Peterson Nnajiofor*
Le revenu du gouvernement fédéral nigérian est basé sur l’industrie pétrolière, qui représente 98 % des recettes budgétaires de l’Etat nigérian. De nos jours au Nigeria, sans les recettes de l’industrie pétrolière, le gouvernement fédéral ferait faillite à coup sûr. Les différents gouvernements nigérians, qu’ils aient été civils ou militaires, ont compté sur cette source de revenu pour financer les affaires de l’Etat. La première réaction est de penser que les Nigérians ont beaucoup de chance d’avoir des gisements pétroliers sur leur terre. Certaines personnes vont même jusqu’à déclarer que le Nigeria est béni des dieux, à cause de ses richesses pétrolières. En réalité, dès sa découverte, le pétrole a constitué une véritable source d’ennuis pour le peuple nigérian. Dans cet article, nous allons tenter de montrer la véracité de ces propos en analysant tout d’abord la situation économique du Nigeria, avant que les profits de l’industrie pétrolière aient occupé une place centrale dans l’économie du pays. Nous présenterons ensuite les raisons qui nous poussent à affirmer que le secteur pétrolier a condamné le développement d’autres secteurs économiques comme la pêche, la chasse ou l’agriculture.
La situation économique du Nigeria après l’indépendance
Lors de son indépendance en 1960, le Nigeria était l’un des pays les plus riches parmi les pays sous-développés du globe. A cette époque, le secteur agricole était la principale source de revenus du pays. Le commerce de produits tels que le cacao, l’arachide, l’huile de palme, la noix de cajou, le caoutchouc, etc. avaient hissé le Nigeria à la tête des pays en voie de développement dans le marché mondial. Ces cultures destinées à l’exportation étaient une source importante de devises étrangères et l’économie du pays était florissante. Le graphique de la page suivante [graphique indisponible] montre les performances du secteur agricole de 1965 à 2000. En 1965, il constituait presque 70 % du PIB. Mais cet âge d’or ne dura pas, et comme nous le verrons grâce au graphique, l’économie du secteur agricole depuis 1965 ne cesse de s’effondrer.
Cependant, malgré la chute de sa production, le secteur agricole a conservé une place relativement importante jusqu’en 1974, date à laquelle les revenus du secteur pétrolier ont commencé à être prédominants dans l’économie nigériane. Les revenus de l’industrie pétrolière ont en effet considérablement augmenté lors du choc pétrolier des années 1970. Les revenus pétroliers du gouvernement fédéral sont passés de moins de 18 % des recettes budgétaires en 1966-1967 à plus de 80 % lors de l’année fiscale 1973-1974.
Le revenu pétrolier a donc progressivement dépassé celui des autres secteurs de l’économie nigériane, jusqu’à devenir primordial de nos jours. Certes, ce revenu est pertinent pour le gouvernement nigérian, mais le secteur pétrolier a des effets nocifs sur les autres secteurs économiques du pays. L’agriculture est l’un des secteurs les plus touchés par le développement de l’industrie pétrolière. Comme nous l’avons constaté sur le graphique, alors que le revenu pétrolier, en 1974, atteignait 80 % du recettes budgétaires du gouvernement fédéral nigérian, la part du secteur agricole descendait à la même époque en dessous de 40 % du PIB. La croissance des revenus issus du pétrole a donc eu comme conséquence directe l’effondrement du secteur agricole et de son économie. Beaucoup d’agriculteurs ont alors commencé à chercher d’autres façons de gagner leur vie. L’exode rural a été accéléré par la régression du secteur agricole qui était lui-même causé par la hausse des revenus du secteur pétrolier. La faible mécanisation du secteur agricole a constitué un autre facteur important de sa chute. Le gouvernement nigérian, pressé par la Banque mondiale et par le Fonds monétaire international, a négligé le secteur agricole. Ce désintérêt a réduit le secteur à un grand nombre d’agriculteurs, peu ou pas assistés par la mécanisation. Il faut souligner ici que l’activité agricole au Nigeria regroupe plus de 40 % de la main d’œuvre totale du pays tandis que le secteur pétrolier en emploie moins de 1 %. La plupart des agriculteurs nigérians habitent en milieu rural et vivent de leur production. Une grande majorité de la population du delta du Niger se trouve dans cette situation. Ces personnes ne dépendent que de leurs terres et des rivières pour survivre. C’est pourquoi les activités de l’industrie pétrolière représentent de grands dangers pour cette population. Les plus grandes difficultés que cette population doit affronter viennent des activités de l’industrie pétrolière. Dans la partie suivante, nous allons nous intéresser aux conséquences de l’industrie pétrolière, dominée par les sociétés multinationales américaines et européennes, sur les agriculteurs du delta du Niger.
