Combattre la pauvreté et l’inégalité: Changement structurel, politique sociale et conditions politiques*

Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (UNRISD)

 

157En 2011, l’UNRISD (United Nations Research Institute for Social Development, Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social) a publié un volumineux rapport sur la situation des inégalités et de la pauvreté dans le monde. Ces questions n’ont jamais quitté l’actualité, mais en cette année d’accentuation de la crise financière internationale, elles redoublent d’importance. C’est pour cette raison qu’il nous a semblé utile de reprendre dans ce numéro d’Informations et Commentaires le début du résumé de ce rapport qui repose à sa façon les dimensions structurelles du développement et de sa nécessité. Un numéro ultérieur de la revue reprendra de manière plus détaillée ces analyses. Que la direction de l’UNRISD soit remercié pour son autorisation de publication.

La rédaction d’Informations et Commentaires.

Vue d’ensemble

Avec les crises économiques et alimentaires mondiales, il est douteux que l’on puisse atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et réduire de moitié la pauvreté et la faim d’ici à 2015. Avant elles, le nombre des pauvres, définis dans les OMD comme vivant avec moins de 1,25 dollar par jour, avait été ramené de 1,8 milliard en 1990 à 1,4 milliard en 2005[1]. Les progrès étaient cependant très inégaux d’une région à l’autre : l’Asie orientale enregistrait la baisse la plus forte, grâce à la croissance rapide de la Chine, et l’Afrique subsaharienne, la plus faible. Même si, à l’échelle mondiale, la proportion des pauvres est réduite de moitié d’ici à 2015, comme le laisse penser le dernier rapport des Nations Unies sur les OMD[2], environ un milliard de personnes seront encore enlisées dans l’extrême pauvreté en 2015. De plus, selon les estimations de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le nombre des personnes atteintes de malnutrition a, pour la première fois en 2009, dépassé le seuil du milliard[3].

Les inégalités de revenu et de fortune se sont aussi creusées dans la plupart des pays, de même que les inégalités fondées sur le sexe, l’ethnie et la région. Dans les pays en développement, les risques d’avoir un poids insuffisant sont plus grands pour les enfants des ménages les plus pauvres et ceux des zones rurales que pour ceux des ménages les plus riches ou ceux des villes, petites et grandes[4]. Dans certains des pays les moins avancés, les enfants des ménages les plus pauvres ont trois fois moins de chances de fréquenter l’école primaire que ceux des ménages les plus riches. Et à l’échelle mondiale, la proportion des filles qui abandonnent leurs études en cours de scolarité est bien plus forte que celle des garçons.

La persistance de la pauvreté dans certaines régions et les inégalités qui se creusent à l’échelle mondiale nous rappellent brutalement que la mondialisation et la libéralisation économiques n’ont pas créé des conditions favorables à un développement social durable et équitable. Même maintenant, alors que la réduction de la pauvreté figure en bonne place à l’ordre du jour international et que les gouvernements partent directement à l’assaut de la pauvreté par des programmes divers, la pauvreté et l’inégalité se révèlent pour les politiques d’irréductibles adversaires.

Sept arguments concernant la réduction de la pauvreté et des inégalités

La réduction de la pauvreté passe par la croissance et des changements structurels qui créent des emplois productifs

Pour faire reculer la pauvreté, il faut un mode de croissance et des changements structurels qui créent des emplois productifs, améliorent les salaires et contribuent au bien-être général de la population. L’emploi est un moyen non négligeable de distribuer dans toute une population les revenus générés par la croissance. Avec des emplois suffisamment rémunérés, les habitants peuvent sortir de la pauvreté, cotiser à des régimes d’assurance sociale qui les protègent, et améliorer leur éducation et leur état de santé. Bref, une croissance centrée sur l’emploi peut avoir un puissant effet multiplicateur sur divers OMD. Toutefois, dans de nombreux pays à faible revenu, la croissance n’a pas été soutenue et n’a pas créé d’emplois. Les actifs continuent à déserter l’agriculture pour des activités de faible valeur dans le secteur urbain informel où les perspectives d’améliorer sa productivité et son revenu sont limitées.

