Jean Peut-être M’Pélé*
Depuis des temps très reculés, l’or symbolise la richesse, la prospérité, voire la beauté. La société égyptienne antique en a été une grande consommatrice, la première grande civilisation de l’or selon certains historiens. Et sans doute la première puissance conquérante pour l’or que recélait la Nubie voisine. D’autres vieilles civilisations ont aussi été des civilisations de l’or, à l’instar de la civilisation aztèque, voire de la civilisation romaine, dont une partie de l’or provenait, depuis le 8ème siècle, de l’Afrique subsaharienne islamisée, via l’Afrique du Nord. La violence européenne dans les “Indes occidentales” et en Afrique s’explique aussi par la “soif de l’or”. Au prestige traditionnel de l’or, s’est ajoutée à la fin du 19ème siècle (1873) l’instauration de l’or comme étalon monétaire, l’étalon-or, à la place de l’argent, ce qui aggrave la violence coloniale britannique en Afrique du Sud et au Ghana (Gold Coast), par exemple.
Cette fonction monétaire internationale de l’or a duré jusqu’à la réforme du système monétaire international de Bretton Woods, qui s’est étalée de 1967 à 1976 et a démonétisé l’or, supprimant son utilisation comme moyen de paiement entre les pays membres et le FMI ; ceci n’a pas, toutefois, réduit à néant la valeur de l’or dans le système financier international : le Fonds Monétaire International, les États-Unis d’Amérique, les Banques centrales conservent encore de l’or dans leurs réserves. Deuxième place du marché mondial de l’or avec Zurich, la Suisse est le principal raffineur de la production mondiale d’or, dont elle traite 60 %. Certes, seulement 10 % de cette production sert de monnaie ou est transformé en lingots. Mais, l’idée d’un retour à l’étalon-or est quelquefois avancée par certains économistes qui le considèrent plus conforme à la mondialisation néo-libérale que l’hégémonie du dollar étatsunien.
Pour le moment, l’or produit est aussi utilisé, de façon presque équivalente à l’usage financier, dans le secteur industriel (chirurgie dentaire, conduction d’électricité et de chaleur, électronique, isolation, vaisseaux spatiaux, etc.). C’est dans la joaillerie qu’est utilisée la part la plus importante, soit près de 80 %. Son inaltérabilité, conservée dans sa transformation en bijoux jalousement gardés dans quelques coffrets beaucoup plus que portés comme parures, en fait une valeur sûre, pour les temps difficiles ou pour la transmission de la richesse aux héritiers. Autrement dit, la terre est saignée en grande partie pour la parure. Ce qui, selon le bon sens — en raréfaction — relève du gaspillage des ressources naturelles et d’un mauvais usage de l’énergie humaine, au regard des conditions de production de l’or dans certains pays du Sud plutôt que du Nord.
L’or est un minerai dont l’exploitation locale s’effectue aussi bien dans des pays du Nord (Australie, Canada, États-Unis) que dans ceux du Sud, mais les conditions de production ne sont pas tout à fait les mêmes. Il ne s’agit pas d’une différence sur les formes de production dont l’une serait exclusivement artisanale d’un côté et l’autre industrielle, bien que la part de la production artisanale demeure relativement importante, sans être dominante, dans les principaux pays producteurs du Sud en général, d’Afrique subsaharienne en particulier. Car, même dans ce continent peu industrialisé, il existe une importante industrie aurifère, particulièrement en Afrique du Sud qui est, depuis les premières années du 20ème siècle, le leader mondial de la production d’or et dont des entreprises multinationales sont classés dans le top 10 mondial du secteur : Anglogold (Afrique du Sud, AdS), Goldfields (AdSud), Harmony Gold Minings (AdS) et Ashanti Goldfields (Ghana) sont respectivement aux 2ème, 4ème, 7ème et 10ème rang mondial.
