995, p. 27.

Ayllu « c’est la base des groupes ethniques. Il est composé d’un noyau endogame qui réunit un certain nombre de lignées, avec une possession collective d’un territoire délimité ». Nathan Wachtel, Sociedad e Ideología. Ensayos de Historia y Antropologías Andinas, IEP, Lima, Pérou, 1973, p. 63.

 

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Bolivie, Constitution Politique  de l’État

2004, Constitution de 1967 comprenant les modifications introduites jusqu’à avril 2004.

2008, Constitution de 2008, ratifiée par le référendum du 25 janvier 2009.

 

Bolivie, Législation citée

1991       Loi 1257, Ratification de la Convention 169 de l’OIT

1994       Loi 1551, Participation Populaire

1996       Loi 1715, INRA

2001       Loi 2235 du Dialogue National 2000

2007       Loi 3760, Approbation de la Déclaration des Nations Unies sur les  Droits des Peuples Indigènes.

République de Bolivie

Carte des villes et des peuples

 

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Carte élaborée par l’ing. géog. Ronald Arturo Ortubé Betancourt – RNI/12086.

Nota : Les limites politiques administratives ont un caractère provisoire – EX COMLIT .

Source : Instituto Nacional de Estadisticas – Recensement de 2001, La Paz, Bolivie.

 

 

Notes:

* Sociologue, spécialité : analyse et gestion des conflits, conseillère technique auprès du PADEP – GTZ (coopération technique allemande en Bolivie)

Texte aimablement traduit avec l’aide du Collectif de soutien à l’ALBA de Grenoble.

[1] L’ayllu est une famille élargie au sein de laquelle les membres, regroupés en familles nucléaires simples et composées, étaient unis par des liens de véritable parenté. Waldemar Espinoza Soriano, Los Incas, economía, sociedad y Estado en la era del Tawantinsuyo, éd. Amaru, Lima, Pérou, 1987.

[2] María Rostworowski De Diez Canseco, Historia del Tuhantinsuyu, Instituto de Estudios Peruanos, IEP, Lima, Pérou, 1988, p. 222.

[3] Concession stable, fixe ou variable, renouvelable ou définitive, de services fournis par des indigènes à un individu ou à une communauté espagnole.

[4] Noyaux d’Indiens et de leurs territoires confiés ou donnés aux Espagnols.

[5] Villages où est regroupée une population dispersée d’Indiens.

[6] Ce sont des prestations de service.

[7] Tribut à payer en échange d’une concession, à la charge de l’autorité.

[8] C’est moi qui souligne et identifie, en suivant Waldernar Espinoza Soriano, Temas de etnohistoria boliviana, Producciones Cima, La Paz, Bolivie, 2003.

[9] Les maîtres de la forêt font partie de croyances des peuples indigènes qui se rapportent aux forces surnaturelles tutélaires des ressources naturelles (animaux, plantes, etc.).

[10] Travailleurs contraints au travail non rémunéré.

[11] Siringa est le nom donné par les populations de la vallée amazonienne à l’arbre à caoutchouc, dont le nom scientifique est hevea elastica ou hevea brasiliensis.

[12] Le poncho est un vêtement fabriqué au métier à tisser (manuel) avec de la laine de mouton, de lama ou d’alpaga.

[13] Le pututu est la corne de vache utilisée par les peuples de la région andine comme instrument qui émet un son d’appel.

[14] La Bolivie est divisée en neuf départements ; l’Ucureña concerne les localités situées dans la zone rurale du département de Cochabamba.

[15] Pongo : à l’époque où existait le « système du pongo » connu comme reposant sur des personnes travaillant pour un patron sans rétribution économique.

[16] Mita : mesure par laquelle les colonisateurs espagnols astreignirent les indiens à différents travaux forcés [ndlr].

[17] La Convention 169 concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants est issue de la 76ème Conférence Internationale du Travail (OIT) des Nations Unies, qui s’est tenue à Genève en 1989. Elle a été ratifiée par la Bolivie, par la loi 1 257 du 11 juillet 1991.

[18] Loi 1 715 de la République, Institut National de la Réforme Agraire, 1996.

[19] Est ainsi désignée la population qui a émigré depuis les hautes terres vers les terres basses en Bolivie.

[20] On peut apporter un éclaircissement sur l’usage du mot “paysan”. Selon Xavier Albo, la population de la région andine et également les colons ont préféré « le terme paysan depuis, qu’avec la Révolution (de 1952) et la réforme agraire du Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (1953), ce mot fut choisi pour éviter les discriminations associées à l’usage des termes “indiens” ou “indigènes”… ». Cette catégorie répondait à l’intérêt d’unifier culturellement autour des valeurs occidentales les indigènes en instaurant l’individualisme et en transformant leurs terres en parcelles, ce qui permettait de concevoir l’indigène comme un travailleur rural. Par conséquent, on ne doit pas comprendre le terme “paysan” en le réduisant aux seuls indigènes autochtones et paysans qui, de plus, vivent de leur travail personnel dans la pêche et l’agriculture. Il ne peut pas non plus être étendu aux paysans agriculteurs d’autres origines postérieures historiquement. Dans ce sens habituel “paysan” ne s’oppose pas aux deux autres termes, comme s’ils faisait référence à un autre groupe ou même à une autre réalité humaine, si ce n’est seulement de la manière historique par laquelle il fut adopté, essentiellement depuis 1952, pour les réhabiliter, en face des attitudes péjoratives que provoquaient les autres, mais pour se rapporter, sur le fond, à la même chose.

[21] L’actuelle nouvelle Constitution a été approuvée par l’Assemblée Constituante en 2008, le texte final a été arrêté le 21 octobre 2008 et ratifié par le référendum de janvier 2009.

[22] Nouvelle Constitution politique de l’État, articles 1, 2, 3 et 4.

[23] Circonscriptions de représentation politique, désignées de manière spécifique pour participer aux élections.