Les activités des multinationales face à l’agriculture dans le delta du Niger.
En 1849, le Docteur F. Daniell a décrit le pays des Urhobos, l’une des ethnies du delta du Niger, comme : « an extensive series of fertile plains, thirty miles above Reggio, beautifully ornamented with park-like clumps of trees and verdure of the freshest tint ».[1]. Cette description des terres des Urhobos appartient maintenant à l’histoire. La riche terre des Urhobos, comme beaucoup d’autres dans le delta du Niger, a perdu sa fertilité à cause des activités des multinationales du secteur pétrolier. Le peuple Urhobo, qui était décrit par Sir Moloney en 1890 comme un peuple travailleur, spécialisé dans l’agriculture et dans la production d’huile de palme, a vu ses terres devenir stériles, et parfois même être confisquées par les compagnies pétrolières multinationales. The Land Use Act de 1978, loi qui a été promulguée par le gouvernement militaire nigérian de l’époque, accorde le contrôle direct et la gestion des terres aux gouverneurs des Etats et aux gouvernements locaux dans les milieux ruraux. Cette loi donne donc l’opportunité aux entreprises pétrolières multinationales d’acquérir des droits statutaires et d’occuper n’importe quelle parcelle du territoire. Cette loi a été largement utilisée par les compagnies multinationales, qui ont exproprié les fermiers du delta du Niger de leurs terres. Ces étendues agricoles, accaparées par la force, sont maintenant utilisées par les multinationales pour leurs activités, tandis que les anciens propriétaires se retrouvent sans terre ni dédommagement. Selon le rapport d’une étude menée par l’organisation non gouvernementale internationale Human Rights Watch, « over 10 000 families from each of the six major oil communities in the Niger Delta have lost their farmlands to claims on areas for oil production and transportation alone, while further displacement results from area pollution ». Le rapport indique qu’à la fin de l’année 1995, « an additional 900 hectares of land not previously lost to exploration had been destroyed by Shell’s oil wells and flow stations. This translates into another 4 500 people removed from their traditional means of subsistence. »[2]. Ces peuples qui étaient auparavant connus pour leur richesse et leur goût du travail ont été réduits à l’inactivité et à la pauvreté par les actions des multinationales américaines et européennes. Les déversements répétés de pétrole et les rejets sauvages et illégaux de déchets toxiques issus de l’industrie pétrolière ont empoisonné la terre des Urhobos, comme celles de l’ensemble des agriculteurs du delta du Niger, les transformant en terres stériles, alors qu’elles comptaient autrefois parmi les plus fertiles de l’est du Nigeria. Les agriculteurs n’ont eu d’autre choix que d’abandonner leur profession pour chercher un autre travail afin de gagner leur vie et nourrir leurs familles. Les jeunes de cette communauté, comme leurs contemporains dans la région, quittent leurs terres natales en masse pour aller trouver un emploi dans les autres régions du pays. L’agriculture n’est plus la première profession des Urhobos, ni celle des autres ethnies et peuples du delta du Niger.
La plupart des fermiers se sont tournés vers la pêche pour survivre, mais cela n’est guère une solution car la pêche est devenue une activité dangereuse dans le delta du Niger.
La pêche dans le delta du Niger
La plupart des peuples qui vivent dans le delta du Niger sont connus pour être des pêcheurs. Ceci vient du fait que la région est, comme l’indique son nom, située dans l’un des réseaux fluviaux les plus importants d’Afrique. Depuis la nuit des temps, les peuples qui vivent aux bords de ces rivières ont toujours considéré les rivières comme une sorte d’assurance infaillible contre la famine et la pauvreté. Les rivières représentent en effet pour eux la principale source de revenu, mais leurs fonctions ne se limitent pas à cela. On peut dire qu’elles constituent le souffle vital du delta de Niger car presque toutes les activités des habitants de cette région ont un lien direct avec ces rivières. Celles-ci restent le moyen de transport le plus rapide et le plus économique. Elles représentent la principale source d’eau potable pour la majorité de la population. Et un grand nombre d’habitants dépendent de leur pêche dans ces rivières pour se nourrir et nourrir leurs familles. Mais la situation actuelle dans le delta du Niger est critique pour ses habitants car on leur refuse de plus en plus l’accès à ces rivières, et cela rend leur vie beaucoup plus difficile.
