Soumaila Doumbia*
Julie Lazes*
Introduction
Au printemps 2008, les organes dirigeants du FMI ont entériné une réforme des quotes-parts censée lui redonner sa crédibilité sérieusement ébranlée à la suite de ses échecs dans le traitement des crises de la dette et de la crise asiatique. Cette réforme résulte d’un long processus de négociation. Elle révèle une nouvelle fois la persistance des rapports de force entre nations, notamment en ce qui concerne la gouvernance des institutions internationales. Ces rapports de force révèlent aussi l’importance du rôle joué par cette institution non seulement comme moyen d’accès aux ressources financières pour les pays en développement, mais aussi comme moyen de pression et d’influence stratégique pour certains pays du Nord sur les pays du Sud.
Pour comprendre ce phénomène, revenons brièvement au point de départ. La création du FMI en décembre 1945, suite à la Conférence de Bretton Woods, avait pour but de prévenir, par un mécanisme d’intervention internationale sur les déséquilibres des balances de paiements, les politiques économiques désastreuses qui avaient abouti à la grande dépression des années 1930. Très vite, les grandes puissances ont manifesté leur intérêt à peser dans les organes de décision de l’institution. L’antagonisme entre le plan White (alors sous-secrétaire d’État Américain au Trésor, chef de la délégation des États-Unis) et le plan Keynes (chef de la délégation britannique), reflétant non seulement de grandes divergences de conception quant à la nature des relations économiques internationales et leurs objectifs, mais aussi les rapports de force entre les États-Unis et le Royaume-Uni, a tourné à l’avantage des premiers. Les grandes orientations qui ont été assignées au FMI résultent ainsi du plan White et demeurent encore valides. Elles concernent la restauration de la stabilité des changes pour empêcher le recours aux dévaluations compétitives et un mécanisme d’assistance temporaire aux pays connaissant un déficit de leur balance des paiements pour éviter le repli protectionniste.
Le FMI, qui devait contribuer à la prospérité de l’économie mondiale, va en fait la déstabiliser. Cette contre-performance va être à l’origine de « la grande désillusion » dont parle Joseph Stiglitz[1] et de l’avalanche de critiques venant des milieux universitaire, intellectuel etc. Globalement, les critiques sont de trois ordres :
– la première concerne la philosophie du FMI. Il est accusé d’avoir un traitement analogue des difficultés économiques sans considérer les structures spécifiques des pays concernés (en développement, en transition, émergents, etc.) et la nature du problème auquel il fait face (crise, transition ou sous-développement). Le Fonds aurait contribué à la globalisation via une « recette unique », valable pour tous les pays, les politiques d’ajustement structurel, qualifiées parfois de « prêt-à-porter ». Son manque d’attention à l’objectif de croissance, à la notion d’équité et les conditions trop contraignantes liées à ses prêts ont fait de lui l’un des piliers de l’idéologie néolibérale et un puissant moyen d’influence des pays développés.
– la deuxième se rapporte à ses règles et moyens d’action, qui relèvent d’une construction historique complexe. Initialement, le Fonds devait faire face aux déficits temporaires de la balance des paiements. Comme les pays développés, ses principaux actionnaires, se sont émancipés de son financement au profit de celui du marché des capitaux, le FMI doit maintenant faire face, au nom du principe d’universalité, au déficit chronique d’un grand nombre de pays issus de la vague d’indépendance des années 1960 et de l’éclatement du bloc soviétique. Or, ses moyens d’action n’ont pas été conçus pour une telle mission, ses interventions deviendront de ce fait inadaptées, quasi-perpétuelles avec une forte dose d’ingérence dans les affaires internes de ces pays.
– enfin, le troisième type de critique touche l’institution-FMI en tant que telle. Il s’agit ici des questions autour des rapports de force au sein du conseil d’administration plus favorables aux pays développés, du manque de transparence dans la procédure de sélection du directeur général, des modalités d’attribution des quotes-parts qui négligent le poids relatif de certains pays dans l’économie mondiale, du processus décisionnel et de la responsabilité, c’est-à-dire qu’il doit rendre compte de ses actes aux États membres qui le constituent.
