Michel Damian*
Quarante années après la Conférence de Stockholm en 1972 et vingt après celle de Rio de Janeiro en 1992, la Conférence de Rio+20 sur le développement soutenable s’est tenue au Brésil du 20 au 22 juin 2012. À bien des égards le contexte était inédit. Jamais jusqu’à présent une conférence sur l’environnement et le développement n’avait été tenue en période de récession économique au Nord et de basculement de la planète en direction du Sud et de l’Asie. La situation environnementale aussi est inédite. La perception des problèmes diffère aujourd’hui de celle qui prévalait à Stockholm ou à Rio vingt ans plus tard. Durant les dernières décennies, les écosystèmes mondiaux ont été modifiés plus rapidement et plus intensément que dans aucune autre période de l’histoire. Le décalage entre l’état écologique de la planète et les politiques mises en place et solutions préconisées est grand. Et il est des questions d’environnement pour lesquelles on ne sait si on parviendra un jour à élaborer une théorie partagée.
À cela se sont ajoutées des contraintes d’agenda politique et des conditions d’organisation particulières : une réunion internationale resserrée sur trois petites journées (contre près de deux semaines il y a 20 ans) ; un nombre restreint de chefs d’États, et la plupart de ceux des grands pays développés absents (alors que plus de 100 étaient présents en 1992) ; une conférence réunie à moins de six mois tant de l’élection présidentielle américaine que d’une transition politique en Chine, avec la tenue du 18ème congrès du Parti communiste ; un leadership brésilien qui a permis d’obtenir, préalablement à l’ouverture de la conférence, un accord sur un texte final dont pas une virgule n’a été modifiée en trois jours de séances plénières, séances durant lesquels le pays hôte a soigneusement réussi à éviter les conflits trop manifestes. Tout, en somme, a contribué à faire de Rio 2012 une réunion sans décision marquante, sans relief, terne pour les médias et, pour la plupart des participants, absolument décevante pour le développement durable de la planète.
L’appréciation la plus largement partagée par les organisations environnementales, la presse et une majorité d’observateurs, est que Rio+20 a été un échec. Les commentaires qui ont suivi la conférence en témoignent : « déception », « frustration », « résultats dérisoires », « pas d’avancée au regard de Rio 92 », « les États ont capitulé », « Rio+20 : La triste fin du carnaval ! », “a disaster for the planet”. Le document final ou accord de Rio – 283 paragraphes publiés sous le titre « Le futur que nous voulons[1] » – a attiré les commentaires les plus critiques : “a gift to corporate polluters” ; “the longest suicide note in history” ; « le texte comporte 64 ‘réaffirmons‘, 161 ‘reconnaissons ‘, ‘constatons’, ‘insistons’, ‘sommes conscients’ et ‘prenons acte’ et seulement 5 ‘décidons’ (dont 2 sans grands détails) et 7 ‘convenons’ ! Manque de courage et égoïsme demeurent flagrants[2] ». Les formulations les plus définitives reviennent à Georges Mombiot, le célèbre et respecté journaliste environnemental du Guardian : “283 paragraphs of fluff”, “It is, perhaps, the greatest failure of collective leadership since the first world war […] It marks, more or less, the end of the multilateral effort to protect the biosphere[3].”.
La conférence semble effectivement marquer un tournant dans les grandes réunions internationales sur l’environnement. Mais est-ce vraiment grave ou désespérant ? Plutôt qu’une approche évaluative en termes d’échec, une démarche plus explicative serait appropriée. Les questions relatives à l’environnement et à la soutenabilité ne sont plus – et, peut-être, ne peuvent plus – être appréhendées comme auparavant. En tout cas, il est des éléments, des constats et des enjeux, perceptibles depuis longtemps, qui sont maintenant beaucoup plus audibles.
Tout d’abord, Rio+20 s’inscrit dans des inflexions qui ne correspondent plus tout à fait à l’environnementalisme du dernier demi-siècle, que l’on peut, quitte à être sommaire, caractériser par trois grandes orientations : 1/ la critique de la science, qui devrait être bridée eu égard aux dégâts de tous ordres engendrés par les technologies et méga machines ; 2/ la critique de la croissance, qu’il faudrait impérativement limiter du fait de la finitude de la biosphère ; 3/ la bataille pour une gouvernance multilatérale des grands problèmes environnementaux, c’est-à-dire pour une gestion « par le haut » de la planète.
