Le désordre monétaire et financier de l’économie globale après quatre ans d’efforts laborieux

Faruk Ülgen[1]

 

153Le monde vit, depuis 2006-2007, sous le poids d’instabilités économiques croissantes qui hantent les commentateurs les plus optimistes quant à la perspective d’une reprise économique mondiale capable d’assurer une croissance économique créatrice de richesses et de bien-être pour des milliards d’individus vivant sur notre globe.

De nombreuses rencontres au niveau international ont permis de souligner les problèmes que les comportements des acteurs et des marchés libérés sont susceptibles de générer dans la réalisation des rapports économiques équilibrés et répartis d’une façon soutenable. L’environnement globalisé, créant de fortes interdépendances non seulement entre différents acteurs privés mais aussi entre toutes les économies du monde, et les interconnexions, devenues permanentes, entre les décisions et actions économiques des différentes parties, ont rendu la transmission des difficultés locales au niveau global très rapide et pouvant échapper à tout contrôle public sous les systèmes de régulation en vigueur.

Cet environnement a aussi montré, à travers la crise actuelle, qu’une coordination et une coopération multilatérales étaient devenues plus que nécessaires en vue d’établir des règles minimales pertinentes pour la stabilité des relations économiques. Plus de quatre ans après le début des instabilités qui continuent de dominer l’économie internationale, le bilan que l’on peut tirer des rencontres multilatérales et des résultats obtenus en matière d’une recomposition du système monétaire et financier mondial est mitigé. Les communiqués des instances nationales et internationales de décision se succèdent et se répètent mais les actes effectifs tombent souvent sous le coup des conflits entre les intérêts immédiats des économies nationales. Les résolutions définitives sont constamment repoussées, chaque partie accusant, si besoin est, les autres de vouloir jouer en cavalier libre et ne pas respecter les contraintes et besoins que les uns pourraient avoir à l’égard de leur fragilités structurelles. Les échecs prolongés du cycle de Doha, lancé fin 2001, sont une traduction de ces conflits dominants en matière d’échanges commerciaux. Les déclarations de bonne foi sans bonne fin des réunions du Groupe des vingt (19 pays plus l’Union européenne), appelé le G20, sur les moyens de stabiliser les relations internationales en est une autre dans le domaine monétaire et financier à tel point que l’année 2010 semble se terminer sur un sentiment d’inachevé dans les négociations internationales sur un « nouvel ordre » monétaire et financier.

Sans faire un résumé exhaustif des évolutions des 4 dernières années, cet article vise à en identifier les grandes lignes et à rappeler les principales difficultés, qui s’érigent en obstacles devant la reprise, et les principales menaces qui restent confinées dans les choix qualifiés de prudents mais quelque peu opportunistes. Dans la première section, on montre que la stabilité monétaire et financière est considérée par toutes les parties en jeu comme une condition sine qua non pour la continuité des relations économiques tant sur le plan interne que sur le plan international. Or, les croyances tant théoriques que politiques qui dominent l’orientation actuelle révèlent une impuissance des mesures prises sur le plan structurel à l’égard de la force et de la rapidité nécessaires à la résolution des déséquilibres mondiaux qui continuent d’alimenter les conflits ayant un fort potentiel de s’envenimer à moyen terme. La seconde section souligne que devant une telle impuissance, les difficultés continuent de se renforcer et de s’étendre et que leur diversification pourrait multiplier les fronts sur lesquels les autorités devraient intervenir. La multiplication des fragilités du système économique global provient principalement de l’absence de volonté dans l’imagination et l’établissement des règles de jeu communes à tous les participants qui donneraient une orientation à long terme. La troisième section en déduit et développe l’erreur de fond dans les négociations actuelles. Cette erreur est liée à l’absence d’une véritable coordination et d’une réelle coopération internationale entre les acteurs. Face à des difficultés d’envergure, cette absence reproduit, d’une façon récurrente, les affrontements sur le plan monétaire et commercial et la crise mondiale ne fait que ranimer les vieux démons, contenus jusqu’ici dans l’euphorie de la croissance que le monde a connue entre 2003-2007. La section suivante rappelle alors brièvement ces affrontements qui ont occupé la scène internationale durant l’année 2010 sous l’appellation médiatique de « guerre des monnaies ». La section cinq propose alors un bilan des travaux de coordination à travers la présentation des sommets successifs du G20. Ces sommets font apparaître la tendance d’antan qui consiste à discuter ensemble pour ne pas laisser les autres prendre des mesures qui sortiraient des sentiers battus et qui obligeraient les uns et les autres à repenser la nouvelle donne et à restructurer l’environnement international.

 1/ La solidité du système financier

 Le système financier comprend le système bancaire, les marchés financiers (les bourses de valeurs mobilières, les fonds de pension, les sociétés d’assurance), les autorités monétaires (la banque centrale) et les instances de règlementation nationales (les agences de supervision financière). Un tel système correspond donc à un environnement institutionnel qui fournit le cadre dans lequel les opérations économiques, tant monétaires qu’industrielles, peuvent être envisageables et les politiques économiques (monétaire, budgétaire, etc.…) peuvent être conduites. Le système financier est avant tout le résultat des choix structurels qui sont effectués par les décideurs publics et qui déterminent les conditions dans lesquelles une trajectoire de croissance peut être anticipée. Il y a alors une relation directe entre les caractéristiques comportementales des marchés et l’environnement institutionnel qui les oriente et cette relation prend la forme d’une interaction dynamique : le choix des autorités fixant le cadre général des comportements des acteurs privés et ces derniers affectant les futurs choix des autorités de par leurs effets sur l’évolution économique.