La différence se situe plutôt dans les façons de traiter d’un côté les travailleurs du Nord et de l’autre ceux du Sud, voire à l’intérieur d’une société, telle que l’Afrique du Sud, d’un côté les Blancs, de l’autre les Noirs. Ce que révèlent assez bien les luttes menées par les travailleurs des mines d’or en Afrique subsaharienne, en Afrique du Sud, au Ghana et au Mali, les trois principaux producteurs du continent.
Leadership sud-africain et combativité des mineurs
De l’histoire de l’Afrique du Sud au 20ème siècle, on retient surtout le régime d’apartheid. Mais ce qui l’est beaucoup moins, c’est le rapport entre l’apartheid, devenu constitutionnel en 1948, et la situation économique particulière de l’Afrique du Sud depuis le début de l’exploitation des mines d’or et de diamants à la fin du 19ème siècle. Sans cette découverte, en effet, le destin de l’Afrique du Sud n’aurait pas été le même : il n’y aurait eu ni immigration européenne massive, ni Guerre des Boers, ni industrialisation, ni processus de systématisation de la discrimination raciale, etc. Le rang de premier producteur mondial d’or, est acquis dès 1886 — dans la période coloniale britannique et en un temps où l’or était l’étalon monétaire international — et est conservé jusqu’à nos jours, mais en passant, d’au moins trois-quarts à environ 14 % de la production mondiale. Cette position est, à la fois, la cause et la conséquence des ci-devant caractéristiques de l’histoire sud-africaine.
La découverte de l’or a indéniablement aiguisé l’appétit impérial britannique en Afrique du Sud et ainsi développé les frictions entre, d’une part, les fermiers boers (descendants des colons hollandais qui s’étaient installés en Afrique du Sud au 17ème siècle), hostiles à la “modernisation” de l’économie et de la société coloniales et, d’autre part, les colons d’origine britannique, comme Cecil Rhodes et les autres chercheurs d’or (les Uitlanders). Une tension qui a abouti à la fameuse guerre des Boers. Cependant, c’est à l’issue de cette guerre qu’est né le consensus des “ Blancs ” concernant la discrimination raciale envers les “Noirs” et qui a été l’un des facteurs de la croissance de l’économie sud-africaine.
En effet, les différentes lois ayant précédé et suivi l’instauration constitutionnelle de l’apartheid ont consisté à organiser la disponibilité contrainte des “Noirs” à vendre leur force de travail à un coût très bas, aussi bien dans les plantations, les services que dans les mines, dont celles d’or, colonne vertébrale de cette économie. Car, c’est autour de l’exploitation minière que se sont constitués les autres secteurs dynamiques de l’économie sud-africaine, évitant ainsi le piège de la monoproduction, caractéristique de la quasi-totalité des économies africaines, y compris minières. C’est ainsi, en toute logique, que le secteur minier, où les conditions de travail sont parmi les pires (chaleur excessive, risques d’accidents mortels, intoxications) a été un lieu d’opposition décisive à la discrimination sociale et raciale, comme l’a montré la grève organisée en 1987 par la National Union of Mineworkers — la NUM, née 5 années auparavant — qui a provoqué une hausse du cours de l’or, mais a aussi révélé la crise de ce régime d’accumulation économique basée sur l’instrumentalisation tragique des différences raciales.
