Christian Leblond
On n’a point encore vu de sociétés où les conditions fussent si égales, qu’il ne s’y rencontrât point de riches et de pauvres; et par conséquent, de maîtres et de serviteurs. La démocratie n’empêche point que ces deux classes d’hommes n’existent, mais elle change leur esprit et modifie leurs rapports (Tocqueville[1])
Introduction
La devise de la République française, « Liberté, égalité, fraternité » fait écho à la célèbre formule ternaire de la Déclaration d’indépendance des États-Unis, « Life, Liberty, and the Pursuit of Happiness », au prix d’une subtile asymétrie qui met au centre la valeur de l’égalité. La révolution américaine mobilise autour des valeurs des Lumières, sans se prononcer sur l’égalité, donc sans inscrire l’inégalité dans la liste pourtant très longue des griefs retenus contre la société de l’époque coloniale. L’histoire des États-Unis constitue à certains égards une longue marche vers l’égalité politique de tous les citoyens, mais la nation américaine semble s’accommoder de disparités économiques considérables. Les deux formes de l’inégalité économique, celle des revenus et des patrimoines, semble provoquer plus d’émoi et susciter plus de discours protestataires en France – et sur le Vieux Continent de manière générale – que sur l’autre rive de l’Atlantique.
Les économies les plus primitives sont par nécessité les plus égalitaires tant que la productivité moyenne reste au niveau de seuil de subsistance, mais au-delà, les fonctions se diversifient et des ordres, puis des classes dans la société industrielle, se mettent en place, structurant la société par l’inégalité, dans une évolution que seuls les admirateurs de Rousseau[2] condamnent radicalement. En fait, le partage des fonctions sociales entre, par exemple, la caste sacerdotale, la caste militaire et les laborantes (pour prendre la triade la plus connue) fait partie du fonds commun de toutes les organisations humaines, au point que l’égalité intégrale n’occupe dans les représentations qu’une place minime dans les marges indistinctes des utopies.
Ainsi, l’inégalité est par définition acceptable comme condition d’existence même des sociétés structurées – c’est-à-dire des sociétés tout court. En revanche, il est bien évident que les types d’inégalité font l’objet de débats et d’affrontements. L’ordre établi, par exemple la société d’Ancien Régime, agitera toujours le spectre de la confusion et du désordre quand de nouveaux groupes remettront en cause la stratification héritée de l’Histoire mais en contradiction avec l’évolution des techniques et de l’économie. Quand l’élite du Tiers-État devient la Bourgeoisie, au moment de la Révolution française de 1789, les inégalités se déplacent assez nettement sur le terrain économique, comme cela avait été le cas en 1776 aux États-Unis.
Les mutations du système de production ont fait émerger de nouvelles élites socio-économiques dont le primat est vigoureusement contesté par les tenants – et bénéficiaires – de l’ordre ancien. Aux États-Unis, avec un décollage industriel qui s’accélère à la fin de la Guerre de Sécession, les idéaux égalitaires des Jeffersoni[3] sont définitivement balayés. Les lointains héritiers de Hamilton que sont les grands industriels accumulent en quelques années des fortunes colossales, lestées d’un poids politique prépondérant. À l’autre extrême du spectre, les travailleurs du secteur industriel, soumis à une forme d’exploitation nouvelle et brutale, sont paupérisés – au moins relativement.
Le XXème siècle américain, à cet égard, est caractérisé par la prise de conscience que l’efficacité économique peut justifier à titre transitoire des écarts de revenus et de fortune, mais qu’à terme, une polarisation excessive de la richesse dans les centiles supérieurs de la population menace la cohésion même du tissu social. Des New Deals de Roosevelt à l’État providence[4] de l’Après-Seconde-Guerre mondiale, les États-Unis semblent découvrir les vertus d’une action publique redistributrice. Quand un quart de la population active est au chômage, il est urgent de changer la donne en conduisant une politique de modération des écarts économiques et en produisant un discours keynésien de médiation entre classes sociales, dominant jusque dans la décennie 80 du XXème siècle.
Autrement dit, les inégalités économiques aux États-Unis peuvent s’appréhender par une problématique double, quantitative et dynamique. L’aspect quantitatif consiste à définir un seuil de tolérance, voire un optimum, entre deux extrêmes inacceptables : l’indifférenciation des fonctions sociales d’une part et l’extrême polarisation d’autre part. L’acceptabilité sous cet angle est étroitement liée à la mesure du phénomène, et se pose en terme de métrologie, avec examen de l’étalonnage des instruments à notre disposition. L’aspect dynamique, dans un deuxième temps, aborde la problématique de l’acceptabilité en réintroduisant la variable « temps » et en mettant en évidence, le cas échéant, les variations historiques modulant la perception des inégalités de richesse, entre mal nécessaire et mal transitoire. Mais nous ne nous interdisons pas d’envisager un troisième angle d’approche plus clairement idéologique, dans une troisième partie de cet article.
Aspects quantitatifs de l’acceptabilité : mesures relatives et relativisme
La mesure de l’inégalité est la première étape d’une réflexion sur ce qui constitue une différence acceptable dans une société et à un moment donné, c’est-à-dire le seuil au-delà duquel le consensus est mis en danger et la médiation entre les groupes constitutifs de cette société devient difficile à formuler.
