Xavier Godard*
Le souci d’adaptation des approches du transport urbain au contexte des villes en développement a guidé les réflexions de recherche en France, à l’Inrets[1] comme dans la plupart des autres équipes travaillant dans ce domaine. Ce parti-pris, qui constitue une évidence pour un petit nombre de responsables de la Coopération comme pour la plupart des scientifiques dignes de ce nom, n’a jamais vraiment été accepté ni appuyé par le dispositif d’intervention française du secteur, administration, ingéniérie et organismes para-administratifs dont le mot d’ordre est l’exportation du savoir-faire français et la promotion de « nos » entreprises. L’approche de celles-ci est sans doute bien plus pragmatique et adaptative que la représentation qu’en ont certaines administrations, mais la question récurrente est de savoir quel savoir-faire le monde développé peut proposer aux villes en développement.
L’abandon par l’Inrets de ses programmes de recherche orientés vers le monde en développement est l’occasion de poser quelques questions sur le dispositif français de réflexion et d’action dans ce domaine. Ces questions seront nécessairement sélectives et traitées brièvement dans le cadre de cet article. Elles s’inspireront de l’expérience accumulée sur certaines villes africaines, notamment Dakar, qui ne sont pas nécessairement représentatives de la complexité et de toute la diversité des situations des villes en développement, mais sont illustratives des questions que nous posons.
Nous examinerons donc le cas de Dakar à travers une étude stratégique, puis un document de l’Isted visant à définir une doctrine française, avant d’évoquer brièvement d’autres manifestations de l’approche française du monde en développement. Ces problèmes ne sont pas spécifiques à la France mais sont sans doute ceux de l’ensemble du monde développé, certes avec des nuances qui ne pourront pas être développées dans cet article, comme le suggère le développement du thème de l’environnement, considéré à travers une étude d’un bureau belge sur les coûts de l’environnement, toujours à Dakar.
1 – L’exemple de Dakar, les études des bureaux internationaux
Le système de transport à Dakar est dominé par la question de la gestion de la complémentarité entre une entreprise d’autobus et un secteur artisanal exploitant des minibus appelés cars rapides. La crise du système a amené à la disparition de l’entreprise tandis que le secteur artisanal couvrait l’essentiel des déplacements, dans des conditions certes très discutables.
Dans le cadre des études du projet transport urbain au Sénégal financé par la Banque mondiale, le bureau français Systra, filiale de RATP et SNCF en matière d’ingéniérie, a eu en charge en 1998 deux études réunies finalement en une seule : la restructuration globale du réseau des TC, et la définition du périmètre de l’entreprise d’autobus en liaison avec la capacité à payer (des usagers). Des délais courts étaient imposés à cette étude, comme la plupart du temps où l’on ne vit que dans l’urgence. L’étude ayant démarré en janvier 1998, elle s’est achevée en novembre de la même année pour une présentation médiatisée en décembre, utile pour préparer la venue de RATP-International comme concessionnaire du réseau d’autobus, comme on le verra plus loin;
1.1 – Une méthodologie qui paraît inappropriée dans la généralisation de certains résultats
La méthodologie utilisée par Systra reposait sur un recueil de données sur ce qu’on appelle la demande en recourant pour l’essentiel à une méthode d’enquête légère et rapide d’exécution et de traitement, réalisée auprès d’un échantillon de personnes sélectionnées dans de nombreux points d’enquêtes (250) répartis sur l’ensemble de l’agglomération de manière à couvrir l’ensemble des déplacements. Il y a donc bien effort d’adaptation au contexte pour pouvoir produire des résultats rapidement.
Les redressements de l’échantillon ont été effectués à partir de l’information existante, c’est-à-dire celle du recensement de 1988, sur des critères d’âge, de sexe et de localisation d’habitat, mais sans que la méthode soit présentée, car elle relève de la cuisine, ce qui est sans doute justifié et correspond à la pratique de tous les bureaux d’étude. Si l’on admet à priori la bonne représentativité de l’échantillon, on doit relever en revanche un vice apparent de raisonnement qui consiste à appliquer le taux de mobilité tiré des enquêtes à l’ensemble de la population, considérant que l’échantillon est représentatif de la population totale de plus de 4 ans de l’agglomération alors que l’enquête a porté sur des personnes mobiles, en situation de déplacement : plus une personne est mobile, plus elle a de chances d’avoir été enquêtée. On parvient alors à une faible vraisemblance des estimations, malgré la cuisine des redressements multiples, faiblesse confirmée par le recoupement d’informations : évolution supposée de la mobilité motorisée, trafic surestimé de l’entreprise d’autobus, du train urbain, trafic des minibus supérieur aux estimations tirées du parc supposé et de la clientèle journalière… Passons sur ces querelles d’experts pour retenir une tendance à la surestimation du niveau de mobilité motorisée à Dakar par le consultant, qui s’inscrit dans une stratégie de développement d’axes lourds de transports collectifs favorable au savoir-faire de RATP, candidat à la gestion du réseau d’autobus qui devait découler de cette étude.