Cependant, pour les mineurs, la fin de l’apartheid constitutionnel n’a pas signifié dans les faits une amélioration des conditions de travail et de vie. Ils ont en grande partie continué à habiter des hostels, ces dortoirs pour travailleurs d’origine rurale, d’où est exclue toute possibilité de vie familiale. Une politique de logement du temps de l’apartheid qui a été conservée par les entreprises avec le soutien passif des régimes post-apartheid constitutionnel et qui est l’une des explications des taux particulièrement élevés de prévalence du HIV / SIDA et de la mortalité consécutive parmi les mineurs. Ainsi, la NUM, dont l’un des fondateurs, Cyril Ramaphosa, est l’un des principaux bénéficiaires du black empowerment en devenant l’un des représentants de la nouvelle bourgeoisie noire, n’a pas perdu sa combativité. Ce qu’ont constaté les entreprises leaders du secteur (Gold Fields, Anglogold et Harmony), depuis la remontée du cours de l’or, après la baisse des cours sur le marché mondial en 1998-1999 et qui s’en sont servi comme prétexte pour licencier massivement et être relativement sourdes aux revendications des mineurs noirs (hausse des salaires, augmentation de la durée des congés annuels…), alors que malgré la baisse de la production, les profits demeuraient importants. Ainsi, face à la détermination du patronat minier de respecter le principe néo-libéral de réduction des coûts de production mais de croissance des profits, par refus de partager les fruits de celle-ci, la NUM a-t-elle réagi en 2001 en déclenchant la grève dans les mines concernées. Ce qui a fini par faire céder, partiellement certes, le patronat minier représenté par la puissante Chambre des Mines, une institution héritée de l’apartheid pré-constitutionnel. Quatre ans plus tard, les relations patronat – syndicat ne s’étant pas améliorées en matière d’attention accordée aux revendications des mineurs, la NUM a dû recourir de nouveau à la grève pour obtenir du patronat la satisfaction de ses revendications[1].
Parmi les principales revendications figuraient l’arrêt des licenciements pour cause de « restructuration » (selon le jargon néo-libéral)[2] et la hausse salariale de 20 % pour tous les mineurs du secteur aurifère[3]. Ce qui semblait déraisonnable pour la Chambre des Mines, déterminée au départ à ne pas céder au-dessus de 3 %. Détermination contre détermination, la grève décrétée illimitée a été effective dans toutes les mines. Par ailleurs, l’appel lancé par la NUM a été soutenu par l’United Association of South Africa (UASA) et, fait inédit, dans l’histoire de l’Afrique du Sud, par le syndicat Solidarity, réputé être le syndicat des Blancs travaillant dans les mines. Ce qui est un dépassement pratique de la ségrégation en la matière, ségrégation qui a bien précédé l’institution de l’apartheid. À titre de rappel, c’est en 1927, par exemple, que, en réaction au développement du premier syndicat noir, l’Industrial and Commercial Union (ICU) en construction à partir de 1917-1918, a été adoptée le Mines and Works Amendment qui interdisait certains emplois aux Noirs, les réservant aux Blancs ; cette loi a été renforcée en 1944 par l’Apprenticeship Act n° 37 qui privait les Noirs de la formation pouvant leur permettre de prétendre à certains emplois. L’adoption en 1956 de l’Industrial Conciliation Act, interdisant les syndicats ouvriers mixtes, a plutôt consacré un état de fait.
Cette unité d’action syndicale entre la NUM, Solidarity et l’UASA, constitue un pas important dans le dépassement pratique de l’apartheid dans le monde du travail, qui avait pourtant officiellement été amorcé en 1987. Elle a indéniablement contribué à la paralysie de ce secteur économique demeuré important, en dépit de la baisse effective de la production, qui est passée de 1 000 tonnes dans les années 1970 à un peu plus de 600 tonnes en 1992 et est estimée à un peu plus de 400 tonnes en 2007. Toutefois, l’or demeure encore l’une des principales exportations sud-africaines et la manne de l’industrie sud-africaine. Ainsi, pour ne pas prolonger cette perte d’argent, le patronat sud-africain avait-il fini par céder. Par exemple, la Harmony Gold Mining Company Limited, d’où est parti, fin mars 2005, le mouvement revendicatif, a établi un compromis avec la NUM en ce qui concerne la hausse des salaires (à partir de 6 %) sur deux ans, pour 2005 et 2006[4].
