Sur les conséquences des privatisations en Nouvelle-Zélande

Bill Rosenberg*

 

117.jpgSuite à l’article de Bill Rosenberg et Jane Kelsey publié dans notre numéro 115, où ils analysaient le déroulement du programme de privatisations lancé en Nouvelle-Zélande depuis 1987, notamment dans le secteur de l’énergie, plusieurs lecteurs nous ont interrogé sur les conséquences de ce programme. En s’appuyant sur les travaux de Paul Dalziel et Jane Kelsey, ainsi que sur les données les plus récentes, Bill Rosenberg analyse ici l’impact de ces privatisations sur l’évolution économique et sociale de la société et leurs conséquences politiques.

Le programme d’ajustement structurel lancé par le Labour Party en 1984 s’est appuyé sur de nombreuses privatisations, dans un pays où une grande partie de l’industrie et des services avaient été construits par les pouvoirs publics nationaux ou locaux. Elles ont été une énorme aubaine pour les banques et pour la plupart ont été réalisées en faveur d’investisseurs étrangers qui se sont comportés de plus en plus comme des prédateurs en profitant de leur position de monopole non régulé (par exemple dans les télécommunications, les chemins de fer et l’électricité). En outre, de nombreux services publics non privatisés ont été « marchandisés », soumis à la concurrence sur des marchés créés artificiellement, tels que la Poste, les hôpitaux, le logement social, les universités et la télévision. Il en est résulté toutes sortes d’abus de gestion et de scandales, notamment dans les secteurs de la sécurité sociale et de la santé publique, où les comportements “commerciaux” vis-à-vis des “clients” s’accompagnèrent d’avantages scandaleux pour les dirigeants, générant une impression de chaos et de crise dans l’esprit de la population.

Au plan économique et social

Pour évaluer sur ce plan les résultats de cette politique, Paul Dalziel effectua une étude comparative de l’évolution de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie, deux pays dont les caractéristiques économiques étaient très proches au début des années 80. En effet, bien que l’Australie ait également mis en œuvre plusieurs réformes néo-libérales depuis cette date, elle a adopté un rythme beaucoup plus mesuré et surtout a conservé beaucoup plus de protection sociale, et notamment un système de négociations collectives pour la conclusion de conventions nationales sur l’emploi.

Au cours de la période 1987-1998, à la place de la croissance exceptionnelle annoncée, la Nouvelle-Zélande a connu un ralentissement de l’évolution de son PIB par habitant. En 1998, celui-ci atteignait 25 980 dollars  et Paul Dalziel estime que si le pays avait suivi le rythme de croissance de l’Australie, comme il le faisait auparavant, ce PIB par habitant aurait dû atteindre 4 806 dollars de plus, soit un manque à gagner de 30 000 dollars sur toute cette période.

A la place de l’augmentation de l’emploi annoncée, le taux de chômage néo-zélandais, très inférieur à celui de l’Australie avant 1988 est devenu comparable à celui-ci en fin de période. Proche de zéro jusqu’en 1977, jamais supérieur à 4 % jusqu’en 1984, il a dépassé 6 % en 1999, soit une hausse de 50 %…

A la place d’une augmentation de la productivité du travail supposée suivre la dérégulation des négociations collectives, depuis 1992 l’évolution de cette productivité a été considérablement freinée par rapport à celle de l’Australie, alors qu’auparavant, elle évoluait parallèlement dans les deux pays.

Les inégalités économiques et la pauvreté se sont beaucoup accrues : la moitié de la population perçoit des revenus inférieurs à ceux du début de la période, tandis que les revenus des 10 % les plus riches se sont accrus de 26 %. On relève en outre que les revenus réels de la population indigène des Maoris ont chuté de 25 % entre 1982 et 1996. Les signes d’une réelle pauvreté sont visibles partout : augmentation rapide des banques alimentaires, retour de maladies telles que la tuberculose, multiplication des sans-domicile-fixe et des logements surpeuplés, enfants mal nourris dans les écoles, etc. La Nouvelle-Zélande a eu le taux de croissance des inégalités le plus élevé parmi les pays de l’OCDE au cours de cette période.

