Jean-Simon Tabournel*
« Le problème économique du pouvoir (…) constitue le problème de base de l’Économie politique, et, pourtant il est passé sous silence ou traité conventionnellement par l’Économie qui est devenue, sous tous les régimes, une science de l’exécution des décisions, le plus souvent indiscutées, des Princes et des Patrons. » Jacques Austruy, Le prince et le patron[1]
Coopération (Petit Larousse Illustré 1973) : méthode d’action économique par laquelle des personnes ayant des intérêts communs constituent une entreprise où les droits de chacun à la gestion sont égaux et où le profit est réparti entre les seuls associés au prorata de leur activité.
Coopération (Petit Larousse Illustré, grand format 2004) : même définition, mais le mot « profit » est remplacé par « l’excédent de gestion ou d’exploitation ».
Ainsi une coopération (« travail ensemble ») implique (au moins) des intérêts communs et une égalité (plus ou moins feinte ou réelle) dans la conduite des affaires.
À l’échelle macroéconomique, cette communauté d’action peut connaître une plus ou moins grande intensité, une plus ou moins grande profondeur : on peut se limiter à des échanges commerciaux, on peut mettre en œuvre des politiques structurelles relativement coordonnées, on peut même conduire une politique d’intégration.
Ce sont ces phénomènes qu’il nous faut analyser — afin de préciser et d’éclaircir le sens des concepts — en essayant de saisir, en interaction, la dimension économique et la dimension politique et institutionnelle (I).
Il nous faudra ensuite déboucher sur des exemples de stratégie qui illustreront la tension entre les exigences de certains acteurs et la capacité de réponse de leurs « partenaires » (II).
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I – Deux outils de relations internationales : une nécessaire clarification
La coopération, qui est plus que la concertation sur une question précise, peut se définir comme une modalité de relations inter-étatiques, qui implique la mise en œuvre d’une stratégie à moyen terme ou à long terme, et capable de rapprocher, dans des secteurs bien déterminés, les activités des unités concernées — grâce à des institutions légères mais permanentes. Cette coopération ne met pas en cause l’indépendance et la souveraineté des partenaires[2].
En conséquence, les deux principes fondamentaux sur lesquels repose la coopération sont :
– en premier lieu, le principe de souveraineté et son corollaire l’égalité des États ;
– en second lieu, le principe du consensus, c’est-à-dire la nécessité d’obtenir l’accord de toutes les parties intéressées, conséquence directe de l’adoption du principe de souveraineté.
Ce qui signifie qu’il ne peut y avoir de coopération sans respect de l’égalité souveraine des États, sans respect de la sphère d’autonomie des partenaires et de leur indépendance économique relative, sur la base des avantages mutuels (jeu gagnant – gagnant), et sans la volonté de régler problèmes et différends par voie de négociation, de recherche d’accord et de consensus, y compris lorsque ce dernier se traduit par une absence de vote et d’opposition.
On le voit, la coopération peut être ouverte et franche, elle peut aussi cacher toutes sortes de rancœurs ou de jalousies, tant elle repose sur l’exaltation de la souveraineté étatique, « non dépeçable » selon l’expression de Jehan Bodin dans La République (1576).
On sait aussi que la coopération revêt de multiples modalités, selon son étendue, son contenu, la manière dont elle est plus ou moins institutionnalisée, le nombre de partenaires qui y sont engagés et la nature profonde de leurs pouvoirs respectifs.
Toutes ces réflexions nous permettent de mieux insister sur la grande divergence qui peut exister entre discours et réalité, et sur la complexité qu’il y a à vouloir juger (ou, au moins, jauger) de politiques dont les acteurs peuvent être aussi différents et avoir des arrière-pensées aussi variées. De là une difficulté permanente à mettre en œuvre des stratégies de coopération efficaces. Bien que, depuis une trentaine d’années, le droit international de la coopération n’ait cessé d’enregistrer des réalisations et des progrès, au moins formels : entre divers États, entre États et Organisations internationales, entre diverses Organisations internationales, avec surgissement de chartes de toutes sortes, toutes plus ou moins respectées…
Au-delà de la coopération, l’intégration implique des conditions spécifiques, économiques et politiques, de réalisation des expériences, et la prise en compte des cadres géographiques, sociologiques et écologiques au sein desquels ces expériences sont conduites.