Dans la formation des économistes, deux noms reviennent constamment dans les questions de mesure de l’inégalité de revenu et de patrimoine, ceux de Pareto et de Gini.
Sans entrer dans les détails[5], Pareto est connu pour son concept d’optimum qui définit les limites d’une redistribution des richesses à l’intérieur d’une société. Mais une société pareto-optimale en termes d’inégalité serait loin de constituer un idéal pour le sens commun. En effet, l’optimum est atteint et donc toute redistribution dans une telle société doit cesser lorsqu’il devient impossible d’améliorer le sort des moins favorisés sans transférer de la richesse prise aux plus fortunés. Sans doute sur la base d’une sensibilité personnelle qui lui fait spontanément prendre la défense de l’individu, Pareto s’accommode fort bien de sociétés très inégalitaires[6]. L’article de Bourgain et Vaneloo argumente de manière très convaincante sur l’impossibilité de réduire les inégalités en même temps que la pauvreté à revenu national constant, si l’on suit le raisonnement de l’économiste italien. Autrement dit, si l’on cherche dans la théorie économique des réponses à la question de la distribution des richesses, l’optimum de Pareto fournira une réponse contre-intuitive sur les aspects quantitatifs de l’acceptabilité.
L’indice ou le coefficient de Gini[7] reste l’indicateur le plus fréquent dans la littérature économique sur l’inégalité. Cet indicateur est un ratio entre deux aires délimitées par une courbe de Lorenz qui décrit la quantité cumulée de richesse (en ordonnée) en fonction des déciles de la population (en abscisse). Rappelons que zéro est la valeur du coefficient de Gini pour une société d’égalité parfaite et 1 pour la polarisation la plus forte – toute la richesse appartenant à un seul individu.
Des séries statistiques assez complètes existent par pays pour l’indicateur de Gini, collectées et publiées par des organismes aussi divers que la Banque mondiale ou la CIA[8]. Ce dernier organisme, qui peut difficilement être taxé d’anti-américanisme, apprend au lecteur dans son Factbook, que sur les 136 pays recensés, le Lesotho avec un indice de 63,2[9] apparaît comme le plus inégalitaire et la Suède dont l’indice est 23,0 comme le plus égalitaire. On chercherait en vain dans ces chiffres la réponse à la question de l’admissibilité. Tout ce que le lecteur attentif peut conclure, c’est que les États-Unis (45,0) se situent entre la Chine (47,4) et la Russie (41,7) et assez loin de la moyenne des pays de l’Union européenne (30,7). La France (32,7) est un peu plus inégalitaire que la moyenne européenne mais bien moins que les États-Unis. En Europe, les pays scandinaves sont particulièrement égalitaires tandis que le Royaume-Uni (40) se situe délibérément au milieu de l’Atlantique. La plupart des pays que nous venons de citer ne sont pas au bord de l’explosion et pourtant ils se caractérisent par des valeurs du coefficient de Gini extrêmement divergentes. Si l’on formulait un diagnostic sur la base de ces chiffres, on serait tenté de prédire aux États-Unis, et dans une moindre mesure au Royaume-Uni, une remise en cause de l’ordre établi dans un avenir relativement proche, prédiction qui se heurterait à un scepticisme bien compréhensible.
La série de chiffres ne nous livre pas d’information concluante sur un seuil bien précis, cette valeur pivot au-delà de laquelle la cohésion de la nation et de la société entre dans une zone de risque. En d’autres termes, les statistiques de l’indicateur de Gini par pays, loin de nous livrer une loi universelle qui pourrait s’ériger en norme d’acceptabilité, nous confrontent à une réalité éclatée. La diversité déconcertante de ce qui est accepté ne nous autorise pas à dépasser le stade de l’observation empirique et frustre nos espoirs de fonder sur ces données statistiques un discours cohérent sur l’acceptabilité.
En deçà du langage de l’éthique, l’approche quantitative semble très bien adaptée à des mesures relatives, à des comparaisons entre pays, mais ne nous livre guère de clés sur les phénomènes internes des sociétés étudiées sous cet angle. On peut supposer que les citoyens du Lesotho sont moins satisfaits de leurs structures socio-économiques que les Suédois, mais que signifie le fait que les Américains ne semblent pas avoir fait de la question des inégalités un thème porteur repris par leur classe politique alors que la passion française de l’égalité[10] semble ne pas faiblir ? Qu’une inégalité acceptable au-delà de l’Atlantique peut apparaître inacceptable en deçà, à cause de la culture et de l’Histoire et que la détermination d’un « seuil de tolérance » ne peut se résumer à une froide compilation statistique. Cette conclusion était d’ailleurs assez prévisible.
Il est difficile de mettre en évidence un « seuil » dans les statistiques fournies par un indicateur conçu pour mesurer la distance qui sépare un pays de l’égalité intégrale, puisque c’est au fond ainsi que l’on pourrait résumer la fonction de la formule de Gini. Deux valeurs entières remarquables sautent aux yeux, le zéro et le un, mais ces chiffres n’apparaissent jamais dans les séries statistiques et pour cause, car aucun pays n’est totalement égalitaire ni totalement inégalitaire dans la réalité. Le zéro et le un bornent la série statistique[11] sans en faire partie et ne sont donc pas des seuils car – rappelons cette évidence – un seuil doit pouvoir se franchir. D’ailleurs le sens commun ne nous porte guère à ériger en norme, même utopique, les deux états extrêmes de la société correspondant à zéro ou un.
