Armelle Vivier*
Ce texte représente un témoignage “à chaud”, après trois semaines de présence. En ce sens, il est le récit d’une plongée brutale dans le quotidien du sous-développement.
Je veux essayer simplement de partager avec vous un peu ce que j’ai découvert ici pendant cette première étape de connaissance du pays et d’adaptation.
Dès mon arrivée, dans le trajet de l’aéroport a San-Salvador (40 km), malgré la nuit et la fatigue après 24 heures de veille, j’ai été frappée par la pauvreté générale du pays : de nombreuses habitations en tôle, des routes et des véhicules en très mauvais état… Je n’ai pas compris non plus s’il fallait doubler à droite ou à gauche… mais je peux vous dire qu’après presque un mois, je n’ai toujours pas compris et je crois que je ne suis pas à la veille d’avoir envie de conduire une voiture (et pourtant j’aime conduire !)
Notre quartier est sur la commune de Mejicanos dans la banlieue de San-Salvador : petites maisons pauvres avec beaucoup de tôles, même si la majorité des maisons sont quand même en partie en dur. La nôtre est dans la moyenne, mais nous allons bientôt déménager dans une maison un peu plus grande, car depuis les tremblements de terre, une pièce est inutilisable et la maison est vraiment devenue trop petite.
Il y a très peu d’eau… Dans notre quartier, nous avons la chance d’avoir l’eau courante à la maison, ce qui n’est pas le cas partout, mais il ne coule qu’un filet d’eau et, en général, dès 6 h du matin il n’y a plus d’eau jusqu’au soir. Il faut donc faire des réserves ; bien sur, l’eau n’est pas propre et il faut la filtrer et la faire bouillir pour la consommation. Le problème de l’eau est un problème majeur dans le pays et il va le devenir de plus en plus.
Ici la vie commence très tôt et dès 6 h du matin, on voit les échoppes (pour ne pas dire les magasins) ouvertes ; et jusqu’à tard le soir.
Il n’y a qu’une toute petite minorité de personnes qui peuvent avoir une voiture ; aussi tout le monde circule en bus : de vieux bus dans lesquels on s’entasse et dont on se demande toujours s’ils vont nous amener à bon port vu l’état de la mécanique et de la carrosserie ; le bruit des moteurs est assourdissant, la pollution en C02 impressionnante ; mais, malgré la conduite très brusque et la chaleur, tout le monde reste très calme. Disons quand même que ce n’est pas vraiment un moyen de transport adapté aux personnes âgées ou handicapées…
Puisque j’en suis à ce qui m’a frappée en arrivant, il faut aussi parler de l’accueil des gens qui est vraiment très chaleureux, me considérant tout de suite comme « des leurs ». La foi du peuple est aussi impressionnante, même si elle n’est pas toujours très bien éclairée, et ici, les sectes (pour la plupart d’origine américaine) pullulent ; les gens passent facilement de l’une à l’autre, quitte à retourner ensuite à l’Eglise catholique. Il y a aussi beaucoup de superstition, et, en fait, il y a un gros travail d’évangélisation à faire en profondeur, même s’il y a beaucoup de foi en Dieu.
La Parole de Dieu a une grande importance et les laïcs animent de nombreuses célébrations de la Parole (même des gens qui ne savent pas lire !)… Il y a vraiment une très grande vitalité et en plus de la vie paroissiale, les gens se regroupent en petites communautés de base dans les quartiers…
Notre paroisse représente environ 110 000 habitants et est animée par deux prêtres passionnistes.
La population est à grande majorité très pauvre ; il y a beaucoup de chômage et quand les gens ont la chance d’avoir un travail, il faut savoir que le SMIC est de 1 000 F par mois (et j’ai vu que l’essence était à 11 F le litre !)
La nourriture est très simple : haricots rouges et galettes de maïs trois fois par jour ; dans les campagnes, il n’y a rien d’autre, avec des fruits. En ville, il y a un peu plus de diversité, mais les haricots rouges et le maïs restent le plat tri-quotidien…
Au Salvador, on cultive beaucoup de café, mais le meilleur part pour l’exportation et en fait sur place, il est très cher.