Enfin autre échec, concernant l’objectif présenté comme le plus important, d’améliorer la compétitivité internationale du pays : depuis cinq ans, le déficit des comptes courants a atteint le niveau de crise de 5 % du PIB, généré en majeure partie par l’endettement lié aux investissements étrangers. En effet, la dette extérieure du pays est passée de 16 milliards de dollars en 1984 (47 % du PIB, dette presque entièrement publique) à 102 milliards en 1999 (104 % du PIB, dette principalement privée). Entre la moitié et les deux tiers de l’économie monétarisée sont entre les mains des firmes multinationales étrangères. En 1999, la balance commerciale des biens et services elle-même a été déficitaire.

Au plan politique, on assiste à des mouvements d’opinion importants

La politique de privatisations n’avait pas été lancée par le Labour Party en 1984 sur la base d’un programme électoral explicite, elle fut poursuivie, toujours par le Labour après l’élection de 1987 malgré la promesse d’une “pause”. L’électorat néo-zélandais manifesta son opposition aux élections de 1990 et 1993, en appuyant le National Party pour s’opposer au Labour, dirigé à l’époque par Mike Moore, devenu depuis Directeur Général de l’Organisation Mondiale du Commerce. Les élections de 1996 firent émerger un parti populiste, le New Zealand First Party, qui avait fait campagne contre la politique néo-libérale. Mais ces formations politiques ont trahi leurs électeurs en s’alliant pour continuer les privatisations.

C’est pourquoi en 1999 les électeurs, toujours majoritairement opposés à cette politique, ont voté en novembre 1999 pour un changement de gouvernement. La nouvelle majorité est une alliance entre le centre gauche (Labour Party) et la gauche (Alliance Party) soutenue par une gauche plus radicale (Greens Party). Ce vote est un rejet clair, bien qu’incomplet, de la politique économique antérieure.

La représentation parlementaire se présente aujourd’hui comme suit :

Partis « Greens » «Alliance» « Labour » « NZ First » « United » «National» « ACT » TOTAL
votants 5,2 % 7,7 % 38,7 % 4,3 % 0,5 % 30,5 % 7 % 93,9 %
sièges 7 10 49 5 1 39 9 120
Soutien au gouvernement Gouvernement Opposition de droite

Mesures prises par la nouvelle majorité

Sur les questions sociales et industrielles, les trois partis de la nouvelle majorité ont beaucoup de points communs. Ils ont tous pris une position ferme contre les privatisations, contre la “marchandisation” des services sociaux et contre la loi sur les contrats individuels de travail. C’était assez pour élaborer des politiques communes dans ces domaines. Dans les semaines suivant les élections de 1999, le salaire minimum fut relevé, les intérêts des prêts aux étudiants supprimés pendant leurs études, le système d’assurance des accidents du travail renationalisé, la loi sur les contrats de travail réformée. Le gouvernement entreprit également de réorienter les programmes de la TV publique dans le sens de l’intérêt général, annonça la fin du régime de concurrence entre les universités et commença à revenir sur l’envahissement des services publics par la culture du business (toutefois l’idéologie néo-libérale des décennies antérieures reste enracinée dans de nombreux ministères et constitue le « business as usual » dans les négociations commerciales internationales). Il adopta une réforme modeste de la loi sur les contrats de travail, en dépit des vociférations des employeurs, dont beaucoup admettent aujourd’hui qu’elle fonctionne bien, et l’Alliance réussit à imposer un congé payé parental de 12 semaines en faveur des salariés. Le logement social fut relancé, avec des loyers adaptés aux revenus des locataires. Enfin le gouvernement annula une absurde commande d’avions de combat F 16 d’occasion passée aux Etats-Unis et décida par la suite de supprimer toutes les formations de combat de l’armée de l’air pour concentrer les ressources disponibles sur ses missions stratégiques. Parmi ses mesures les plus populaires, il faut relever le coup d’arrêt porté aux pratiques de gestion scandaleuses du secteur public telles que les salaires énormes payés aux speakers de la télévision d’Etat. Dans tous ces domaines, l’Alliance aurait souhaité que le Labour soit plus radical, mais a pu se satisfaire des décisions prises.

Dans d’autres domaines, les progrès furent moins convaincants.

Par exemple lorsque le gouvernement voulut réorienter les programmes de la télévision publique pour lui imposer des quotas d’émissions nationales, il se heurta à une forte opposition du secteur privé, à des contraintes financières et à des engagements pris par le précédent gouvernement vis-à-vis de l’OMC (dans le cadre de l’Accord Général sur le Commerce et les Services). On ne voit pas encore comment ces contraintes pourront être écartées, de même qu’on ne voit pas clairement comment cette télévision publique pourra survivre à l’arrivée de la télévision numérique, dominée en Nouvelle-Zélande par le groupe privé « Sky Television » de Robert Murdoch.