De plus, par construction, l’indice de Gini ne subira aucune variation si la société entière s’enrichit sans changer la répartition relative des richesses et pourtant l’effet psychologique créé par l’augmentation absolue du pouvoir d’achat – par exemple – sera très puissamment positif. En fait, dans un contexte un peu similaire, mais avec une répartition qui augmente la part des déciles les plus aisés, il y a fort à parier que l’enrichissement absolu des déciles les moins aisés aura plus d’impact que la paupérisation relative concomitante qui frappe les mêmes groupes. Accéder à plus de richesse en termes absolus revêt sans doute plus d’importance que l’appauvrissement relatif qui en est l’autre versant. Au sein de cette société, les riches s’enrichissent plus vite que les autres et ce phénomène se trouve fidèlement traduit par une hausse de l’indice de Gini. Dans ce contre-exemple, la hausse de l’indice, qui marque une augmentation de l’inégalité, produit un impact psychologique très différent de la même hausse qui surviendrait dans un contexte de stagnation absolue des revenus et des patrimoines.
Comme dans notre discussion sur l’optimum de Pareto, l’indicateur de Gini ne livre pas à lui seul de critère définitif de l’admissibilité, dans la mesure où un jeu à somme nulle présente un tableau qui contraste vivement avec un jeu à somme positive. En d’autres termes, l’évolution d’autres données économiques, et tout particulièrement celle des grands agrégats[12], qui ne disent rien de l’inégalité, est vraisemblablement prépondérante.
Statisticiens de génie, Pareto et Gini nous ont légué des instruments de mesure relative extrêmement utiles pour le recensement des disparités entre pays, mais qui ne permettent pas de s’abstraire du relativisme.
Aspects dynamiques de l’acceptabilité : temps et variations
Une des hypothèses de départ de notre étude était qu’un état inégalitaire de la société était d’autant mieux toléré qu’il est perçu comme transitoire, les anticipations rationnelles des sujets produisant ici encore des effets réels – comme nous le montre la théorie économique – en l’occurrence une acceptation de la structure sociale et des institutions, ou a minima une acceptation du caractère lent et progressif des évolutions gommant peu à peu les inégalités en commençant par les plus criantes.
Mais un phénomène récent est venu s’inscrire en contradiction avec le consensus keynésien qui s’était installé aux États-Unis depuis les années 1930. On note dans les cercles académiques dès les années 1970 un regain de confiance pour les mécanismes transactionnels du marché, qui s’est traduit dès la décennie suivante avec l’élection de Ronald Reagan, par une remise en cause, voire un démantèlement des politiques de redistribution et de discrimination positive. Les francs-tireurs libertariens ou supply-siders[13] rapidement relayés par des économistes considérés comme plus crédibles, regroupés autour de Milton Friedman sur le campus de l’université de Chicago, d’où le surnom « d’économistes d’eau douce »[14], vont peu à peu s’imposer[15] face à leurs collègues « d’eau salée ».
La transition vers une économie de type post-industriel donne un rôle de premier plan aux entrepreneurs des services financiers et des dot-coms. Le phénomène s’accompagne de l’émergence d’une nouvelle classe de « super-riches » aux États-Unis et plus généralement dans les pays acteurs de la mondialisation.
Le centile le plus fortuné de la population (top one percent) pourrait se définir comme le groupe des super-riches, par opposition au décile supérieur (top ten percent), celui des riches « ordinaires ». Le concept n’est pas très neuf, comme n’importe quel lecteur de Marx[16] pourrait le confirmer, néanmoins certaines statistiques récentes mettent en évidence un enrichissement considérable de ce centile supérieur par rapport à la société tout entière, mais aussi – et cela est assez nouveau – par rapport au décile supérieur. Les travaux d’une nouvelle génération d’économistes comme Thomas Picketty[17] ont détaillé dès 2000 ce phénomène qui rompt avec l’évolution centenaire en France et dans le monde, entraînant la reconstitution de dynasties de rentiers extrêmement fortunés.
Les chiffres trop détaillés ne parlent pas au profane, mais une étude de la banque Crédit Suisse First Boston d’octobre 2013, qui révèle que désormais 1 % de la population mondiale détient 50 % de la richesse mondiale, a été reprise par de nombreux médias grand public et certaines ONG[18]
Il nous apparaît donc assez légitime d’écrire que ce groupe émergeant d’individus se constitue en une nouvelle classe[19] avec des intérêts et des valeurs qui les distinguent du reste de leurs concitoyens, y compris des élites traditionnelles. Une telle évolution dans la période récente, qui laisse augurer une aggravation des inégalités, devrait focaliser une certaine animosité contre cette nouvelle classe. Or la prise en compte de cette tendance, l’introduction du facteur temps, dans la problématique ne permet pas de repérer des réactions du corps social à la mesure de ce qui se dessine pour l’avenir proche. La théorie des anticipations rationnelles semble ne pas fonctionner dans le domaine que nous analysons, ce qui appelle un commentaire et des hypothèses explicatives.