Acte volontaire et donc politique, donnant naissance à une nouvelle géopolitique et à une nouvelle géo-économie, l’intégration induit une dynamique au sein de laquelle s’imbriquent diverses composantes aptes à remodeler les caractéristiques de l’espace dans lequel s’opère le processus, et ce remodelage s’affirme à travers la présence de programmations et de planifications régionales, ce qui n’occulte pas les rapports de force entre partenaires[3].
Cette intégration, processus de modification des structures politiques et socioéconomiques, tend à substituer de nouvelles unités géopolitiques à un morcellement d’unités indépendantes les unes des autres ; ces nouvelles unités sont dotées au minimum du pouvoir de décision dans leurs domaines de compétence, et tentent de susciter une adhésion et une allégeance des populations afin que celles-ci puissent participer au maintien et au développement des nouvelles constructions institutionnelles[4].
On peut avoir une approche un peu linéaire et mécanique de l’intégration, que nous présentons en cinq étapes :
– zone de libre-échange, avec suppression des restrictions quantitatives et des droits de douane entre acteurs, chacun des pays membres maintenant son tarif douanier envers l’extérieur ;
– union douanière, qui, au-delà de la suppression des restrictions aux échanges, implique un tarif douanier extérieur commun ;
– marché commun : suppression des obstacles aux échanges commerciaux internes, et libéralisation des mouvements de capitaux et de main d’œuvre au sein de la zone ; mise en œuvre de quelques politiques “communes” ;
– union économique : un marché commun, auquel s’ajoute la dynamique d’une harmonisation plus ou moins accentuée des politiques économiques et sociales ;
– intégration économique totale, voire union supranationale, qui fait intervenir l’unification des diverses politiques. Ce ne sont plus des politiques “communes”, ce sont des politiques “uniques”. Dans des domaines précis, les États renoncent complètement à leur souveraineté au profit d’une autorité supranationale, véritable système d’autorité politique de commandement. A ce degré d’intégration, à l’évidence, les dimensions économiques sont étroitement interdépendantes des dimensions politiques.
Cette liste des cinq étapes, qui est celle de Bela Belassa[5], a le mérite de la clarté et montre une progression continue vers toujours plus d’intégration.
Certes, ces éléments ne se présentent pas toujours dans l’ordre indiqué, et il faudrait certainement analyser avec plus de finesse chacune des étapes, et faire apparaître l’évolution des structures institutionnelles et géopolitiques, mais cette grille d’analyse nous paraît positive car elle appelle précisément à mieux “cadrer” le processus en s’interrogeant sur les enjeux et les spécificités des étapes et de leur interdépendance dynamique.
Une autre approche, indispensable, est celle de Jean Barrea, qui met l’accent sur le « core area » (noyau dur, au cœur de l’intégration) qui joue un rôle essentiel dans le processus engagé : c’est ce noyau dur (à un acteur, ou deux ou trois partenaires) qui initie, lance, assure la trajectoire, montre l’horizon, la visée, et tient souvent à bout de bras le mouvement à long terme[6].
Certes, là encore, il faut analyser la nature des décideurs, des États, des élites, mais aussi des formations sociales, des « classes d’appui » des élites, selon le terme de Gaetano Mosca. Mais cette analyse de Jean Barrea montre clairement que tout processus d’intégration est fondamentalement politique, car il innove dans tous les domaines concrets des stratégies mises en œuvre, et repose d’abord sur une volonté « d’inventer des sociétés neuves » (François Perroux).
Le politologue Karl Deutsch[7] distingue deux types d’intégration : l’un est par amalgame, l’autre est pluraliste.
L’amalgame, ou fusion, renvoie à l’union économique et politique totale et supranationale.