L’adoption de stratégies centrées sur l’emploi se heurte à trois obstacles. Premièrement, la mondialisation qui s’accélère, a affaibli les liens organiques entre l’agriculture et l’industrie. Dans de nombreux pays, la population urbaine, au lieu de soutenir l’agriculture nationale, se nourrit dans une large mesure aujourd’hui de produits importés ; de même, au lieu de développer la production nationale, de nombreux pays importent la plupart de leurs biens manufacturés. Dans les pays les moins avancés où la proportion des pauvres est élevée, cette tendance a entraîné une stagnation à la fois de l’agriculture et de l’industrie. Deuxièmement, l’évolution technologique et les moteurs de croissance de la productivité dépendent de plus en plus d’entreprises étrangères, réduisant la demande de main-d’œuvre. Troisièmement, les idées néolibérales dominent toujours les politiques macroéconomiques, qui privilégient la discipline budgétaire, la privatisation et la libéralisation. Dans ce contexte, l’emploi est considéré comme un sous-produit de la croissance qui ne nécessite pas de politique directe. Même le cadre macroéconomique des Documents stratégiques de réduction de la pauvreté (DSRP), qui sont censés aider les pays à faible revenu à générer de la croissance et à réduire la pauvreté, est formaté par des programmes standard d’ajustement structurel qui ont été vivement critiqués comme déflationnistes.

Les gouvernements peuvent promouvoir des changements structurels centrés sur l’emploi en poursuivant dans divers domaines des politiques délibérées, consistant par exemple à :

  • mettre en place des politiques industrielles et agricoles sélectives qui établissent un lien de production plus étroit entre l’agriculture et l’industrie et d’autres secteurs de l’économie ;
  • stimuler et maintenir une demande suffisante de main-d’œuvre en développant la production nationale et en faisant augmenter la demande de biens et de services nationaux ;
  • investir dans l’infrastructure ainsi que dans l’éducation, la formation et la recherche pour améliorer les compétences, la productivité et la mobilité de la population ;
  • et adopter un cadre macroéconomique qui évite les politiques procycliques ou les politiques de restriction monétaire et fiscale pendant les périodes de croissance molle.

De plus, la communauté internationale peut :

  • soutenir les pays les moins avancés en réduisant leur vulnérabilité aux chocs des prix des matières premières et des taux d’intérêt par un abandon progressif des subventions agricoles dans les pays riches et l’ouverture des marchés de ces pays.

Pour réduire la pauvreté, il faut une politique sociale globale

Même lorsque les niveaux d’emploi sont élevés, les mesures sociales jouent un rôle essentiel en donnant aux ménages les moyens de s’extraire de la pauvreté. Diverses politiques sociales sont réalisables et abordables à pârtir d’un revenu national relativement bas. En fait, des exemples venus du monde entier, y compris de pays à haut revenu, indiquent que les niveaux de pauvreté diminuent de manière spectaculaire après l’introduction de transferts sociaux et que la réduction la plus forte de la pauvreté a lieu dans des pays qui appliquent une politique sociale globale tendant à une couverture universelle.

Bien que les OMD soient fondamentalement axés sur la promotion du développement social, ils ne fournissent pas de modèle de politique sociale qui permettrait de réaliser les objectifs et d’exploiter les synergies entre eux. En s’efforçant d’atteindre les OMD, nombre de pays ont introduit, avec l’aide de donateurs, des programmes ciblés d’assistance sociale. Dans les pays où ces programmes sont stables et bien financés et atteignent un nombre important d’habitants, ils ont eu des résultats positifs. Cependant, là où la pauvreté est générale, des mesures ciblées ont peu de chances de réduire sensiblement et durablement la pauvreté ; elles risquent en outre de ne pas remporter l’adhésion des catégories à revenu intermédiaire dont la contribution est nécessaire au financement et à la prestation de services de qualité, et de condamner les pauvres à des services insuffisants.

Une politique sociale propre à entraîner un recul rapide et soutenu de la pauvreté doit être ancrée dans des droits universels. Elle devrait viser à:

  • renforcer les effets redistributifs de la politique économique ;
  • protéger les individus des pertes de revenu et des coûts liés au chômage, à la grossesse, aux problèmes de santé, à la maladie ou l’invalidité chroniques et à la vieillesse ;
  • accroître la capacité de production des individus, des groupes et des communautés ;
  • et réduire le poids de la croissance et de la reproduction de la société, notamment la charge des soins et de l’assistance aux personnes qui est dans une large mesure assumée par les femmes.