Une première hypothèse, la plus élémentaire, tourne autour de l’effet retard, c’est-à-dire de l’intervalle de temps qui sépare un événement (rupture, inversion, émergence) et de son intégration dans les représentations collectives. Les États-Unis, qui se perçoivent traditionnellement comme une société sans classe, ne sont pas nécessairement la nation la mieux armée conceptuellement pour distinguer les dynamiques de classe, et peuvent mettre un certain temps à accepter le fait que la classe supérieure est en train de se scinder en deux – entre riches et « super-riches ». Mais la prise de conscience, si ce diagnostic est juste, ne serait qu’une question de temps.
Par ailleurs, pour reprendre l’analyse des angles morts de l’indice de Gini, notons que l’ascension fulgurante de la classe des super-riches s’explique par la quasi-confiscation par cette élite nouvelle des fruits de la croissance économique récente liée à la déréglementation et à la mondialisation. Le gonflement des patrimoines et l’envolée des revenus serait donc le produit d’un accaparement de ressources supplémentaire dans un jeu à somme positive et non à un transfert de richesse des pauvres vers les riches dans un scénario à somme nulle. La paupérisation est donc en grande partie relative, bien que l’éclatement des bulles spéculatives – bulle des dotcoms et plus récemment des subprimes – ait vraisemblablement produit en termes absolus des pertes de pouvoir d’achat et de patrimoine dans les classes moyennes, sans parler du sort peu enviable des ménages expropriés pour défaut de paiement[20]. Mais néanmoins, si l’on accepte le fait que l’enrichissement de la classe des super-riches a pu se produire sans bouleverser la situation absolue des autres centiles, l’indice de Gini a pu varier assez faiblement[21] et l’invariance en termes absolus pourrait expliquer le manque de réaction de la société américaine.
D’ailleurs, on peut aussi se demander si une Amérique qui a pensé être parvenue à la fin de l’Histoire vers 1992, année de publication du célèbre essai de Francis Fukuyama[22], avant de se raviser, n’est pas devenue épistémologiquement trop « fixiste » – au sens des opposants à la théorie de l’évolution – pour penser la dynamique économique du temps, dimension qui a toujours constitué d’après l’économiste français Jacques Sapir un « trou noir » de la science économique[23].
Mais il faut sans doute mentionner une toute autre direction pour terminer l’examen des hypothèses. La pensée sur l’inégalité s’est longtemps concentrée sur les droits civiques et sur la réussite économique, la législation de l’ère Johnson représentant la période faste de cette manière de penser la question de la pauvreté. Or depuis les années 1960, la notion d’inégalité s’est complexifiée pour tenir compte des multiples facettes sous lesquelles cette réalité pouvait être déclinée. Des indicateurs toujours plus détaillés ont été conçus, sous l’égide des Nations Unies entre autres, et des chercheurs de premier plan comme Amartya Sen[24] sont à l’origine d’un véritable changement de paradigme sur les problématiques de la pauvreté. Le premier Human Development Report des Nations Unies date de 1990 et sera rapidement complété par le Gender Inequality Report, afin de livrer, année après année, les données statistiques pertinentes sur un concept de pauvreté en pleine évolution. De tout temps, les sociétés ont eu conscience que la pauvreté ne se limitait pas à un manque d’argent, mais il semblait conforme à la vocation scientifique de l’économie de ne pas s’embarrasser des considérations morales voire religieuses qui ont longtemps parasité tout examen de la pauvreté comme phénomène[25]. Apparemment rompue aux exercices de pensée complexe, notre époque perçoit désormais le « pauvre » sous les traits du « pauvre multidimensionnel » grâce à la publication régulière du MPI, le Multidimensional Poverty Index, qui intègre en 2010 des données aussi diverses que l’inégalité scolaire, territoriale, écologique, d’accès aux soins et à l’eau potable.
Ainsi, le classement des pays par indice de Gini semble désormais désuet face au classement par indice de développement humain, qui se fonde sur « trois dimensions – la santé, l’éducation et le revenu » (Rapport sur le développement humain 2010 du Programme des Nations unies pour le développement) et qui attribue la quatrième place aux États-Unis[26].
L’inégalité cesse dès lors de se mesurer en termes de revenu et de patrimoine et sans que l’intérêt pour ces aspects précis ait disparu, force est de constater que le champ des perceptions s’est élargi. Dans une certaine mesure, l’inégalité « simple » a perdu de son intérêt donc de sa capacité à susciter des réactions fortes dans l’opinion.
Ainsi l’évolution récente se caractériserait par deux phénomènes qui semblent s’annuler : d’une part une polarisation extrême des richesses au sommet de la société qui devrait mobiliser les masses défavorisées, mais d’autre part un tournant de nature épistémologique qui amène à penser différemment le concept de pauvreté et qui fait partiellement écran devant la montée des inégalités purement pécuniaires.