Le pluralisme, même avec une autorité supranationale, n’implique pas l’union étroite et le brassage mais permet (encore) aux acteurs de renforcer leur rapprochement tout en sauvegardant leur identité profonde, leur indépendance dans des domaines jugés (encore) souverains, et l’essentiel de leur souveraineté politique.
L’intégration par amalgame requiert la réunion des conditions suivantes : adhésion des populations concernées aux mêmes valeurs politiques ; accord sur les avantages que l’on va trouver à une éventuelle union ; densité et intensité de plus en plus fortes des échanges de personnes, d’idées, de produits ; les partenaires se connaissent assez pour prévoir et piloter mutuellement leurs comportements ; adhésion à des institutions communes ; allégeance à l’unité et à la cohésion de la communauté politique ; attention prêtée par les gouvernants aux besoins et messages suscités par les populations.
L’intégration pluraliste soulève moins de problèmes : les valeurs essentielles doivent être non contradictoires, les élites réagissant de façon adéquate aux sollicitations des gouvernements intéressés ; les partenaires peuvent prévoir et maîtriser leurs réactions dans des domaines (peu nombreux) d’intérêt commun ; la guerre doit devenir improbable entre les parties contractantes…
L’intégration par amalgame, animée par un core area, noyau dur déterminé, peut aller rapidement de l’avant ; mais elle est très vulnérable : la déstructuration rapide des conditions de production et de vie sociale, la brutalité des mutations sociétales, le poids des mutations économiques, l’incapacité (possible) des pilotes à répondre aux besoins, appels ou exigences de leur environnement socio-économique, peuvent amener à un désenchantement (au moins) ou à une désorganisation de la dynamique d’intégration (au pire)[8].
Toutes ces réflexions autour de concepts opératoires nous paraissaient nécessaires pour mieux faire apparaître la complexité et la fragilité de ces processus d’intégration : difficile, pour une intégration économique, de ne pas déboucher sur une intégration politique ; difficile aussi, pour une intégration pluraliste de ne pas se laisser aller aux sirènes de l’intégration par amalgame…
Doit-on ajouter, pour être plus complet et honnête, que ces stratégies à forte connotation économique dépendront (aussi) de la nature des partenaires qui s’y impliquent.
Quelques items à retenir, qui sont autant d’interrogations et d’enjeux :
– À quelle conception d’État a-t-on affaire ?
– À quel système idéologique cet État fait-il référence ?
– À quel système socioéconomique appartient-il ?
– Quelle est sa base sociale ou sa formation sociale ?
– Quelle est la nature de ses élites et des classes dirigeantes ?
– Y a-t-il ou non fracture dans le fonctionnement de la société ?
– Quelle est la spécificité de ses infrastructures techno-économiques ?
Autant de questions qui permettront de mieux approcher et de mieux cerner la logique concrète qui conduit de telles intégrations, et la visée à long terme dans laquelle s’inscrivent ces stratégies.
Ainsi une coopération peut ouvrir à des investissements réciproques relativement équilibrés ; mais une volonté prédatrice peut imposer des phénomènes de domination et des dépendances critiques ; et, au-delà encore, des firmes multinationales, des partenaires étatiques, une institution internationale peuvent accroître leur volonté de puissance.
Par exemple, dans un espace économique donné, forcément polarisé et plus ou moins irrigué par des stratégies de communication socio-économique, le franchissement des frontières peut s’accorder avec l’irruption, le surgissement d’une sorte de totalitarisme dogmatique qui procède à « une invasion des régions du monde les moins développées par le centre du pouvoir économique, produisant la déstabilisation et l’appauvrissement des masses » au travers des plans d’ajustement structurel lancés par la Banque mondiale. Ce qui amène à la question suivante : « la mondialisation d’un capitalisme dérégulé favorise-t-elle l’unification et la pacification de l’humanité, ou s’agit-il d’une expansion agressive de l’empire économique au détriment de la majeure partie de la population mondiale ? Certains membres dirigeants de la Banque mondiale ont commencé à se poser eux-mêmes cette question »[9].