Ce raisonnement conduit à penser que la politique sociale, bien comprise, est un moteur de transformation et ne peut être dissociée des efforts déployés pour obtenir une croissance et des changements structurels centrés sur l’emploi. En effet, de tels efforts permettent à un plus grand nombre de gens d’adhérer à des régimes d’assurance sociale qui ont un effet de redistribution entre les classes, les groupes et les générations. Une croissance et des changements structurels centrés sur l’emploi favorisent aussi la prestation de services sociaux universels et le financement public de programmes complémen-taires d’assistance sociale. Les politiques sociales doivent en outre reconnaître et récompenser le travail non rémunéré qui est fourni pour faire vivre les familles, les ménages et la société, en investissant dans l’infrastructure sociale et les services de base et en réduisant la charge de travail des femmes.

De fortes inégalités font obstacle au recul de la pauvreté

Les DSRP et les OMD se préoccupent essentiellement des niveaux absolus de la pauvreté et ne s’attaquent ni les uns ni les autres au problème des inégalités. Là où les inégalités sont très marquées, la croissance est souvent concentrée dans les secteurs qui profitent à l’élite et les pauvres risquent fort de ne pas avoir accès aux possibilités qu’offre le marché ou de ne pas avoir les ressources qui leur permettraient de bénéficier de la croissance. Avec de fortes inégalités, il est plus difficile de réduire la pauvreté, même lorsque l’économie est en pleine croissance, et les données recueillies portent à croire que les inégalités sont généralement plus fortes dans les pays pauvres que dans les pays riches. La pauvreté et l’inégalité doivent donc être considérées comme deux facettes du même problème. La pauvreté est étroitement liée à diverses dimensions de l’inégalité, notamment au revenu, au genre, à l’ethnie et à la situation géographique. Et les inégalités se manifestent dans plusieurs dimensions telles que l’emploi, les salaires et l’accès aux services sociaux. Ces inégalités, souvent cumulées, entravent le développement pour diverses raisons.

Premièrement, elles rendent plus difficile l’entrée des pauvres et des défavorisés dans le processus de croissance ; les inégalités affaiblissent leur capacité de production et leur contribution potentielle au développement. Deuxièmement, dans les sociétés marquées par de fortes inégalités, les pauvres risquent davantage d’être enfermés dans une économie de subsistance. Cela peut limiter le potentiel du marché intérieur et retarder ainsi l’accession à une croissance soutenue. Troisièmement, de fortes inégalités, cumulées, peuvent entraver la réalisation des droits civils, politiques et sociaux ; elles risquent d’avoir pour effet d’élever le taux de criminalité et de plonger la société dans le conflit. Quatrièmement, elles peuvent créer des institutions qui maintiennent les privilèges politiques, économiques et sociaux de l’élite et enferment les pauvres dans une pauvreté dont ils auront beaucoup de peine à s’extraire.

Les pays peuvent adopter diverses politiques de redistribution pour s’attaquer aux multiples dimensions de l’inégalité, et notamment :

  • ouvrir aux pauvres (différenciés selon le sexe, l’ethnie et d’autres critères pertinents) l’accès aux biens de production, notamment à la terre ;
  • investir dans l’infrastructure sociale pour alléger les corvées ménagères ;
  • poursuivre des politiques d’action positive pour les groupes défavorisés dans le cadre d’un dispositif de développement national et de protection sociale qui englobe tous les citoyens ;
  • stimuler l’investissement dans l’infrastructure rurale, lancer des programmes de travaux publics et élargir l’accès au crédit ;
  • poursuivre des réformes fiscales qui améliorent l’administration de l’impôt, préviennent l’évasion fiscale et limitent l’opposition à l’impôt progressif et à la redistribution ;
  • et créer un environnement économique mondial stable qui réponde aux besoins des pays à faible revenu.