De ce point de vue, les problèmes du système financier deviennent immanquablement des problèmes de l’économie entière et influencent la portée et les résultats des politiques économiques. Une crise bancaire et/ou financière provoque ou aggrave une crise économique en détériorant les conditions de financement des activités productives ; un choix particulier de politique de change ou monétaire restrictive génère une fuite ou, au contraire, une entrée massive de capitaux spéculatifs (chauds) soumettant l’économie à la merci des caprices court-termistes des acteurs globaux ; le refinancement ou le sauvetage des institutions en difficulté grève le budget de l’Etat et modifie les orientations subséquentes sous la contrainte de l’équilibre des comptes publics en socialisant par la force les pertes privées. Mais au-delà de ces aspects et surtout dans un environnement d’interdépendances internationales/ globales, ces difficultés se transforment en conflits débordant les frontières nationales et hypothèquent la continuité des relations économiques internationales. Une guerre des monnaies est alors un des noms que l’on pourrait donner à l’accroissement des conflits inter-économies provenant des déséquilibres financiers ; chaque pays cherchant à privilégier ses propres problèmes en transférant, si possible, le poids de l’effort de l’ajustement sur ses partenaires. Le partenariat devient par conséquent l’autre nom d’une fuite en avant des orientations opportunistes et non coopératives alors qu’il faut être deux pour danser le tango et que la chute du partenaire ne peut qu’annoncer la fin de la danse.

De nombreux documents publics, offerts par les institutions internationales, comme le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale (BM), et par les autorités monétaires/ financières nationales ou régionales, comme les banques centrales ou les agences de supervision financière, soulignent l’importance de la solidité des systèmes monétaires et financiers dans la continuité des relations économiques. Ils précisent que la fragilité des institutions bancaires et financières, les carences de la réglementation et de la supervision et le manque de transparence des opérations de marché sont au cœur des crises financières des années 1990-2000 et de la crise mondiale actuelle. Les efforts sont alors appelés à être intensifiés en vue d’aider les pays à définir et à mettre en œuvre des mesures propices à l’assainissement des systèmes bancaires et financiers. Dès 2005, le FMI et la BM ont commencé à publier un manuel d’évaluation du secteur financier, destiné à fournir aux autorités des informations et des modalités d’évaluation sur les pratiques et les questions fondamentales concernant l’élaboration des réformes dans ce domaine. Un programme d’évaluation du secteur financier (PESF) est alors proposé. Or, ce programme, comme tant d’autres feuilles de route, considère la question sur le plan technique et plutôt individuel. Chacun doit faire le ménage chez lui en respectant quelques règles d’or qui sont liées à l’ouverture / la libéralisation des marchés, à la mise en place des mécanismes d’incitations microéconomiques qui devraient pousser les acteurs à adopter les règles d’une bonne concurrence, d’une transparence dans leurs comptes sous peine d’être pénalisés par une mauvaise réputation et de perdre l’attrait du public pour leurs produits ou services offerts.

Deux exemples tirés d’un document édité par Barry Eichengreen et Richard Baldwin soulignent les principes qui devraient guider les travaux des autorités de régulation sur les solutions à proposer face à la crise.

Le premier exemple est la contribution d’Alberto Alesina (Université de Harvard) et de Guido Tabellini (Université Bocconi), intitulée Quick action for the real economy ; sober reflection for financial regulation. Elle souligne que dans de telles circonstances « exceptionnelles », l’intervention de l’État est requise afin de soutenir la demande agrégée mais que cette intervention, même lorsqu’elle s’avère utile, ne doit pas s’inscrire dans la durée. Au contraire, les auteurs affirment que ce serait une erreur dramatique de substituer la « lourde main » de l’État à la main invisible du marché pour orienter les ressources vers des utilisations efficaces. Est ainsi affirmée la croyance en la supériorité des mécanismes de marché sur les interventions des autorités publiques dans l’organisation des activités économiques.

Le deuxième exemple considéré ici est la contribution de Refet Gürkaynak (Université de Bilkent) : « Coordinated responses versus identical responses ». Gürkaynak affirme que la régulation financière doit être prudente et que cette prudence ne doit pas signifier la suppression de tout risque dans les activités de marché, ce qui supprimerait ainsi toute rentabilité des opérations. La question que les décideurs devraient se poser est, pour l’auteur, de savoir si pendant le siècle dernier il aurait été préférable de vivre sous le système financier américain et de bénéficier des revenus réels qu’il aurait permis de créer ou sous d’autres systèmes financiers. La réponse exacte serait, pour la plupart des pays européens et des pays en développement, le système financier américain avec la croissance rapide des standards de vie qu’il aurait permise malgré la crise actuelle. L’auteur précise, néanmoins, que le choix entre un rendement élevé et un risque faible dépend des préférences propres de chaque pays mais que choisir un système financier qui serait seulement fondé sur le principe de minimisation des risques, ne serait optimal pour aucun pays.