Aspects idéologiques de l’acceptabilité : la matière du rêve
Le mécanisme que nous venons de décrire, fondé sur l’interaction de deux phénomènes antagonistes, repose sur l’hypothèse sous-jacente d’une rupture historique dans les représentations de l’inégalité aux États-Unis. Mais l’inégalité très forte que nous observons au tournant du XXIème siècle n’est peut-être qu’un retour aux sources du XIXème siècle et les éléments de continuité idéologique ainsi dégagés nous fourniront peut-être la base d’autres réponses à la problématique de l’acceptabilité.
Nos définitions liminaires sous-entendaient que l’inégalité était toujours perçue comme un facteur totalement négatif, un mal nécessaire, toléré uniquement si les amplitudes étaient faibles et si l’histoire allait dans le sens de la réduction du fossé entre riches et pauvres. Les discours politiques et la théorie économique véhiculent effectivement un tel contenu manifeste, mais il se pourrait qu’un pan entier de la fonction de l’inégalité nous échappe. Peut-être qualifions-nous d’inversion de tendance et d’évolution paradoxale la réémergence et l’accélération d’un processus ancien, trop vite accusé de mettre en danger la cohésion de la société américaine et d’inhiber les mécanismes de médiation entre les classes sociales.
En matière d’histoire des idées économiques, il serait facile d’avancer que la période du consensus keynésien peut n’avoir été qu’une parenthèse, certes d’une durée considérable, mais que les crises des années 1970, les « chocs pétroliers » de 1973-74 et 1979 ont refermé. Si l’on analyse les discours de Herbert Hoover et de Ronald Reagan, la continuité des thèmes libéraux est assez frappante sur le fond, même si le style de communication a évolué entre 1929 et 1980. Accorder la priorité à l’esprit d’entreprise et à la création de richesse, c’est faire passer au second plan les politiques de redistribution dans le contexte d’un assaut généralisé contre les prélèvements fiscaux surtout s’ils sont progressifs[27]. Interdire à l’État de réguler l’économie, c’est donner libre cours aux mécanismes de marché, et sinon réhabiliter explicitement l’inégalité[28], du moins en laisser supposer les aspects bénéfiques. L’inégalité, pour jouer sur les mots, est dès lors plus qu’acceptable.
« L’Amérique est de retour » proclamait la première campagne présidentielle de Ronald Reagan, et l’économiste Robert Boyer, dans un article de la Revue de la Régulation intitulé en écho « Capitalism strikes back »,[29] explore le capitalisme comme concept pluridisciplinaire, à distinguer de l’économie de marché qui est une réalité empirique et non un système. Le tableau porté en annexe résume assez bien sa démarche[30] en mettant en regard des définitions du capitalisme des écoles de pensée (colonne Social Sciences) couvrant un large spectre. Les marxistes sont censés expliquer le capitalisme comme « une distribution spécifique du pouvoir dans la production et la société » (ligne 5), tandis que la sociologie de Weber, l’institutionnalisme de Veblen et l’école autrichienne sous la bannière de Schumpeter sont présentés comme l’armature idéologique d’un « système de valeurs qui promeut l’entreprenariat, l’épargne et la consommation »[31]. Autrement dit, Boyer lance des pistes qui permettraient de fonder non pas un mais plusieurs discours de la médiation entre classes sociales séparées par le fossé de l’argent, depuis l’éthique du travail de Weber à la forme très édulcorée de Darwinisme managérial qu’illustre Schumpeter. Dans ce retour aux sources intellectuelles du capitalisme, la justification théorique de l’inégalité de richesse provient du fait qu’elle n’est plus exclusivement un mal nécessaire mais un principe fondateur de la société capitaliste américaine. L’entrepreneur doit accepter la sanction du marché et sa faillite éventuelle relève de la destruction créatrice, ou constitue la marque de son statut de « Réprouvé[32] ».
La grille de lecture marxiste et veblénienne paraît en revanche plus difficile à manipuler. Commençons par rappeler que si un pauvre déclare que l’inégalité est normale, il parle contre ce qu’il est convenu d’appeler ses intérêts de classe et son comportement, nous indique la vulgate marxiste, relève tout simplement de l’aliénation. D’ailleurs, on pourrait toujours expliquer l’absence d’une levée en masse des pauvres contre l’ordre établi aux États-Unis en invoquant ce mécanisme. Mais l’explication est un peu courte, sauf si l’on redonne au concept d’aliénation chez Marx toute sa densité au revenant au texte même. Dans les Manuscrits de 1844, Marx nous livre une description saisissante de l’aliénation par le fétichisme de l’argent :
« Le produit du travail est du travail qui a été incarné dans un objet, qui est devenu matériel : c’est la réification du travail. Le passage du travail au réel est sa réification. Dans ces conditions économiques, ce passage apparaît comme une perte de réel pour les travailleurs, l’objectivation comme perte de l’objet, et servitude vis-à-vis cet objet, l’appropriation comme arrachement, comme aliénation ».
Pour le lecteur qui connaît la théorie de la valeur chez Marx, il est clair que cette citation décrit une sorte de face à face entre le travailleur et l’argent, qui n’est autre que son travail accumulé et qui ne lui appartient plus. Il contemple ce qu’il a produit, son regard saisit un objet, le capital, qui est un autre lui-même et qui lui révèle la vérité sur sa propre servitude.