La capacité à payer des usagers, thème qui était potentiellement majeur dans l’étude, n’est en fait quasiment pas analysée, elle fait juste l’objet de quelques développements analytiques dans le rapport de synthèse, pour souscrire au souhait du client. Il y a en fait sur ce thème un malentendu complet, révélateur de l’approche de l’adéquation des coûts au contexte. On aurait pu penser en effet que l’étude cherche à connaître le prix que diverses catégories d’usagers étaient prêts et / ou capables de payer pour un certain niveau de service que la future entreprise d’autobus était susceptible d’apporter, de manière à rechercher une offre réaliste. La démarche est en fait l’inverse : à partir d’un niveau de demande estimé sans tenir compte des tarifs à payer, l’étude simule les coûts de production tirés d’une approche normative pour ce type d’entreprise, l’essentiel de l’étude se concentrant alors sur des simulations financières d’amortissement du matériel neuf, autobus standards ou véhicules articulés selon les lignes du réseau : les tarifs d’équilibre sont alors déduits de la nécessaire couverture des coûts, sans que le bouclage du raisonnement soit opéré en vérifiant la capacité réelle des ménages dakarois à payer ce type de tarif pour assurer sa mobilité.
Les enjeux de ce type d’estimation
Les enjeux de cette variable de base qu’est le niveau moyen de mobilité individuelle sont de plusieurs ordres. Ils concernent à la fois les bases de diagnostic, le fondement des politiques préconisées, et la viabilité financière des solutions sectorielles préconisées. Ils concernent également les indicateurs d’efficacité ou d’objectifs qui devraient accompagner le suivi d’application de la politique. C’est dire qu’ils ne sont pas uniquement un débat entre chercheurs sur la mobilité et le sexe des anges.
En ce qui concerne les politiques préconisées, les propositions ne s’appuient guère sur le diagnostic différencié de la situation soit en termes de dessertes de zones, soit en termes de conditions de mobilité de groupes de population, soit enfin en termes de capacité de réponse de diverses formes de transport (répartition des rôles entre entreprise structurée et secteur artisanal). On est même incité à penser que les options de base ont été définies et proposées indépendamment des résultats d’enquête. Ceux-ci viendraient alors à l’appui d’options prédéfinies, ce qui expliquerait a posteriori le peu d’importance accordé par le consultant aux incohérences des données affichées sur la mobilité et la répartition modale.
L’un des axes de la politique proposée concerne en fait la structuration autour du PTB (Petit Train Bleu, desserte ferroviaire de banlieue reliant le centre du Plateau à Rufisque à une trentaine de kilomètres), ce qui est une option intéressante mais qui doit être questionnée par le fait que l’essentiel de la population se trouve en dehors de la zone d’influence directe de cette ligne ferroviaire : il y a là une contradiction de fond dont il faudrait donner des éléments de résolution. L’enjeu est là encore essentiel mais on ne peut dire dans quel sens joue la surestimation de la mobilité : ce qui importerait est d’avoir une vision plus fine de la mobilité et du problème d’un rabattement éventuel… Le problème si l’on souhaite privilégier l’épine dorsale du PTB est que l’on risque d’imposer des rabattements aux deux extrémités du trajet, ce qui est dissuasif pour la clientèle.
En ce qui concerne le dossier prioritaire de la privatisation de la Sotrac, et toutes les mesures opérationnelles qui peuvent être proposées et éventuellement mises en œuvre, une surestimation sensible de la mobilité se répercuterait mécaniquement sur la clientèle potentielle de la Sotrac privatisée, ou sur les flux des axes structurants TC puisque l’on applique aux flux modaux estimés des coefficients de transferts que nous n’avons pas à discuter ici, même si certaines hypothèses nécessiteraient pour le moins un débat.
Les matrices origine-destination suggèrent pour les lignes urbaines à concéder un trafic total de 418 000 voyageurs / jour (92 000 en heure de pointe) permettant de proposer des dessertes par bus articulés avec fréquence à deux minutes, ce qui est une option lourde dans le contexte dakarois sur laquelle de nombreux observateurs peuvent s’interroger. En revanche cette option risquerait d’être morte-née si le niveau de trafic attendu était bien inférieur à celui annoncé dans l’étude… Il semble d’ailleurs que les estimations de trafic sur le réseau à concéder des lignes urbaines aient été revues à la baisse lors des négociations entre Cetud (équivalent d’une Autorité Organisatrice) et le groupement RATP lorsque celui-ci était candidat, fin 98. De 70 millions de voyageurs / an on serait descendu à une hypothèse plus réaliste de près de 45 millions.
Enfin le niveau de tarif acceptable révélé par les enquêtes auprès d’une partie restreinte de la population mobile a toutes chances d’être surestimé dans la mesure où la non mobilité provient de plusieurs facteurs dont le coût du déplacement joue un rôle essentiel dans le contexte de faiblesse du pouvoir d’achat. Le point de vue de ceux qui supportent mal le coût actuel des tarifs TC aura ainsi été peu représenté. Les résultats n’en sont pas pour autant sans intérêt mais ils ne permettent des conclusions que sur une population plus ciblée et limitée en nombre, ce qui est peut-être suffisant pour définir le rôle de la future entreprise, mais sans doute insuffisant pour définir une politique globale où l’on se préoccupe de lutte contre la pauvreté, comme la Banque mondiale le déclare.
1.2 – A la recherche d’interprétations pour une erreur aussi grossière
Finalement, si l’on cherche à comprendre comment l’on peut arriver à de telles contradictions ou controverses sur des variables essentielles, et ceci en dépit d’un dispositif important d’études, on peut livrer quelques simples commentaires et hypothèses.
