Investissements chinois et occidentaux en Afrique : analyse comparative

Peterson Nnajiofor[1]

165« … tout l’argent dans ce monde est soit Rouge, soit Bleu. Je n’ai pas mon propre argent Vert, alors où pourrais-je en trouver ? Je ne suis pas en train de prendre parti dans la guerre froide. Tout ce que je veux, c’est l’argent pour le construire. [2] » (Julius Nyerere, ancien président de la Tanzanie)

 La relation afro-chinoise a suscité de vigoureux débats, les uns l’ont critiquée de manière virulente, les autres l’ont encensée ; si bien que l’on peine à avoir une analyse objective du sujet.

Les nations africaines et leurs dirigeants ont montré, à de fréquentes reprises, leur préférence pour la culture et la civilisation occidentale, du fait ou en dépit de leurs expériences historiques communes ou respectives. À chaque fois que l’opportunité s’est présentée, les États africains ont toujours accueilli à bras ouverts entreprises et échanges commerciaux occidentaux. Le fait que la très large majorité des entreprises étrangères installées sur le continent soit occidentale le démontre.

Par tradition, l’Occident est la source des investissements directs étrangers destinés à l’Afrique. Cependant, depuis au moins l’ère des indépendances, cette préférence pour l’Occident n’a pas apporté les résultats attendus et c’est principalement pourquoi les Chinois sont aujourd’hui perçus comme une véritable alternative.

Les principaux ressorts des relations liant des nations africaines et la République Populaire de Chine (RPC) sont d’une part la disponibilité, pour les gouvernements africains, d’un accès financier favorisant le développement infrastructurel et socio-économique dont leurs pays ont cruellement besoin et d’autre part, en ce qui concerne les entreprises chinoises et leur gouvernement de plus en plus capitaliste, l’accès à des matières premières stratégiques pour leurs usines et à de nouveaux marchés pour leurs produits.

La Chine n’investit cependant pas en Afrique par charité. Son objectif est de faire des profits et d’étendre son influence bien que son approche diffère largement de l’approche occidentale.

Du point de vue africain, l’ancien président de Tanzanie, Julius Nyerere, résume avec grande pertinence, dans la citation ci-dessus, l’une des principales causes de la relation entre des pays africains et la RPC à savoir l’obtention de fonds pour soutenir l’économie et financer les grands travaux d’infrastructure.[3]

De nombreuses critiques restent encore à adresser à l’encontre des investissements chinois et de l’influence récemment acquise par les Chinois en Afrique, cependant, il faut les tempérer d’objectivité. C’est ce que nous tenterons de faire dans cet article, en comparant les activités des Chinois en Afrique à celle des Occidentaux. Différents aspects de cette relation afro-chinoise, comme ses conséquences directes et indirectes sur la population locale, seront également abordés. Enfin, nous mettrons en perspective l’influence de la Chine en Afrique par rapport à l’implication chinoise sur les autres continents.

Analyse comparative des stratégies occidentales et chinoises en Afrique

 Depuis l’arrivée des Portugais suivis des Traites négrières, de la colonisation et des indépendances, les nations occidentales représentent la puissance dominante en Afrique. L’influence occidentale se ressent dans les aspects politiques, religieux, économiques, technologiques de la vie africaine, pour n’en citer que quelques-uns. Cette influence a incité les Africains à prendre l’Occident comme référence et modèle sur de nombreux sujets. Ce phénomène ne se limite pas à l’Afrique, mais il y est plus répandu que n’importe où dans le monde.

De part ce modèle de référence, les pays africains se tournent naturellement vers l’Occident pour solliciter des solutions à la plupart de leurs besoins en développement et parfois en politiques sociales. L’Occident tient depuis longtemps ce fait pour acquis et considère l’Afrique comme une zone d’influence acquise et les Africains comme des élèves nécessitant que leur « maître » leur indique la marche à suivre.