Une telle issue à la grève a été possible en Afrique du Sud du fait d’une conscience syndicale assez élevée, de façon générale, forgée dans la lutte contre l’apartheid. Les syndicats du secteur de l’or n’étaient pas, d’ailleurs, les seuls à revendiquer. Au même moment ceux des secteurs du platine, du diamant négociaient avec fermeté avec le patronat, et ce, malgré l’évolution de la direction de la principale centrale syndicale, la COSATU liée aux gouvernements de l’ANC et à la bourgeoisie. Cependant, la lutte menée presqu’au même moment par les mineurs ghanéens, dont l’un des principaux employeurs, AngloGold Ashanti d’origine sud-africaine, pousse à penser qu’il s’agit d’une combativité liée au secteur quel que soit le pays, ce que confirme aussi le cas du Mali, producteur bien moindre comparé à l’Afrique du Sud, voire au Ghana, où malgré l’inexistence d’une tradition d’exploitation industrielle de l’or, les mineurs font aussi preuve de combativité, différemment certes.
L’exploitation industrielle de l’or malien
La présence des multinationales
L’exploitation de l’or au Mali a longtemps été le fait des orpailleurs. Une tradition qui remonte aux temps anciens, de l’époque du Moyen-âge européen. Une partie de l’or malien serait ainsi arrivée dans l’Empire romain, à travers les commerçants arabes. L’un des empereurs du Mali, Kankan Moussa, est resté célèbre pour avoir offert des cadeaux en or sur le chemin de la Mecque. Mais, c’est à partir des années 1990 que le Mali est entré dans la phase de production industrielle, avec l’arrivée des multinationales sud-africaines et australiennes telles qu’Anglogold, Ashanti Goldfields, Randgold qui ont constitué des joint-ventures avec l’État malien et la Société Financière Internationale (SFI, du groupe de la Banque Mondiale) pour l’exploitation des mines de Sadiola, Syama et Morilla. Le Mali est devenu le 3ème producteur d’or en Afrique et l’or est devenu, ces dernières années, le principal produit d’exportation malien, avant même le coton. L’exploitation minière industrielle est aujourd’hui considérée comme l’un des facteurs du développement à venir du Mali, par les recettes qu’elle génère pour le Trésor malien, les emplois et les infrastructures créés par les entreprises minières dans les villages miniers. Après une dizaine d’années de croissance de la production, en dépit de la faillite de la doyenne, la SOMISY (Société des Mines de Syama), les attentes semblent satisfaites pour la Société d’Exploitation des Mines d’Or de Sadiola (SEMOS, dont la répartition des parts était au départ de 40 % pour IamGold, 40 % pour Anglogold et 10 % pour l’État malien ; chacun des trois actionnaires a, par la suite, remis 2 % de parts à la SFI, devenue 4ème actionnaire avec 6 %) et pour la Société malienne d’exploitation d’or de Morilla (SOMADEX, filiale du groupe français Bouygues, sous-traitant d’Anglogold (40 %), de Randgold (40 %) et de l’État malien (20 %)). Il n’en va pas de même pour les communautés villageoises et les mineurs dont les attentes semblent inégalement déçues. L’exploitation de l’or a certes engendré des emplois et des infrastructures sociales (dispensaires, écoles), mais elle a, par ailleurs, produit d’autres problèmes environnementaux et sociaux sur et autour des sites de production.