Quels qu’en soient ses fondements théoriques, cette orientation se révèle toutefois désastreuse à l’égard de la promptitude nécessaire à la résolution des déséquilibres et semblent alimenter les conflits qui ont un grand potentiel de s’envenimer à moyen terme.

 2/ Une crise qui continue est une crise qui s’étend et se diversifie

 La crise actuelle, qui a débuté vers la fin de l’année 2006 avec le problème de renouvellement des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis (les subprimes), s’est officiellement annoncée à l’été 2007 lorsque les adjudications périodiques n’ont pas pu être effectuées comme à l’accoutumée. Ces difficultés se sont accentuées en 2008 par une chute des cours des marchés boursiers et avec la faillite ou la difficulté de nombreux établissements bancaires et financiers d’envergure internationale à faire face à leurs engagements financiers. Cette crise s’est transformée rapidement en une crise monétaire et économique qui touche aujourd’hui non seulement les économies avec des marchés financiers dits développés mais aussi les économies périphériques qui semblaient peu intégrées dans les circuits financiers globaux. La récession subséquente et le creusement des déficits publics ont entériné cette instabilité croissante en 2009 et le produit intérieur brut mondial s’est contracté de 2,2 %. D’une façon globale, le FMI évalue, dans son rapport sur la stabilité financière mondiale en avril 2010, à plus de 4 000 milliards de dollars le coût de la crise entre 2007 et 2010, en additionnant les pertes liées à la dépréciation des actifs financiers américains, européens et japonais. Dans cette estimation, la potentialité de défaut des certificats de dette souveraine (CDS) de plusieurs dizaines de milliards de dollars, détenus par les banques, n’est pas prise en compte.

Les premières difficultés observées dans la situation financière des grands établissements d’origine principalement américaine ou britannique ont rapidement entraîné, directement ou indirectement, des effets de domino en perturbant la visibilité temporelle sur les marchés de la dette. Ainsi, à partir de fin 2009 et durant toute l’année 2010, d’abord la Grèce et ensuite d’autres pays de la zone euro ont commencé à connaître de graves difficultés à refinancer leurs dettes. Les attaques des marchés contre les dettes souveraines se sont amplifiées et ont fait augmenter le coût du financement de ces économies obligeant les gouvernements à s’engager dans des politiques de rigueur alors que la reprise n’était pas au rendez-vous pour permettre aux marchés de prendre le relais dans l’activité économique. On a alors parlé d’un problème de gouvernance, de mauvaises politiques économiques, de laxisme budgétaire et de comportement irresponsable pour ces économies. Certaines fragilités dans les mécanismes de coordination des décisions et des actions dans la zone euro et dans l’Union européenne se sont aussi révélées au grand jour faisant le bonheur des spéculateurs qui ont pu ainsi bénéficier de fortes primes de risque sur les dettes souveraines.

Dans son sillage, cette crise a aussi modifié le comportement de « négligence bénigne » dans lequel se plaisaient les puissances mondiales ; les dettes des unes étant financées par les excédents des autres et l’accroissement des dettes colossales alimentant la croissance économique des économies émergentes mais aussi les bilans des établissements bancaires impliqués dans les opérations de création de richesse financière. Le nouveau régime de croissance a ainsi permis, du moins dans les statistiques quantitatives, le gonflement des comptes des opérations financières de plusieurs entités monétaires mais aussi industrielles sans que la répartition des revenus ne suive la tendance dominante par une création de richesses soutenable au niveau des structures productives et de consommation.

Après trois ans de débats sur les modalités de résolution des déséquilibres à l’origine de la crise, les instances de négociation et de décision internationales se sont enfermées dans leurs positions d’antan, prônant devant le public pour la correction des excès de quelques opérateurs, qualifiés souvent de tricheurs à sanctionner, et s’entendant dans les coulisses sur le principe de conserver les principes fondamentaux d’un système libéral, jugé sans alternative et seul capable d’apporter du bien-être et du progrès. Toutefois, chaque partie restant sur une position défensive dans la lignée de ses propres intérêts immédiats et refusant de considérer les problèmes dans leur globalité et leur interdépendance, l’année 2010 a servi à relancer les conflits dans les transformations des rapports de forces économiques et politiques et a provoqué des inquiétudes sur une probable guerre des monnaies plutôt qu’à aboutir à une entente sur la façon dont on pourrait envisager une coordination internationale qui aurait pour objectif de stabiliser les rapports monétaires internationaux pour la pérennisation des trajectoires de croissance durable.

Dans ce chaos de surface se cachent les fragilités du système économique global, fondé davantage sur quelques principes vagues répétés sous forme de croyances très idéologisées que sur des règles de jeu communes à tous les participants qui donneraient une orientation claire et précise à long terme.

 3/ Absence de coordination et de coopération pertinentes et cohérentes

Dans la quête aux bons mécanismes et institutions de marché, qui seraient souhaitables pour permettre aux économies de se placer sur un sentier de croissance durable avec moins de crises systémiques possibles, deux variables semblent être oubliées :

– le fait que des comportements individuels rationnels visant à améliorer la rentabilité des activités ne se concluent pas trivialement par un résultat macroéconomique cohérent pour l’ensemble de la société (on appelle cela le sophisme de composition) et,

– la particularité de l’environnement actuel qui correspond à un fonctionnement des économies séparées sur un mode d’existence globale, avec des interdépendances très fortes empêchant que les parties qui jouent le jeu toute seule puissent aboutir à des résultats positifs durables.