La manière dont sont traitées de nombreuses nations africaines par les institutions financières dominées par les Occidentaux le prouve de manière flagrante. Les aides, bourses, prêts et contrats occidentaux sont souvent accompagnés de conditions qui, la plupart du temps, privent les pays africains de toute forme d’indépendance en matière de choix.  Imposer, à la plupart des nations africaines les plus endettées, comme conditions préliminaires à la réduction de la dette, la privatisation de sociétés publiques et l’instauration de programmes d’ajustement structurel en est un exemple saisissant. Dambisa Moyo décrit la futilité de ces aides et programmes de prêt dans l’extrait suivant:

« Les donateurs ont tendance à imposer des conditions sur l’aide de trois manières. Premièrement, elle est souvent liée à l’approvisionnement. Les pays qui acceptent l’aide doivent la dépenser dans des biens et des services spécifiques qui sont issus des pays donateurs ou d’un groupe choisi par les pays en question. Cela s’étend au personnel également : les donateurs emploient leurs propres citoyens même si le pays pauvre comporte des candidats au profil approprié. Deuxièmement, le donateur peut se réserver le droit de présélectionner le secteur et/ou le projet que son aide supportera. Troisièmement, l’aide s’écoule seulement tant que le pays récipiendaire s’engage à respecter un ensemble de politiques économiques et politiques. »[4].

Elle poursuit en expliquant comment l’aide est utilisée par les pays donateurs afin de réduire le nombre de fonctionnaires, privatiser les industries nationales et supprimer les barrières commerciales. En résumé, l’aide occidentale, sous toutes ses formes, en dépit de ces conditions, n’a jamais fonctionné en Afrique. Corruption, dictature, insécurité et mauvaise gouvernance n’ont pas diminué, au contraire. Jusqu’à 85 pour cent du montant de l’aide financière se sont avérés détournés dans des projets improductifs[5] ou le plus souvent tout simplement volés par des membres corrompus du gouvernement. Les conditions posées n’ont eu que peu d’effet et certains de leurs aspects sociopolitiques, comme l’établissement de la démocratie ou la lutte contre la corruption, ont parfois simplement été ignorés, tant par le donateur que par le bénéficiaire. Il apparaît ainsi qu’aucun lien ne peut être établi entre les efforts de réforme d’un pays ou son respect des conditions posées et le taux de distribution des fonds d’aide.[6]

 La politique chinoise de non-ingérence

 Les Chinois, à l’inverse des Occidentaux, insistent systématiquement à l’adoption d’une position de neutralité et de non-ingérence dans les affaires internes des pays où ils font des affaires. Cela rend l’alternative chinoise plus attractive aux yeux des pays africains, les interactions étant facilitées par un sentiment de respect et d’égalité. Anette Nijs, ancienne secrétaire d’État néerlandaise parvient au même constat.[7]

Face à cette attitude chinoise de non-ingérence, la principale critique exprimée par l’Occident porte sur le fait que cela encourage la corruption et participe à soutenir des dirigeants corrompus et des dictateurs. Il est cependant clair que l’approche occidentale n’a jamais réduit, ni stoppé la corruption. Les dirigeants et dictateurs africains les plus corrompus, comme Mobutu Sese-Seko au Congo, Omar Bongo au Gabon, Gnassimgbe Eyadema au Togo, Sani Abacha au Nigeria, Hosni Mubarak en Égypte ou Ben Ali en Tunisie, pour n’en mentionner que quelques-uns, ont vu leurs activités prospérer et tous se sont enrichis sous l’égide et parfois la protection des puissances occidentales.

L’aspect éthique et moral des relations commerciales avec l’Afrique, brandi en public comme valeur sacrée par les puissances occidentales, ne résiste à aucun examen approfondi des actions des multinationales occidentales exerçant sur le continent.