« Le passage du travail au réel lui apparaît tellement comme une perte de réel que le travailleur perd le sens de la réalité au point de se laisser mourir de faim […] et l’appropriation de l’objet lui apparaît tellement comme un arrachement que plus il produit moins il peut posséder, et plus il tombe sous la coupe de ce qu’il produit, le capital (p. 53)[33] ».
Cette vision produit un effet de sidération aux conséquences mortelles, dans lequel le travailleur, toujours selon Marx, s’abîme dans la contemplation d’un fétiche qu’il a fabriqué et dont il est l’esclave, et tente vainement de s’abstraire d’une spirale de fascination morbide face à l’accumulation de valeur dont il a été spolié.
Naturellement, Marx n’a pas précisément à l’esprit les États-Unis quand il écrit ces lignes. Mais il nous semble que le lecteur est mieux à même de comprendre comment, à notre époque, l’organisation du travail ayant sapé les solidarités de classe typiques des sociétés industrielles, l’individualisme s’est imposé. Le face-à-face n’est plus entre le patronat et de gros bataillons de travailleurs menaçant de bloquer leur outil de travail. La ligne d’affrontement n’est plus les riches contre les pauvres, mais le riche face au pauvre, dans un processus d’identification paradoxale, bien loin des médiations traditionnelles et collectives que sont la contestation, l’action politique et syndicale à la recherche d’un terrain commun entre des acteurs complémentaires et donc inséparables.
Certains médias livrent à la contemplation du public les photos des entrepreneurs[34] les plus riches avec leur place dans le palmarès de l’enrichissement, et le montant de leurs actifs. Les milliardaires américains et étrangers sont présentés comme les membres d’une « classe d’affaire internationale »[35].
Le site de Forbes pourrait figurer le degré zéro de la médiation dans la mesure où l’internaute qui va consulter le classement doit ressentir le même malaise que celui qui nous saisit. Dans ce classement qui existe depuis 27 ans, les personnages sont iconiques : le fondateur de Microsoft en premier, le patron du fonds d’investissement Berkshire Hathaway en second, jusqu’à la figure juvénile de l’inventeur de Facebook[36], mais le plus troublant, c’est que personne ne sait s’ils sont offerts à notre admiration ou à notre vindicte. De quoi exactement sont-ils les icônes ?
Au nom de la transparence, l’Américain moyen a le « droit » de contempler la photographie d’hommes dont la richesse est sans commune mesure avec son patrimoine et on imagine qu’il est fasciné et même sidéré comme le travailleur mis en présence du capital. Le scénario de Marx était imaginaire et symbolique, mais une fois transposée dans la réalité, cette contemplation nous semble de nature à déclencher le même phénomène tenant à la fois de l’identification et de l’étrangeté, de la séduction et de la répulsion, de la jouissance et de la transgression. Cet état de confusion intérieure ne permet plus de décider si la distance incommensurable qui sépare le spectateur de son objet est admissible ou inadmissible. La seule façon de formuler un tant soit peu cette médiation sulfureuse est de reprendre les concepts de Veblen, qui met à jour dès la fin du XIXème siècle les ressorts cachés de la fascination pour le grand prédateur, la soumission admirative du dominé pour ceux qui transforment leur destin non par le travail ingrat (irksome) mais par des prouesses plus ou moins sanglantes.[37]
Conclusion
La problématique de l’admissibilité des inégalités de revenu et de patrimoine aux États-Unis peut donc être abordée sous l’angle de la métrologie, mais les instruments de mesure statistique ne nous permettent pas à eux seuls d’aller plus loin que le recensement de données très diverses. Les nombreux états de la société que les nations acceptent pour des raisons enracinées dans leur Histoire et leur culture peuvent apparaître surprenantes, voire incompréhensibles aux autres nations. L’indice de Gini, en particulier, permet d’affirmer que les États-Unis trouvent acceptables des écarts de fortune beaucoup plus marqués que les sociétés européennes. Une approche dynamique de cette problématique, loin d’éclairer les mécanismes sous-jacents, livre des résultats assez paradoxaux. En effet, l’opinion publique américaine semble relativement indifférente aux évolutions récentes liées à la mondialisation et à la déréglementation, alors même qu’elles constituent une rupture avec les aspirations historiques de cette société vers une répartition moins inégalitaire. Pour rendre compte de cette inhibition déconcertante de la capacité de contester, il faut imaginer que les mécanismes mis en œuvre dans les dernières décennies ont travaillé dans des directions opposées.