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Il y a loin de la coupe aux lèvres. Les stratégies étudiées ici se mettent en œuvre dans des milieux perturbés, antagonistes, où les rapports de force jouent pleinement, où les acteurs sont multiples, en compétition, porteurs d’idéologies et de conceptions concurrentes, disposant de moyens souvent non comparables.
Qu’en est-il alors de la relation Sud – Sud dans la réalité ? C’est poser le problème de la régionalisation : sera-t-elle possible, avec pertinence ; ou bien succombera-t-elle sous les coups de boutoir de la mondialisation et de la faiblesse intrinsèque des États partenaires ?
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II – De la théorie aux pratiques : incantation ou volonté politique de développement ?
Dans un ouvrage qui marqua son temps[10] Maurice Guernier, s’interrogeant sur « la dernière chance du Tiers-Monde », abordait, après avoir étudié « les fautes des pays donateurs », « les fautes du Tiers-Monde ». Il écrivait, sous le thème « le Tiers-Monde n’a pas su effectuer les groupements régionaux indispensables au développement » : « De même que pour une entreprise industrielle, il y a une taille limite au dessous de laquelle un État ne peut pas prospérer : c’est un problème de dimension que les États européens comprennent bien aujourd’hui. Pour le Tiers-Monde, cet impératif de la dimension est primordial. (…) Seuls, le Brésil, l’Inde et la Chine me paraissent être de dimension suffisante pour établir leur propre plan industriel, universitaire (…) Les plus remarquables (efforts) sont ceux qu’entreprend l’Amérique latine sur l’initiative des deux hommes les plus clairvoyants de ce continent : Raul Prebisch et Felipe Herrera (…) En Afrique de l’Ouest, des tentatives intéressantes ont été engagées, mais elles sont sans cesse ralenties par mille questions de personnes ou d’idéologies. »
Outre que les dirigeants du Tiers-Monde n’ont pas réalisé (ou mal réalisé) les réformes de structures préalables à tout développement, est-il possible de penser que la régionalisation (ou le régionalisme de coopération ou d’intégration) est possible actuellement ?
Dans le plan de Maurice Guernier, le monde était structuré en dix marchés communs : USA – Canada, Europe, URSS, Chine, Amérique latine, Afrique noire, Méditerranée – Proche-Orient, Asie du Sud-Est, Japon, Inde – Pakistan – Afghanistan.
L’idée est celle du grand espace, aussi pertinent que possible, que l’on peut concrétiser par la réalisation d’entités régionales et d’économies de grands espaces, de l’ordre de 100 à 200 millions de consommateurs, au moins.
Ces configurations doivent unir les destins économiques des peuples ayant des affinités communes et désireux de promouvoir en commun leurs productions et leurs échanges — sans autarcie — avec des règles aptes à permettre de gérer les interdépendances entre ces « régions du monde » (Bertrand Russell).
On est loin de cet horizon.
Certes, des expériences ont été lancées, des réalisations effectuées ; on pense au Pacte andin, au Mercosur, aux unions régionales de l’Afrique sub-saharienne (UEMOA et CEMAC-UDEAC) mais on en connaît les disparités entre pays, les spécialisations et les limites, et les difficultés rencontrées face aux forces souvent irrésistibles des FMN et du marché mondial[11].
Raison de plus pour approfondir la réflexion[12].
En premier lieu, ce que l’on appelle (aussi) le régionalisme se concrétise d’une manière plus souple et informelle que pourrait le laisser penser le modèle de Bela Belassa. Effectivement, il correspond à un processus qui inclut, selon les cas, et alternativement ou de façon conjointe, une intensification des échanges, une coordination des politiques économiques, des coopérations sectorielles, la mise en œuvre de réseaux, le tout régulé par des normes et des institutions[13].