On dit des Chinois qu’ils sont immoraux et qu’ils ne respectent pas l’éthique lors de leurs opérations en Afrique. L’extrait suivant, tiré d’un discours d’Hillary Clinton sur les investissements chinois en Afrique, est un exemple de ce qui est maintenant connu comme du matraquage anti-Chinois :

« Eh bien, notre opinion est qu’à long terme, les investissements en Afrique devraient être durables et au bénéfice du peuple africain. Il est facile – et nous l’avons vu pendant l’ère coloniale – il est facile d’arriver, de prendre les ressources naturelles, de payer les dirigeants et de partir. Et lorsque vous partez, vous ne laissez pas grand-chose derrière vous pour les personnes qui sont là. Vous n’améliorez pas leur niveau de vie. Vous ne créez pas d’échelle d’opportunités. Nous ne voulons pas d’un nouveau colonialisme en Afrique. Nous voulons, lorsque des gens viennent en Afrique et font des investissements, nous voulons qu’ils se conduisent bien, mais nous voulons également qu’ils fassent le bien. Nous ne voulons pas qu’ils minent une bonne gouvernance. Nous ne voulons pas qu’ils traitent simplement avec l’élite seule et, pour parler franchement, qu’ils paient trop souvent pour leurs concessions ou l’opportunité d’investir »[8].

Les activités des entreprises américaines et européennes en Afrique et ailleurs dans le monde tendent à prendre le chemin inverse des vœux pieux de Mme Clinton. Sa critique des Chinois pourrait aisément être redirigée contre les Américains et autres nations et entreprises occidentales.

Ainsi, il est à noter que le principal but des Occidentaux qui se sont les premiers aventurés en Afrique était de faire « des affaires » et de s’enrichir, ce à quoi ils sont parvenus. La plupart des nations d’Afrique qui furent colonisées par les Occidentaux ont été pillées de leurs richesses et trésors. Ce pillage se poursuit encore dans les pays africains dont les sols sont riches en pétrole et en ressources minérales. Ce pillage est organisé et exécuté par des multinationales occidentales dans le delta du Niger au Nigeria, dans les mines de la République Démocratique du Congo, au sein des gisements d’uranium du Niger, dans les mines de diamants en Afrique du Sud, etc. Ces multinationales occidentales, soutenues par leurs gouvernements, ne font que peu de cas de l’éthique et de la morale lorsqu’il s’agit de gagner de l’argent. Ainsi, critiquer la Chine apparaît pour le moins partial et malhonnête vu sous cet angle.

De manière symbolique, il est intéressant d’observer que la première transaction importante entre les Chinois et des gouvernements africains a résulté en la réalisation réussie de l’un des projets les plus difficiles jamais entrepris en Afrique : le projet Tanzam. Le coût de cette réalisation était d’ailleurs bien inférieur au prix proposé par des compagnies occidentales et les Chinois ont mené à bien le projet en dépit du fait qu’ils n’étaient pas riches à cette époque.

La croissance de l’économie chinoise ces trente dernières années a fait oublier à beaucoup que la Chine est encore un pays en voie de développement avec une grande partie de sa population vivant toujours en dessous du seuil de pauvreté. Cependant, ce fait ne retient pas la Chine d’investir des milliards en Afrique. Une partie considérable de ces investissements est dédiée aux projets infrastructurels qui, tous les observateurs se l’accordent à dire, font terriblement défaut en Afrique. En 2012, le montant total des projets infrastructurels aboutis et financés par la Chine en Afrique s’élevait à 40,38 milliards de dollars. Les acteurs occidentaux du secteur n’ont jamais beaucoup investi dans l’infrastructure africaine, même si tout le monde est conscient qu’il s’agit là d’un des plus importants éléments permettant de sortir le continent de la pauvreté. Le peu qui a été investi a bien souvent été détourné en Suisse et autres hauts lieux de dépôts et transferts de fonds illicites par des membres de gouvernements corrompus et leurs conseillers occidentaux. Les dirigeants africains corrompus et leurs associés occidentaux ont fait des « éléphants blancs » la marque de fabrique de l’Afrique.