La réduction de la pauvreté passe par une action efficace de l’État

Des progrès soutenus dans la lutte contre la pauvreté supposent des États efficaces, axés à la fois sur le développement et sur la redistribution. Les pays qui ont réussi à faire reculer la pauvreté en relativement peu de temps avaient des systèmes politiques volontaristes, axés sur la croissance et la prospérité ; ils se sont aussi dotés d’une administration compétente qu’ils ont conservée. De tels États doivent être capables de parer aux graves défaillances du marché, d’aider à l’acquisition de nouvelles technologies, de mobiliser des ressources et de les diriger vers les secteurs productifs, de faire appliquer des normes et des règles, d’établir des pactes sociaux et de financer et d’administrer des services et des programmes sociaux.

 Pour doter l’État de telles capacités, il faut se concentrer sur trois dimensions essentielles :

  • la construction des coalitions politiques dont on a besoin pour décider des mesures à prendre et les appliquer ;
  • la mobilisation des ressources qui permettront d’œuvrer à la réalisation des objectifs du développement ;
  • et l’affectation de ressources aux secteurs productifs et générateurs de bien-être et l’application des règles régissant leur emploi.

Le soutien de coalitions politiques et des capacités accrues de mobilisation de ressources peuvent élargir la marge de manœuvre politique et ont des chances d’être efficaces lorsque les gouvernements appliquent des programmes qui offrent à de larges couches de la population une vaste gamme de services de qualité. Et l’État est mieux à même de faire exécuter ses décisions lorsque des citoyens surveillent eux aussi l’emploi des ressources. Les États dont le pouvoir s’appuie sur une large base, qui sont dotés d’un parti au pouvoir bien organisé, d’administrations compétentes et dont les citoyens sont militants ont réussi à appliquer des politiques de redistribution et à s’attaquer à la pauvreté.

De nos jours, la construction de l’État repose dans une large mesure sur des réformes qui font la part belle au marché et vont dans le sens de la bonne gouvernance, des techniques managériales et de la décentralisation. Même si certains objectifs de ces réformes sont souhaitables pour tous les pays, elles ne réussissent pas nécessairement à générer et à soutenir la croissance ou à donner des résultats socialement équitables.

Les conditions politiques ont leur importance pour faire reculer la pauvreté

La protection des droits civils, des citoyens actifs et organisés et des partis politiques qui associent réellement les pauvres et d’autres groupes défavorisés à leur action : tous ces facteurs ont leur importance lorsqu’il s’agit d’enregistrer des progrès soutenus dans la lutte contre la pauvreté. La plupart des pays à faible revenu se sont fiés au cadre participatif des DSRP pour associer les citoyens à la conception et à la mise en œuvre des stratégies de lutte contre la pauvreté. Cependant, la procédure de consultation adoptée n’a généralement pas donné aux groupes citoyens le pouvoir d’introduire des changements réels ou d’obtenir des responsables politiques des résultats sur les objectifs convenus. Beaucoup de ces groupes estiment que, sur les sujets importants, les décisions réelles sont prises ailleurs. De même, en associant les grandes entreprises à la réduction de la pauvreté par le biais de la responsabilité sociale des entreprises, de la régulation privée et des consultations avec les parties prenantes, la communauté internationale ne s’est guère inspirée des modes de collaboration qui existaient entre les entreprises, l’État et les groupes sociaux dans les sociétés qui ont fait reculer la pauvreté.

L’expérience des démocraties qui ont su vaincre la pauvreté nous apprend qu’une lutte efficace contre la pauvreté suppose :

  • des droits institués qui permettent aux citoyens de s’organiser et de contester les politiques publiques en qualité d’acteurs autonomes ;
  • des partis politiques qui s’inscrivent dans de larges coalitions sociales et encouragent une participation active des pauvres, des femmes et d’autres groupes défavorisés ;
  • l’institutionnalisation de négociations ou la conclusion de pactes sociaux qui confèrent aux groupes le droit de s’exprimer et le pouvoir de demander des comptes aux entreprises et à l’État et d’infléchir les politiques de développement et leurs résultats ;
  • et une démocratie dans laquelle la compétition est assez vive pour laisser incertaine l’issue des prochaines élections, permettre l’alternance au pouvoir et empêcher les partis majoritaires de se reposer sur leurs lauriers.