L’engagement des études dans des conditions peu propices dessert la qualité même des études. Le phasage des études à Dakar, sous l’impulsion de la Banque mondiale, a été mené de manière très étrange puisque l’on a de fait opté pour un phasage à l’envers par rapport à ce que suggèrerait la rationalité et l’expérience des milieux professionnels :
– étude de la privatisation de la Sotrac (1998) avant l’étude de la réglementation et de l’organisation des TC (1999) ;
– études d’organisation des TC avant l’enquête-ménage sur la mobilité et l’accès aux services urbains (2000)…
Certes le temps presse pour mettre en application les réformes attendues depuis 1992, et la Banque mondiale qui tenait à la privatisation (terme en fait impropre) de la Sotrac impose des délais sans doute peu applicables, et l’essentiel n’est pas dans le contenu des études mais dans le rapport de forces et la pression ainsi maintenus auprès des autorités sénégalaises.
L’impression dominante chez les bailleurs est d’ailleurs qu’on a déjà fait beaucoup d’études, sans doute trop, et qu’il faut maintenant agir… Ce discours était déjà entendu en 1992 à Dakar au moment de la préparation du séminaire dit décisionnel de Saly lançant la nouvelle politique de transport à Dakar. Il n’a pas empêché la BM de lancer en 1997 une série d’études dont certaines semblaient redondantes avec des études précédentes, ou d’autres dont l’opportunité était douteuse par rapport au processus décisionnel. Il fallait simplement habiller le processus en cours et tenter de le légitimer ainsi. Cette fonction d’habillage de décisions et négociations, où les bailleurs ont le rôle-clef se heurte à des limites dans la mesure où la distorsion et le flou des données peuvent conduire à des réajustements nécessaires et douloureux. On ne distord pas la réalité sans conséquence.
On peut s’interroger sur le dispositif qui a été mis en place pour la gestion de ces études. Le Cetud qui est maître d’œuvre a quelques difficultés à suivre en détail l’ensemble des études sous sa responsabilité. Il doit aussi acquérir une autorité qui ne pourra venir qu’avec l’expérience, face à des Bureaux de consultants appartenant à de grands groupes et habitués à gérer des rapports de force. La Banque mondiale contrôle l’ensemble, parfois de manière trop détaillée, avec des termes de référence qui sont le plus souvent de sa responsabilité. Sa stratégie paraît ambiguë, entre l’applicabilité des solutions préconisées, les alliances avec tel ou tel groupe d’ingéniérie, la volonté de trouver d’autres bailleurs en fournissant des argumentaires d’études susceptibles de les convaincre…
Le volant d’études apparaît d’ailleurs comme une manne financière pour de nombreux experts sénégalais mobilisés directement ou indirectement comme sous-traitants de bureaux internationaux. Des dérives dommageables peuvent apparaître si des exigences de qualité et de rigueur ne sont pas affirmées et confirmées par les bailleurs de ces études. Le problème est que si les bailleurs et bureaux internationaux ne se soumettent pas à cette règle, il devient encore plus difficile aux responsables sénégalais de l’intégrer, malgré toute leur bonne volonté.
L’étude Systra s’inscrit sans doute dans une négociation plus large où se profile la candidature de la RATP à la reprise des activités de la Sotrac. Mais comment peut-on imaginer que la RATP s’embarque dans une telle aventure, sur des bases erronées ? Même si l’habitude de garde-fous publics incite à prendre des risques parfois incompréhensibles mais qui sont supportés par un jeu de subventions, on a peine à croire que de telles distorsions puissent fonctionner consciemment. Si l’option de lignes structurantes a été définie a priori et si l’étude de la demande n’est là que pour conforter cette option, quitte à distordre les données, il faudrait alors analyser les relations internes à l’ensemble Systra, RATP et RATP-International, ce que nous n’avons pu faire.
La démarche Systra témoigne certes d’un très bon professionnalisme et d’un premier effort d’adaptation intelligente au contexte, le tout dans des délais très restreints. Et pourtant, lorsque se présente une difficulté, ou un dysfonctionnement, il semble que la machine tourne à vide. L’équipe reste sur une attitude fermée et n’envisage pas un instant qu’elle puisse avoir quelque tort ou qu’elle puisse avoir intérêt à une coopération-confrontation avec des experts extérieurs, notamment des “chercheurs”. Des ajustements en cascade dans l’étude de Dakar seraient peut-être plus complexes qu’il n’y paraît et obligeraient à revoir l’ensemble des résultats et propositions, ce qui a pu paraître inopportun, voire intolérable…
On reproduit semble-t-il un schéma où l’entreprise structurée qu’est la RATP, ayant un monopole d’exploitation, a tendance à fonctionner avec le monopole supposé de la compétence. Pour être très schématique on peut se demander si ce schéma interne à Paris, et développé en France à travers les interventions Sofretu puis Systra, n’aurait pas tendance à être appliqué à l’export, sans la capacité d’adaptation que suppose ce type d’intervention …
L’échec de la RATP pour la concession du réseau d’autobus
L’appel d’offre de mise en concession du réseau des lignes urbaines a été lancé en septembre 1998, RATP-International, nouvelle filiale de RATP, allié à un autre groupe français, Transdev, a été le seul candidat, les autres groupes internationaux sollicités ayant sans doute considéré que ce marché était une chasse gardée de RATP. La négociation a duré plusieurs mois, elle se heurtait à plusieurs points sensibles, en particulier le monopole que réclamait RATP pour éviter la concurrence des cars rapides, et que le Cetud ne voulait et ne pouvait accorder. Un accord a finalement été obtenu en janvier 1999, l’affaire semblait acquise et l’on s’apprêtait à signer lorsque RATP-International s’est vu refuser l’accord du Conseil d’Administration de RATP. Les représentants de l’Etat à ce Conseil ont rejeté le projet car ils craignaient une dérive déficitaire de la future société qui aurait contraint, au bout du compte et étant donné le statut de RATP, le contribuable français à supporter ce déficit d’une entreprise sénégalaise. Cela a été la douche froide, et l’on a cherché une solution de rechange.