En si peu de temps, l’approche chinoise de ce problème d’infrastructure a été remarquable, à comparer avec l’approche occidentale. Les Chinois ne sont pas seulement en train d’investir des sommes notables dans l’infrastructure africaine, ils réalisent actuellement avec succès leurs projets à un prix considérablement moins élevé et en respectant le délai imparti, voire en terminant avant[9]. Cette approche s’est révélée donc beaucoup plus efficace pour développer les infrastructures dont a vraiment besoin l’Afrique. Une étude de la Banque mondiale à ce sujet a observé que :

« Étant donné l’ampleur de son déficit en infrastructure, l’avènement de la Chine et d’autres acteurs non-membres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en tant que financiers principaux se présente à l’Afrique comme une tendance porteuse d’espoir. L’aide fournie par les financiers des pays émergents est sans précédent, de part son ampleur et les projets d’infrastructure à grande échelle qui sont ciblés. Avec de nouveaux acteurs et de nouvelles modalités, c’est un processus d’apprentissage qui attend les emprunteurs comme les financiers. Les défis-clés des gouvernements africains seront de trouver la meilleure manière d’utiliser stratégiquement toutes les sources externes d’investissement infrastructurel, y compris celles provenant de pays émergents[10] ».

L’aide et les investissements chinois dans les pays d’Afrique riches en ressources minérales

Les Chinois sont par ailleurs régulièrement critiqués sur le fait qu’ils pillent l’Afrique, qu’ils n’investissent que dans les pays riches en pétrole et en ressources minières, car leur pays a besoin des matières premières de ces nations pour nourrir ses usines. Les résultats de l’étude menée par Kolstad et Wiig montrent que les investissements chinois sont actuellement plus centrés sur les pays riches en ressources[11]. Ce fait peut amener à accuser la Chine de néo-colonisation et d’exploitation. Encore une fois, lorsque l’on compare ce pays à ceux de l’OCDE et aux autres investisseurs actifs en Afrique, il apparaît qu’il n’y a que peu de différence dans l’approche menant aux décisions d’investissement. La majeure partie de l’aide et des investissements venus de pays de l’OCDE est dirigée vers des pays riches en ressources minières tels que l’Afrique du Sud, la République Démocratique du Congo, l’Angola et le Nigeria. Aujourd’hui en Afrique, les ressources stratégiques telles que le pétrole, le coltan, l’uranium, l’or, le cuivre, le diamant, pour n’en mentionner que quelques-unes, sont toutes dominées par des entreprises occidentales. Il semblerait étrange de s’attendre à ce que la Chine, de plus en plus orientée vers le capitalisme, agisse différemment. Les entreprises chinoises, même si elles n’ont rien de comparable avec les multinationales occidentales, sont des organisations capitalistes, quoique marquées par des caractéristiques chinoises comme l’explique Yasheng Huang[12] et sont motivées par la maximisation des profits. Ainsi, elles investissent dans les nations où elles s’attendent à recevoir des retours sur investissement. Il est important de souligner que si les importations chinoises issues de ces pays riches en ressources minérales sont bien en augmentation, elles sont encore peu élevées comparées à celles des pays occidentaux. Une étude du Fonds monétaire international (FMI) de 2012 montre que l’Investissement Direct Étranger (IDE) chinois dans le secteur minier de l’ensemble de l’Afrique ne représente que 29 % du total des investissements réalisés par les Chinois en Afrique[13]. Cela signifie que plus de 70 % sont dédiés à d’autres domaines, principalement la construction, la vente et le commerce.

Les politiques de recrutement

Les entreprises chinoises ont été fréquemment critiquées pour n’employer que peu, voire aucun Africain dans les projets qu’elles mènent en Afrique ou dans leurs sociétés installées sur le continent[14]. Un exemple symbolique qui est cité la plupart du temps est la construction du siège de l’Union africaine à Addis-Adeba en Éthiopie, bâtiment que la Chine donna en cadeau à l’Union africaine. Divers articles de presse ont affirmé que le projet a été réalisé par de la main d’œuvre chinoise importée. Dans un continent au niveau de chômage si élevé, en particulier chez les jeunes, cette question revêt une grande importance et méritait en effet d’être soulevée. Cependant, l’enquête menée par Deborah Brautigam de l’Université John Hopkins montre qu’un ratio de 1 pour 1 (travailleur chinois / travailleur africain) a été appliqué dans la sélection de la main d’œuvre employée pour ce projet. Mais plus importants sont les chiffres qu’elle a présentés concernant la majorité des projets chinois en Afrique : le ratio s’élève alors à 20 travailleurs chinois pour 80 travailleurs africains[15]. Les Chinois sont en réalité en train de créer des emplois dans des zones où le chômage est endémique. Deborah Brautigam a analysé en profondeur les données concernant les politiques de l’emploi chinoises et son travail s’essaie à dissiper une partie de l’inquiétude qui entoure cette question.[16]