De nombreuses voies mènent à un recul de la pauvreté

Les voies du développement sont différentes selon les pays. Loin de suivre aveuglément des prescriptions dictées par le marché, la plupart des pays qui ont réussi à profiter de la mondialisation ont adopté des politiques hétérodoxes adaptées à leur situation propre. Les données en provenance de ces pays portent à croire que l’industrialisation est un moteur puissant d’amélioration des revenus et des conditions de vie. Cependant, l’industrialisation n’est pas la seule voie qui permet de sortir de la pauvreté. Si les gouvernements des sociétés agricoles à faible revenu s’engagent à soutenir l’agriculture en améliorant sa capacité de production, ainsi que les revenus et les services dans les régions rurales, l’agriculture peut offrir au développement une base solide et permettre aux ménages économiquement faibles de sortir de la pauvreté.

Avec la crise économique mondiale, les appels des pays en développement qui réclament une plus large marge de manœuvre en politique se sont faits plus insistants encore. Une telle évolution pourrait se révéler importante mais il ne faut pas la réduire, par exemple, à une moindre conditionnalité de la part des donateurs ou à la possibilité pour les gouvernements des pays en développement d’adopter des politiques contracycliques. L’élargissement de l’espace politique pour les pays et les peuples s’entend aussi de la possibilité d’adopter des modèles de développement différents dans lesquels les questions de la croissance et des changements structurels centrés sur l’emploi, d’une politique sociale transformatrice et de la démocratie en politique, qui élève les intérêts des pauvres dans les politiques publiques, tiennent une place primordiale.

 La pauvreté recule lorsque les politiques sociales et économiques, les institutions et les mécanismes politiques se complètent

Pour faire rapidement reculer la pauvreté et enregistrer des progrès soutenus dans ce sens, il faut reconnaître l’interdépendance des différentes politiques et institutions et en jouer. Le recul de la pauvreté ne suppose pas seulement des stratégies de croissance centrées sur l’emploi ou l’application d’une politique sociale globale ou même l’instauration du climat politique le plus favorable. Il passe aussi par une coordination délibérée des politiques et des institutions dans ces trois domaines, condition d’une efficacité maximale. Les gouvernements devraient se concentrer sur la façon dont institutions et politiques sont liées d’un domaine à l’autre et sur les synergies qu’elles créent en s’attaquant à des problèmes spécifiques. L’efficacité d’une institution ou d’une politique dans un domaine particulier peut appeler ou rendre nécessaires des institutions ou politiques complémentaires dans d’autres.

 Le fait de prendre un train de mesures dans un domaine et d’en négliger d’autres peut empêcher les mesures choisies de porter pleinement leurs fruits. Par exemple, la poursuite d’une croissance centrée uniquement sur l’emploi peut avoir des effets néfastes sur les couches de la population qui sont défavorisées ou exclues du marché du travail. De même, coupée de la production, la politique sociale peut manquer de ressources et, dans ce cas, l’élargissement des programmes sociaux peut plonger l’économie dans la crise ou relancer l’inflation, ce qui aura en définitive pour effet d’aggraver la situation des pauvres. Lorsque les citoyens sont mobilisés mais que le gouvernement ne parvient pas à accroître la capacité de production et à améliorer les débouchés, c’est l’instabilité politique qui guette.

La complémentarité des institutions appelle la cohérence des politiques mais ne doit pas se réduire à cela. La complémentarité des institutions ou le régime politique résulte de valeurs différentes attribuées aux droits, de différences de poids accordés aux marchés et aux autres institutions dans les activités de coordination, et de différences dans les structures de pouvoir qui ont évolué au fil de l’histoire. Il est important d’exploiter les synergies entre secteurs et sous-secteurs pour venir à bout de la pauvreté et de l’inégalité. Cependant, l’établissement de relations entre eux ne dégage pas forcément des synergies. Il faut que les politiques économiques et sociales soient conçues avec soin et s’appuient sur des coalitions assez puissantes pour les faire appliquer.

Notes:

*  Traduit et mis en forme par Marc Troisvallets

[1]  DAES (Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies), Report on the World Social Situation : Rethinking Poverty, Nations Unies, New York, 2010.

[2] Nations Unies, The Millennium Development Goals Report 2010, Nations Unies, New York, 2010.

[3] FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), The State of Food Insecurity in the World 2009: Economic Crises – Impacts and Lessons Learned, FAO, Rome, 2009.

[4] Nations Unies, 2010, ibid.