La conséquence en est double et immédiate.

1/ D’une part, il n’est pas possible de penser la stabilité financière (ni d’ailleurs la stabilité économique au sens général) à partir des seules considérations portant sur les établissements privés, en supposant, comme on le fait depuis les trente dernières années à travers les modèles de régulation dominants, que la sécurité et la stabilité du système entier peuvent être assurées par la sécurité individuelle des acteurs séparés.

2/ Et, d’autre part, les politiques de résolution des difficultés ne sont plus en mesure de rester nationales et non coopératives ; le pouvoir de contrôle des orientations internationales ne relevant plus d’une ou d’un groupe d’économies occasionnellement népotistes et les comportements de cavalier libre ne pouvant plus que créer des conflits ouverts.

La première conséquence mène à une interrogation sur les principes de fonctionnement des économies de marché et sur la façon dont elles pourraient ou devraient être réglementées, régulées, encadrées. La crise actuelle a, un temps, révélé cette question au grand public mais qui a fait long feu, noyée par les rencontres formelles entre les pays du G20 qui ont suffi à donner l’impression que désormais les décisions sérieuses étaient partagées par un plus grand nombre et d’une façon concertée.

Dans cette lignée, la deuxième conséquence, liée à la première, oblige à penser les relations et les solutions dans le sens d’une coordination et d’une coopération internationales.

La coordination est l’acte de disposer selon certains rapports en vue d’une fin. Elle fait donc appel à la détermination d’un objectif suivant un rapport entre les parties. Elle nécessite un principe de rapport, par exemple les réunions en G20, et un objectif commun, par exemple, la stabilité financière internationale pour la stabilité des rapports économiques. La communauté de l’objectif ne signifie pas que les objectifs propres à chaque pays doivent obligatoirement s’effacer devant la cible commune, mais que dans la conservation d’une existence multilatérale et des échanges globalisés, les participants doivent faire l’effort de se conformer à un dénominateur commun qui est la stabilité dans leurs relations.

La coopération correspond à une opération, un travail conjoint entre les parties. Elle exige que les décisions prises d’une façon coordonnée soient appliquées conjointement. Il en découle que toute action anti-crise doit être d’abord fondée sur une identification précise et pertinente des problèmes de fonctionnement des marchés et non sur la reconduction des croyances dogmatiques, même sous la menace d’un retour à des comportements protectionnistes et belligérants. Une fois que cela est établi, l’objectif commun, la stabilité, doit être approchée au travers des instruments et politiques soutenus par toutes les parties. Or, comme Dani Rodrik le remarque, l’absence d’institutions globales, agissant comme un prêteur en dernier ressort ou comme un coordinateur des stimuli fiscaux, semble avoir aggravé la crise et retardé sa résolution. Comme conséquence, les politiques de cavalier libre en matière fiscale, monétaire et de change ont des effets qui débordent les frontières nationales en brandissant la menace de protectionnisme et de guerre des monnaies. Absence de coordination et de coopération finit tôt ou tard par remettre en cause la confiance des acteurs en la capacité d’auto-reproduction du système de par les instabilités qu’elle génère.

Dans un registre plus général, la philosophe Michela Marzano (Université Paris-Descartes) développe, dans son livre Le contrat de défiance, l’idée d’une généralisation de la défiance dans l’ensemble de la société sous la dominance d’une idéologie qui se focalise sur la confiance en soi, autosuffisante et excluant l’autre. Dans cette lignée, il est possible d’interpréter la langueur des économies après la crise dont le paroxysme était supposé atteint en 2009 tandis que les projections de l’année 2010 en traduisent un prolongement décourageant.

La crise du crédit, au sens économique du terme, se transforme en une crise de crédit dans la mesure où la confiance de la société et celle que les individus se témoignent les uns aux autres dans leur coexistence s’effritent et remettent en question le mode de reproduction d’un système particulier. Le monde perd alors, aux yeux de tout un chacun, son attrait d’être le meilleur des mondes possibles car soumis à une incertitude croissante qui détruit la toute-puissance des volontés individuelles. Le repli sur soi, un soi qui devient à la fois fébrile et peureux, domine les rapports ; les pourvoyeurs de fonds, les financeurs des activités, les faiseurs de marché se retirent de la place. Les banques ne font plus de crédit, même entre elles ; les individus ne font plus de crédit même envers eux-mêmes. Les valeurs éthiques de l’économie libérée de ses chaînes collectives s’effondrent, sauf peut-être pour certains économistes. Mais cet effondrement n’est pas de bon augure en ceci qu’il met à mal toute possibilité d’avoir des perspectives d’avenir dans un horizon suffisamment long et dégagé.

