Hakim Ben Hammouda*
L’Afrique vit depuis quelques années sous le rythme d’un nouveau consensus en matière de développement. Un consensus élaboré à Washington par les institutions de Bretton Woods, le FMI et la Banque Mondiale, et qui vient chasser le premier qui a dominé la réflexion et la pratique en matière de développement sur le continent dans les années 80. Un consensus en chasse un autre, Washington II prend la place de Washington I !
L’histoire économique récente du continent est caractérisé depuis le début des années 80 par l’extraversion de la réflexion sur le développement et l’avènement avec force des institutions de Bretton Woods comme acteur majeur dans les choix et les stratégies de développement. Après les indépendances, les nouveaux pouvoirs avaient initié des stratégies de modernisation politique et économiques. Des politiques qui devaient permettre au continent de rattraper le temps perdu et de rejoindre les pays développés. L’horizon de la fin du siècle dernier était couramment fixé par les pouvoirs post-coloniaux pour atteindre l’utopie que portait le projet national : une société moderne, des Etats forts et des structures économiques diversifiés. Au niveau économique, les stratégies d’import-substitution étaient au cœur de ce processus. Elles devaient permettre aux économies africaines de produire localement les produits industriels de consommation qui étaient jusque-là importés. Un projet qui a su mobiliser les élites politiques et les populations pendant les années 60 et 70. Mais un projet qui a également trouvé dans la forte valorisation des cours de matières premières exportées par les pays africains les ressources financières nécessaires à son déploiement.
Mais, les pays africains ont vite déchanté. En effet, le miracle promis depuis des années s’est transformé en mirage ! On s’est réveillé au début des années 80 sur la fin de la ferveur nationaliste mais à une éternité du rêve que l’on a caressé : rejoindre l’Autre, l’ancien colonisateur, et partager avec lui les fruits d’une modernité ouverte à tous et d’un universel commun. Le réveil était difficile et le spectacle était désolant : une dette importante, des déficits énormes, des structures économiques fragiles, une croissance faible, un chômage fort et une dépendance plus grande des économies africaines vis-à-vis des anciennes puissances coloniales. Il fallait répondre au plus pressé. Il n’était plus question de projet nationaliste et il fallait gérer la crise. Les notions même de projet, d’utopie et de grand dessein étaient dévalorisées par un post-modernisme à la mode et qui déconseillait les mythes porteurs de totalitarisme. Il fallait se limiter à la gestion d’un quotidien qui pouvait donner plaisir et jouissance immédiats. L’économique en Afrique s’est engagé dans la gestion résignée de crises et de déséquilibres qui ne faisaient que s’accentuer. Une période qui a vu l’extraversion de la pensée sur le développement du continent avec l’avènement des institutions de Bretton Woods et la construction de ce qu’il est convenu d’appeler le premier consensus de Washington. Il s’agissait pour les promoteurs de ce cadre de développement de lutter contre les déséquilibres macroéconomiques, favoriser la croissance et initier un certain nombre de réformes économiques pour assurer une insertion plus dynamique et compétitive des économies africaines dans la globalisation. Le marché devait se substituer à l’Etat dans l’allocation des ressources et dans la régulation des économies africaines. Plus que les nouvelles orientations, le consensus de Washington a fait de l’ajustement structurel le cadre unique de pensée et de réflexion sur le développement. Ce cadre traçait de manière forte et parfois autoritaire les frontières du pensable et de l’impensable pour le développement du continent. Mais de quoi se plaindre si ces réformes et ce projet devaient permettre une incursion significative de la raison dans la gestion économique et favoriser par conséquent un nouveau saut dans la modernité !
Or, moins de deux décennies plus tard et dès le milieu des années 90, on s’est rendu compte des limites de ce consensus. Point d’amélioration de la situation économique des pays africains ! La modernité et le développement sont de plus en plus une chimère : la dette alourdie, la croissance toujours fragile, les grands équilibres sans cesse plus difficiles à atteindre et, surtout, une explosion sans précédent de la pauvreté ! Un échec reconnu par ceux-là mêmes qui avaient pensé la stratégie dans les travées feutrées de la Banque et du Fonds à Washington ! Que de temps perdu ! C’est dans ce contexte que les institutions de Bretton Woods ont lancé ce qui ressemble fortement à un nouveau consensus autour de l’amélioration de la gestion ou la gouvernance des économies africaines et de la lutte contre la pauvreté. Ce projet est fortement lié à l’initiative de réduction de la dette connue sous l’appellation PPTE et en constitue même la conditionnalité. Le consensus de Washington II suscite d’importants débats au sein des cercles des experts et même au-delà dans la mesure où les institutions de Bretton Woods exigent une plus grande participation de la société civile dans l’élaboration des programmes de lutte contre la pauvreté où ce qu’on appelle le Cadre Stratégique de Lutte Contre la Pauvreté. Déjà certains économistes soulignent la grande parenté entre Washington I et II dans la mesure où la stabilisation macro-économique est au cœur des deux projets. D’autres notent que la lutte contre la pauvreté ne va pas sans la transformation des structures économiques africaines, notamment l’agriculture et l’industrie, afin de fonder des dynamiques de croissance forte et compétitive.
Mais, au-delà de ces critiques, il faut souligner que le nouveau consensus arrive dans un moment où l’Afrique a décidé de s’approprier de nouveau la réflexion de son avenir. La fusion des initiatives de la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique avec celle des Présidents Wade, Obasanju, Mbeki et Bouteflika et l’adoption par le dernier sommet de l’OUA d’une initiative africaine commune est une parfaite illustration de cette nouvelle dynamique. Une initiative qui nourrira les débats et les réflexions en cours autour du consensus de Washington II. Mais, surtout cette initiative montre une prise de conscience que l’accès à une modernité plurielle et riche de ces différences ne peut se faire sans un engagement fort de la part des africains !
Note:
* Directeur du Centre de Développement Afrique Centrale de la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique.