XIIème session de la CNUCED – Accra, 20-25 avril 2008

143La douzième session de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED XII), qui s’est tenue à Accra en avril dernier, s’est évidemment saisie de la question du financement du développement. Nous reproduisons ci-dessous des extraits du Rapport du Secrétaire général de la CNUCED[1] à cette session qui sont particulière­ment en relation avec le thème de notre dossier, tant au plan de l’analyse que de celui de la politique.

1 – Le paradoxe des flux de capitaux

Depuis quelques années, les flux mondiaux de capitaux se sont inversés sous l’effet du renversement du solde des comptes courants et à mesure que les pays en développement devenaient exportateurs nets de capitaux, et les pays développés importateurs nets. Pour la première fois depuis des décennies, les pays en développement en tant que groupe sont indépendants des marchés internationaux des capitaux. Les excédents de capitaux ont pu être utilisés pour baisser les taux d’intérêt par le biais des politiques monétaires nationales et ont en outre favorisé l’investissement intérieur. Ils donnent aussi désormais la possibilité aux pays “émergents” d’aujourd’hui et de demain d’adopter une gestion dynamique des flux financiers (publics et privés) en provenance et à destination de l’étranger, des ressources intérieures et des politiques budgétaires et monétaires appropriées.

Les tenants des thèses classiques en matière de développement auraient généralement tendance à considérer que ces exportations nettes de capitaux par les pays pauvres pèsent sur l’investissement intérieur. Or, nul ne peut nier que l’investissement intérieur augmente dans les pays en développement exportateurs de capitaux. Ces exportations de capitaux provenant de pays en développement — réputés pauvres en capitaux — et destinées au Nord prospère — réputé riche en capitaux — n’ont pas entamé les capacités qu’ont ces pays d’investir davantage chez eux des sommes plus importantes en capital fixe qu’à aucun moment des trente dernières années, contredisant l’orthodoxie en matière de développement. Il convient donc de repenser les principaux postulats concernant la manière dont les pays en développement peuvent gérer au mieux la relation fonctionnelle entre épargne, investissement, flux de capitaux (y compris l’IED[2] et l’aide publique au développement) et les autres options éventuelles, ainsi que les possibilités que ce dosage d’actions leur offre pour se mettre à niveau.

L’idée, défendue depuis des années par de nombreux spécialistes du développement, selon laquelle les pays pauvres souffrent d’un “déficit d’épargne” chronique qui est dû à l’incapacité des ménages d’épargner et que seules des entrées nettes régulières de capitaux leur permettront de combler, doit être réexaminée à la lumière des résultats enregistrés récemment par beaucoup de pays émergents dans toutes les régions du monde. Ces résultats apparemment paradoxaux, et la marge d’action plus étendue qu’ils supposent, sont le fait surtout de quelques pays en développement puissants bénéficiant d’un accès aux marchés (en Asie, en Amérique latine et en Europe orientale), et ils semblent à la fois durables et envisageables pour d’autres pays émergents. Toutefois, leur pertinence pour des pays très pauvres et d’autres pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire reste à voir.

Cela étant, cette évolution a d’importantes implications pour les politiques de développement et pour l’avenir du marché mondial ouvert, et la notion d’interdépendance dans la présente phase de la mondialisation prend un sens nouveau. Si les pays en développement sont capables de créer (et d’exporter) des capitaux, cela devrait apaiser les craintes des pays développés qui redoutent de plus en plus les répercussions sur leur économie de la délocalisation et de la pénurie de capitaux dans les pays en développement. Ce sont ces facteurs qui sont souvent considérés comme exerçant des pressions à la baisse sur les salaires dans les pays développés. En réalité, le renversement des flux de capitaux semble infirmer ce raisonnement. Des pays en développement comme la Chine et l’Inde ont emprunté un chemin similaire à celui emprunté par des pays comme le Japon et la République de Corée lors de leur développement il y a trente ans: procéder au rattrapage en utilisant des techniques de pointe dans un environnement de bas salaires, en abaissant ainsi le coût unitaire de la main-d’œuvre. Ce modèle, qui associe productivité élevée et bas salaires, permet de brûler les étapes normales de l’évolution technologique et d’améliorer la compétitivité globale en procurant des rentes de monopole temporaires. Il est en plein essor depuis que la dévaluation due à la crise a entraîné une correction des déséquilibres des taux de change des années 90. Il a été démontré que ce dosage d’actions était applicable et adapté aux réalités auxquelles les pays émergents qui ont des excédents de main-d’œuvre et de capitaux doivent faire face dans leur long cheminement vers le développement, sans pour autant aggraver les déséquilibres mondiaux ni nuire au bien-être dans les pays du Nord.

Par exemple, dans un monde globalisé où les horizons des gouvernements et des entreprises s’élargissent sans cesse, on reconnaît de plus en plus que les pays peuvent utiliser à la fois les entrées et les sorties d’IED pour rendre plus compétitives leurs ressources et leurs compétences propres. Dans un cas comme dans l’autre, il est fait l’acquisition d’actifs étrangers (ressources, capacités, accès aux marchés, brevets, marques, compétences entrepreneuriales et institutions). Cela facilite les changements structurels, favorisant ainsi l’avantage comparatif dynamique et renforçant le potentiel de développement d’un pays. De plus en plus, les pays en développement combinent entrées et sorties d’IED. Naturellement, certains d’entre eux sont parfois dans une situation plus favorable pour exploiter ou obtenir de nouveaux actifs au moyen de sorties d’IED, tandis que d’autres feront mieux valoir leur avantage compétitif ou comparatif en encourageant les entrées d’IED, de sorte que le choix varie considérablement d’un pays à l’autre. C’est ainsi qu’au cours des deux dernières décennies, la Chine est passée d’une forte dépendance à l’égard des entrées d’IED à une utilisation relativement plus importante des investissements directs à l’étranger.

 Or, on note aussi que la part de l’IED dans ce processus, en Chine en particulier, est plus grande qu’elle ne le fut autrefois au Japon et en République de Corée. Néanmoins, le fait que malgré des entrées d’IED plus élevées les pays en développement sont plus nombreux à Être exportateurs nets de capitaux nous amène à nous demander si c’est le volume des entrées d’IED en tant que tel qui est important, ou si c’est davantage l’importation de savoir-faire qui l’accompagne. Que le propriétaire d’une usine dans un pays en développement soit un investisseur local ou un investisseur étranger importe peu dans des pays qui ont des excédents de capital. Autrement dit, intégrée dans un train de mesures axées sur le développement, la délocalisation que l’on connaît aujourd’hui n’a pas forcément un impact différent de celui des processus de rattrapage d’autrefois, centrés sur l’imitation et l’importation de technologies. Les effets économiques sont donc plus ou moins identiques qu’il s’agisse de pays en développement ou de pays développés. Et manifestement, les effets de l’IED sur le développement du pays d’accueil dépendent de multiples facteurs, notamment l’importance de la diffusion de technologies entre filiales étrangères et entreprises locales, la création d’effets d’entraînement en aval et en amont et l’impact sur l’investissement intérieur.

Il ne fait aucun doute que le rythme de développement des grands pays émergents peut contribuer à une accélération des changements structurels dans beaucoup de pays, qu’il s’agisse de pays en développement ou de pays développés. Pour ces derniers, le défi japonais des années 60 ou le défi des “petits tigres” des années 80 est remplacé aujourd’hui par le défi chinois ou le défi indien, mais à une tout autre échelle. Comme avant, certains secteurs ou certaines catégories de travailleurs peu qualifiés sont menacés par des concurrents étrangers à bas salaires qui emploient des machines ultramodernes. Nombreux sont les pays où l’on craint que les changements structurels se fassent à une cadence qui dépasse les capacités d’adaptation des employeurs et des employés, ce qui pourrait induire du chômage et une croissance moindre.

Toutefois, rien ne prouve que ce processus ait mis en danger le système de protection sociale ou la croissance des pays développés durant les dix dernières années. Bien au contraire, le fait que les pays développés dont les comptes courants accusent de forts déficits, tels que les États-Unis ou le Royaume-Uni, enregistrent de bien meilleurs résultats en termes de croissance et de création d’emplois que les pays qui présentent de forts excédents, tels que le Japon et l’Allemagne, montre à l’évidence que d’autres facteurs expliquent la performance médiocre de ces derniers.

2 – Les déséquilibres financiers systémiques à l’échelle mondiale et le nouveau mercantilisme

Que des entreprises gagnent des parts de marché aux dépens d’autres entreprises, c’est là un ingrédient essentiel du système de marché ; mais l’idée que des pays se procurent des gains au détriment d’autres pays est beaucoup plus problématique. Tous les pays, de façon simultanée, peuvent augmenter la productivité, les salaires et leur commerce afin d’améliorer leur situation économique générale, mais tous les pays ensemble ne peuvent pas augmenter leur part de marché ou leur excédent en compte courant.

Il est donc préoccupant de voir nombre d’acteurs importants de l’économie mondiale se livrer à une “́course à l’abîme” a pour tenter de gagner des parts de marché. Jusqu’à maintenant, la communauté internationale n’a pas pu s’entendre sur des règles aptes à empêcher la “guerre économique” entre les pays, même si cette guerre est contre-productive à long terme.

Cela a mis en lumière un phénomène que l’on pourrait appeler le “nouveau mercantilisme”. En effet, ce ne sont pas seulement les salaires ou les contributions sociales qui sont comprimés à la baisse pour améliorer la “compétitivité internationale” d’un pays. Bon nombre de gouvernements européens, par exemple, allègent la fiscalité des entreprises et octroient des subventions généreuses aux sociétés dans le but de les attirer. À l’image de ce qui a été fait par une entité régionale comme l’Union européenne ou par une institution sectorielle mondiale comme l’OMC pour empêcher ce type de concurrence débridée, qui est séduisante pour l’acteur prédominant mais ne peut être synonyme de réussite pour toutes les parties prenantes, le monde doit trouver des moyens de limiter la compétition improductive entre les pays.

L’énorme déficit de la balance courante des États-Unis (plus de 850 milliards de dollars en 2006) et l’excédent de plusieurs pays développés et de la Chine témoignent de l’état instable du processus d’intégration mondiale. Face à cette situation, les pressions politiques s’accentuent, au Congrès des États-Unis, pour agir unilatéralement afin d’éviter que le pays ne soit submergé par les produits importés. Paradoxalement, en dépit de toutes les tensions et de bien des négociations, aucun plan d’action décisif n’a été lancé pour réduire les déséquilibres à moyen ou à long terme. Les diverses tentatives faites pour peser sur l’évolution des marchés de devises ont certes abouti à quelques ajustements des taux de change réels des pays concernés, mais la plupart de ces ajustements n’ont pas eu les résultats attendus.

La plupart des crises financières de la période de l’après-Bretton Woods avec des taux de change flottants ont été caractérisées par des différences de taux d’intérêt nominaux, avec les mouvements de portefeuille qui en résultent. En règle générale, l’afflux de capitaux est suffisamment considérable pour augmenter l’attractivité à court terme de la monnaie du pays à forte inflation et entraîner une revalorisation de cette monnaie, ce qui accroît encore le retour sur investissement.

Dans ce qui constitue une faille évidente du système, la réévaluation de la monnaie du pays à forte inflation sape fondamentalement le fonctionnement normal du “mécanisme de change” dans le court terme. Les prix plus élevés sur le marché mondial du pays à forte inflation ne sont pas compensés par une dépréciation nominale, et la revalorisation aggrave la perte de compétitivité de ce pays et, rapidement, la situation de son compte courant.