Comme John Maynard Keynes le disait, lorsque tout le monde marche du même pas dans le crédit, la croissance est possible. Le problème émerge lorsque l’on devient hésitant et l’on perd confiance en l’avenir. Toute la richesse du monde ne peut alors suffire à faire revenir le calme et la sérénité dans les relations sociales et encore moins dans les relations économiques internationales. Face à cette longue attente et cette inquiétude auto-renforcée, la solution ne peut venir que d’une intervention supra-individuelle organisée et réfléchie, représentative des préoccupations dans lesquelles les membres de la société se reconnaîtraient. Pour ce faire, cette intervention ne devrait pas être perçue comme un outil de récupération et de manipulation des faiblesses présentes au profit des intérêts de groupe mais plutôt comme un effort visant à faire le bilan ouvert et sans parti pris des erreurs du passé. Elle doit être une intervention de soins structurels et non de raccommodage instantané autour de quelques détails formels, sinon la récurrence des crises, au début qualifiées de corrections bénignes des excès de quelques acteurs, peut se transformer en une menace radicale sur le système monétaire. Les expériences des économies émergentes dans les années 1990-2000 constituent des exemples dans ce sens qui vont au-delà des habituelles interprétations en termes des déséquilibres budgétaires ou commerciaux.

Les difficultés actuelles peuvent être pensées à l’aune de ces quelques principes analytiques simples dont le non-respect reproduit, d’une façon récurrente, les affrontements sur le plan monétaire et commercial et la crise mondiale ne fait que ranimer les vieux démons, endormis dans l’euphorie d’une courte période d’enrichissement spéculatif.

 4/ Les affrontements improductifs

 Lorsque les difficultés ne sont pas rapidement résorbées et les déséquilibres internationaux corrigés d’une façon acceptable par le plus grand nombre, les différentes parties préfèrent s’orienter de plus en plus vers des stratégies individuelles et deviennent moins enclines à coopérer avec les autres. Ainsi voit-on circuler, sur la place publique, des déclarations parfois incendiaires et des annonces de politiques économiques franchement unilatérales, au moins aussi unilatérales que les critiques qui sont faites à leur égard.

A l’annonce de la banque centrale américaine, la Réserve fédérale (Fed), au début du mois de novembre dernier, de sa politique monétaire visant à alimenter les marchés en liquidité au travers des rachats de dette du Trésor américain à hauteur de 600 milliards de dollars, en vue de soutenir une croissance, absente au rendez-vous depuis le début de la crise, de nombreux pays se sont immédiatement déclarés hostiles. L’argument principal en était qu’une telle politique monétaire expansionniste renforcerait les déséquilibres non encore résorbés sur les marchés mondiaux tandis que les places boursières ont accueilli cette annonce avec grand enthousiasme, les indices boursiers grimpant à leur plus haut niveau depuis la faillite de Lehman Brothers en 2008. En effet, si suite à une telle politique, le dollar se dépréciait, cela pénaliserait les exportations des autres pays vers les États-Unis. Un tel mouvement pourrait aussi avoir comme répercussion un afflux de capitaux spéculatifs vers les économies émergentes offrant des rendements financiers plus élevés, affectant la stabilité des marchés des pays d’accueil.

Continuant de suivre une politique de change unilatérale malgré les demandes de ses partenaires commerciaux occidentaux pour une réévaluation du yuan, la Chine, par la bouche du gouverneur de sa banque centrale, a remarqué, à l’instar des autorités brésiliennes, qu’une telle mesure, peut-être bonne pour l’économie américaine, serait pénalisante pour l’économie mondiale, situation qualifiée de concurrence déloyale susceptible de miner la confiance internationale dans la reprise économique générale. Le même type de réaction est venu aussi du côté des représentants des pays de l’Union européenne comme la France et l’Allemagne. Or cette décision n’est pas une première puisque depuis 2008, la Fed continue d’alimenter les marchés en liquidité à l’instar des autorités monétaires des autres pays, y compris — pour la première fois depuis une décennie — de celles des économies émergentes, réprimées par des crises répétées dans les années 1990-2000. Qui plus est, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé, début décembre, qu’elle continuerait de fournir des liquidités aux banques, à taux fixe et sans limite quantitative et est restée sur un silence total quant à la poursuite ou non de son programme de rachat des titres de dette des États des pays membres, comme l’Irlande ou le Portugal, pour ne citer qu’eux.

Pourtant, les instabilités sur le marché des changes ne datent pas d’hier. Pour ne considérer que la période récente, depuis le début de l’été 2010, les fluctuations à la baisse du dollar sont très fréquentes face à la plupart des devises émergentes (le yuan, étant fortement indexé sur le dollar, varie globalement dans le même sens que le billet vert). Ces fluctuations nécessitent des interventions massives et continues des autorités de différents pays qui visent à empêcher une appréciation trop forte de leurs devises. L’euro suit aussi une tendance à la hausse contre le dollar après être descendu autour de 1,2 dollar début 2010 suite à la crise de la dette souveraine dans la zone euro.

Parallèlement à ces fluctuations, d’autres affrontements ont lieu sur le front des devises internationales. S’ajoutant aux déclarations, au printemps 2009, de la banque centrale chinoise en faveur de l’institution d’une monnaie de réserve internationale qui soit plus stable que le dollar, certains banquiers russes, comme le président de Vneshtorgbank, Andreï Kostine, sont intervenus en déclarant que le rouble devrait être une monnaie internationale, surtout dans le commerce entre les pays membres de la Communauté des États Indépendants et d’autres économies émergentes. Les avantages d’une monnaie internationale, rappelés dans un article antérieur de la revue, peuvent inciter certaines économies à vouloir utiliser des devises parallèles autres que le dollar ou l’euro. Le retard dans la reprise économique, les flux de capitaux difficilement contrôlables à destination des économies émergentes et la peur d’un retour aux crises monétaires et financières des années 1990-2000 dans les économies en croissance poussent aussi de nombreux pays à envisager des alternatives monétaires comme moyen de règlement international. Mais comme pour l’instant les États-Unis ou l’UE n’ont aucune raison de céder sur ce terrain, la recherche d’alternatives monétaires risque de se transformer en un élément de conflit renforçant la pseudo-guerre des changes, annoncée implicitement comme menace chaque fois que les négociations s’enlisent dans des affrontements d’intérêts.