Il y a un consensus sur la nécessité d’une réforme du FMI. En revanche, les propositions sont multiples (Commission Meltzer, observateurs, propositions internes, etc.) et leur mise en œuvre se révèle délicate. Le présent travail tente de faire le point sur la portée de la réforme engagée. Notre hypothèse est que cette réforme peut être considérée comme avortée, en raison du statu quo dans les rapports de force entre Nord – Sud qui se répercutent directement sur les décisions tant de gouvernance interne (1) que dans les relations avec les pays débiteurs (2).
1 – L’opacité qui règne sur le FMI
Depuis la deuxième guerre mondiale, la plupart des nations ont tenté, tant bien que mal, d’avoir une influence dans les institutions internationales. Cette volonté des nations s’explique par l’impact politique et économique des décisions de ces institutions. Le mécanisme de prise de décision au sein du FMI se fait à travers deux organes majeurs : le Conseil des gouverneurs, qui est l’organe suprême et le Conseil d’administration, qui est chargé de mener les affaires courantes[2]. À ces deux niveaux, il faudrait ajouter le personnel et le directeur général dont le pouvoir peut, dans certaines circonstances, avoir un impact sur les décisions.
1.1 – Le flou qui entoure la détermination des voix
Statutairement, les décisions du FMI sont prises par vote du Conseil des gouverneurs et / ou du Conseil d’administration. L’importance du pouvoir de vote d’un pays résulte de l’importance de sa contribution au capital social de l’institution (quote-part) qui fonctionne de ce fait comme une société anonyme.
Il n’existe aucune règle de détermination des quotes-parts dans les statuts du FMI. Chaque pays a 250 voix de base, puis la répartition des droits de vote se fait selon la proportion d’une voix pour 100 000 DTS[3]. Pour évaluer la quote-part d’un pays, il existe 5 formules assez proches, mais qui diffèrent dans les coefficients de pondération. Cependant, les formules de calcul des quotes-parts ont tout simplement une valeur indicative car la quote-part effective d’un pays est obtenue par négociation et pourrait se différencier de la quote-part calculée. Autrement dit, les quotes-parts effectives ne reflètent pas forcément le poids économique des pays. Il en résulte que le poids de certains pays se révèle sous-évalué, ce qui est un point d’ombre pour une institution censée refléter l’importance économique de ses pays membres.
La modification des quotes-parts repose sur une procédure tout aussi floue. Dans les statuts du Fonds, une révision quinquennale est prévue. Lors de ces révisions un volume d’augmentation globale, en fonction des besoins du FMI, est déterminé. La répartition de cette augmentation entre les États membres donne souvent lieu à des conflits d’intérêts. En effet, deux types de répartition sont envisageables : l’augmentation globale des quotes-parts répartie de façon équi-proportionnelle entre l’ensemble des pays membres et / ou une augmentation globale issue d’une hausse sélective pour les pays qui ont connu une performance économique se traduisant par un écart considérable entre leurs quotes-parts effective et calculée.
En général, les augmentations sélectives sont rares car elles donnent lieu à un changement de rapports de force dans l’institution. Une augmentation de la quote-part d’un pays se fait toujours au détriment des autres. En outre, toute révision des quotes-parts nécessite l’accord de 85 % des membres du Conseil des gouverneurs. C’est à ce niveau qu’apparaît une nouvelle fois l’incohérence des procédures internes du FMI. D’abord, les États-Unis, avec 17,09 % du total des voix, peuvent tout simplement s’opposer si l’augmentation envisagée ne s’inscrit pas dans leurs intérêts. En plus, d’autres régions, par exemple l’Europe, sur-représentée non seulement en termes de voix, presque le double de celle des États-Unis d’Amérique, mais aussi en termes du nombre d’administrateurs (8), peut aussi bloquer toute modification des projets pour une répartition équilibrée du pouvoir de vote entre pays du Sud et du Nord[4]. Cette prédominance des pays occidentaux dans les organes décisionnels jette un discrédit sur la légitimité des interventions du FMI à destination exclusive des pays en développement.