Nous préférons clore notre exploration en proposant une lecture qui envisage l’inégalité aux États-Unis non pas comme un mal nécessaire, et tolérable sous certaines conditions, mais bien au contraire comme la condition sine qua non du rêve américain. La différence entre le point de départ de l’ascension et la position éminente à laquelle chacun aspire permet une circulation d’énergie indispensable, ce qui ôte une bonne partie de sa pertinence à la distinction entre l’acceptable et l’inacceptable. L’identification fantasmatique tient lieu de médiation entre le riche et le pauvre et la théâtralisation des inégalités met en scène des idoles énigmatiques, tout à tour mécènes et prédateurs, dont on se demande s’il est vraiment décent de les offrir à la contemplation des foules. Certains médias actuels mettent en œuvre les techniques les plus récentes de l’information et de la communication, qui confèrent à l’ensemble une apparence de nouveauté radicale. Mais en érigeant l’enrichissement en modèle indépassable et les hommes les plus riches en figures iconiques, il opèrent de fait un grand retour vers le passé, car la réception de leurs contenus repose sur un mécanisme d’aliénation qui n’a rien de nouveau. Entraînant l’adhésion par la sidération plus que la démonstration, ces médias ont semble-t-il réussi à inhiber les réactions de rejet que suscite habituellement le spectacle de la richesse qui s’affiche avec insolence. Mais rien ne garantit que cette anesthésie soit une condition inévitable de ce que certains voudraient qualifier de fin de l’Histoire.
Notes:
[1] Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Tome 2, 1840. Consultable sur le site UQAC <http://classiques.uqac.ca/classiques/De_tocqueville_alexis/democratie_2/democratie_tome2.html>
Ce texte est cité par François Furet. Cf. François Furet, Le Système conceptuel de La Démocratie en Amérique, Les classiques de la liberté IX, 1980.
[2] Pour Rousseau, l’égalité absolue, de même que la vertu et la liberté, ne sont pas compatibles avec l’état social, et sont postulées à l’état de nature. Certaines idéologies récentes comme la décroissance puisent une partie de leurs racines dans cette tradition.
[3] Dans les premières années de la République américaine, Jefferson défend un modèle agraire et égalitaire contre Hamilton, partisan des « manufactures » à l’instar de l’Angleterre de la Révolution industrielle, remettant à plus tard la réduction des inégalités ainsi générées.
[4] Le Welfare State de la Grande-Bretagne et son équivalent français dépassent en ampleur les dispositifs du même type aux États-Unis, dont les justifications sont plus souvent économiques (New Deal) que purement éthiques.
[5] Wilfried Pareto est un économiste et sociologue italien libéral mort en 1923. L’optimum de Pareto est décliné sous de multiples facettes par exemple dans les théories du management. Pareto est également célèbre pour son usage des histogrammes.
[6] Le meilleur exemple est qu’un état de la société où un citoyen possède 100 % de la richesse et tous les autres réunis 0 % est, strictement parlant, pareto-optimal, comme le remarquent Bourgain et Vaneloo. Cf. Jean Bourgain et Nicolas Vaneloo.. «Inégalité, paupérisme et loi de Pareto » in Revue économique, Vol. 32, n°5, 1981, consultable sur <www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1981_num_32_5_408624>
[7] D’autres indicateurs comme celui de Theil et de Hoover sont aussi utilisés, sans toutefois pouvoir rivaliser avec la formule de l’économiste italien Corrado Gini (1884-1965), dans sa version originale ou plus ou moins adaptée.
[8] Toutes les sources convergent sur les valeurs par pays – le coefficient de Gini échappe aux controverses. Cf. Banque mondiale (pays par indice de Gini) http://data.worldbank.org/indicator/SI.POV.GINI/ et Cia, The World Factbook, site de la CIA <https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/rankorder/2172rank.html>
[9] Le tableau donne des chiffres entre 0 et 100 : il faut comprendre que 63,2 signifie strictement parlant 63,2 % soit 0,632.
[10] L’expression « passion de l’égalité » remonte à Tocqueville et ses commentateurs (François Furet par exemple), mais « passion française de l’égalité » est une formulation attribuée à Théodore Zeldin par Jacqueline Costa-Lascoux qui la reprend dans un sous-titre. Cf. Jacqueline Costa-Lascoux, « Les Echecs de l’intégration, un accroc au contrat social », Pouvoirs n°111, novembre 2004, pp. 19-27. Consultable sur <http://www.revue-pouvoirs.fr/Les-echecs-de-l-integration-un.html>
[11] Remarquons que les valeurs extrêmes observées sont très éloignées de 0 ou de 1 – le bornage n’a rien d’asymptotique.
[12] Comme le produit intérieur brut (PIB) par exemple.
[13] Citons comme exemple de libertarian l’économiste Murray Rothbard et rappelons que Laffer, et sa courbe illustrant les effets négatifs de la fiscalité, passe pour le chef de file des supply siders. Les deux courants sont marginalisés au début des années Reagan.
[14] Les salt water economists sont des libéraux au sens américain du terme, dont les bastions universitaires sont soit en Nouvelle Angleterre soit en Californie, par opposition aux sweet (clear) water economists installés près des Grands Lacs. Les connotations de sweet ou clear sont bien plus positives que salt et disposent plus favorablement le profane aux thèses nouvelles. La référence à Keynes pour les premiers et à Hayek pour les seconds montre que les deux écoles, que beaucoup de points rapprochent, s’affrontent depuis des décennies.
[15] En s’adjugeant au passage la plupart des prix Nobel d’économie pendant une longue période désormais close.
[16] Ce qui renouvelle l’analyse en termes non-marxistes, c’est le tableau de l’évolution politique et psychologique des 99 % restant, que personne ne peut assimiler en bloc au prolétariat révolutionnaire.