Si les taux de change ne suivent pas la règle du pouvoir d’achat à court terme et déstabilisent les comptes extérieurs, la seule issue est de faire de cette règle un objectif politique. La présence de “carry trade” (opérations de portage sur les marchés de change) remet en question l’acceptation générale du principe du flottement comme étant la seule solution viable au problème de la balance extérieure. Ainsi, les pressions exercées sur la Chine pour qu’elle laisse flotter sa monnaie pourraient en réalité avoir des résultats inattendus. Les taux d’intérêt chinois étant encore relativement bas, le yuan pourrait être porté vers des places à taux d’intérêt élevé, et il se déprécierait alors, ce qui accroîtrait encore la compétitivité de la Chine. Une telle issue accentuerait donc les déséquilibres mondiaux.

3 – Pour un effort multilatéral dans le système financier mondial

Pour les petites économies ouvertes, et les pays en développement en particulier, un secteur extérieur stable et prospère revêt une importance considérable. C’est la raison pour laquelle le taux de change est la valeur prépondérante dans ces pays, car il détermine la compétitivité globale et a une forte incidence sur le niveau des prix. Afin d’éviter que les pays ne se disputent des parts de marché par le biais des taux de change, du niveau des salaires, de la fiscalité ou des subventions, et pour empêcher les marchés financiers de tirer les positions concurrentielles des pays dans la mauvaise direction, un nouveau “́code de conduite” pour la compétitivité globale des pays est nécessaire.

Ce code de conduite, qui témoignerait d’un nouvel esprit de multilatéralisme dans la gouvernance économique mondiale, devrait équilibrer les avantages revenant à un pays par rapport aux désavantages induits pour d’autres pays directement ou indirectement touchés. Par exemple, les ajustements du taux de change nominal s’écartant des fondamentaux (écarts d’inflation) pèsent sur le commerce international exactement de la même façon que les modifications des droits de douane et des primes à l’exportation. Ces modifications des taux de change réels doivent donc faire l’objet de négociations et d’une surveillance au niveau multilatéral. C’est une institution internationale qui devrait établir pour quelles raisons et dans quelle mesure un écart par rapport aux fondamentaux est admissible, et un organisme multilatéral veillerait au respect de ces prescriptions. Ce n’est que si de telles règles s’appliquent que tous les partenaires commerciaux pourront éviter des pertes ou des gains de compétitivité globale injustifiés, et que les pays en développement pourront échapper systématiquement au piège de la surévaluation, qui a souvent été jusqu’à présent l’un des obstacles majeurs à la prospérité.

Le taux de change de tout pays est, par définition, de nature multilatérale, et toute modification du taux de change, dans des économies ouvertes, produit des externalités et a des répercussions multilatérales. C’est ce qui rend l’idée d’un système monétaire mondial coopératif si convaincante, au même titre que l’idée d’un système commercial multilatéral. À la manière des règles commerciales multilatérales, un système financier mondial bien conçu devrait créer d’égales conditions pour toutes les parties concernées et contribuer à éviter la concurrence déloyale. Il est plus important dans le monde fortement interdépendant d’aujourd’hui qu’à tout autre époque de l’histoire d’éviter les dévaluations compétitives et les autres distorsions monétaires qui ont des effets néfastes sur le fonctionnement du système commercial international.