Lorsque l’on compare ces pratiques à celles des acteurs occidentaux en Afrique, il n’y a pas beaucoup de différence. Comme nous l’avons mentionné plus haut[17], les nations et les entreprises occidentales dictent souvent leurs conditions sur l’emploi de la main d’œuvre mobilisée dans les projets qu’elles dirigent en Afrique et imposent ainsi leurs sociétés et leurs citoyens, même lorsque de la main d’œuvre locale qualifiée est disponible.

Une fois tout cela passé en revue, intéressons-nous à la manière dont l’approche chinoise en Afrique influe sur la population et l’économie des États africains.

Les impacts positifs des investissements chinois en Afrique

 La population africaine dans sa grande majorité approuve les effets de la relation afro-chinoise et les projets menés par les Chinois. Cela est dû en partie au fait que les résultats de ces projets sont immédiatement visibles, généralement de bonne qualité, considérablement moins chers que les projets occidentaux, et délivrés en temps et en heure. Les produits issus de ces projets et programmes sont concrets et visibles. Les routes, ponts, écoles, hôpitaux, stades, immeubles officiels, voies de chemin de fer, infrastructures dédiées à la télécommunication, etc. sont utilisables immédiatement et participent positivement à l’amélioration du cadre de vie de la population.

L’importance des IDE chinois dans les secteurs de la vente et du commerce n’est pas non plus à sous-estimer, pas plus que celle des produits chinois, la plupart du temps moins chers que leurs équivalents occidentaux.

On peut ajouter par ailleurs le développement de plusieurs zones économiques spéciales, orientées vers l’expansion du commerce et de l’industrie et reconnues comme un moyen de favoriser le transfert technologique vers l’Afrique. Ces zones créent de plus en plus d’emplois et participent à la croissance économique qui a été constatée dans certaines économies africaines. En 2011, six zones économiques spéciales étaient déjà mises en place par la RPC en Afrique :

1 : Chambishi, Zambie (production et traitement du cuivre ; industries liées au cuivre) ;

2 : Lusaka, Zambie (production de vêtements, nourriture, tabac, électroménager et électronique) ;

3 : Jinfei, Ile Maurice (production de biens manufacturés : textiles, vêtements, machines, high-tech ; commerce ; tourisme ; finance) ;

4 : Oriental, Éthiopie (production de machines électriques, matériaux de construction ; acier et métallurgie) ;

5 : Ogun, Nigeria (production de matériaux de construction, céramique, ferronnerie, mobilier, traitement du bois, médecine, ordinateurs) ;

6 : Lekki, Nigeria (production de matériel de transport, de textiles, d’électroménager, de télécommunications et industrie légère).

La diversité des secteurs économiques impliqués ainsi que le positionnement stratégique de ces zones ont fait de ces dernières des éléments très importants du développement économique de l’Afrique.

Au vu de ces constations, la Chine, en dépit de ses défauts, apparaît aujourd’hui comme la seule alternative crédible aux yeux des gouvernements africains. Aussi longtemps que d’autres alternatives viables feront défaut, critiquer cette relation n’y changera rien. Il est cependant intéressant d’observer que ceux-là mêmes qui critiquent la relation afro-chinoise sollicitent l’investissement chinois pour leurs propres économies et recherchent activement à établir des partenariats économiques avec la Chine.

Situations comparables

Les Chinois n’investissent pas seulement en Afrique. Leurs investissements s’effectuent dans les économies de différents pays et régions du monde. Les premiers destinataires de l’IDE chinois sont les pays asiatiques. Les économies développées d’Amérique du Nord et d’Europe reçoivent également des investissements chinois considérables.