En matière environnementale, les communautés villageoises sont confrontées à la pollution des cours d’eau et de l’air par l’arsenic, le cyanure et autres produits à la toxicité évidente, abusivement utilisés dans les mines. Le co-actionnariat privé – public aidant, le respect des normes internationales en la matière semble échapper à tout contrôle véritable, comme le laisse entendre l’association Les Amis de la Terre sollicitée en 2001 par l’Association des Ressortissants de la Commune de Sadiola en France (ARSCF) pour une mission d’enquête : « Les chiffres avancés semblent très satisfaisants, mais ils ne sont étayés concrètement par aucun résultat. Malgré nos demandes réitérées, il nous a été impossible d’obtenir les rapports des analyses effectuées. La SEMOS ne fournit aucune preuve concrète permettant de vérifier ses affirmations. Cela est particulièrement problématique compte tenu de l’importance manifeste qu’a ce sujet pour la population »[5]. Des cas de mort de bétail ont été constatés suscitant l’ire des communautés pastorales, déjà victimes de la restriction des terres induite par l’appropriation privée de l’espace minier : les zones d’exploitation, de traitement, les zones de résidence des personnels (direction non malienne, encadrement malien et mineurs)…
Socialement, les communautés s’attendaient à plus de création d’emplois. Mais, le marché du travail a été soumis à la raison bureaucratique et à la pratique traditionnelle des entreprises sud-africaines en la matière : la majorité des travailleurs est constituée d’étrangers. Ce que n’admettent pas les communautés villageoises confrontées au chômage des jeunes et auxquelles avait été promise la préférence nationale en matière d’emplois non qualifiés. Une autre source de tensions entre les entreprises d’exploitation et les autochtones qui se sentent floués par les investisseurs étrangers et leur propre gouvernement actionnaire minoritaire dans toutes les sociétés d’exploitation. D’où, le bras de fer entre les représentants de la communauté villageoise, celle de Sadiola par exemple, et la direction de l’entreprise pour un quota d’emplois qualifiés et non qualifiés à respecter pour les autochtones et pour le respect des normes environnementales.
Multinationales et droits des mineurs
Une des caractéristiques du néo-libéralisme c’est la détermination à lutter contre la baisse du taux de profit, ce qui implique le non-respect ou la révision à la baisse des droits des travailleurs. Dans le cas de l’exploitation aurifère au Mali, les salaires des mineurs paraissent nominalement supérieurs à la moyenne nationale. Mais, le petit commerce ayant prospéré autour des zones minières, il a adapté les prix aux revenus, affectant ainsi le pouvoir d’achat de ceux et celles qui n’en sont pas les salarié-es. Par ailleurs, cette situation relativement privilégiée est liée à une quasi-absence de respect des normes de protection des mineurs contre l’intoxication au cyanure et autres produits toxiques et aussi à des cadences de travail très élevées. Car afin de mieux tirer profit de la Convention d’exploitation qui les exonère de charges fiscales pendant les trois premières années d’exploitation, les entreprises imposent aux mineurs un dépassement de la production prévue. Ce qui a fini par ne plus être accepté par les travailleurs. Il en a été ainsi à la Somisy, à la Semos et à la SOMADEX. C’est la lutte menée par les travailleurs de celle-ci qui est devenue emblématique.
Cette entreprise française de sous-traitance appartenant au groupe Bouygues a, au départ, imposé à ses salariés une journée de travail de douze heures, puis l’a ramenée à huit heures, six jours sur sept dans la semaine. Ce qui lui a permis de produire en trois ans quatre-vingt-trois tonnes d’or alors que la convention d’exploitation avait fixé la production à onze tonnes par année, la réserve de la mine ayant été au départ évaluée à cent vingt tonnes. Autrement dit, cinquante tonnes soit, un peu moins de la moitié de la réserve ou près de cinq ans d’exploitation ont échappé au Trésor public du Mali, qui doit se contenter de la part qui lui est dévolue en tant qu’actionnaire. L’État malien n’est pas le seul perdant dans l’affaire. Les mineurs, producteurs de cette plus-value n’ont pas eu droit aux primes de dépassement de la production prévues par la convention collective en vigueur. Par ailleurs, la direction de l’entreprise, avec l’aide de certains cadres maliens, procédait à la falsification des contrats de travail, ce qui permettait de licencier sans avoir à payer conséquemment aux travailleurs leurs droits. La pratique de la falsification des contrats a été aussi constaté au niveau de la SEMOS.