En second lieu, si nous distinguons deux grands types de régionalisme, celui de l’Afrique sub-saharienne et celui de l’Asie de l’Est[14], nous trouverons des zones préférentielles, des accords de libre-échange, des unions douanières. Il y a également des zones monétaires. On trouve aussi des stratégies d’acteurs privés structurant des réseaux commerciaux, culturels et technologiques (régionalisme réticulaire asiatique ou des polygones de croissance). Tandis qu’en Afrique la régionalisation se caractérise par une institutionnalisation et des projets d’organisation sans réelles bases économiques (régionalisme réglementaire et formel de l’Afrique).
Alors que la plupart des pays d’Asie de l’Est ont connu pragmatiquement une restructuration de leurs secteurs productifs, doublée d’une intervention étatique et d’un régionalisme peu institutionnel, avec une véritable insertion dans l’environnement international, la situation est très différente en Afrique sub-saharienne où l’on remarque plutôt le maintien de la structure sectorielle de la production, le faible poids entraînant et mobilisateur des États, une forte institutionnalisation du régionalisme, et une marginalisation extérieure.
Dans le premier cas, on parlera d’une administration asiatique liée au monde des affaires et facilitatrice, classifiée, et qui fonctionne en symbiose avec les décideurs économiques. « Il y a chevauchement de la part des entreprises entre le marché et l’État et quasi intégration entre l’État et les entrepreneurs.»[15].
Dans le second cas, nous avons à faire à une administration prédatrice et tatillonne. C’est l’État mou dont parle Gunnar Myrdal, importé (Bertrand Badie), emprunté, rentier, redistributeur, doublé, en même temps d’une inclination vers ce que Edem Kodjo appelle le despotisme obscur[16].
Dans le cas asiatique, la dynamique régionale est entraînée par le Japon et relayée par les nouveaux pays industriels et les réseaux chinois. Un véritable mouvement d’intégration régionale est en cours autour du pôle japonais et du pôle chinois, mais sans constitution de blocs commerciaux de type européen ou américain.
Dans le cas africain, deux pôles pourraient se dégager : un pôle–relais avec le Nigeria, un pôle–relais avec l’Afrique du Sud. Pourquoi relais ? Parce que, dans l’état actuel des structures africaines, on ne voit pas que ces pôles soient véritablement entraînants. Ils ont besoin, au contraire, d’une dynamique entraînante impulsée par un pôle européen. Et de ce fait, en partie du moins, on aura une relation de type Nord – Sud plus qu’une relation Sud – Sud. « La mise en place des programmes d’ajustement et des règles de l’OMC peut conduire à un régionalisme africain ouvert à des accords de libre-échange davantage qu’à des unions douanières intra-africaines, et éventuellement, à des accords régionaux de libre-échange avec réciprocité dans les relations Euro – Afrique remplaçant les accords de Lomé et se combinant avec des appuis monétaires (…) Il est à craindre que le démantèlement des barrières interdise une industrialisation durable »[17].
Cette situation soulève un autre problème, celui de l’autonomie de développement, de la croissance endogène régionalisée[18]. Si pour résister aux forces de dilution du marché mondial, des États se regroupent, c’est non seulement pour construire sur des bases institutionnelles, mais aussi sur des infrastructures productives. L’absence des unes ou des autres, ou leur non connexion, grève les chances de développement et surtout ruine dès le départ les chances d’une autonomie socio-économique de la région. Là aussi, une volonté politique effective et une politique régionale menée avec vigueur et rigueur sont indispensables, en particulier dans les secteurs du capital public spatialisé et du capital humain. Mais qui ne voit aussi qu’il faudra travailler avec du capital privé ? Et, dans ce cas, l’autre question à soulever n’est-elle pas celle du pouvoir de négociation effectif du ou des États concernés ? Ce qui montre une fois de plus, s’il en était besoin, le caractère fondamentalement politique du processus de coopération et, a fortiori, d’intégration.