Plusieurs schémas ont été recherchés par les Autorités sénégalaises. Une solution purement sénégalaise a été explorée avec quelque prudence, une piste suisse a été suivie au point d’être présentée comme presque acquise, annoncée dans la presse, pour finalement se révéler sans issue, car il s’agissait surtout d’un montage avec un vendeur de bus d’occasion, sans expérience d’entreprise. RATP a tenté de garder le contact et surtout de transformer son intervention en assistance technique, moyennant une rétribution conséquente (elle aurait représenté autour de 10 % du chiffre d’affaires prévu de l’entreprise !), ce qui aurait été un retour en arrière provocateur et une solution bien peu durable. Il semble que l’on était pourtant proche d’un tel schéma à la veille de l’élection présidentielle en février 2000, mais il n’a pas pu être bouclé, si bien que l’autre groupe français, Transdev, a repris ensuite l’initiative en proposant non un schéma d’assistance, mais une société au capital de laquelle elle participerait, avec des coûts d’intervention plus faibles de ses experts. Les discussions continuaient durant l’été 2000 avec une nouvelle donne qui était l’implication du personnel de l’ancienne Sotrac liquidée dans le capital de la nouvelle entreprise.
Ces péripéties sont révélatrices de la difficulté à identifier un nouveau modèle d’entreprise d’autobus, à Dakar comme dans d’autres villes africaines, tandis que le secteur artisanal a accru sa domination sur l’ensemble du système de transport de l’agglomération. Elles indiquent aussi le caractère peu approprié du modèle d’organisation RATP dans un tel contexte, malgré tout son prestige. Ce n’est qu’au prix d’un effort d’adaptation important qu’une entreprise telle que la RATP pourrait apporter une contribution pertinente au système de transport urbain des villes en développement, ce qui ne sera possible que lorsque ses responsables seront persuadés de cette nécessité.
Autre exemple d’étude, l’estimation des coûts externes des transports à Dakar
Le thème de l’environnement émerge peu à peu dans les discours de politiques de transport urbain en Afrique, sous l’impulsion des bailleurs de fonds. Cette émergence est certainement légitime, mais la forme que prend cette émergence paraît très ambiguë, reposant sur des bases transposées sans adaptation du monde développé. On illustre ici ce propos par l’examen d’une étude réalisée par le bureau d’ingéniérie belge Tractebel sur les coûts de dysfonctionnement des transports urbains à Dakar. Cette étude a tenté d’estimer et de valoriser en termes monétaires les principaux effets négatifs ou externalités négatives du système de transport. Il s’agit de la pollution, du bruit, des accidents et enfin de la congestion.
La pollution est reconstituée à partir des données de trafic auxquelles on applique un modèle issu de l’expérience européenne. Les réticences du bureau d’études quant à l’évaluation des coûts de la pollution ont été exprimées très honnêtement dans le rapport provisoire étant donné la faiblesse des connaissances sur le sujet. Ces scrupules quant à une évaluation monétaire n’ont pas résisté longtemps à la pression de la Banque mondiale. On découvre alors dans le rapport final puis dans les documents de synthèse repris par la Banque, un coût total annuel de 63 Md FCFA. Cette estimation est calculée à partir d’un coût annuel de 30 000 FCFA par habitant, elle-même tirée d’une étude sur Jakarta réalisée pour la Banque mondiale en 1997, sans réflexion sur la transférabilité de ce chiffre. Il est certes précisé que l’on chiffre ainsi l’ensemble de la pollution dans l’agglomération pour deux polluants principaux, les transports n’étant pas la source unique de pollution, mais cette précaution est vite perdue de vue dans les présentations de synthèse.
Concernant le bruit, reconstitué à partir de modèles européens utilisant les hypothèses de trafics issus des données Systra, l’évaluation monétaire, devant la difficulté d’estimation directe des dommages, repose sur l’approche par les coûts d’évitement : coûts d’écrans anti-bruit, coût de revêtement d’enrobés drainants. Ces éléments sont sans doute utiles. Mais ils ne sauraient en aucune façon représenter une évaluation des dommages subis par le bruit dans le contexte d’une ville africaine. Ils risquent au contraire de biaiser certaines appréciations sur les priorités d’actions entre de multiples sources de dysfonctionnement du secteur.
L’évaluation des accidents repose sur les statistiques disponibles, dont on sait par ailleurs qu’elles souffrent d’un défaut classique de sous-estimation de la réalité. On parvient alors à l’estimation de 2 Md FCFA en appliquant des hypothèses sur le coût du mort et du blessé, fonction du revenu moyen à Dakar.