Certes, techniquement, on ne peut pas parler pour l’instant d’une guerre déclarée des monnaies qui nécessiterait des dépréciations annoncées et des mesures protectionnistes de la part des économies. Mais étant donné que les différentes économies suivent les mêmes objectifs qui consistent à répondre aux déséquilibres globaux par une protection individuelle et qu’une telle stratégie signifie in fine un affrontement frontal avec les autres sans qu’une volonté explicite de coordination et de coopération ne puisse déboucher sur une stratégie collective et synchronisée, le concert des nations se transforme en une course devant le désastre. Chaque musicien veut montrer au public que c’est lui qui joue le mieux et élève le son de son instrument alors que le concert se déroule en orchestre, dont il n’est qu’une partie devant contribuer à la réussite de l’interprétation globale. Le résultat, bien connu des chefs d’orchestre, est une cacophonie dans laquelle le seul son audible est un bruit de plus en plus haut d’instruments qui cherchent pourtant à jouer le même morceau. L’un des chefs en titre, le président du FMI, Dominique Strauss-Kahn, parle alors d’une menace sérieuse de guerre qui, des monnaies, est susceptible de se transformer en une guerre tout court.

Les taux directeurs des banques centrales se situent à des niveaux historiquement bas de par le monde, d’une part pour faire face à la menace d’appréciation des devises et de perte de compétitivité-prix et, d’autre part, pour aider les marchés de crédit à reprendre leur souffle et à accompagner une reprise des activités de production. Mais tant que les incertitudes ne sont pas effacées par des actions collectives visant un horizon long, ces mesures d’aisance monétaire ne semblent pas suffire à ranimer l’atonie générale. Comme Paul Krugman l’avait signalé en 2009, au début de la crise, les plaisanteries avaient libre cours sur les relations économiques entre les États-Unis et la Chine : les Américains disaient que les Chinois leur avaient vendu des jouets empoisonnés et des fruits de mer teints, et qu’en retour, eux, ils avaient vendu aux Chinois des titres frauduleux. Or, c’est une situation difficilement risible pour les ménages américains qui ont perdu leurs maisons et leurs emplois et les ménages français qui se sont retrouvés au chômage, mais aussi pour les exportations chinoises qui ont baissé de 26 % en 2009 ; les autorités chinoises ne savent pas quoi faire des titres qu’elles détiennent, sans parler de la baisse des exportations de certaines économies émergentes vers les pays occidentaux dont le pouvoir d’achat et l’horizon de consommation se sont rapidement dégradés. Sans coordination et coopération internationales, point de solution viable à terme tant les interdépendances sont fortes et structurelles entre les différentes économies et places financières.

  5/ Les sommets pour une coordination monétaire et financière internationale

Depuis une dizaine d’années, la coordination économique internationale est principalement envisagée au niveau du G20, qui avait été créé en 1999 suite aux problèmes monétaires et financiers observés, entre autres, lors des crises asiatique (de 1997) et russe (de 1998), et qui vise à favoriser la concertation internationale à travers un dialogue élargi à des économies émergentes. Cette réunion de vingt pays (plus deux, l’Espagne et les Pays-Bas), est représentative de 90 % du PIB mondial, de 85  % du commerce international et de plus de 65 % de la population mondiale. Le G20 accueille aussi les institutions de Bretton Woods, le FMI et la BM.

Le G20 a fonctionné sur la base d’une réunion par an entre 1999 et 2008, sous forme d’une concertation sans prendre des décisions marquantes sur l’organisation ou la réforme du système monétaire international. Mais l’ampleur de la crise de 2007-2008 a rendu difficile la continuité d’une telle négligence « bénigne » et a obligé les pays membres à établir une feuille de route plus précise et plus prononcée pour de futures réformes. Dans cette lignée, le deuxième sommet de 2008, qui s’est tenu en novembre à Washington, était annoncé comme très innovant dans la mesure où son ordre du jour portait explicitement sur les marchés financiers et l’économie mondiale et dans la mesure où les chefs d’État ou de gouvernement des pays industrialisés et des pays émergents ne s’étaient jamais réunis auparavant pour traiter de ces questions d’envergure mondiale qui restaient l’apanage du G8. Le communiqué final précisait que la crise financière de 2008 résultait d’un manque de coopération économique, des problèmes d’évaluation des risques, des normes comptables disparates et des problèmes de surveillance des marchés. Tout en condamnant le protectionnisme, le communiqué recommandait des mesures budgétaires pour stimuler la demande interne et soulignait l’importance du soutien que la politique monétaire peut apporter dans les conditions appropriées à chaque pays. La question de la réforme du système financier international a été reportée au sommet d’avril 2009. Les vœux préparatoires de ce dernier renvoyaient à la réalisation d’études en vue d’améliorer la transparence et les systèmes comptables, de renforcer le contrôle prudentiel (révision des normes appliquées aux agences de notation, identification des risques liés aux CDS), de renforcer la coopération entre les instances nationales et la surveillance des grands établissements d’envergure internationale. Il était aussi entendu que le renforcement de la régulation devrait être en partie assuré par les efforts du FMI et du Forum de stabilité financière qui étaient chargés de formuler des recommandations sur les risques systémiques susceptibles de provenir des comportements cycliques des marchés financiers.