Difficultés du secteur universitaire

Dans l’enseignement supérieur, le nouveau gouvernement mit fin à la concurrence entre universités, basée sur le nombre d’étudiants inscrits. Ce système avait conduit à abandonner les disciplines “impopulaires”, y compris la technologie et les sciences physiques, à une forte hausse des droits d’inscription, et à la multiplication des enseignements les plus en vogue : droit, commerce, psychologie, gestion des activités culturelles et sportives. Le gouvernement annonça un gel des droits d’inscription, mais sans compenser le manque à gagner pour les universités, ce qui ne fit qu’accélérer la baisse du nombre des enseignants et de leurs rémunérations bien en-dessous des standards internationaux. Le financement public pour les institutions privées continue à augmenter beaucoup plus rapidement que celui des universités d’Etat. En dépit de ses promesses électorales, la seule réponse du gouvernement fut de bloquer le financement de nouveaux cursus dans les institutions privées, ce qui laisse le problème d’ensemble sans solution. Une commission a été chargée d’une enquête — la quatrième en dix ans — et a remis son rapport en novembre 2001 : ce dernier recommande une sélection à l’entrée des universités, un financement différentiel sur la base des “objectifs stratégiques nationaux”, le recours à des indicateurs de performance pour l’attribution des fonds de recherche et la création de “réseaux d’excellence”. Mais il ne propose rien en réponse à l’accroissement de la concurrence du secteur privé…

De telles enquêtes ont été caractéristiques de ce gouvernement — certains y voient le signe d’un manque d’idées neuves et d’un souci d’éviter les questions politiques décisives. Il y en eut dans les industries électriques et les télécommunications, où le jeu du marché a favorisé des hausses de prix et des abus de position dominante, ainsi que sur l’engineering génétique. Les résultats des deux premières ont considérablement déçu : elles ont seulement conduit à des corrections mineures des pires excès et non à un renversement des régimes de déréglementation.

Exemples dans les secteurs de l’énergie et de l’engineering génétique

Par exemple dans le secteur de l’électricité, il était clair en 1999 que le système mis en place par l’Electricity Industry Reform Act de 1998 ne fonctionnait pas comme prévu : les prix à la consommation augmentaient beaucoup tandis que les compagnies s’engageaient dans une concurrence frénétique pour s’arracher mutuellement des clients à des coûts exorbitants. Pourtant l’enquête gouvernementale ne recommanda que des changements mineurs, laissant en place l’essentiel du système.

C’est la pénurie d’électricité au cours de l’hiver 2001 qui démontra brutalement sa faiblesse. Elle a résulté d’une insuffisance des ressources en eau pour les centrales hydroélectriques qui constituent le cœur de la capacité productrice du pays. Le plus grand distributeur, TransAlta, avait déjà perdu des clients à cause de ses prix élevés et d’un service clients détestable. Par une erreur de gestion surprenante, il avait décidé à la fin de l’été précédent de ne pas se couvrir contre la possibilité d’une hausse anormale du coût de l’électricité au cours de l’hiver, bien que ses propres capacités de production aient été très inférieures aux besoins de ses clients. Cette erreur le rendait particulièrement vulnérable à des hausses de prix sur le marché “spot”. Peut-être sa direction fut-elle distraite lorsque sa maison-mère « TransAlta of Canada » la vendit à la société australienne « Natural Gas Corporation » et qu’elle dut changer son nom en « On Energy ». De fait, elle fut presque mise en faillite : elle ne dut son salut qu’à des prêts concédés par son nouveau propriétaire australien et dut vendre ses clients à ses concurrents avec des pertes substantielles. Il en résulta un retour à des positions de monopole dans de nombreuses régions, y compris Christchurch, ce qui est évidemment à l’opposé de la concurrence que le système prétendait instaurer. Finalement, cela signifie que le marché n’est pas capable de garantir les capacités de production d’électricité nécessaires pour éviter une pénurie. Pour y faire face, le pays dut recourir aux anciennes méthodes utilisées lorsque le secteur était public : appeler la population à économiser le courant électrique volontairement. Ça marche.