1.2 – Une réforme au résultat mitigé et la persistance de l’opacité
L’ambition affichée de la réforme actuelle était de restaurer la crédibilité du FMI via une meilleure prise en compte des voix des pays en développement. Pour cela, une nouvelle formule des quotes-parts a été proposée. Celle-ci est censée être plus transparente et plus simple. Elle comprend quatre variables : PIB, ouverture, variabilité des recettes courantes et réserves. Chaque variable est pondérée respectivement par un coefficient de 50 %, 30 %, 15 %, et 5 %. Le coefficient affecté au PIB est subdivisé en PIB au taux de change du marché (à hauteur de 60 %) et en termes de parité de pouvoir d’achat (PPA) (à hauteur de 40 %)[5]. La prise en compte du PIB en termes de PPA permet de mieux refléter le poids économique des pays en développement plutôt que son évaluation exclusive au taux de change du marché. Cependant, comme nous l’avons vu, la quote-part calculée d’après cette nouvelle formule ne dérogera pas à la règle : elle aura simplement une valeur indicative. Par conséquent, ce « progrès » restera sans effet concret.
Au final, la réforme tant attendue s’est traduite premièrement par une augmentation sélective des quotes-parts de la Chine, de la Corée du Sud, du Mexique et de la Turquie. Cette mesure, censée entraîner un rééquilibrage des rapports de force au sein des organes de décision, a permis tout simplement un transfert de 1,6 % des voix des pays développés vers les pays en développement. Désormais, les voix des pays du Nord passent de 59,5 % à 57,9 % et celles du Sud de 40,5 % à 42,1 %[6]. Deuxièmement, elle a entraîné un triplement des voix de base de tous les pays membres. Ce dernier volet est présenté comme une mesure qui permettra de « préserver la représentation des petits pays ». Sans tarder sur ce dernier point qualifié « de poudre aux yeux » par certains journaux, la réforme accorde également un administrateur suppléant, en plus des deux administrateurs africains, qui représentent à eux seuls un continent aussi vaste et peuplé. On peut s’interroger sur la part d’ironie contenue dans les ambitions de la réforme : l’allègement des charges du travail de ces administrateurs !
1.3 – La confusion autour de la procédure de nomination du directeur général
Un autre aspect important de la réforme du FMI concerne la procédure de nomination de son directeur général. Le directeur général du FMI est à la fois le président du Conseil d’administration et le responsable en chef du Fonds. Il a un droit de vote dans le cas particulier où il faudra départager les administrateurs. L’Europe a eu le privilège, à travers probablement un accord tacite, de désigner le directeur général du FMI et cela depuis sa création. Les divergences apparaissent souvent entre les pays européens autour de ce privilège. La coïncidence de la candidature de Camdessus et celle du néerlandais Ruding est un exemple évident.
La démission surprise de Horst Köhler a été l’occasion de soulever cette question. Des groupes de travail ont été créés au sein des Conseils d’administration du FMI et de la Banque mondiale pour établir des directives sur la procédure de sélection de leur dirigeant respectif. Dans leur rapport conjoint, ces groupes ont recommandé que, dans un premier temps, les administrateurs déterminent les qualifications requises des candidats et créent un groupe consultatif. Ce groupe examinerait et évaluerait les éventuelles candidatures qui mériteraient d’être retenues par les différents gouvernements. Les évaluations seraient soumises aux administrateurs qui établiraient une liste de candidats sélectionnés parmi lesquels le directeur général serait choisi.
Le problème est que la conclusion de ce groupe de travail n’a pas été suivie d’action. La nomination de Rodrigo Rato en 2004, puis celle de Dominique Strauss-Khan en 2007 a entraîné un mécontentement généralisé dans les pays en développement. Un grand nombre de ces pays se sont opposés à cette règle tacite selon laquelle le directeur général du FMI doit être un ressortissant européen et le président de la Banque mondiale un américain. Une telle procédure de nomination jette un discrédit sur les propositions de réforme venant de l’intérieur de ces institutions. Elle consolide l’idée selon laquelle le FMI est un moyen d’influence des pays du Nord et qu’il est une institution fermée qui fait obstacle aux mesures de réforme. Ainsi la question se pose-t-elle de la crédibilité et même de la légitimité des décisions du FMI qui reflètent le point de vue et les intérêts des pays développés, mais qui sont appliqués dans les pays en développement.