En ce qui concerne leurs besoins de financement extérieur, les pays en développement peuvent être divisés en deux groupes : les pays à faible revenu (et certains pays à revenu moyen inférieur) n’ayant pas ou guère accès aux marchés financiers, et les pays à revenu moyen ayant accès à ces marchés (souvent appelés pays émergents). Les problèmes sont différents pour ces deux groupes de pays. L’essentiel des financements extérieurs qui vont au premier groupe de pays est constitué de prêts préférentiels, de dons et d’aide publique au développement (APD). La principale difficulté pour ces pays est de mobiliser assez de financement pour les programmes de développement et de réduction de la pauvreté. Les pays du deuxième groupe, par contre, peuvent émettre des obligations souveraines sur les marchés internationaux, et bon nombre sont en mesure de recourir de plus en plus à leur propre marché financier interne, qui se développe. En l’occurrence, la principale difficulté est soit d’éviter la forte instabilité qui caractérise les flux de capitaux privés vers ces pays, soit d’appliquer certaines mesures pour en réduire le coût. Pour pouvoir obtenir des financements, ces deux groupes de pays doivent maintenir leur croissance ou empêcher la remise en cause de leurs acquis récents. Une coopération multilatérale est plus nécessaire que jamais, que ce soit pour des impératifs moraux ou politiques, ou par souci de cohérence financière.

4 – Un financement stable pour le développement durable

La deuxième moitié des années 90 a été caractérisée par une baisse de l’APD, mais cette tendance s’est inversée en 2002 ; dès 2005, l’APD fournie par les donateurs représentés au Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) atteignait 82 milliards de dollars (soit 0,33 % du revenu national brut (RNB) des pays développés). Malgré cette évolution récente, résultant de mesures d’allégement de la dette et d’autres apports financiers exceptionnels, les niveaux actuels et projetés de l’APD restent en deçà de l’engagement pris par les pays du G-8 de doubler le montant de l’aide à l’Afrique d’ici à 2010, et l’aide des pays donateurs en tant que groupe reste inférieure à l’objectif de 0,7 % du RNB qui a été convenu. Même si certains tentent de contester la nécessité et l’impact de l’APD en avançant des éléments et des arguments peu convaincants, l’APD demeure pour bon nombre de pays les moins avancés et de pays à faible revenu la seule source de financement pour tout un ensemble de politiques et de programmes de développement et de réduction de la pauvreté.

L’attribution de l’aide reste pourtant marquée par la sélectivité et l’instabilité. Les 20 premiers bénéficiaires de l’aide ont reçu plus de la moitié de l’APD bilatérale nette, et moins de 50 % des bénéficiaires ont reçu 90 % de la totalité de l’aide, alors que bon nombre de pays à faible revenu pauvres en ont reçu très peu. L’augmentation récente de l’aide s’explique en grande partie par les mesures d’allégement de la dette prises au titre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et de l’Initiative multilatérale d’allégement de la dette (IMAD). Si les mesures de remise de la dette représentaient 5 % de l’ensemble des flux d’APD en 1990, elles en représentaient 30 % en 2006. Un élément clef de l’Initiative PPTE à sa création en 1996 était la notion d’additionnalité. Or, si l’on en déduit la dette remise, l’APD a diminué dès le début de l’Initiative pour atteindre son niveau le plus bas en 1997, et ce n’est qu’à partir de 2003 que la valeur nominale de l’APD après déduction de la dette remise a dépassé son chiffre de 1995 pour s’établir à des niveaux comparables à ceux du début des années 90.

Le fait que plusieurs pays en développement soient devenus des prêteurs sur les marchés internationaux de capitaux révèle des incohérences plus profondes dans l’architecture financière internationale actuelle. Bon nombre de pays à revenu moyen et de pays en développement maintiennent des taux de change sous-évalués et accumulent des réserves internationales parce qu’ils souhaitent pouvoir de faire face à des crises éventuelles sans devoir faire appel aux institutions financières internationales ou devoir se plier aux conditions fixées par ces dernières quant aux politiques à suivre. Le mandat et la place de ces institutions sont donc examinés avec attention, car elles risquent de se trouver marginalisées du fait que des pays en développement de premier plan sont à même de se passer d’elles, soit en comptant sur leurs propres ressources, soit en proposant des institutions de remplacement.