Le Land Use Act de 1978 non seulement autorise les compagnies multinationales à exproprier les agriculteurs, mais cette loi accorde aussi des droits exclusifs aux entreprises multinationales sur les eaux. L’accès à de larges parties de la mer et des rivières est interdit aux pêcheurs locaux et les contrevenants sont sévèrement punis. Ces rivières sont en effet plus ou moins gardées par des agents de sécurité employés par les multinationales pour protéger leurs activités. Cette interdiction d’accès diminue largement les sites de pêche, et le produit de la pêche est par conséquent très amoindri. Les activités des compagnies pétrolières multinationales ont un autre effet négatif sur la pêche : le rejet sauvage de déchets toxiques dans les rivières du delta du Niger et les déversements de pétrole brut mettent en danger l’ensemble des écosystèmes de ces rivières. Le pétrole dans son état brut, et même après avoir été traité, est un produit chimique très toxique. Lorsqu’il entre en contact avec l’eau des rivières, c’est l’ensemble de la vie aquatique qui est en danger, les poissons et tous les autres animaux ou plantes meurent. Pour les pêcheurs du delta, cette dégradation du milieu est catastrophique car elle réduit à néant leur unique moyen de subsistance. Cependant, le problème est bien pire lorsqu’il s’agit des conséquences sanitaires de ces activités. Les rivières étant les seules sources d’eau potable pour les peuples du delta, leur contamination par des déchets toxiques devient meurtrière et explique le taux élevé de maladies comme le choléra ou la typhoïde dans cette région du pays.
Par ailleurs, la salinisation des rivières, résultat des pluies acides provoquées par la combustion du gaz naturel ou “gas flaring”, combustion qui permet l’exploitation du pétrole, rend la situation encore plus déplorable pour les pêcheurs du delta du Niger. Face à tous ces problèmes, la plupart des pêcheurs ont abandonné leurs pirogues et leur matériel de pêche et ont quitté leurs villages pour partir s’installer dans d’autres régions du pays. Ceux qui n’ont pas les moyens de partir restent sur place, ne se faisant aucune illusion sur leurs chances de survie. Plusieurs organisations pour la défense de l’environnement ont indiqué que les poissons et les autres animaux aquatiques des rivières du delta sont toxiques, donc dangereux pour la consommation humaine. Cependant, les pêcheurs et la plupart des habitants du delta n’ont pas d’autre choix que de continuer à en consommer, car ils sont trop pauvres pour acheter d’autres denrées alimentaires. En résumé, on peut dire que les activités des compagnies pétrolières multinationales américaines et européennes sont la source de grande désolation pour les pêcheurs et pour l’ensemble de la population du delta du Niger.
Leurs activités destructrices ne touchent pas seulement les agriculteurs et les pêcheurs, mais aussi les chasseurs.
Les chasseurs et les compagnies pétrolières dans le delta du Niger.
La chasse est l’une des activités professionnelles les plus anciennes et les plus répandues dans le delta du Niger. Certaines personnes pratiquent la chasse comme une activité saisonnière, mais un grand nombre de chasseurs sont des professionnels, dont la subsistance et celle de leurs familles ne dépendent que de la chasse. Cependant, la pollution démesurée provoquée par les activités des multinationales a pour conséquence la disparition des habitats naturels nécessaires à la vie du gibier : certaines forêts sont contaminées par des produits toxiques et d’autres sont rasées pour faciliter l’exploitation pétrolière et son acheminement. Le résultat de ces activités se traduit par la disparition progressive du gibier dans les forêts du delta. Ces forêts étaient autrefois réputées pour la richesse et la variété de leur gibier. Mais de nos jours, la plupart des espèces qui étaient abondantes dans la région comme l’antilope, le lièvre etc. se font rares. Les spécialistes parlent même de risque d’extinction pour certaines espèces. Par ailleurs, les médias transmettent un message souvent répété : il est déconseillé de consommer ce qui reste du gibier des forêts du delta, car on le soupçonne fortement d’être contaminé. De même que les poissons des rivières du delta, le gibier risque lui aussi d’être toxique et dangereux pour qui en consommera.
La pénurie des animaux sauvages et la toxicité de ceux qui survivent ont porté un coup fatal au secteur économique lié à la chasse. Les chasseurs, tout comme les agriculteurs et les pêcheurs, ont été obligés d’abandonner leurs professions. La plupart des chasseurs sont devenus des chômeurs.