Ainsi, de plus en plus, et en particulier ces dix dernières années, les Chinois investissent dans bon nombre d’économies européennes. Les cas de la Grèce et de l’Espagne viennent en premier à l’esprit, mais les Chinois ne se limitent pas à ces deux pays. En 2011 déjà, Nasos Mihalakas, maître de conférences en Droit du commerce international à l’Université de New York observait que les récents investissements chinois en Europe allaient « permettre aux entreprises chinoises d’acquérir une participation de contrôle dans de grandes entreprises de télécommunication, du secteur immobilier et des transports[18] ».

En France, des accords commerciaux d’une valeur de 22,8 milliards de dollars ont été signés avec les Chinois dans des secteurs tels que l’énergie nucléaire, le transport aérien et les télécommunications. À cela s’ajoutent les 230 km² de la plaque tournante commerciale et manufacturière d’Illange, dans l’Est de la France, qui accueillera plus de 2000 entreprises chinoises, ainsi que différentes acquisitions dans les secteurs du vin, des cosmétiques ou de l’alimentation[19]. Ces investissements sont recherchés et bien accueillis des gouvernements européens, en particulier depuis les récentes crises financières. Ainsi, les liens commerciaux entre la Chine et l’Allemagne sont considérés comme un élément déterminant de la robuste croissance économique allemande et assurent aux Chinois l’appui des Allemands lors de négociations européennes. L’affaire des panneaux solaires vendus dans l’UE vient à l’esprit.

Les investissements de la Chine sont également en constante augmentation dans d’autres régions du monde. Des milliards de dollars sont investis par des entreprises chinoises aux États-Unis, au Canada et en Amérique Latine ou encore en Australie. Les gouvernements de ces pays sont ravis de recevoir ces investissements chinois qui, escomptent-ils, vont stimuler leurs économies.

Conclusion

 Il faut ici souligner qu’à l’inverse des pays africains, une grande partie des pays mentionnés ci-dessus ont d’autres sources d’IDE et que la plupart d’entre eux peuvent se targuer de posséder une économie développée. Malgré cela, ils continuent de solliciter tout de même des investissements chinois. Les pays africains, au contraire, n’ont pas forcément d’autres sources d’IDE – les pays riches en ressources minérales mis à part – et ils n’ont même pas d’économies fonctionnelles. Leur demander de refuser l’aide et l’IDE chinois devient alors indéfendable.

La relation entre la Chine et l’Afrique se base principalement sur les circonstances spécifiques dans lesquelles chacune des deux parties se trouve, ainsi que sur la nécessité de saisir le maximum d’opportunités possibles. Les Chinois ont besoin des matières premières africaines et également du petit, mais croissant, marché africain. Les nations africaines quant à elles ont besoin, pour soutenir et améliorer leurs économies, des infrastructures, de l’expertise, de la main d’œuvre relativement peu chère et des produits bon marché que peut leur fournir la Chine.

Il appartient aux gouvernements, dirigeants et élites des pays africains d’élaborer des stratégies visant à tirer le meilleur des opportunités chinoises. Imposer des conditions et des restrictions sur le fonctionnement des échanges avec la Chine serait par exemple un bon moyen d’éviter les éventuelles issues négatives de cette relation. Certains pays comme l’Angola fonctionnent déjà ainsi et imposent des pourcentages sur le nombre de travailleurs chinois autorisés à intervenir dans les projets menés par les Chinois ainsi que sur le taux de participation financière de ces derniers dans les entreprises créées en Angola. Ce sont-là des moyens de s’assurer que la relation ne soit pas excessivement déséquilibrée.

Cependant, il serait naïf de croire qu’aucune partie de la relation afro-chinoise ne domine et ne doit dominer l’autre. Comme le rappelle le proverbe anglais, « Celui qui paie les violons choisit la musique ».

Notes:

[1] Peterson Nnajiofor est maître de conférences en civilisation américaine au département LEA de l’Université de Lorraine, et membre du Centre de recherches IDEA EA 2338, Université de Lorraine. Ses recherches portent sur les activités des transnationales américaines et européennes notamment dans les pays émergents et en voie de développement.