Une réforme des institutions existantes en fonction des nouvelles réalités et la recherche d’un consensus sur des mécanismes de prévention des crises (comme l’analyse de la viabilité de la dette) et des mécanismes de résolution des crises (comme le réaménagement de dette) pourraient contribuer à améliorer l’efficacité et la crédibilité générale du système financier international.Les donateurs peuvent jouer un rôle majeur pour ce qui est d’aider les pays en développement à améliorer leurs capacités de gestion de la dette ainsi qu’à mieux réunir et diffuser des informations relatives à la structure de la dette publique totale.

Au cours des dernières années, le FMI a mis au point un outil, le Cadre de viabilité de la dette (CVD) à l’intention des pays à revenu moyen ayant accès aux marchés financiers, et le FMI et la Banque mondiale ont mis au point conjointement un CVD à l’intention des pays à faible revenu. Si l’objectif principal du CVD à l’intention des pays ayant accès aux marchés financiers est d’examiner les vulnérabilités et de concevoir des politiques visant à réduire la probabilité d’une crise de la dette, le CVD à l’intention des pays à faible revenu vise en outre à guider les décisions pour l’attribution des dons de l’IDA. Si l’importance croissante des emprunts dans le cadre national est souvent reconnue, la plupart des analyses de l’endettement tolérable se concentrent sur la dette extérieure. Un ratio d’endettement global où la pondération des types de dette plus “risqués” serait plus importante que celle des types de dette plus sûrs serait préférable à la pratique actuelle. Avec de meilleures informations sur la structure de la dette et des études plus poussées sur les vulnérabilités découlant des différents types de dette, on pourrait arriver à concevoir un tel indicateur. Des progrès seraient alors possibles dans le domaine de la gestion de la dette, et la probabilité de crises liées à la dette serait réduite gr‚ce à un meilleur suivi des risques.

Le problème principal qui se pose avec le CVD applicable aux pays à faible revenu tient au fait qu’il utilise des seuils d’endettement visant à mesurer pour un pays le risque de crise grave liée à sa dette et à déterminer dans quelle mesure le pays concerné peut prétendre à des dons de l’IDA. D’après ce cadre, le caractère viable de la dette s’apprécie en évaluant conjointement les ratios d’endettement du pays et la qualité de ses politiques (mesurée selon l’indice EPIN (Évaluation de la politique et des institutions nationales). Mais plusieurs problèmes demeurent concernant l’utilisation de l’indice en question. Les seuils sont calculés en utilisant une méthode économétrique dont le résultat n’est pas toujours idéal, du fait que la capacité d’emprunt des pays classés dans la partie haute de chaque catégorie de l’indice peut être sous-estimée, et que celle des pays classés tout en bas peut être surestimée. La notion de qualité de la gouvernance et des institutions est intrinsèquement subjective, et comme la Banque mondiale émet également des recommandations sur les questions de gouvernance, il se peut que l’indice reflète dans quelle mesure les pays donnent suite à ces conseils. Un autre problème tient à l’exactitude de l’indicateur et à la cohérence avec laquelle on en mesure l’application d’un pays à l’autre, et à ce qu’il n’offre pas nécessairement les incitations et les gratifications appropriées aux pays qui ont de mauvais résultats ou qui sont fragiles.

D’autre part, le CVD est fondé sur la primauté du service de la dette et ne prévoit pas expressément d’évaluation des besoins liés à la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement. Comme indiqué dans le rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la suite à donner aux textes issus du Sommet du Millénaire, « Nous devrions redéfinir l’endettement tolérable comme étant le niveau d’endettement qui permet à un pays d’atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement avec l’assurance que les ratios d’endettement n’auront pas augmenté en 2015 ». D’autres considérations ont aussi été avancées à ce propos, notamment par la Commission des droits de l’homme de l’ONU qui s’est attachée à élaborer des directives en matière d’allégement de la dette extérieure, visant à garantir que la nécessité d’assurer le service de la dette extérieure ne compromette pas la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels fondamentaux. Parallèlement, l’attention accrue qui est portée, aux niveaux juridique et politique, à des notions comme celles de dette choquante et de prêt responsable ajoute une dimension supplémentaire à la notion d’endettement tolérable et à son applicabilité selon la définition actuelle.