Le Sommet de Londres en 2009 a dégagé le principe d’augmenter de 1 000 milliards de dollars les disponibilités du FMI et de la BM dont 250 milliards de dollars devraient être utilisés pour relancer les échanges commerciaux. Une décision notable a été de sanctionner les places financières non coopératives (les paradis fiscaux) de façon à inciter les différents États à entrer en conformité avec les règles mondiales d’échange d’informations fiscales. En matière de gouvernance des marchés financiers, le G20 a annoncé un accord visant à mettre en œuvre de nouvelles règles sur les rémunérations des acteurs des marchés financiers (les bonus des traders). Un encadrement plus suivi des fonds spéculatifs (hedge funds) et des activités de titrisation et de hors-bilan des banques a aussi été annoncé comme un objectif. Au-delà de ces quelques vœux pieux, un nouvel organisme mondial de surveillance financière devrait être également institué pour renforcer la prévention des crises systémiques.

Le sommet suivant a eu lieu à Pittsburgh aux États-Unis en septembre 2009. Son objectif était de réformer les mécanismes de régulation bancaire et financière en favorisant la transparence et en améliorant les règles de provisionnement en fonds propres des banques, mais aussi de faire face aux conséquences de la crise des prêts hypothécaires. Toutefois, de nombreuses divergences sont apparues entre, notamment, les États-Unis, la Grande-Bretagne et les pays européens comme la France et l’Allemagne sur les règles prudentielles à mettre en œuvre. Les États-Unis et la Grande-Bretagne restent hésitants sur le renforcement des règles de surveillance et souhaitent conserver leur suprématie et les attraits de leurs places financières. La question des déséquilibres structurels dans le commerce international et celle d’une surveillance des mouvements spéculatifs massifs sur les marchés financiers mondiaux sont continuellement laissées en suspens. Une réunion préparatoire, tenue à Washington en avril 2010, en vue de traiter de la façon de réguler et de surveiller le système financier, s’est soldée par un constat de désaccord quant aux moyens à utiliser.

Après le creusement des déficits publics et des politiques économiques de relance nécessitant des dépenses contra-cycliques, dus notamment à une récession économique dans la plupart des pays, l’assainissement des déficits publics est redevenu la priorité en 2010. Ainsi, le sommet de Toronto en juin 2010 a mis à l’ordre du jour la réduction des dépenses des États en demandant de diviser par deux leurs déficits avant 2013, de stabiliser les dettes publiques et d’augmenter leur épargne. Le communiqué final a aussi demandé aux pays excédentaires d’accroître leur consommation intérieure et laisser leur monnaie s’apprécier.

En effet, l’accumulation des dettes tant publiques que privées constitue une menace réelle sur une éventuelle reprise de l’activité économique mondiale à moyen terme surtout en l’absence de mesures coordonnées pour la croissance mondiale. Certes, grâce aux interventions massives des gouvernements en faveur du soutien de l’activité économique mais aussi des banques en difficultés, les politiques actives de demande, l’absence de mesures protectionnistes et les politiques de facilités monétaires ont permis jusqu’ici de ne pas répéter le scénario de la Grande Dépression de 1929. Toutefois, la plupart des prévisions de reprise, prévue pour l’année 2010 mais non véritablement réalisée et reportée sur les années à venir, reste dépendante du dynamisme des économies émergentes (dont la Chine) et fait des estimations optimistes sur leur croissance alors que nombre d’entre elles commencent à connaître de réelles difficultés (comme le Brésil, la Russie, la Turquie, Singapour, Taïwan, etc.) tant au niveau de leur gestion des flux de capitaux, des taux de change et de leur compétitivité que dans leur compte courant avec la baisse de la demande mondiale depuis fin 2008.

Or, face à cette situation qui ne s’améliore pas, la dernière réunion du G20 à Séoul en novembre 2010, s’est conclue sur un accord à minima en optant pour un transfert de 6 % des droits de vote au FMI des pays développés vers les pays émergents, sur l’acceptation des règles de Bâle III et sur la nécessité d’établir des indicateurs afin d’évaluer les déséquilibres importants dans les relations commerciales qui nécessiteraient des mesures correctives. Toutefois, les membres ont réaffirmé leur volonté de laisser les marchés établir les taux de change sans intervention des États qui viseraient des dévaluations compétitives et des mesures protectionnistes.