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Concluons par un propos d’étape emprunté à François Perroux, et qui traduit bien ce que nous avons tenté de démontrer : « Il convient de distinguer deux aspects du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En tant qu’ils sont formés d’hommes, territorialement groupés, ils ont le droit de se doter d’États économiquement efficaces et volontairement soumis à la morale internationale. Mais ils ont aussi le droit de s’adresser à ces États pour que les centres de développement, implantés sur leurs territoires, ne soient pas entièrement extravertis et orientés au bénéfice des populations extérieures.
Volontiers nous dirions qu’il y a un droit des peuples à disposer, sous conditions et réserves, des richesses de leurs territoires et un droit des peuples à disposer de leurs pôles de développement. »[19].
Notes:
* Professeur honoraire d’économie aux Facultés catholiques de Lyon.
[1] Jacques Austruy, Le prince et le patron, éd. Cujas, Paris, 1972, p. 15-16.
[2] Pierre François Gonidec et Robert Charvin, Relations internationales, Éditions Montchrestien, Paris, 1981, pp. 290 à 394.
[3] Jean-Simon Tabournel, « Les stratégies d’intégration », Informations et Commentaires, n° 13, 1975-1976.
[4] Pierre François Gonidec et Robert Charvin, Relations internationales, op.cit. pp. 433 à 472.
[5] Bela Belassa, The theory of economic integration, cité par Gonidec et Charvin p. 441.
[6] Jean Barrea, L’intégration politique externe, éd. Nauwelaerts, Louvain, 1969.
[7] Karl Deutsch, Political community and North Atlantic Area, Princeton, 1957.
[8] Cf. Charles Zorgbibe, Les Relations Internationales, Paris, PUF 1975 et Philippe Braillard, Théories des Relations Internationales, Paris, PUF 1977.
[9] Gregory Baum, « S’affranchir des frontières ou envahir les territoires ? Réflexions sur les activités de la Banque mondiale », Concilium, n° 280 – 1999, pp. 45 à 55.
[10] Maurice Guernier, La dernière chance du Tiers-Monde, Robert Laffont, 1968, citation pp. 153-154 ; lire également pp. 163 à 166 et pp. 168 à 174.
[11] « Les Unions régionales en Afrique sub-saharienne », Marchés Tropicaux, n° 266, 7 février 1997, pp. 85 à 88.
[12] On se reportera avec fruit au numéro 155 juillet – septembre 1998 de Revue Tiers Monde qui aborde la régionalisation comparée en Afrique sub-saharienne et en Asie de l’Est.
[13] Revue Tiers Monde, op. cit. Introduction par Philippe Hugon, p. 488, encadré.
[14] Revue Tiers Monde, op. cit., voir :
– Nicolas Blancher et Claire Mainguy, « Comparaison des processus de régionalisation : revue analytique de la littérature », p. 505.
– Philippe Hugon, « Les séquences inversées de la régionalisation », p. 529.
[15] Revue Tiers Monde, op. cit. p. 551.
[16] Jean-Simon Tabournel, Nouvel ordre économique international et Pouvoir, L’Hermès, février 2002, voir. la section : « l’État étouffé par l’autocratie » pp. 293 à 306.
[17] Revue Tiers Monde, op. cit., pp. 554-555.
[18] Revue Tiers Monde, op. cit., Adrien Akanni-Honvo et Alain Leon, « La croissance endogène régionalisée. Afrique sub-saharienne, Asie de l’Est et Pacifique », p. 597.
[19] Voir Justice économique internationale, éd. Gallimard, Paris, 1976, intervention de François Perroux pp. 195 à 210, citation p. 211. Les mots soulignés le sont par l’auteur.
Nous renvoyons également à l’étude de Abdelkader Sid-Ahmed, « Maghreb : quelle intégration ? » Revue Tiers Monde, n° 129 janvier – mars 1992, dans laquelle l’auteur remarque que « le problème de l’intégration dans les zones en développement se pose de façon totalement différente que dans la CEE. Il ne s’agit pas de rationaliser l’activité économique en promouvant des spécialisations optimales, mais d’accélérer le développement (…). Toute approche lourde et sectaire est par avance condamnée, compte tenu par ailleurs de la puissance des solidarités hors zone » (p. 92).