Je suis impressionnée aussi par la dignité des gens malgré la pauvreté, la souffrance, la lutte pour survivre. Partout il y a des gens qui vendent quelque chose : de l’eau, des bonbons à l’unité, de la nourriture préparée à manger sur place… Bien sûr, les conditions d’hygiène sont très mauvaises et les gens attrapent aussi beaucoup de maladies. Très peu de gens bénéficient d’un semblant de sécurité sociale… et la plupart n’ont pas les moyens de se soigner…
La pauvreté entraîne aussi beaucoup de vraie misère avec tout ce que cela entraîne de gens à la rue, d’enfants qui meurent de malnutrition ou qui sont abandonnés. Mais cela entraîne aussi beaucoup, beaucoup de délinquance, de violence, de vol.
Partout, dans la rue on voit des vigiles ou des gardiens armés : la quantité d’armes qui circulent est impressionnante et « visible ».
II faut dire que le pays sort de douze années de guerre civile suite à un régime dictatorial. Les accords de paix ont été signés en janvier 1992, mais la situation de misère, d’injustice et d’atteinte aux droits de l’homme reste pratiquement la même.
Certains disent : tous les ingrédients existent pour une autre guerre… J’ai déjà entendu bien des fois : nous avons versé tant de sang pour rien… La guerre civile a fait plus de 100 000 morts, des familles divisées, beaucoup de traumatismes psychologiques… Le week-end dernier, nous sommes allées au vingtième anniversaire d’un massacre de paysans à la frontière du Honduras dans la montagne : plus de 1 000 morts, dont une majorité d’enfants, de femmes et de vieillards… Une équipe de chercheurs américains fait un travail énorme de fouilles pour retrouver les ossements. Lorsque nous y étions, vingt-sept corps d’enfants venaient d’être identifiés et il y a eu une célébration d’enterrement ce jour-là… Beaucoup d’émotion et de larmes…
Les Etats-Unis ont la main-mise sur la plupart des pays d’Amérique Centrale, et au Salvador, depuis six mois, la monnaie officielle est le dollar ; la monnaie locale circule encore et les gens essayent de résister en utilisant de préférence les « colones », mais c’est vraiment David contre Goliath… (et je ne pense pas que cela se termine de la même façon !)
Les attentats du 11 septembre ont eu de lourdes conséquences ici au niveau économique, et la misère augmente encore plus. On sent ici, au niveau de la base, une grande résistance face à la politique américaine, et en même temps, le style américain envahit de plus en plus, même si 90 % de la population n’y a pas accès, ce qui augmente encore plus le sentiment de frustration.
Le 13 janvier et le 13 février, ce sera l’anniversaire du tremblement de terre qui a fait l’année dernière plus de 1 000 morts. De nombreuses habitations ont été détruites et beaucoup de gens habitent encore des baraques. Les dégâts que l’on peut encore voir sont énormes et les gens vivent avec l’angoisse de nouvelles secousses, car il y en a régulièrement depuis.
Quelques nouvelles de la fraternité où je suis. Il y a Gladys qui est Salvadorienne et aussi Caria, une petite sœur italienne qui est là seulement jusqu’au mois de février. Au début janvier vont arriver les deux postulantes. Pour le moment, ce sont les deux seules, mais il pourrait y en avoir une troisième…
Je vais donc être surtout prise par l’accompagnement et la formation des jeunes, même s’il est important que je me situe aussi dans le quartier et que j’ai un engagement. Il y aura aussi le déménagement et l’installation de la nouvelle maison qui va m’occuper beaucoup. Et puis ici, la vie quotidienne prend beaucoup de temps à cause du manque d’eau, du peu de commodité, de la chaleur qui oblige à faire les courses pratiquement chaque jour…
Nous avons une autre fraternité dans un village très pauvre (10 000 habitants !!!), proche de San-Salvador. Les gens vivent principalement de la cueillette du café, mais ils travaillent pour quelques grands propriétaires qui détiennent la majorité des terres.
Voilà un petit aperçu de ce que je vis ici… dans la mesure de ce que je peux dire en peu de temps de présence.
Note:
* Religieuse de la Communauté des Petites Sœurs de l’Evangile du Père Foucauld, arrivée en décembre 2001 dans une fraternité au Salvador.