Nous devons noter ici que la quantité importante de gibier dans le delta du Niger avait auparavant attiré des chasseurs de renommée, venus de loin, comme par exemple Alagbariye[3] qui a fini par s’y installer avec sa famille et a fondé la ville de Bonny. Nous pouvons donc constater que la situation a beaucoup évolué, à cause notamment des effets nocifs des activités des multinationales américaines et européennes sur l’économie et les peuples du delta du Niger.
Regardons maintenant la condition des femmes qui vendent des produits sur le marché.
Les commerçantes et l’industrie pétrolière
Parmi toutes les professions qui contribuent à la dynamique de l’économie du delta du Niger, les commerçantes qui vendent leurs produits sur le marché (elles sont appelées “market women” au Nigeria) sont peut-être celles qui jouent le plus grand rôle dans l’équilibre de l’économie du delta du Niger. La raison de ce rôle majeur se trouve dans le fait que la société du delta du Niger est en règle générale et par tradition patriarcale. Les hommes et les femmes de la communauté se partageaient les activités nécessaires à la vie de la famille. En règle générale, les hommes étaient chargés de nourrir leurs familles, tandis que les femmes s’occupaient des tâches ménagères et de l’éducation des enfants. Les hommes étaient donc désignés pour travailler dans les champs, pêcher ou chasser. Ils étaient également les soldats qui défendaient la communauté contre des agresseurs extérieurs.
Les femmes participaient parfois à ces activités mais ce n’était pas leur tâche première. Leur véritable rôle commençait là où celui des hommes s’arrêtait. Elles étaient souvent seules responsables du budget familial. C’étaient elles qui allaient vendre sur le marché les excédents de la production de la famille et achetaient les produits dont avaient besoin leurs proches. Ce rôle commercial de la femme peut être expliqué par le fait qu’étant responsable des tâches ménagères, elle était la mieux placée pour savoir ce dont sa famille avait besoin. Par ailleurs, les préjugés que les hommes portaient à l’égard des femmes qu’ils considéraient bavardes par nature ont favorisé la participation de celles-ci dans des activités commerciales qui exigent beaucoup de marchandage.
Petit à petit, les femmes sont devenues de véritables femmes d’affaires. En tant que commerçantes, elles participaient à toutes les activités économiques de la société. Les commerçantes au Nigeria représentent un des piliers de l’économie du pays et sont incontournables dans le dispositif économique. Il suffit d’un regard sur un marché du Nigeria, pour illustrer cette affirmation. Les femmes du delta du Niger n’échappaient pas à la règle. Cependant, de nos jours, la situation du delta semblent les pousser à se retirer des affaires. Encore plus que les agriculteurs, les pêcheurs, ou les chasseurs dont nous avons parlé précédemment, les commerçantes du marché sont les plus affectées par les activités des compagnies pétrolières multinationales, car leur économie est en grande partie basée sur les productions de ces trois secteurs : l’agriculture, la chasse et la pêche.
Or, dans un contexte où les agriculteurs ne parviennent plus à produire des quantités suffisantes, où les pêcheurs sont menacés par la présence des agents de sécurité employés par les multinationales et par la contamination des écosystèmes aquatiques, et où les chasseurs n’ont plus la possibilité de chasser, les commerçantes du marché ont beaucoup de difficultés à trouver des produits à vendre. La plupart d’entre elles ont dû abandonner la vente de produits du terroir pour se reconvertir dans la vente d’articles coûteux, issus de l’importation. Il est inutile de souligner que très peu d’entre elles avaient les moyens d’effectuer cette reconversion. De nombreuses femmes et leurs familles ont donc été obligées de migrer vers d’autres régions du pays, pour pouvoir survivre. Afin de survivre, la plupart de ces femmes doivent entreprendre de longs voyages pour acheter les produits et les denrées qui deviennent trop rares dans leurs régions. De plus, on ne peut éviter de parler de la situation de beaucoup de femmes du delta, souvent les plus jeunes, que les difficultés de la vie et le chômage ont poussées à se prostituer. Malheureusement, la prostitution est l’un des rares secteurs qui a bénéficié de l’activité de l’industrie pétrolière, grâce à laquelle elles peuvent multiplier leurs revenus : beaucoup d’hommes employés par le secteur pétrolier, qu’ils soient étrangers ou Nigérians de toutes régions, se sont installés loin de leur famille dans le delta du Niger, représentant autant de clients potentiels pour le marché de la prostitution. Ce phénomène, ainsi que d’autres, nous amène à évoquer la déstabilisation culturelle et le fort sentiment d’injustice qui ont abouti à la dénonciation, par le peuple, des pratiques de l’industrie pétrolière, et parfois même à des manifestations qui se sont terminées par une violente répression.
