Mahamat Abdoulahi*
Introduction
L’accroissement du commerce intra-régional a, de tout temps, été au centre des préoccupations des pays africains et de leurs Communautés économiques régionales (CER) dans leurs efforts de développement et d’intégration économique régionale. Généralement utilisée comme un outil économique visant à stimuler les échanges commerciaux, la libéralisation des échanges a été mise en œuvre dans le cadre des réformes économiques et commerciales entreprises tant au niveau national qu’au niveau sous-régional. Si, au niveau national, cette libéralisation a été initiée dans le contexte des Programmes d’ajustement structurel (PAS) financés par les institutions de Brettons Wood, au niveau sous-régional, les CER, chacune dans sa sous-région, a introduit des programmes de libéralisation du commerce avec des mesures visant à supprimer les barrières tarifaires et non-tarifaires et les autres entraves au commerce et à permettre la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services.
Cette contribution présente une vue d’ensemble des efforts déployés par les pays africains et leurs CER en vue de promouvoir le commerce intra-africain à travers la mise en œuvre des programmes de libéralisation commerciale ainsi que leur impact sur les échanges commerciaux intra-régionaux. Elle formule également des mesures et mécanismes ainsi qu’un programme minimal à mettre en œuvre pour réaliser l’objectif d’expansion du commerce intra-régional.
Coopération Sud – Sud en Afrique à travers les accords commerciaux régionaux
De manière générale, les pays africains et leurs CER poursuivent les objectifs de création de zone de libre-échange, d’union douanière et de marché commun. Ces objectifs peuvent être atteints par le biais des programmes de libéralisation du commerce des biens et services, des dispositions pour la libre circulation des personnes et des facteurs de production et l’harmonisation des politiques fiscales et monétaires. Au niveau sous-régional, les CER mettent en œuvre des programmes de libéralisation du commerce avec des mesures visant à supprimer les barrières tarifaires et non-tarifaires et les autres entraves au commerce et à permettre la libre circulation des biens et services. Les détails, la séquence, les modalités et le rythme de mise en œuvre des programmes de libéralisation du commerce varient d’une sous-région à l’autre mais ils ont des aspects communs tels que les dispositions qui permettront d’aboutir à la création, au niveau de chaque sous-région, de zones de libre-échange, d’unions douanières et de marchés communs dans des délais précis.
Cadre institutionnel régional pour la promotion de l’intégration régionale et le développement du commerce sous-régional
Au niveau continental, le Traité d’Abuja définit un cadre pour parachever l’intégration régionale du continent en consolidant les économies de l’ensemble des pays africains en un seul marché continental à travers un processus progressif appelé à s’achever à l’horizon 2028. Ainsi, la Communauté économique africaine devrait être progressivement mise en place au cours d’une période de transition de 34 années au maximum subdivisée en six étapes de durés variable. A chaque étape est assignée un ensemble d’actions spécifiques qui doivent être envisagées et poursuivies simultanément de la manière suivante.
Progrès accomplis par les Communautés Économiques Régionales dans la mise en œuvre des schémas de libéralisation des échanges aux niveaux des différentes sous-régions
Dans le cadre aussi bien du Traité d’Abuja que des traités les instituant, Les différentes CER africaines ont mis en place des schémas de libéralisation dans leurs sous-régions respectives avec pour objectif final de contribuer à l’accroissement du commerce intra-régional. Ces schémas de libéralisation doivent contribuer à la création de zones de libre-échange dans chaque CER, suivie d’unions douanières et éventuellement d’un marché commun. La stratégie de réalisation de cet objectif comprend des plans visant à stabiliser et à éliminer graduellement les barrières tarifaires et non-tarifaires, adopter un tarif extérieur commun vis-à-vis des relations commerciales avec les pays tiers, harmoniser les politiques macroéconomiques et promouvoir la libre circulation de tous les facteurs de production.
Les évaluations des schémas de libéralisation du commerce ont, à quelques exceptions près, mis en exergue la lenteur des progrès réalisés en ce qui concerne l’objectif de création de zones de libre échange et d’unions douanières en Afrique, et ce en dépit du fait que plusieurs groupements d’intégration sous-régionale existent depuis plusieurs décennies. A la date d’aujourd’hui, seules quelques CER ont réalisé 100 % de réduction des tarifs de douane tandis que d’autres CER en sont à divers stades du processus de réduction. La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et l’Union douanière d’Afrique australe (SACU) sont au nombre des CER qui ont enregistré des progrès significatifs dans la voix de la construction communautaire. Elles sont aujourd’hui considérées comme des unions douanières opérationnelles. Quant au Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), le lancement officiel de sa zone de libre échange a eu lieu en octobre 2000 avec, dans un premier temps, neuf Etats membres remplissant les conditions. Ce nombre est porté à onze à ce jour. L’Union du Maghreb Arabe (UMA) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) viennent de prendre des mesures pour redynamiser leurs programmes de libéralisation du commerce adoptés il y a longtemps. Il convient de souligner que la CEEAC a adopté, au cours du premier trimestre 2004, des textes relatifs à la mise en place de son schéma de libéralisation des échanges. Des CER, telles que l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et la Commission de l’Océan indien (COI), dont certains membres appartiennent également au COMESA, sont en train de mettre en œuvre le programme de libéralisation des échanges du COMESA. La Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC) a également adopté un régime de libre-échange qui sera en vigueur jusqu’en 2012. De même, les pays membres de la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL) faisant partie soit du COMESA, soit de la CEEAC, sont à ce titre liés par les programmes de libéralisation du commerce de ces groupements économiques. Les pays de l’Union du fleuve Mano (MRU) connaissent la même situation puisqu’ils sont également membres de la CEDEAO, qui s’efforce à mettre en place un régime de libéralisation du commerce identique à celui de l’UEMOA.