La congestion et les pertes de temps sont également évaluées à partir des données de trafic estimées par Systra par un calcul de différentiels entre vitesse en période fluide et vitesse en période congestionnée. L’étude estime ainsi que les usagers des TC passent 1,4 M d’heures par jour en déplacements, dont 1 M d’heures perdues à cause de la congestion, soit 71 % du temps total. Cette estimation, telle que formulée, paraît absurde car le temps de déplacement en TC est constitué de plusieurs éléments qui semblent oubliés : temps de rabattement à pied, temps d’attente d’un véhicule, autant d’éléments qui sont dépendants du fonctionnement interne des transports collectifs, indépendamment de la congestion.
L’évaluation monétaire de ces pertes de temps est classique, comme le sont les critiques que l’on peut formuler. L’étude se cale sur un revenu horaire moyen de 246 FCFA appliqué pour le temps des déplacements domicile-travail estimés pour 50 % du total des déplacements, les autres déplacements étant crédités d’une valeur du temps réduite à 50 %, soit 123 FCFA de l’heure. Il y aurait lieu de discuter ces hypothèses, mais on sait le caractère conventionnel qui entache ces estimations. L’important est de les expliciter, ce qu’a bien fait Tractebel. Finalement l’évaluation monétaire de ces pertes de temps attribuées à la congestion est de 188 M FCFA par jour, ou encore de 41 Md FCFA par an.
La synthèse de ces coûts de dysfonctionnement fait apparaître un total de coûts de dysfonctionnements de 108 Md FCFA par an, dont 63 Md pour la pollution, 41 Md pour la congestion, et seulement 2 Md pour les accidents. On voit alors se dessiner une échelle de l’importance relative des coûts de dysfonctionnement, (l’expression des coûts dans une unité commune monétaire sert précisément aux comparaisons et agrégations) qui paraît irresponsable en l’absence de rigueur dans le mode d’évaluation.
La responsabilité de ces erreurs ou approximations est sans doute partagée entre le bureau d’étude qui essaie de répondre aux termes de référence et utilise les méthodes à sa disposition, sans réelle adaptation, la Banque mondiale qui est soucieuse en l’occurrence de produire des données montrant la justification d’un effort en matière d’environnement, et les autorités sénégalaises qui n’ont en fait guère de moyens de critiquer le contenu technique de ces études alors qu’elles attendent des financements pour progresser dans la résolution de leurs problèmes.
Il semble bien que l’on sacrifie ainsi à un effet de mode sur le thème de la pollution et on est en droit de se demander si les auteurs ne produisent pas des chiffres aussi mal assurés dans le seul but de légitimer cette polarisation soudaine souhaitée par tel bailleur de fonds. Cet exemple indique bien que le problème d’adaptation des méthodologies d’étude n’est pas spécifique à l’ingéniérie française mais qu’il concerne sans doute l’ensemble de l’ingéniérie internationale des pays développés intervenant dans le monde en développement.
2 – La doctrine élaborée par l’Isted, à mi-chemin dans l’effort d’adaptation
L’Isted est un organisme associant l’Administration française et les opérateurs privés intervenant dans les domaines de l’équipement et des transports : il vise à promouvoir le savoir-faire français à l’étranger. Cet organisme a élaboré en 1997 un document de politique sectorielle de transport urbain cherchant à présenter la position française sur ce que devait être une politique de référence dans les villes en développement. L’essentiel du travail a reposé en fait sur l’expérience accumulée par les experts de RATP et Systra, l’Isted considérant que c’était le cœur de l’expérience française, ce qui pouvait sembler étrange mais avait le mérite de la clarté en termes d’alliance avec une certaine forme d’ingéniérie.
2.1 – Des évolutions à saluer
Le document présente une évolution intéressante des idées sur certains points sensibles par rapport aux discours des années passées, ou même par rapport aux affirmations initiales des premières versions du rapport. On enregistre ainsi une reconnaissance du secteur artisanal qui n’est plus présenté comme à proscrire mais à encadrer et à tirer vers davantage d’organisation et de productivité. On esquisse un schéma hiérarchisé de réseau de transport collectif qui peut servir de référence mais doit naturellement être adapté à chaque contexte : les axes de forte demande relèvent d’une desserte par des entreprises structurées tandis que les dessertes secondaires en rabattement peuvent être assurées par le secteur artisanal, souvent qualifié d’ailleurs d’informel.
Des positions nuancées sont également exprimées sur les conditions de l’équilibre financier des entreprises : le document prend ainsi des distances avec le dogme du déséquilibre financier structurel qui tendait à être affiché au début des travaux du groupe : le besoin de subventionner les transports collectifs a en effet tendance à être érigé, dans les milieux français, en règle qui devrait s’appliquer partout dans le monde sur la base de l’expérience d’une majorité de pays développés.
2.2 – Des traces d’une vision restreinte française
Pourtant il subsiste des relents d’une vision ancienne trop calquée sur le modèle français et une approche normative inappropriée. On lit ainsi avec une certaine stupeur que les coûts des places-kilomètres offertes par les bus sont nettement inférieurs à ceux des minibus ou des taxis collectifs… mais que les pratiques informelles conduisent à ramener ces coûts à des coûts voisins de ceux des autobus : c’est la faute à l’informel ! les opérateurs de ce secteur osent une réduction de 50 % des charges normées sur les pneumatiques / entretien, de 75 % sur les charges normées de personnel, très peu de frais de structure et enfin pas d’amortissement ! Quelle déviance par rapport à la norme ! Mais qui définit donc la norme? On retrouve ici le raisonnement d’une déviance par rapport à la norme, dont le modèle serait sans doute issu de la RATP.