Les positions des grands pays émergents et des États-Unis ont conduit à faire de Rio+20 une conférence à mille lieues de cet environnementalisme : la conférence a été croissanciste, pro science, sourde à la question des limites que peut supporter la planète et absolument rétive à la relance d’accords multilatéraux contraignants pour préserver les grands équilibres de la biosphère. Le thème de « la pauvreté comme plus grand pollueur[4] » a, en particulier, surdéterminé la conférence. Luiz Alberto Figueiredo Machado, négociateur en chef du Brésil, l’affirmait le 19 juin 2012, à la veille de l’ouverture de la conférence : la priorité n’est ni le réchauffement climatique, ni l’environnement, la pauvreté demeure “the greatest challenge that we face in the world today[5]”.
Ensuite, les politiques de soutenabilité devront être conduites au plus proches du corps social. Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009, avait pointé, une semaine avant Rio+20, et quelques jours avant sa disparition, cette dimension un peu oubliée dans les corridors onusiens de ces manifestations : « la politique verte doit être impulsée de la base ». « Un échec de Rio serait désastreux, mais un accord international unique serait une grave erreur. On ne peut s’appuyer sur une politique universelle pour résoudre le problème de la gestion des ressources communes […] Se fixer des objectifs permet de vaincre l’inertie, mais il doit y avoir un enjeu pour toutes les parties qui participent à leur élaboration, qu’il s’agisse de pays, de villes, d’organisations, d’entreprises ou d’individus où que ce soit[6]. ». « La solution ne peut venir que d’une action de la société civile », constate – avec d’autres – Bettina Laville, coordinatrice pour la France à la conférence de Rio 1992[7]. Mais on ne s’en était pas rendu compte avant ? Et qu’est-ce que cela veut exactement dire « une action de la société civile » ? Les politiques environnementales et de soutenabilité engagent de multiples champs, elles ont un contenu productif, matériel et politique immense, un contenu certes jamais gommé mais dont la pleine mesure n’avait pas été prise jusqu’à la période récente.
Rio+20 est donc moins un échec qu’un tournant, non pas une écume de surface temporaire et datée mais bien une transformation dans l’appréhension des questions d’environnement et de soutenabilité. D’une certaine manière, Rio 2012 clôt, selon nous, le cycle institutionnel des grandes réunions internationales engagé il y a près d’un demi siècle, avec la conférence sur l’utilisation et la conservation de la biosphère, organisée à Paris par l’UNESCO en 1968, année où sera lancé l’appel pour une première conférence mondiale sur l’environnement, celle de Stockholm. Cela ne signifie pas que les grandes conférences onusiennes sur le développement soutenable soient sans portée : elles ont été et demeurent déterminantes pour construire la prise de conscience, impulser politiques et actions à des échelles multiples et maintenir l’agenda à un haut niveau de priorité. Mais le contenu et les orientations de quelque Rio+30 ou +40 seront d’une autre ambition, plus pragmatique et moins poétique. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », l’entame du fameux discours du Président Jacques Chirac, lors de la conférence des Nations unies sur le développement soutenable, tenue à Johannesburg en 2002, ne sera pas répétée.
Notes:
* Université Pierre Mendes France, Grenoble.
[1] Nations Unies, L’avenir que nous voulons, Rio+20, Conférence des Nations Unies sur le développement durable, A/CONF.216/L.1, Rio de Janeiro, 19 juin 2012.
[2] Gilles Bœuf, Jean-Patrick Le Duc, « Après Rio+20 : bilan et premières analyses », blog.Le Monde.fr, 9 juillet 2012.
[3] G. Monbiot, « Rio+20 draft text is 283 paragraphs of fluff », Guardian.co.uk, 22 juin 2012 et « After Rio, we know. Governments have given up on the planet », Guardian.co.uk, 25 juin 2012.
[4] Indira Gandhi, Man and Environment, Plenary Session of United Nations Conference on Human Environment, Stockholm, 14 juin 1972.
[5] Jeff Tollefson, « Wealth Gap Curbs Rio Goals », Nature, Vol. 486, 28 juin 2012.
[6] Elinor Ostrom, « La politique verte doit être impulsée de la base », Project Syndicate, 2 juin 2012.
[7] Bettina Laville, « Il n’y aura pas de décision à la conférence sur le climat de Doha », Entretien, Le Monde, 6 octobre 2012.