UNRISD
Les années 90 ont été marquées par la prolifération des codes de conduite et par une volonté plus forte de responsabiliser les entreprises. On sortait alors d’une période pendant laquelle le rôle économique de l’Etat s’était profondément modifié, tout comme les politiques à l’égard des sociétés transnationales (STN) et des investissements étrangers directs. Tandis que de nombreux gouvernements nationaux s’étaient attachés pendant les années 70 à réglementer les activités des STN, les années 80 ont été celles de la libéralisation où l’on s’est efforcé d’attirer les investissements étrangers. On a observé la même tendance au niveau international où les efforts en faveur de la libéralisation se sont avérés loin d’être satisfaisants.
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer la vague récente des codes de conduite volontaires. Des sociétés américaines ont commencé à introduire ces codes au début des années 90 et la pratique a gagné l’Europe vers 1995. Les codes de conduite volontaires recouvrent des réalités très diverses, allant de vagues déclarations de principes applicables aux opérations internationales à des efforts réels d’autorégulation. Ils ont tendance à se focaliser sur les effets des activités des STN dans deux grands domaines : les conditions sociales et l’environnement. Diverses parties prenantes, dont des organisations syndicales internationales, des ONG travaillant dans le domaine du développement et de l’environnement et les entreprises elles-mêmes, ont contribué à l’élaboration de codes de conduite pour les sociétés internationales.
Plusieurs changements dans l’économie mondiale ont contribué à éveiller l’intérêt pour les codes de conduite et pour une responsabilisation sociale des entreprises. Avec le développement des “chaînes mondiales des valeurs”, dans lesquelles des acheteurs du Nord contrôlent un réseau de fournisseurs implantés au Sud, ces derniers ont été appelés à répondre non seulement d’aspects comme la qualité et les dates de livraison, mais aussi des conditions de travail et des effets sur l’environnement. En même temps, l’importance accrue des marques et de la réputation des entreprises rend les grandes sociétés particulièrement vulnérables à une mauvaise publicité. L’évolution des comportements du public est aussi un facteur de poids parmi ceux qui ont amené les entreprises à adopter des codes de conduite. Les sociétés du Nord ne peuvent plus impunément ignorer les effets de leurs activités sur l’environnement. L’évolution des communications mondiales, qui a permis à des sociétés d’exercer un contrôle plus important sur leurs activités de production, a aussi favorisé la diffusion au niveau international d’informations sur les conditions de travail chez leurs fournisseurs à l’étranger, augmentant la sensibilité du public et facilitant les campagnes.
Participent à l’élaboration des codes de conduite volontaires ou peuvent être touchés par leur adoption des entreprises, grandes et petites, des ONG du Nord et du Sud, des syndicats, des actionnaires et des investisseurs, des consommateurs, des cabinets de consultants et d’audit, des exportateurs du Sud, des travailleurs du Sud, des gouvernements du Sud et des collectivités locales. Ces diverses parties ont des intérêts spécifiques qui font qu’elles sont plus ou moins favorablement disposées envers les codes d’entreprises et qu’elles souhaitent voir appliquer tel ou tel type de code.
Ce qui frappe lorsqu’on étudie la multiplication récente des codes de conduite, c’est qu’ils se concentrent généralement dans certains secteurs déterminés, notamment le commerce, l’industrie textile, les produits chimiques et les industries extractives. Les codes relatifs aux questions du travail portent surtout sur des secteurs tels que l’habillement, la chaussure, les articles de sport, les jouets et le commerce de détail, tandis que les codes environnementaux vont plutôt réglementer l’industrie chimique, pétrolière et minière et la sylviculture.
On distingue cinq catégories principales de code de conduite : les codes de sociétés, les codes d’associations commerciales, les codes élaborés par des groupes d’intérêt multiples, les codes modèles et les codes intergouvernementaux. Leur portée peut varier considérablement. Beaucoup ne reprennent même pas toutes les normes essentielles du travail édictées par l’Organisation internationale du travail. Les codes de sociétés et d’associations commerciales ont une portée plus limitée que ceux qui sont élaborés avec le concours d’autres parties. Les sujets traités varient aussi. Bien que beaucoup comportent des dispositions visant les fournisseurs de la société, ils ne vont généralement pas jusqu’à couvrir toute la chaîne de l’approvisionnement et ne s’intéressent que très rarement aux travailleurs à domicile. Les dispositions relatives à l’application du code en vue d’un contrôle effectif sont cruciales si l’on veut qu’il ait un impact réel. Les codes pèchent aussi par là : seul un faible pourcentage d’entre eux prévoit un contrôle indépendant.
En évaluant les codes de conduite, l’on peut remarquer et signaler leurs limites. Certaines d’entre elles sont pratiques et tiennent à la façon dont ils ont été appliqués jusqu’à présent. D’autres sont inhérentes aux codes comme instrument et vont donc au-delà de la façon dont ils ont été appliqués dans le passé. Bien qu’ils prolifèrent depuis peu, leur application reste assez limitée. Ils pèchent aussi par le nombre restreint des questions abordées et des entités auxquelles ils s’appliquent. Leurs faiblesses structurelles plus profondes tiennent aux mobiles qui expliquent leur prolifération dans les années 90. Ils se limitent non seulement à des secteurs concrets où les marques et l’image de l’entreprise ont leur importance mais encore le plus souvent aux sociétés d’exportation. Enfin, ils ont tendance à porter sur des questions particulières — celles qui peuvent se révéler extrêmement dommageables pour une société si son nom y est associé. Autrement dit, les questions auxquelles les pays développés sont très sensibles ont des chances de tenir une place de choix dans la plupart des codes.
Malgré toutes leurs faiblesses, les codes peuvent avoir et ont eu des avantages pour les parties prenantes. Les exemples dans lesquels les conditions de travail se sont améliorées montrent que les codes permettent d’influer sur le comportement de l’entreprise. De plus, à cause des codes de conduite, les sociétés répondent de plus en plus des activités non seulement de leurs filiales mais aussi de leurs fournisseurs.
Il existe un danger, pourtant, celui de voir dans le code plus que ce qu’il n’est vraiment et de s’en servir pour désamorcer les critiques et réduire la demande de régulation extérieure. Dans certains cas, les codes ont entraîné une dégradation de la situation de ceux qui étaient censés en bénéficier. Certains craignent aussi qu’ils ne sapent la position des syndicats sur le lieu de travail.
Les limites et les dangers des codes de conduite relevés dans ce document sont à n’en pas douter bien réels. Il est donc important d’élaborer des stratégies pour veiller à ce qu’ils complètent la législation du gouvernement et laissent aux travailleurs la liberté de s’organiser. Les codes de conduite ont plus de chances de remplir ces conditions lorsque diverses parties ont concouru à leur élaboration que lorsqu’ils résultent du travail unilatéral de sociétés ou d’associations professionnelles. Ils devraient apparaître comme un lieu de contestation politique et non pas comme la solution des problèmes posés par la mondialisation de l’économie.
Source : UNRISD, rapport Corporate Codes of Conduct, Self Regulation in a Global Economy réalisé dans le cadre du programme : Technologie, entreprise et société, projet : « Les entreprises responsables d’un développement durable », Rhys Jenkins, Genève, 1° avril 2001.