Ce poids du contexte français pour définir une stratégie recommandée pour les villes en développement est d’ailleurs assumé par certains responsables de l’Administration, qui estiment finalement que l’on ne peut réellement proposer que ce que l’on sait faire en France, puisque le but de ce type de réflexion stratégique est bien de positionner le savoir-faire français, et les entreprises qui en sont dépositaires, sur la scène internationale. D’après ce point de vue on ne saurait proposer des solutions qui ne sont pas issues de l’expérience française, ce qui revient à faire une impasse totale sur le caractère adapté des solutions préconisées.
Quelques faiblesses ponctuelles confirment que les évolutions analytiques nécessaires entre l’expérience des villes françaises et l’expérience des villes en développement n’est pas menée à son terme. C’est ainsi que la présentation des capacités en ligne par type de mode ne résulte pas vraiment de la diversité des observations dans les villes en développement mais relève d’une vision normative peu adaptée à ce que connaissent de nombreuses villes en développement : on sous-estime les capacités réelles des systèmes artisanaux de minibus ou de taxis collectifs, certes obtenues au prix de mauvaises conditions de confort et de sécurité (mais les autobus ne sont pas exempts de ces critiques).
L’objet même du document dégage un certain malaise car il repose sur le postulat de la définition d’une position française proche de la pensée unique, à partir d’une expérience très partielle de l’ingéniérie française. Mais surtout le malaise vient du postulat que la politique souhaitable pourrait être définie à Paris et non dans les villes visées.
Enfin, sous couvert de villes de pays en développement (le document se présente d’ailleurs curieusement comme visant les pays ACP, en référence aux mécanismes financiers classiques d’aide au développement dans le cadre des accords de Lomé), on sélectionne l’Afrique sub-saharienne, mais aussi le Maghreb et l’Amérique centrale. On ignore alors d’autres régions d’Amérique du sud ou l’ensemble des pays asiatiques. Le Vietnam a par exemple disparu de l’exercice alors qu’il figurait à l’origine dans les cas potentiellement supports de la réflexion.
2.3 – Le produit d’un axe Isted / RATP / Systra
Le choix des exemples et le discours qui les accompagne est le plus souvent imprégné de la seule expérience Systra, avec ses éventuelles limites. On est ainsi étonné de trouver largement utilisé comme support le cas de Libreville (400 000 habitants) dans l’échantillon d’expériences, mais pas Bamako ou Ouagadougou, villes millionnaires africaines où Systra n’a pas travaillé, contrairement à d’autres organismes français tels que Inrets / Let à travers le réseau Sitrass ou même des opérateurs français, alors que l’on prétend s’intéresser aux “grandes villes”.
La marginalisation de la recherche au profit de l’ingéniérie paraît ainsi significative de l’approche française, bien que quelques messages issus de travaux de recherche aient cependant été perçus, sans être reconnus comme tels pour autant. Cet axe d’influence est confirmé par la publication fin 1998 d’une plaquette par le Ministère de l’Equipement (DAEI et DTT) intitulée Transports urbains, l’offre française, reprenant les éléments du rapport Isted et reposant sur un comité de pilotage dominé par les experts de la RATP.
3 – La stratégie prudente de la CFD
La Caisse Centrale de Coopération Economique (CCCE) a financé dans les années 70 et 80 de nombreux investissements de transport urbain en Afrique, en finançant les parcs de véhicules des sociétés mixtes lancées avec la participation très intéressée du constructeur RVI. Après une phase de succès cette expérience s’est dégradée dans la période des ajustements structurels des économies africaines, les entreprises étant incapables de s’adapter à la nouvelle donne. Cet organisme, de plus en plus sollicité sur des bases politiques voire clientélistes, a voulu tourner la page, ce qui a été confirmé lorsque son statut et son sigle ont évolué pour devenir Caisse Française de Développement (CFD) puis Agence Française de Développement (AFD). Après deux tentatives de définition de doctrine dont les rapports sont finalement restés dans les tiroirs, un nouveau document a été élaboré en 1997-98, soit durant la même période que le document Isted, pour définir la nouvelle approche de financement sur le secteur.
Une préoccupation majeure était semble-t-il de se démarquer des interventions antérieures marquées par un soutien trop direct à RVI, de sorte que la nouvelle option a été de renoncer en principe au financement de flottes d’autobus, ou d’agir directement sur l’organisation des transports, ce qui paraissait trop périlleux en raison de la prégnance des jeux d’influence politique sur un terrain d’ailleurs déjà couvert par la Banque mondiale. C’est ainsi que s’est dégagée une option stratégique d’intervention sur les infrastructures, la CFD considérant finalement que c’était davantage dans sa vocation, et que l’intervention au niveau des infrastructures permettait d’agir en amont sur les systèmes de déplacements ou systèmes de transport en réunissant les conditions d’une meilleure efficacité des modes de transport. C’est ainsi que sont privilégiés les financements d’aménagement de voirie, et d’infrastructures en faveur des transports collectifs (voies réservées pour autobus, gares routières, infrastructures ferroviaires éventuellement).