En effet, la réforme actuelle de la gouvernance du FMI se fait à la marge. D’abord, la proposition d’une nouvelle formule n’aura pas d’effet à partir du moment où les quotes-parts effectives des pays membres sont toujours le fruit des négociations. D’autre part, le rééquilibrage des rapports de force est loin d’être une réalité. Finalement, il convient de retenir que le FMI fonctionne comme une société anonyme dont les actionnaires (les États développés) soumettent leurs débiteurs (les pays en développement) à leurs décisions. Le principe selon lequel le Fonds serait une mutuelle où les pays sont tour à tour prêteurs et emprunteurs ne correspond pas à la réalité. En fait, les pays développés qui ne recourent plus à ses fonds détiennent une position de force sur le FMI, ce qui se traduit par son instrumentalisation à des fins politiques et aux intérêts des particuliers. C’est pour cette raison que les projets de réforme devraient également résoudre le rapport conflictuel entre les pays développés et les pays en développement afin que les mesures du FMI puissent avoir une certaine légitimité soutenable.
2 – Évolution des relations avec l’extérieur
Les échecs du FMI dans sa mission d’assistance ne se sont pas traduits seulement par une tentative de réforme interne afin de retrouver une certaine crédibilité, il a fallu également afficher un désir de changement dans ses relations avec les pays qui sollicitaient son soutien financier. Cette nécessité de modifier le contenu de ses préconisations provient de l’ampleur de son ingérence par le passé et des mauvais résultats des mesures de politique économique prônées. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de crédibilité du FMI (comme dans le cas de son projet de restructuration interne) mais également d’un déficit de confiance entre les différents partenaires.
2.1 – Le retour sur les plans d’ajustements structurels
Bien que déterminantes dans la restauration de l’ordre mondial après la Seconde Guerre, ce n’est qu’à partir des processus d’indépendance puis des grandes crises économiques mondiales (chocs pétroliers notamment) que les institutions de Bretton Woods, et le FMI en tête, virent leur pouvoir et leur importance sur la scène internationale s’accroître, du fait de l’évolution de leurs missions. Désormais en charge de la répartition des fonds prêtables et du financement de la croissance des pays « en développement », le FMI a peu à peu imposé un programme strict de bonnes pratiques macroéconomiques aux pays surendettés.
Face à un environnement instable (hyperinflation, chocs sur le cours des matières premières, défauts de remboursement des dettes), le FMI devait rassurer ses membres, quant à la solvabilité et la stabilité des pays risqués ou en situation de défaut. Pour cela, les prêts et les délais accordés s’accompagnaient de la conditionnalité[7]. Cette ingérence dans la politique économique et dans l’organisation des pays débiteurs a pris progressivement de l’ampleur: tout d’abord, sous forme de conseil et d’assistance, elle s’est, par la suite, transformée en contrats, en « profession de foi » obligatoire et standardisée, connue sous le nom de consensus de Washington.
Il s’agit en fait du consensus tacite entre les pays détenteurs des fonds prêtables (en grande proportion les pays très industrialisés) vis-à-vis des garanties que le pays emprunteur doit respecter. Cette politique de confiance repose sur deux types de mesures : à moyen terme, afin de stabiliser l’économie (niveau des prix) et, à long terme, afin de réformer en profondeur le pays (pour revenir à un arbitrage, une allocation des ressources par le marché). L’idée prônée derrière ce consensus est que seul le marché permet une allocation efficiente et optimale des ressources et que par l’enchaînement suivant, il pourra résoudre les problèmes de développement :
→ hausse des recettes de l’État → hausse des dépenses publiques
→ croissance → hausse de la production et de l’emploi → hausse du bien-être
→ hausse des revenus → hausse de la consommation et baisse de la pauvreté.
En définitive, une fois la stabilité retrouvée, — au travers de mesures-choc, de signaux forts favorisant l’investissement étranger dont manquent les pays en développement — il serait possible de lutter efficacement contre la pauvreté et de rentrer dans un cercle vertueux de croissance.