A ce stade de notre travail, nous voudrions insister sur le fait que l’économie du delta du Niger suit une constante baisse depuis l’arrivée des compagnies pétrolières multinationales dans le delta. La région du delta du Niger est considérée aujourd’hui comme l’une des plus pauvres du pays. En décembre 2001, James Whittington, journaliste à la BBC, a décrit avec justesse le dilemme économique de cette région :
« The oil region in Nigeria seems to be stuck in a time warp, with little real change since oil was discovered 45 years ago. Away from the main towns there is no real development, no roads, no electricity, no running water and no telephone. » [James Whittington, British Broadcasting Corporation, 18 décembre 2001, cité in Torulagha, 2003. (« La région pétrolière au Nigeria semble s’être engluée dans un autre temps, avec très peu de changements réels, depuis que le pétrole a été découvert, il y a quarante-cinq ans. En dehors des villes importantes, il n’y a aucun développement réel, pas de routes, pas d’électricité, pas d’eau courante et pas de téléphone. »)].
Analyser la situation économique du pays nigérian dans son ensemble permet de mieux concevoir le niveau de pauvreté du delta du Niger. Le graphique ci-dessous montre le taux de pauvreté au Nigeria au cours des trois dernières décennies.
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Ce graphique montre que les revenus élevés acquis grâce à l’industrie pétrolière ne sont pas parvenus à faire évoluer significativement la situation du peuple nigérian. La hausse du taux de pauvreté a été accélérée : d’environ 19 millions de Nigérians vivant avec moins d’un dollar par jour en 1965, il est passé à 85 millions en 2000. On pourrait répondre à cette comparaison que la population des années soixante et du début des années soixante-dix était moins importante que celles des décennies suivantes. Mais si on compare le taux de personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté, dans les années soixante et en 2000, on constate ce taux n’a cessé d’augmenter.
Une lecture du graphique 3 ci-dessous nous le montre bien.
[1]
Graphique 3 : Pourcentage de la population nigériane vivant au-dessous du seuil de pauvreté entre 1970 et 2000.
Source : Idem.
Dans ce graphique, nous pouvons voir que le pourcentage de la population nigériane vivant en-dessous du seuil de pauvreté était d’environ 35 % en 1970, puis entre 1970 et 1980, ce pourcentage a diminué, il a atteint respectivement 29 % et 28 %. A partir de 1980, le pourcentage est reparti à la hausse pour atteindre 38 % en 1985 et 63 % en 1990. Le taux de pauvreté s’est même élevé jusqu’à 70 % en 1995. En 2000, ce taux a légèrement diminué et s’est stabilisé à 67 %. Cependant, de nouveaux records de pauvreté ont été battus. Le récent rapport de la Commission des Nations Unies pour le développement humain indique qu’en 2002, 70,2 % de la population nigériane vivait avec moins d’un dollar par jour. Une autre donnée importante à prendre en compte est le pourcentage de personnes vivant avec moins de deux dollars par jour. Ce taux s’est élevé à 90,8 % en 2002. Grâce aux informations apportées par les deux derniers graphiques que nous avons étudiés, nous pouvons nous permettre de faire une estimation approximative du taux de pauvreté dans la région du delta du Niger. Bien qu’il n’y ait aucune donnée officielle à ce sujet, nous pouvons avancer, grâce à nos observations faites dans la région en décembre 1999, qu’environ 80 % de la population du delta vit avec moins d’un dollar par jour, et plus de 95 % vit avec moins de deux dollars par jour.
En conclusion, les arguments que nous avons présentés dans ce travail nous permettent de déclarer que les activités des compagnies pétrolières multinationales américaines et européennes ont contribué fortement à appauvrir la population du delta du Niger, et nous pouvons ajouter qu’elles continuent de le faire. Les actes et les décisions de ces compagnies dans le delta du Niger demeureront un important facteur de la décadence économique dans laquelle sont maintenues les communautés de cette région. Les actions des multinationales sont à la source de bien plus de préjudices envers les personnes et l’environnement qu’on ne peut l’imaginer. La prise de conscience de cette réalité fut à l’origine de mouvements de protestation qui réunissent jusqu’à aujourd’hui un nombre croissant d’habitants du delta du Niger.