La pénurie mit en lumière un autre échec de la “réforme” : les prix du marché “spot” de gros de l’électricité enregistrèrent une hausse astronomique (de 8 cents/KWh à plus de 48 cents en août 2001). Mais les compagnies distributrices, de peur de perdre leurs clients, ne purent les répercuter sur les usagers. La démonstration avait été faite par « TransAlta » qui fut affaiblie par une érosion systématique de sa clientèle lorsqu’elle avait augmenté ses tarifs. Ce blocage fut aussi renforcé par la concurrence des distributeurs privés ou publics, dont les capacités de production équilibraient pratiquement les besoins de leurs usagers, et qui pouvaient de ce fait maintenir leurs prix de détail sans faire appel au marché “spot”.

Les événements ont donc mis en question toute la rationalité de la “réforme”, puisqu’elle a échoué dans tous les domaines : réduction des prix de détail, amélioration du service, accroissement de la concurrence, allocation plus performante des investissements productifs. Pourtant le nouveau gouvernement ne montre aucune volonté de traiter ces problèmes…

L’enquête sur l’engineering génétique a débouché sur un résultat prévisible dans une économie dominée par l’agriculture, mais où les OGM sont extrêmement controversés. En octobre 2001, le rapport recommanda de « garder cette option ouverte ». Le gouvernement décida donc d’interdire la commercialisation des OGM pendant au moins deux ans, mais en levant le moratoire sur les essais en champs ouverts. Le parti Greens s’y opposa furieusement, avec un soutien croissant de l’opinion, mais les industriels concernés poussèrent un soupir de soulagement, car le gouvernement put faire adopter sa position grâce au vote des députés du National Party.

Avancées et reculs en matière de privatisations

En ce qui concerne les privatisations, à deux exceptions près le gouvernement s’est laissé conduire par les événements. Il a une politique claire, hostile à toute nouvelle vente d’actifs du secteur public, et avait promis de re-nationaliser la caisse des allocations pour accidents du travail. Plusieurs initiatives ont été prises dans ce domaine.

Le projet privilégié du parti Alliance était de recréer un réseau bancaire public destiné à l’ensemble des citoyens. Ceci en réaction à la situation actuelle, où toutes les banques du pays sauf une appartiennent à des intérêts australiens et britanniques, et s’intéressent prioritairement aux commerçants et aux riches, avec une réputation bien établie de coûts élevés et de services déficients. La banque « Kiwi » ouvrira en 2002 sous la forme d’une filiale de la Poste, transformée en entreprise à statut privé par les gouvernements précédents sous le nom de « New Zealand Post », mais qui a échappé à la privatisation. La nouvelle banque utilisera les guichets de la Poste comme réseau bancaire et compte utiliser ce contact direct (de plus en plus rare dans les autres banques) et des coûts plus faibles pour attirer les usagers. Sous plusieurs aspects, il s’agit de déjà vu : la Poste gérait autrefois une des banques les plus populaires, la « Post Office Savings Bank » jusqu’à ce qu’elle soit privatisée et devienne une branche indiscernable de l’une des banques possédées par les Australiens, ANZ.

Le gouvernement a également racheté 86 km de voies de chemin de fer dans la plus grande ville du pays, Auckland, à la société privatisée TranzRail, contrôlée par des intérêts nord américains, parce qu’elle n’avait pas développé de transport ferré urbain. Le réseau ferré national de 3 900 km est loué à TranzRail pour 1 dollar par an et son monopole d’exploitation a été privatisé en 1993 pour 328 millions de dollars. Le syndicat national des cheminots a lancé une campagne intitulée « take back the track » pour re-nationaliser les chemins de fer. TranzRail a vendu en 2001 la plupart de ses services passagers à une compagnie australienne appartenant à Connex (UK) et a fermé le reste. Un jury indépendant lui a décerné deux fois le prix de la pire firme transnationale en Nouvelle-Zélande en matière de sécurité pour son personnel et ses passagers, ainsi que pour les capacités de ses propriétaires à dépouiller la société de sa substance.