Le rapprochement stratégique de l’AFD avec la Banque mondiale prend acte de la nécessaire coopération avec ce bailleur, et avalise finalement le fait que la Banque mondiale est le principal producteur de doctrine en matière de développement. Contrairement à la Banque mondiale, l’AFD n’a jamais voulu développer des moyens de réflexion stratégique s’appuyant sur un milieu extérieur d’experts, elle a préféré mobiliser pour des réflexions à usage interne ses propres cadres dont la disponibilité était nécessairement restreinte par les multiples tâches de gestion de projets. C’est ce qui explique l’absence de réflexion stratégique alternative à ce que pouvait proposer la Banque mondiale, alors que l’approche française pouvait exprimer une sensibilité différente sur la scène internationale.
3.1 – Le transférabilité du modèle français, au cœur de la réflexion française auprès de la Banque mondiale
La Banque mondiale préparait, courant 2000, un nouveau papier de politique sectorielle de transport urbain, pour actualiser celui qu’elle avait publié en 1986, et pour préciser certaines options générales qui avaient été exprimées dans le papier sur l’ensemble du secteur transport en 1996. Tenant compte des critiques formulées à son égard depuis longtemps, la Banque mondiale a voulu instaurer une approche plus concertée avec plusieurs pays du monde développé intervenant dans ce secteur en réalisant, courant 2000, des synthèses mobilisant des experts japonais, anglais, néerlandais aux côtés d’experts français, chacune des études étant financées par les pays concernés.
Cette initiative a été gérée pour la partie française par la DREE, Direction des Relations Economiques Extérieures du Ministère de l’Economie et des Finances, ce qui était un signe intéressant du poids de l’approche économique au sens de l’exportation française dans la production de doctrines sur les questions de développement. On n’est pas loin des travers de l’approche Isted présentée plus haut, et l’orientation première donnée aux études (six études ont été réalisées sur six thèmes négociés avec la Banque mondiale) était celle d’une présentation des acquis de l’expérience française, ce qui n’avait de sens que dans l’optique d’un travail analytique sur les conditions du transfert. Paradoxalement la DREE a joué le jeu d’un exercice ouvert sans a priori sur l’adaptation de l’expérience française au contexte de villes en développement.
L’exercice a cruellement mis en valeur la difficulté des bureaux d’étude français à intégrer cette analyse des conditions du transfert d’expérience, alors que les experts de la Banque mondiale attendaient la proposition de solutions adaptées au contexte des villes en développement, et non pas tellement la mise en valeur du modèle français. On peut s’interroger par exemple sur la pertinence du tramway de Rouen comme modèle alors que le coût d’investissement rapporté à la capacité en fait un métro parmi les plus chers au monde (Henry, Kuhn, 1996).
L’une des études sur lesquelles nous avons été directement impliqués, celle du thème de la pauvreté, qui est sans doute la plus centrale dans l’optique du développement, a confirmé que l’expérience des villes françaises, sans être nulle, était de peu d’utilité si elle était considérée sans un effort important de transposition. Ce qui primait cependant dans cette étude était bien la considération de la situation des pauvres (terme évidemment plein d’ambiguïté) dans les villes en développement.
Tous les thèmes traités étaient confrontés, à des degrés divers, au même hiatus des conditions de transférabilité. Les thèmes étaient les suivants :
– Organisation institutionnelle des transports urbains : expérience des Autorités Organisatrices.
– Partenariat Public-Privé : expériences diverses de concessions à la française (délégation de service public).
– Financement des transports collectifs : le Versement Transport.
– Planification urbaine des transports, allant de la planification à long terme aux Plans de Déplacements Urbains , les PDU en cours de réalisation dans les villes françaises.
– Les transports en site propre (métro, tramway…) qui sont développés peu à peu dans les villes françaises de taille moyenne et correspondent à des enjeux importants à l’exportation.
– Lutte contre la pauvreté à travers les transports urbains, pour laquelle la France n’a guère d’expérience spécifique puisqu’elle est diluée dans la notion de service public : la Banque mondiale était cependant attachée à ce thème central à ses yeux, à l’heure où même le FMI en fait une priorité.
Les débats au cours de cet exercice ont confirmé le poids d’un courant gravitant autour de l’Administration et se ralliant derrière le mot d’ordre de l’exportation et de la promotion du modèle français, sans que ses défenseurs ne perçoivent que cette approche est sans doute un peu courte pour une réflexion stratégique au niveau mondial.
3.2 – L’évolution de Codatu, un débat récurrent
Les difficultés de positionnement de la Codatu vont dans le même sens de questionnement, c’est pourquoi il est intéressant de les évoquer brièvement. Codatu est une association internationale de droit français, qui avait pour objet premier l’organisation de conférences internationales sur les transport urbains dans les pays en développement. Créée à l’initiative de milieux de recherche français avec l’aide de la Fédération Mondiale des Cités Unies, elle a organisé à un rythme de deux à trois ans des conférences (Dakar, 1980, Caracas, 1982, Le Caire 1986, Jakarta, 1988, Sao Paulo, 1990, Tunis, 1993, New Delhi, 1996, Capetown, 1998, Mexico, 2000) qui lui ont donné une notoriété internationale. A partir de 1996, de nouveaux statuts et une équipe rénovée ont été mis en place pour consolider cette institution et lui donner des bases internationales qui lui manquaient, étant trop marquée par le verrouillage des intérêts français. Mais l’internationalisation de Codatu s’est faite à petits pas, alors que le Ministère Français de l’Equipement accroissait en fait son contrôle sur cette association, avec du personnel mis à disposition pour en assurer le fonctionnement. Une crise en est résultée en 2000, et il est trop tôt pour apprécier les chances de succès de la nouvelle équipe qui se met en place.