[17] Thomas Piketty, « Theories of Persistent Inequality and Intergenerational Mobility » in Handbook of Income Distribution (chapitre 8, p. 429-476), édité par A.B. Atkinson et F. Bourguignon, North-Holland, 2000 et. Les Hauts revenus en France au XXe siècle – Inégalités et redistribution, 1901-1998, Grasset, Paris, 2001.
[18] Le lecteur se reportera par exemple aux gros titres du Huffington Post du 14 octobre 2013 ou au billet de Max Lawson daté du même jour sur du site de l’ONG OXFAM pour se faire une idée du retentissement médiatique de ces chiffres.
[19] L’expression « nouvelle classe » a tellement été utilisée que nous insistons sur le fait qu’elle possède ici un sens totalement différent de celui qui lui est généralement attribué dans les travaux néo-libéraux, à savoir les fonctionnaires et la classe moyenne intellectuelle auxquels l’État Providence donne une rente de situation (cf. la bureaucratie dans les analyses de Milovan Djilas).
[20] Rappelons que subprime est une litote trompeuse : un prêt subprime est en principe « en dessous de l’optimum », en fait il s’agit d’un prêt consenti à un ménage non solvable ( voir le numéro spécial de la Revue de l’ILCEA 15-2012 sur les mots de la crise)
[21] Graphiquement, la zone blanche de la figure 3 glisse vers la gauche, tandis que la courbe rouge vient se coller davantage à l’ordonnée.
[22] Francis FUKUYAMA, The End of History and the Last Man, Avon Books, New York, 1992.
[23] Sapir est à classer, à notre avis dans les institutionnalistes français. Cf. Jacques Sapir, Les Trous noirs de la science économique : Essai sur l’impossibilité de penser le temps et l’argent. Albin Michel., Paris, 2000.
[24] Cette approche n’est ni récente ni exclusivement américaine, comme le montre l’ouvrage de Boudon qui remonte à 1973. L’individualisme méthodologique est une vision opposée aux schémas de détermination par la classe ou le groupe socio-économique. Cf. Raymond Boudon, L’Inégalité des chances, Paris, A. Colin, Paris, 1973 ; Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron. 1970. La Reproduction, Éditions de Minuit, Paris, 1970.
[25] Rappelons que le chômage (involontaire) par exemple n’a été distingué de l’oisiveté (volonté) que dans les années 1920 et que la Théorie Générale de Keynes consacre ses premières pages à ce débat. Cf. John Maynard Keynes, The General Theory of Employment, Interest and Money, Cambridge University Press, 1936.
[26] Devant respectivement la Norvège, l’Australie et la Nouvelle-Zélande – le classement des États-Unis par indice de Gini étant moins élogieux.
[27] D’où l’idée de réformer les tranches du barème de l’impôt sur le revenu pour se rapprocher de l’idéal « égalitaire » de la flat tax.
[28] Frédéric Dalsace, Charles Edouard Vincent, Jacques Berger et François Dalens. 2012. « The Poverty Penalty in France : How the Market Makes Low-income Populations Poorer », Field Actions Science Reports, [online], Special Issue n°4, 2012, sur le site http://factsreports.revues.org/1537 Cet article montre de manière très concrète comment le marché « punit » les pauvres.
[29] En écho également au célèbre film The Empire Strikes Back – le thème de la « Guerre des étoiles », surnom du programme strategic defense initiative restant très reaganien. Cf. Robert Boyer, “Capitalism Strikes Back : Why and What Consequences for Social Sciences ?”, Revue de la régulation, 2000, sur le site <http://regulation.revues.org/2142>
[30] Voir ce tableau dans l’annexe.
[31] Traduction de l’auteur à partir de l’anglais.
[32] La destruction créatrice est un concept schumpetérien, la Réprobation est le contraire de l’Élection pour les Calvinistes.
[33] Karl Marx, Les Manuscrits de 1844, 1844, consultables en français sur le site uqac, <http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/manuscrits_1844/manuscrits_1844.html> et en anglais sur le site <www.Marxists.org>. La page indiquée est celle qui correspond au texte français mis en ligne par l’Université du Québec (UCAQ), mais la traduction posant à notre avis des problèmes, le texte cité ici est une traduction de l’auteur à partir du texte en anglais de Marxists.org.
[34] Les fortunes des familles régnantes ne figurent pas dans le classement de Forbes ni de Fortune.
[35] Dans un souci d’objectivité, nous renverrons à l’article de Hartmann dans la Revue de la recherche en Sciences Sociales, qui met à mal l’hypothèse d’une telle élite transnationale des affaires. Cf. Michael Hartmann, « Internationalisation et spécificités nationales des élites économiques » in Actes de la recherche en sciences sociales, n° 190, 2011/5 n° 190.
[36] Dans l’ordre, sur ce tableau, Bill Gates, Warren Buffet et Mark Zuckerberg, qui est en vingtième position à l’âge de 29 ans.
[37] La classe de loisirs étant constituée des descendants plus policés de ces fondateurs de la dynastie, caractérisés par les « traits barbares de la férocité et de la ruse » Thorstein Veblen, The Theory of the Leisure Class, Dover, New York, 1994 [1899]. Les icônes sur le site Forbes présentent simultanément les deux visages de ces générations.