2.2 – La fin du lien de causalité systématique entre croissance et bien-être
La vague de libéralisme dans les pays du Sud a accéléré le rythme des crises et leur propagation rapide à partir des années 80-90. Ces récessions, en plus de déstabiliser l’économie mondiale, n’ont pas permis de résoudre les problèmes distributifs dont la face la plus visible est la pauvreté : les inégalités Nord – Sud se sont alourdies et la disparité entre les plus riches et les plus pauvres au niveau local s’est également approfondie.
C’est sur ce terrain que la critique du « consensus de Washington » s’est faite en rejetant la conception qui faisait du développement un problème purement technique d’allocation de ressources[8]. La préoccupation principale était le maintien de l’inflation à un niveau bas[9], alors que l’équité sociale en constitue également un point important. Dès lors, la littérature s’est intéressée au problème dans le sens inverse, en soulignant les blocages que les inégalités peuvent générer pour la croissance économique :
« – elle [l’inégalité sociale] est généralement associée à l’instabilité politique, qui décourage l’investissement ; – elle peut réduire la capacité des groupes sociaux d’arriver à des compromis mutuellement acceptables ;
« – elle peut décourager l’émergence de normes contribuant à promouvoir l’efficacité ;
« – elle peut limiter l’efficacité des mécanismes d’incitation tels que la modification du niveau des prix »[10].
Au-delà de cette focalisation sur le problème d’inégalité sociale entre riches et pauvres — qui s’est traduite par l’adoption des Objectifs du Millénaire pour le développement — une autre critique est apparue : les conditions qui permettent au marché d’allouer au mieux les ressources — l’absence d’externalités et de biens publics, la concurrence parfaite et l’existence d’un système complet de marchés — sont-elles présentes dans les pays-cible ?
C’est dans ce cadre que la question de la place des institutions publiques dans le développement a commencé à se poser (entre autres, par D. Rodrik depuis le début des années 2000[11]).
2.3 – L’institutionnalisme au secours du consensus de Washington
La réforme du « consensus de Washington » s’est faite au travers du renouveau du courant institutionnaliste — depuis les travaux de North (1990 et années suivantes). Déjà présentes dans le « consensus première génération » — avec la garantie des droits de propriété — les institutions deviennent le centre d’intérêt de la politique de « deuxième génération ».
Après la pauvreté, les lacunes institutionnelles viennent expliquer l’échec du marché à garantir une allocation efficiente et à instaurer une certaine stabilité. Ces obstacles à la croissance, d’ordre plus politique et culturel qu’économique, nécessitent une réforme institutionnelle basée sur un processus participatif et le renforcement démocratique, connue sous le nom de « bonne gouvernance ». Ces bonnes institutions, nécessaires à l’établissement d’un environnement sain doivent répondre aux impératifs suivants[12] :
– la responsabilité (accountability) : les dirigeants politiques ont une obligation de rendre compte de leurs actions devant la population ;
– la transparence : l’information doit être disponible et facile d’accès à tous les citoyens ;
– l’état de droit (rule of law) : la sécurité des citoyens doit être assurée et le respect de la loi garanti, notamment par l’indépendance des magistrats ;
– la participation ou l’articulation de préférences, de demandes (la notion se réfère à un moyen d’obtenir un appui et une coopération locale mais aussi d’asseoir une légitimité populaire) ;
– la sensibilité[13] (responsiveness) : la “bonne gouvernance” exige que les institutions et les processus essaient de servir tous les dépositaires d’enjeux dans un délai raisonnable ;
– le consensus orienté : une médiation des intérêts différents est nécessaire pour atteindre un consensus général privilégiant l’intérêt de la communauté entière. Une perspective générale et à long terme est aussi exigée concernant le développement humain soutenable et les moyens à mettre en œuvre ;
– l’équité[14] : le bon fonctionnement d’une société repose sur le fait que ses membres ne se sentent pas exclus du courant dominant. Cela exige que tous les groupes, mais en particulier le plus vulnérable, aient des occasions d’améliorer ou de maintenir leur bien-être ;
– l’efficacité : les traités et les institutions doivent produire des résultats qui satisfont aux besoins de la société en faisant le meilleur usage possible des ressources à leur disposition. Le concept d’efficacité dans ce contexte couvre aussi l’usage raisonnable des ressources naturelles et la protection de l’environnement.