La question de l’influence des intérêts français dans une telle association a été une question récurrente depuis son lancement en 1980 lors de la première conférence de Dakar. L’essentiel des moyens financiers de l’association provenant d’administrations ou d’entreprises françaises, la gestion de la Codatu a le plus souvent été considérée, par certains de ses responsables comme par des observateurs d’autres pays, comme soumise à la logique d’intervention française en ce domaine. Cette vision a naturellement freiné les développements possibles de l’association, et notamment les activités plus permanentes qu’elle était en position de développer, sur une base résolument internationale, et qu’elle tente de développer sans réel succès jusqu’alors.
Les difficultés d’évolution de la Codatu vers une association résolument internationale sont révélatrices du poids des logiques économiques nationales dans les approches de la coopération internationale pour le développement. Ce constat est paradoxal à l’heure de la mondialisation où l’on sait que les entreprises ont de plus en plus un statut multinational. La question est alors de savoir quel peut être le paradigme ou le principe fondateur d’une telle association dès lors que le Tiers-mondisme a été jeté aux oubliettes de l’Histoire. Ceci est une autre histoire, pour un autre article.
Nous voulons simplement retenir de cette expérience que l’on retrouve au sein de Codatu les mêmes limites d’une approche française que celles dénoncées dans cet article à travers les tentatives de formalisation d’une approche française pour les villes en développement, trop soumise à des intérêts économiques supposés, et donc sans qu’un effort suffisant d’adaptation soit effectué.
Conclusion
Au terme de ce survol, les limites que nous avons décelées dans un certain nombre d’études ou de documents de doctrine présentant l’expérience française suggèrent le poids important des intérêts économiques supposés dans la définition de solutions de transport ou de méthodologies mises en œuvre pour les définir. On se retrouve ainsi pleinement dans le statut des études plaidoyers, ce qui n’est pas condamnable en soi à condition que ces études soient soumises à la contradiction, comme le veut la logique du plaidoyer. Cette contradiction fait défaut en raison de la faiblesse de l’expertise du monde en développement et spécialement en Afrique. Elle fera de plus en plus défaut si les milieux de recherche sont déstructurés, comme c’est la tendance actuellement.
Cette expertise est en constitution progressive à travers diverses initiatives, dont le réseau Sitrass [2] est l’une des expressions. Ce réseau couvrant l’Afrique francophone a été constitué depuis une dizaine d’années à l’initiative d’équipes de recherche françaises (Inrets et Let), avec l’aide financière de la Coopération française, tout en reposant sur un partenariat avec des équipes africaines qui se sont constituées dans la plupart des pays mais dont la constitution a cependant été constamment fragilisée par un contexte économique hostile empêchant l’émergence d’une expertise indépendante. Il faut bien admettre que l’expertise africaine en ce domaine ne permet pas encore le débat contradictoire permettant d’avancer réellement dans la recherche de solutions adaptées.
Le renforcement de l’expertise, à travers notamment des travaux renouvelés de recherche, est cependant la seule voie possible pour que soient définies peu à peu des solutions adaptées à la réalité et à la diversité des pays en développement concernés par leur propre développement. Nous pensons finalement que les intérêts économiques bien compris des pays développés, de la France notamment, si telle devait être la règle de base des relations internationales, devrait prendre acte de ce constat et en tirer des conséquences dans une vision plus ouverte.
Bibliographie restreinte
Banque mondiale, Initiative sur la qualité de l’air dans les villes d’Afrique sub-saharienne, compte rendu du séminaire de Dakar, décembre 1998.
CFD, Stratégie sectorielle de la CFD en matière de transport urbain, janvier 1998.
- Figueroa, X. Godard, E. Henry (éd.), Mobilité et politiques de transport dans les villes en développement, Actes Journées Inrets, janvier 1997.
- Godard, Les systèmes de transports urbains en ASS, ou la résistance face aux tentatives de réforme institutionnelle, Séminaire Sitrass, Cotonou, novembre 1999.
- Godard, Histoire d’un projet d’enquête-ménage à Dakar, SSATP, Cotonou, octobre 1999.
- Henry, F. Kuhn, Du métro à ses variantes : leçons mexicaines et autres, communication conférence Codatu VII, New Delhi, 1996.
Isted, Eléments de stratégie du développement des transports urbains dans les pays en développement, bilan et propositions, décembre 1997.
- Godard, L. Diaz, Pauvreté et transports urbains, Expérience française et villes en développement, rapport Sitrass pour Banque mondiale, août 2000.
Systra, Etude sur la restructuration globale des transports en commun, l’identification du réseau à concéder et la capacité à payer, Rapport de synthèse pour le Cetud, Dakar, novembre 1998.
Tractebel, Etude des coûts de dysfonctionnement des transports urbains à Dakar, rapport pour le Cetud, 1998
Notes:
* Directeur de recherche à l’Inrets, Vice-Président de Sitrass, (courriel : godard@inrets.fr).
[1] Inrets : Institut de Recherche sur les Transports et leur Sécurité, établissement public de recherche.
[2] Sitrass : Solidarité Internationale pour les Transports en Afrique Sub-Saharienne, association de droit français dont le siège est à Lyon.