Toutefois le plus spectaculaire exemple de privatisation avortée est celui de la compagnie aérienne nationale Air New Zealand. En 1999 elle était contrôlée par une des sociétés les moins respectées de Nouvelle-Zélande, « Brierley Investments Ltd », qui déplaça son siège social à Singapour au moment des élections. En 2000, Singapore Airlines acquit 25 % des actions de Air New Zealand, après que celle-ci eût absorbé 100 % du capital d’une compagnie aérienne australienne « Ansett Australia » pour atteindre une envergure suffisante à l’échelle internationale. Mais tout cela tomba rapidement en poussière. « Ansett Australia » se révéla faire deux millions de dollars de pertes par jour face aux baisses de prix des sociétés concurrentes telle que la filiale australienne de Virgin, et ses avions étaient fréquemment cloués au sol par les autorités australiennes pour maintenance insuffisante. Ses pertes menaçaient de faire couler avec elle Air New Zealand, dont le déficit atteint 1,4 milliard de dollars en 2001. L’incompétence évidente de la direction, qui avait été représentée pendant plusieurs années au conseil d’administration de cette société en quasi-faillite, facilita la décision du gouvernement de rétablir Air New Zealand dans le secteur public, d’autant plus que les évènements du 11 septembre aux USA mettaient toutes les compagnies aériennes du monde en difficulté. Lorsque le gouvernement du Labour avait vendu cette compagnie en 1989 pour 660 millions de dollars, c’était un symbole prospère et respecté de la Nouvelle-Zélande. Lorsque le gouvernement de coalition la racheta en 2001, il dut payer 885 millions de dollars pour 83 % d’une entreprise en péril et démoralisée.

Les obstacles de la mondialisation

Mais la faiblesse fondamentale de ce nouveau gouvernement se manifeste dans sa politique économique. Le Labour Party, principale force de la nouvelle majorité, tout en prenant ses distances par rapport à son passé de 1984-90, se baptise lui-même de “Troisième Voie”. D’ailleurs Mike Moore se fait gloire de ce que son gouvernement de 1984-1990 ait inventé ce concept de “Troisième Voie”. Le Labour reste donc attaché aux approches monétaristes, à l’indépendance d’une Banque Centrale uniquement chargée de lutter contre l’inflation, et il est opposé aux déficits budgétaires. L’essentiel de la machinerie néo-libérale reste en place. Ses réticences à augmenter les impôts (notons cependant que, sous la pression de l’Alliance Party il accepta de les augmenter modérément pour les revenus supérieurs à 60 000 dollars) bloquent en permanence les possibilités du gouvernement de s’attaquer sérieusement aux énormes déficits sociaux laissés par 15 années de néo-libéralisme. Il tire même vanité de ce que la dépense publique ait diminué par rapport au PIB.

Jusqu’à un certain point, il a eu de la chance. Lorsque les investisseurs étrangers constatèrent dès le début 1999 que le gouvernement du National Party était en perdition, ils commencèrent à retirer leurs fonds pour des montants considérables. Par exemple, en février 1999, les étrangers détenaient 12,7 milliards de dollars de bons du trésor néo-zélandais, soit 67,9 % du total des émissions. En juillet de la même année, ce montant était tombé à 7,1 milliards, un minimum qui n’a que légèrement augmenté depuis lors. Loin de causer des problèmes, ce retrait provoqua une diminution du taux de change du dollar néo-zélandais de 0,54 US$ à 0,40 US$. En ajoutant à cela une météo favorable après les précédentes sécheresses et des marchés en hausse pour les produits de l’agriculture, on comprend que se soit produit un véritable boom des exportations agricoles et industrielles, ramenant le taux de chômage à presque 5 % et le déficit du compte courant à 4 %. De quoi calmer l’opposition des milieux d’affaires et rassurer le gouvernement, au moins pour le moment.

Reste à voir comment la politique du Labour pourra continuer à réduire le chômage et à améliorer les services sociaux au-delà de ces circonstances fortuites. Ce qui distingue le plus le Labour Party de l’Alliance et encore plus des Greens est son attitude vis-à-vis de la mondialisation économique et militaire. Le Labour continue à soutenir l’héritage laissé par Mike Moore, son porte-parole sur le terrain des affaires étrangères et du commerce international avant qu’il ne devienne le Directeur Général de l’OMC. A l’opposé, Alliance et Greens veulent ré-instaurer certaines protections tarifaires éliminées avec un enthousiasme missionnaire par le gouvernement du National Party. Ils s’opposent aux investissements étrangers incontrôlés. Ils soutiennent des politiques de développement économique plus actives impliquant un soutien gouvernemental aux industries nouvelles. C’est pourquoi Jim Anderson (chef de Alliance) a choisi de créer un nouveau Ministère du Développement Economique, tout en devenant Vice-Premier Ministre, au lieu d’accepter une responsabilité plus conventionnelle.

Jusqu’à un certain point, le Labour accompagne cet enthousiasme pour un interventionnisme en faveur du développement économique. Mais en même temps il pousse les négociations engagées par le précédent gouvernement du National Party pour de nouveaux accords de libre-échange. Il a négocié et signé un accord de libre-échange “modèle” avec Singapour. Un autre est en cours de négociation avec Hong-Kong et il cherche avec insistance à en signer d’autres avec l’ASEAN, le Chili et les Etats-Unis. Sa politique vis-à-vis de l’OMC est pratiquement indiscernable de celle des précédents gouvernements, à l’exception de son soutien à une clause sur le droit du travail sans portée réelle, qu’il n’a d’ailleurs pas insérée dans l’accord signé avec Singapour.

Il est difficile d’imaginer que les politiques de développement économique soutenues par l’Alliance puissent survivre si elles restent exposées à l’impact d’une dérèglementation du commerce et de l’investissement internationaux, une fois passée la période actuelle de conditions économiques favorables. Au cours des quinze dernières années, de nombreuses industries ont disparu, tandis que les plus rentables sont tombées entre les mains d’entreprises multinationales. Les supporters de l’Alliance sont de plus en plus désappointés de voir ce parti atténuer son opposition à l’activisme du Labour en faveur du libre-échange afin de préserver la coalition gouvernementale. L’Alliance a sans doute exprimé publiquement son opposition en la matière, mais n’a pas mené de campagne au sein de la population sur ce terrain.

L’avenir de la politique économique se joue sur le terrain électoral

Le dilemme pour un parti minoritaire est de trouver les moyens d’exprimer son opposition sur des points fondamentaux sans pour autant détruire la coalition et ce dilemme menace de détruire l’Alliance. Cette menace s’est accrue avec la guerre en Afghanistan. Après l’attaque du 11 septembre, le Labour offrit rapidement d’envoyer des commandos rejoindre les troupes américaines, et les parlementaires de l’Alliance votèrent pour cette proposition. Mais cela provoqua de vives réactions dans les rangs du parti, où militent de nombreux membres du très puissant mouvement pour la paix de Nouvelle-Zélande. Lors de la conférence annuelle du parti en novembre dernier, ils exigèrent que les parlementaires reviennent sur leur soutien à l’engagement du gouvernement dans la guerre. Cette demande fut repoussée de peu au profit d’une simple “révision” de la décision, pour la raison que tout autre solution aurait déstabilisé le gouvernement, mais l’affaire a créé beaucoup d’irritation et une fracture publique entre Jim Anderson et la plupart des parlementaires d’une part, et d’autre part le Président et le Conseil du parti. La crise est symptomatique de tous les débats où l’Alliance cherche à entraîner le Labour vers des positions de gauche avec des succès mitigés : sur le libre-échange, les investissements étrangers, l’engineering génétique, le congé parental pour les salariés, la baisse des droits d’inscription pour les étudiants, l’amélioration de la santé publique et du logement social. Les adhérents de l’Alliance se sentent marginalisés et son électorat s’érode en faveur de celui des Greens et du Labour .

Néanmoins, la gauche dans son ensemble continue à bien se porter dans les sondages d’opinion. Le Labour restera sans doute le plus grand parti après les prochaines élections qui doivent avoir lieu avant la fin de 2002. Les Greens se renforcent. La question centrale est de savoir si l’Alliance gardera une audience suffisante pour rester un partenaire de la coalition, et si le Labour cherchera d’autres partenaires sur sa gauche ou sur sa droite. Un commentateur politique a déjà souligné que sur certaines des plus importantes questions (commerce international, engagement dans la guerre, engineering génétique) le Labour a plus de positions communes avec le parti National (qui se rapproche du centre sous la direction d’un nouveau leader) qu’avec les partis de gauche, ce qui pourrait favoriser une sorte de “grande coalition”[1] A moins que ne s’affirme un partenaire viable et solide sur sa gauche, le futur gouvernement pourrait donc bien glisser à nouveau vers la droite.

 

Notes:

* Bill Rosenberg effectue des recherches sur les investissements étrangers et les relations économiques extérieures de la Nouvelle-Zélande pour le compte des organisations « GATT Watchdog » et « The Campaign Against Foreign Control of Aotearoa ».

Traduction de Marc Ollivier.

[1] « The enemy of my enemy… », by Jane Clifton, New Zealand Listener, 24 novembre 2001, pp. 12-1