[2] Julius Nyerere, PRO, DO183/730, From Dar es Salaam to CRO, No. 1089, 3 July 1965, Alicia Altorfer-Ong : “Tanzanian ‘Freedom’ and Chinese ‘Friendship’ in 1965: laying the tracks for the TanZam rail link”, LSE P. 22, sur le site : http://www.lse.ac.uk/IDEAS/publications/workingPapers/altorferOng.pdf  (Traduction de l’auteur).

[3] L’ancien président s’exprimait alors au sujet du projet de construction Tanzam ou Tazara (Tanzania Zambia Railway). Il est d’ailleurs à noter que Julius Nyerere ainsi que les Zambiens avaient tout d’abord présenté ce projet aux Britanniques, sans succès. Les Chinois ont été retenus après que toutes les options aient été épuisées. Dans les années 1970 et en particulier à l’époque du projet Tazara, les effets sous-jacents de la guerre froide et de la rivalité idéologique entre l’Occident et les puissances socialistes et communistes symboliquement représentées par la Chine, étaient encore très présents. Le principal but du gouvernement chinois à cette époque s’orientait davantage vers la dissémination de l’influence et de l’idéologie communiste que vers la réalisation de profits.

[4] Dambisa Moyo, Dead Aid : Why Ai dis Not Working and How There Is a Better Way for Africa, Farrar, Straus and Giroux, New York, 2010. ( Traduction de l’auteur)

[5] Ibid..

[6] J. Svensson, « When is Foreign Aid Policy Credible ? Aid Dependence and Conditionality », Journal of Development Economics, n°61, 2000.  

[7] Anette Nijs,,  « Chinese model of development suits 21st century », écrit en novembre 2008, citée dans S. A. Asongu et G. A. A. Aminkeng , “The Economic Consequences of China-Africa Relations: Debunking Myths in the Debate”, AGDI Working Paper, WP/13/020, 2013.

[8] Hillary R. Clinton, « Interview on Africa 360 » ( Juin 2011), U.S Department of State, Diplomacy in Action , sur le site : http://www.state.gov/secretary/rm/2011/06/165941.htm

citée dans S. A. Asongu et G. A. A. Aminkeng  op. cit .  (Traduction de l’auteur)

[9] Ye Xiao, « A Path to Mutual Prosperity ? The trade and investment between China and Africa », 2012.

[10] Vivien Foster, William Butterfield, Chuan Chen et Nataliya Pushak, Building Bridges, China’s Growing Role as Infrastructure Financier for Sub-Saharan Africa, the World Bank, 2009, cité dans Ye Xiao, « A Path to Mutual Prosperity ? The trade and investment between China and Africa », 2012. (Traduction de l’auteur)

[11] I. Kolstad, A. Wiig,,« Better the Devil You Know? Chinese Foreign Direct Investment in Africa », Journal of African Business, 12(2), 2011.

[12] Yasheng Huang,  Capitalism with Chinese Characteristics : Entrepreneurship and the State, Cambridge University Press,  Cambridge, 2008.

[13] « China and Africa, Little to Fear but Fear Itself » The Economist, 21 Septembre 2013.

[14] “Africans are asking whether China is making their lunch or eating it”, The Economist, 20 avril 2011.

[15] Deborah Brautigam, The Dragon’s Gift, Oxford University Press, 2011.

[16] Deborah Brautigam, « Chinese Workers in Africa Anecdotes », sur le site : http://www.chinaafricarealstory.com/p/chinese-workers-in-africa-anecdotes.html

[17] Dambisa Moyo, art. cit., 2010.

[18] Nasos Mihalakas, The Magazine for International Business and Diplomacy, No. 3, March 2011. (traduction de l’auteur).

[19] « Chinese in investments in France continues to grow », Invest in France Agency, 7 Juin 2013, sur le site : http://www.invest-in-france.org/us/news/china-investments-in-france-continue-to-grow.html