Références
Ouvrages
Onwuka-Dike, Kalu, Trade and Politics in the Niger Delta 1830-1885, Oxford, The Clarendon Press, 1966.
Osaghae, Eghosa E., Crippled Giant : Nigeria Since Independence Bloomington, Indiana University Press, 1998.
Articles et Revues
Banque mondiale, Defining an Environmental Development Strategy for the Niger Delta, vol. 2, Washington: West Central Africa Department of the World Bank, 1995, 75.
Jedrzej, Fyrnas, « Political Instability and Business : Focus on Shell », in Third World Quarterly, vol. 19 n° 3, 1998, pp.468-501.
Greer, Jed, « Mobil Greenwash Snapshot : A case study in oil pollution, a biodegradability scam, “green collar fraud,” and sham recycling », Green Peace International, 1992, cf. :
<http://www.ecologycenter.org/iptf/plastic_types/bioscam.html>, 29 novembre, 2003.
Hajzler, Chris, « Nigerian Oil Economy : Development or Dependance », cf. :
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Human Rights Watch, « The Roles and Responsibilities of International Oil Companies », cf. : <http://www.icaionline.org/xp_resources/icai/oil_companies/roles_and_responsibility.pdf 5>, 20 juin 2004.
Omoweh, Daniel A., « Shell, Environmental Pollution, and Health in Nigeria », Afrika Spectrum, vol. 30. 1995, pp.125-139.
Omoweh, Daniel, « Shell and Land Crisis in Rural Nigeria : A Case Study of the Isoko Oil Areas.», The Scandinavian Journal of Development Alternatives and Area Studies vol. 17, 1998, pp. 23-55.
Pirani, Simon, « Shell In Nigeria : Oil And Gas Reserves Crisis And Political Risks : Shared Concerns For Investors And Producer-Communities, A Briefing For Shell Stakeholders », (Lewes : Stakeholder Democracy Network, 2004), cf.: <http://www.stakeholderdemocracy.org/pdf/shell04web.pdf>, 10 juillet 2004.
Programme des Nations Unies pour le Développement, Human Development Report 2004, cf. :
<http://hdr.undp.org/statistics/data/cty/cty_f_NGA.html>, 20 juillet 2004.
Sala-I-Martin, Xavier et Subramanian, Arvind, 2003, « Addressing the Natural Resource Curse: An Illustration from Nigeria », FMI Working Paper, (WP/03/139) cf. :
<http://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2003/wp03139.pdf>, 7 juin 2004.
Salabi, Adogbeji, « The Establishment of British Administration in the Urhobo Country (1891-1913) » première publication in Journal of the Historical Society of Nigeria, vol. 1, n° 3, décembre 1958, pp. 184-209, cf. : <http://www.waado.org/Biographies/Salubi/Publications/British_Urhobo.htm>, 20 juin 2004.
Notes:
* DEA d’Etudes anglophones, Université Stendhal de Grenoble.
[1] William F. Daniell, Sketches of the Medical Topography and Native diseases of the Gulf of Guinea West Africa. (1849) 47, cité dans Salabi (1958). (« De larges de plaines fertiles, s’étendant sur trente miles au-dessus de Reggio, agrémentées comme dans un parc, de beaux massifs d’arbres et de verdure, aux teintes les plus vives »).
[2]Human Rights Watch, The Price of Oil, p. 75, cité par Chris Hajzler, Nigerian oil Economy : Development or Dependance, tiré du site internet :
<http://arts.usask.ca/economics/skjournal/sej-3rd/hajler3.htm>, 29 juin 2004. (« Plus de 10 000 familles, issues des six communautés résidant dans le delta du Niger ont perdu leurs terres cultivées, en raison des exigences en matière d’espace dédié à la seule production de pétrole et à son acheminement, alors que des déplacements ultérieurs ont été provoqués par la pollution. » … « Neuf cents hectares de terre supplémentaires, qui n’étaient pas concernés par l’exploration pétrolière ont été stérilisés par les puits d’exploitation et les stations de pompage de la Shell. Ceci a privé 4 500 personnes supplémentaires de leurs moyens de subsistance traditionnels. »).
[3] Alagbariye était un grand chasseur Ibo qui est venu chasser dans le delta. Il est reconnu aujourd’hui comme le fondateur de la ville de Bonny, avant l’arrivée des Européens.