Cette évolution est clairement une reconnaissance de l’influence du politique sur l’économique. Le libéralisme, tel que défendu par les néoclassiques, a été érigé comme instrument le plus efficient et le plus juste pour arbitrer les conflits distributifs[15] et organiser les échanges. La démocratie moderne, qui est perçue par nos sociétés contemporaines comme le mode de gouvernance le plus juste et le plus efficace, doit seconder le marché pour atteindre les objectifs de stabilité et de développement nonobstant les dysfonctionnements et les imperfections des mécanismes de marché.
En effet, cette intrusion de la démocratie et d’une plus grande participation de la société civile dans la gestion des pays est un moyen d’assurer la légitimité nécessaire aux institutions pour être acceptées et donc pour être efficaces. Cependant, la relation entre le FMI et les pays débiteurs ne devient pas pour autant différente, les institutions étant ici utilisées comme un moyen de légitimer, de faire accepter l’application des « conditions » fixées par le FMI.
En outre, face à la méfiance envers cette organisation et à la mauvaise image dont elle souffre dans les pays « victimes » des crises contemporaines, c’est aussi une stratégie de communication.
Mais, on peut également se poser des questions sur la procédure préconisée, conseillée ou effective qui sera adoptée pour promouvoir la démocratie ; car, si l’on considère la démocratie comme une institution, on ne peut prétendre alors l’imposer depuis l’extérieur. Elle suppose, au contraire, un processus interne de mise en place.
Enfin, si l’on revient sur le point de départ de cette réflexion, à savoir l’influence du politique sur l’économique, il convient de souligner que dans les relations économiques, notamment entre le FMI et les pays endettés, mais aussi entre les acteurs au niveau national, le rapport de force reste déterminant. Les garde-fous institutionnels sont-ils suffisants puisque ce sont les investisseurs, les détenteurs du pouvoir politique qui décideront finalement de l’orientation de la croissance (donc de l’issue du conflit distributif) et de la portée des réformes. Et ces détenteurs du pouvoir, ont-ils intérêt à réformer en profondeur un système qu’ils ont eux-mêmes instauré ?
Conclusion
Il apparaît que le FMI se réforme à la marge. Les différences de vue, qui ont animé le débat en 1944, sont encore aujourd’hui valables. Les égoïsmes nationaux et les intérêts particuliers priment. Par conséquent, la crise du FMI continue et le parallèle peut être établi entre les divergences qui bloquent toute réforme en profondeur. Il existe ainsi une opposition entre principe d’universalité et nécessité de spécialisation, prêteur en dernier ressort international et fonds d’assistance mutuelle (la même question se posait à Bretton Woods sous d’autres formes) voire « agence de développement », le blocage du choix entre le mécanisme de restructuration de la dette souveraine et instauration des mesures de contrôle des capitaux et enfin la doctrine libérale et d’autres alternatives théoriques. Il en résulte une multiplication des objectifs et des moyens d’action sans que l’efficacité des actions soit à la hauteur. La réforme de la gouvernance n’a pas été à la hauteur des espérances. Pour soigner son image, le Fonds a quand même pris soin de s’ouvrir davantage à la société civile. Il produit et diffuse d’énormes quantités d’information et fait des efforts, quoique limités, en termes de transparence dans ses relations avec les pays en développement.
Le recours aux institutions, bien que constituant une avancée au sens de la possibilité d’émettre un diagnostic plus pointu et plus adapté à chaque pays, n’a cependant pas modifié profondément la relation d’ingérence qu’il existe entre les investisseurs et les pays endettés. Les premiers disposent — malgré le discours favorisant l’empowerment des nations — d’un droit de regard et de décision toujours aussi étendu. La grande évolution provient plutôt de l’attitude des pays du Sud envers cette institution : quel est l’intérêt pour ces pays de recourir à un emprunt auprès du FMI ?