L’importance croissante de l’emprunt privé par rapport à l’emprunt public est une autre tendance significative dans le domaine du financement du développement. En 1996, seulement 20 % de la dette extérieure à long terme étaient détenus par des emprunteurs privés. En 2006, cette part avait doublé, pour atteindre 41 %. L’essor de l’emprunt privé a été particulièrement important dans la région de l’Europe orientale et de l’Asie centrale. En 2006, les entreprises de cette région se sont endettées à hauteur de 135 milliards de dollars, soit 40 % de la dette privée totale des pays en développement, contre une moyenne de 19 % au cours de la période 1996-2003. La région de l’Europe orientale et de l’Asie centrale est celle dont le ratio d’endettement extérieur est le plus élevé et représente plus du tiers du stock d’endettement global des pays en développement et pays en transition. La dette à long terme (743 milliards de dollars) était due à 89 % des créanciers privés et détenue à 63 % par des emprunteurs privés.

L’accumulation de réserves de change (de l’ordre de 522 milliards de dollars en 2006) a mis les pays de la région relativement à l’abri d’éventuelles tensions futures liées à une crise financière ou à la dette. Il n’en reste pas moins qu’en s’appuyant davantage sur les marchés internationaux, les emprunteurs privés s’exposent peut-être davantage aux risques de taux d’intérêt et aux risques monétaires, ce qui pose plusieurs difficultés du point de vue des politiques. La principale de ces difficultés est d’évaluer le passif éventuel découlant, pour le secteur public, de l’emprunt privé. Les gouvernements doivent être particulièrement attentifs à l’augmentation rapide des emprunts en devises effectués par les banques nationales. Même si rien n’indique que le secteur bancaire dans son ensemble ait emprunté à l’excès au cours des dernières années, certaines banques des pays d’Europe orientale et d’Asie centrale ont emprunté massivement sur les marchés internationaux de capitaux et ont ensuite prêté ces fonds sur le marché intérieur. Cela risque d’entraîner des asymétries de cours soit au niveau des banques, soit dans les bilans des emprunteurs finals, et donc d’accroître la fragilité financière.

La communauté internationale se réunira à Doha en 2008 pour examiner l’application de la série d’engagements pris dans les domaines de la finance, du commerce et de l’investissement dans le cadre du Consensus de Monterrey. Cela devrait permettre de mieux focaliser l’attention sur les interactions importantes qui se jouent entre la dette extérieure et d’autres éléments, nouveaux, impliquant une marge d’action renforcée en matière de politique financière pour les pays en développement. L’un des objectifs majeurs d’une architecture financière internationale mieux adaptée aux réalités du nouveau siècle devrait consister à élaborer des instruments de la dette plus sûrs (obligations indexées sur le PIB ou sur les produits de base, par exemple).

Les institutions multilatérales pourraient jouer un rôle en conseillant des politiques et en incitant certains pays à se doter de ce type d’instrument de façon coordonnée pour permettre des comparaisons. Les banques de développement multilatérales pourraient émettre des emprunts dont les échéances de remboursement soient corrélées à la croissance du PIB, ce qui serait un moyen de promouvoir le principe de l’indexation des paiements de la dette sur les résultats économiques. La structure de la nouvelle architecture financière devrait être centrée sur la prévention des crises sans pour autant ignorer que même un système amélioré ne sera pas exempt de crises, et elle devrait donc aussi prévoir des mécanismes de règlement des crises s’inspirant de l’idée, pour l’heure écartée, d’un mécanisme de restructuration souverain en cas de défaillance.

 

Notes:

[1] Le Rapport « Mondialisation et développement : perspectives et enjeux » est consultable sur le site : <http://www.unctad.org/fr/docs/td413_fr.pdf>.

[2] IED : investissements étrangers directs. Dans d’autres textes, on trouve : IDE, soit investissements directs étrangers. Les deux formulations désignent le même phénomène [ndlr].