 Conclusion

 Avec des marchés de capitaux ouverts, les spéculateurs cherchent à réaliser des arbitrages rapides afin d’obtenir des gains sur les différentiels de taux d’intérêt (ce que l’on appelle le carry trade) et misent sur des taux de change contre les fondamentaux des économies ciblées. De fortes entrées de capitaux spéculatifs dans des économies avec des taux d’intérêt et d’inflation élevés provoquent une appréciation de leur monnaie en réduisant leur compétitivité et en dégradant ainsi leur balance commerciale. Le creusement subséquent des déficits courants alimente dans le temps une évolution macroéconomique qui se conclut souvent par une crise économique généralisée. Se pose alors la question de l’évaluation du degré de soutenabilité des déficits. Dans l’ensemble, ce ne sont pas les déficits en eux-mêmes ni l’insuffisance ou l’excès d’épargne en soi qui posent problème. Le double problème qui préoccupe aussi bien les économies émergentes que les économies avancées est le déséquilibre global des échanges commerciaux et les mouvements de capitaux à court terme déstabilisants car réducteurs de l’horizon des investisseurs à des opportunités immédiates et souvent peu liées à des évolutions probables de long terme des capacités productives. Le comportement de sauve-qui-peut l’emporte sur celui qui consiste à s’ancrer pour construire. Les négociations multilatérales sur les parités et l’intervention coordonnée des autorités monétaires et financières sur les marchés sont alors fondées sur l’objectif d’établir les mécanismes et les modalités qui seraient capables d’enrayer les comportements spéculatifs massifs lorsque les indicateurs macroéconomiques (comme le taux de croissance, le taux de chômage, l’état de la balance courante et de la balance des capitaux) accusent des évolutions instables. Ces interventions, cherchant à remédier à ces instabilités, peuvent avoir des effets correcteurs et réduire ainsi toute raison à la spéculation sur les différentes monnaies.

Les discussions du G20 s’organisent autour de la question d’établir un ordre dans les relations économiques internationales et traduisent la reconnaissance, même implicite, d’un fait crucial : le marché n’est pas en mesure d’assurer l’intégration graduelle et adaptée de toutes les économies dans la globalisation. Les nombreux travaux de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) soulignent qu’en l’absence d’une approche multilatérale, il ne paraît pas possible d’éviter les crises financières internationales dévastatrices, ni de récolter les bénéfices d’une division internationale du travail de plus en plus intensifiée. Il ressort aussi que l’abandon des monnaies aux seuls mécanismes de marché n’est plus un credo sûr puisque les comportements des marchés n’assurent pas trivialement l’alignement des parités des différentes devises suivant l’état des déterminants macroéconomiques de la compétitivité. Il existe de nombreux travaux qui cherchent à offrir des propositions de solutions constructives dans cet esprit.

Les racines de la crise peuvent être identifiées notamment dans :

– les déséquilibres de la demande globale mondiale : les offres et les demandes ne s’égalisent pas automatiquement lorsque les marchés sont plus ouverts et plus libres ;

– la dérégulation démesurée des marchés financiers : il y a une confusion entre la liberté d’agir économiquement et l’organisation des marchés. Ce n’est pas la liberté qui organise spontanément les marchés sur le plan macroéconomique mais c’est une organisation adéquate qui permettrait aux libertés d’exister dans le temps. Ceci fait souvent appel à des mécanismes de régulation et de surveillance macro-prudentiels ;

– la croissance des inégalités : le régime de croissance des trente dernières années a été fondé sur une accumulation des richesses financières sans que le niveau des revenus augmente d’une façon adaptée pour soutenir une demande adéquate. La consommation a alors été fondée de plus en plus sur l’endettement dont une transformation particulière en crise a été observée dans le cas des prêts hypothécaires à risque.

Ces différents facteurs nécessitent une approche globale qui devrait inclure comme objectifs à la fois une nouvelle organisation des règles et mécanismes de la régulation financière pour assurer une plus grande stabilité systémique des marchés financiers, seule capable d’accroître l’efficacité de l’allocation des capitaux, et une nouvelle organisation des relations commerciales internationales qui permettrait une plus grande stabilité macroéconomique et donc une croissance soutenable dans le temps. Bien entendu, ces prérogatives sont dépendantes d’une volonté d’organisation et d’action globales et par conséquent coordonnées sur le plan international (institutions internationales de coordination des supervisions, des interventions, des transferts internationaux, etc.…). En l’état actuel des choses, non seulement les coûts des crises sont financés par la société entière (la socialisation forcée des coûts) alors qu’il s’agit des conséquences des activités privées de marché, mais aussi ce financement ne permet pas de résoudre structurellement les problèmes qui sont engendrés et laisse le futur sous la menace d’une récurrence plus puissante.

Il est évident que les travaux effectués dans ce domaine constituent, quelles qu’en soient leurs limites, une avancée en matière d’élaboration et de propositions ouvertes sur des alternatives envisageables. Mais il n’en reste pas moins que les années écoulées depuis le début de la crise font penser qu’avant de revoir leurs croyances, les principaux décideurs préfèrent laisser au temps le soin d’assainir les déséquilibres puisqu’au fond, ce qui est en cours est ce à quoi on est habitué, alors que le changement comporte toujours une grande part d’incertitude propre à toute aventure dans les eaux inconnues. Mais est-ce toujours le bon choix d’essayer de sauvegarder le statu quo lorsque le risque d’une dégradation profonde et irréparable est grand dans l’inactivisme et le conservatisme ?

Espérons que toutes ces inquiétudes ne sont que des interprétations exagérément pessimistes. En paraphrasant Jean-Antoine de Baïf, je vous fais vœu du peu mais de tout ce que je puis.

 

 

Note:

[1] Enseignant chercheur, Université Pierre Mendès France, Grenoble 2