Ainsi, après qu’une grève menée en 2003 ait abouti à une réduction de la journée de travail à huit heures, les revendications de paiement des primes indexées sur le dépassement de la production et d’établissement des contrats de travail selon les règles en vigueur, ont été mis à l’ordre du jour par les travailleurs[6]. Confrontés jusqu’en juin 2005 à la surdité de la direction de l’entreprise, en dépit de l’avis de la justice malienne, favorable aux mineurs, les travailleurs représentés par la Section Nationale des Mines (SECNAMINES) de la centrale syndicale Union Nationale des Travailleurs du Mali (UNTM) ont décrété une grève de soixante-douze heures (5-7 juillet 2005). À l’issue de cette grève, dix-sept travailleurs mis à l’index comme meneurs ont été licenciés, pour désertion de poste de travail. Ce qui a davantage suscité l’ire des travailleurs qui, par solidarité avec leurs camarades licenciés pour grève illégale et face aux manœuvres dilatoires de la direction syndicale, ont mis en place un comité syndical qui a décrété une grève illimitée. Par réaction, les trois cents mineurs sur cinq cents qui s’étaient mis en grève ont été à leur tour licenciés et quelque temps après ont été rejoints par ceux qui avaient repris le travail. Cette reprise du travail considérée par la direction de l’entreprise comme un signe de faiblesse, s’était ainsi accompagnée d’une dégradation des conditions de travail (révision à la baisse de leurs contrats de travail avec perte des droits acquis).
Pour parvenir à ses fins, face à la détermination des mineurs revendiquant le paiement de leurs droits, la direction de l’entreprise, avec la complicité de certaines autorités locales, a procédé à la criminalisation des dirigeants syndicaux en les accusant d’actes de banditisme qui semblent avoir été montés de toutes pièces. Ce qui a permis l’arrestation, en septembre 2005, de trente-deux d’entre eux dont vingt-trois ont été remis en liberté et neuf demeurent encore en prison à Sikasso. Sans compter le secrétaire général du Comité syndical, entré dans la clandestinité depuis le déclenchement de la répression par les pouvoirs publics en septembre 2005. Ainsi, plus d’un an et demi plus tard ces mineurs sont-ils au chômage et plongés avec leurs familles dans la misère.
Malgré la publicité faite localement par la radio communautaire Kayira, par exemple, et par les milieux altermondialistes [7] à la situation de ces mineurs maliens, leur lutte semble ne pas intéresser les syndicats sud-africains et ghanéens (voisins du Mali) confrontés aux mêmes multinationales (sud-africaines). Mais, si elle n’a pas encore abouti, c’est surtout à cause, d’une part, du manque de solidarité de la direction de l’UNTM qui semble s’être limitée à l’appel à la réintégration de tous les travailleurs illégalement licenciés au Mali, lancé en novembre 2005 ainsi que, d’autre part, à la nature du partenariat entre les multinationales et le gouvernement malien, qui semble avoir choisi la défense des intérêts des investisseurs plutôt que le respect des droits des travailleurs, fussent-ils malien(ne)s.
Notes:
* , Université de Lausanne.
[1] Paul van Eeden, « Strikes at South African gold mines dot not mean higher prices », 1° avril 2005, <www.paulvaneeden.com>.
[2] Consulter par exemple le site de l’entreprise Harmony, « Harmony and Num reach agreement on Free strate restructuring », Johannesburg, 19 juillet 2005, « Harmony and NUM agree to two-years wage settlement », 11 août 2005.
[3] Alors que la NUM exigeait au départ une hausse des salaires de 20 %, Solidarity et l’UASA s’en tenaient à 12,3 %. De son côté le patronat proposait 2,5 %, puis 3 %, Cf. Charlotte Matthews, « Bumpy ride for wage talks in gold sector », Business day 18 juillet 2005, <http://www.businessday.co.za/articles/topstories.aspx?ID=BD4A69946>.
[4]-« Harmony and NUM agree to two-years wage settlement », art. cit.
[5] Les Amis de la Terre, Rapport de mission d’enquête sur la mine d’or de Sadiola, janvier 2003,
[6] <www.grevistesmorila.africa-web.org>.
[7] Par exemple, Communiqué de No Vox, « Le pillage de l’or au Mali : 31 mineurs de la multinationale Bouygues et sa société la SOMADEX en grève depuis deux mois et 9 mineurs incarcérés », 20 février 2006.