L’envolée du prix des matières premières, le développement fulgurant de certains pays « en retard » hier, semblent changer quelque peu la situation. En effet, au lieu de se demander comment les pays « en développement » peuvent être dignes de confiance pour les pays prêteurs membres du FMI, on reformule désormais la question en se demandant à travers quelle(s) réforme(s) le FMI pourrait redevenir une institution internationale neutre, digne de confiance ?
Face à cette crise, de plus en plus de pays se tournent vers leur leader régional pour mener à bien leur politique de développement. Les exemples de ce retournement de situation sont nombreux et le plus illustratif semble être le remboursement anticipé de son emprunt par l’Argentine et son ralliement au Venezuela dans le projet de Banque du Sud[16]. La multiplication des partenariats régionaux semble également aller dans cette direction. C’est peut-être là un moyen plus sûr de conserver sa souveraineté, une grande marge de manœuvre pour ces pays.
Notes:
* Doctorants au CREPPEM, Université Pierre Mendès France, Grenoble.
[1] J. Stiglitz, La Grande Désillusion, Livre de Poche, Paris, 2002.
[2] L. Van Houtven, « Repenser la gouvernance du FMI », Finances & Développement, 2004, pp.18-20.
[3] L’unité de compte officielle du FMI se nomme Droits de Tirage Spéciaux (DTS). Elle est composée d’un panier de devises.
[4] L’Europe n’est pas représentée par un siège, ni par une voix unique, ce qui entraîne une dispersion de ses voix, ce qui réduit d’autant son pouvoir décisionnaire.
[5] Bulletin du FMI en ligne 28 mars 2008, « Structure de gouvernance du FMI »
<http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/survey/so/2008/new032808af.pdf>.
[6] A. Faujas, 29 mars 2008, « FMI : réforme à minima ? »
[7] Ce sont les critères fixés par le FMI à ses emprunteurs. Ils incluent notamment les délais de remboursement et certaines mesures de politique économique appelées plans d’ajustement structurel (PAS).
[8] J.Stiglitz (2002). La Grande Désillusion, op. cit.
[9] Il convient de souligner que cette préoccupation pour un taux d’inflation maintenu à un faible niveau traduit un désir d’envoyer des signaux forts aux créanciers, de privilégier l’entrée de capitaux étrangers. En effet, le contrôle de cette inflation se fait au prix de politiques d’emprunt et d’émission monétaire très austères qui pèseront sur l’investissement.
[10] B. Campbell, « Gouvernance, réformes institutionnelles et redéfinition du rôle de l’État : quelques enjeux conceptuels et politiques soulevés par le projet de gouvernance décentralisée de la Banque Mondiale », CEDIM, Journée d’Études « Mondialisation », 2000. Voir aussi du même auteur, « La gouvernance : un nouveau “concept” de politique ? La doctrine de la Banque mondiale », Informations et Commentaires, n° 113, octobre – décembre 2000.
[11] Voir notamment D. Rodrik, « Rethinking growth policies in the developing world », Harvard University, octobre 2004. Cet article résume le débat qui s’est opéré au milieu des années 90 et les bases sur lesquelles l’institutionnalisme s’immisce dans l’économie du développement.
[12] Voir B. Campbell, 2000, art. cités.
[13] Exemple : délai de création d’une entreprise, etc.
[14] Modalité impartiale permettant de traiter de manière unifiée les cas similaires.
[15] Dans le sens d’arbitrage de l’allocation des ressources.
[16] Il s’agit en fait de l’officialisation et de l’élargissement d’une pratique qui était devenue récurrente en Amérique du Sud depuis les crises des années 2000, à savoir que le Venezuela (avec ses pétrodollars) remplace peu à peu le FMI et la Banque mondiale, en accordant des prêts à des conditions plus avantageuses à ses voisins. Désormais, l’objectif est d’obtenir des prêts au développement à taux zéro avec la participation active du Venezuela, bien sûr, mais aussi des grandes économies du continent (Argentine voire Brésil qui hésite encore à faire partie de cette structure). Les premières adhésions ont eu lieu fin 2007 et à l’heure actuelle, les sept pays signataires sont : l’Argentine, la Bolivie, le Paraguay, l’Uruguay, l’Équateur, et le Venezuela.