Le rythme de la libéralisation des échanges peut en dernière analyse être considéré comme lent, même si certaines communautés économiques régionales ont sensiblement progressé dans la voie de la zone de libre-échange et de l’union douanière. La lenteur des progrès s’explique par les révisions continuelles de la mise en oeuvre et les inquiétudes que suscite le manque à gagner qui résulterait de la libéralisation commerciale. Même si la politique de libéralisation des échanges a été intégralement mise en place, les faibles progrès enregistrés sur d’autres fronts, en particulier l’infrastructure et la productivité, limiteraient son efficacité. Pour exploiter pleinement les possibilités qu’offrent la libéralisation des échanges et les programmes d’intégration des marchés, il faudra mener simultanément des efforts vigoureux pour résoudre le problème des infrastructures et de la production. Pour ce faire, il convient d’intensifier la collaboration dans les secteurs du transport, des communications, de l’énergie et de la production.
Impact des schémas de libéralisation des échanges sur le développement du commerce intra-régional
Malgré l’importance accordée à la libéralisation commerciale et les nombreuses dispositions institutionnelles prises en vue de promouvoir le commerce intra-régional, la part des échanges intra-régionaux est restée assez faible. Des études empiriques récentes suggèrent que la mise en place des régimes d’échanges préférentiels entre pays africains n’auraient eu que peu d’impact en termes de création de commerce au niveau africain.
De l’analyse du commerce intra-régional à partir des données statistiques du Manuel de statistiques de la CNUCED 2004 (voire annexe 2), il apparaît que le volume du commerce interne des groupements économiques régionaux par rapport à leur commerce total est démeuré faible. En effet, le volume total du commerce intracommunautaire des CER a représenté, dans l’ensemble, une part relativement faible des exportations totales de ces CER, se situant à un pourcentage de moins de 10 % du commerce total, à l’exception de l’UEMOA et de la SADC dont les parts relatives des exportations intra-communautaires par rapport aux exportations totales ont représenté un peu plus de 10 %.
En Afrique de l’Ouest, le commerce intra-régional demeure faible. Les exportations intra-communautaires de l’UEMOA ont enregistré une croissance constante sur la période 1980-2003, avoisinant une moyenne de 12 % des exportations totales de la zone. Cette performance du commerce interne de la zone peut être attribuée à l’existence d’un gain de compétitivité et d’une relative création de commerce des entreprises commerciales obtenus suite à la mise en place du tarif extérieur commun. Les caractéristiques du commerce intra-communautaire de la CEDEAO sont similaires à celles de l’UEMOA, avec cependant une part qui stagne à environ 9,5 % des exportations totales de la CEDEAO depuis 1980. Ce niveau est de loin plus élevé que les niveaux enregistrés par bon nombre de CER.
Le commerce intra-régional au niveau de la SADC, après une croissance timide entre 1980 et 1990, a enregistré une croissance régulière entre 1995 et 2003. La part relative du commerce interne en pourcentage des exportations totales de la SADC est passée de 0,4 % en 1980 à 12 % en 2000 pour ensuite retomber à 10 % en 2003. Sur la période 1995-2003, l’évolution du commerce intra-communautaire de la SADC a été en moyenne de l’ordre de 10,5 %, ce qui la place pour la période sous revue, en deuxième position après l’UEMOA. Cette performance s’explique en partie par la prépondérance de l’économie sud-africaine. D’autres pays à forte vocation exportatrice de la SADC tels que l’Ile Maurice et le Zimbabwe, y ont également joué une part importante. En ce qui concerne le COMESA, son commerce interne a enregistré une très légére croissance sur la période 1980-2003. La taux de croissance a été de l’ordre de 5 % en moyenne.
Les niveaux des échanges intra-communautaires au niveau tant de la CEMAC, de la CEPGL que de la CEEAC sont restés très faibles pour la période sous revue. Les parts relatives du commerce interne de ces CER se sont situées en dessous de 2 % de leurs exportations totales, affichant ainsi une performance plus faible que celle réalisée par l’UEMOA, la SADC, le COMESA et la CEDEAO.
Les échanges intra-UMA apparaîssent insuffisamment développés et demeurent encore marginaux par rapport au potentiel économique et commercial des pays de l’UMA. Le commerce interne de l’UMA a enregistré une croissance moyenne de l’ordre de 2 % des exportations totales de la zone. La faible exploitation du potentiel des échanges intra-UMA semble résulter en partie de l’orientation privilégiée des exportations de certains pays membres vers l’Union européenne. Par ailleurs, la faible adéquation des structures de production et d’exportation à la demande intra-régionale et la priorité accordée à la stratégie Nord-Sud ont maintenu le commerce interne de l’UMA à un faible niveau.
Analyse comparative du commerce interne des CER africaines par rapport aux performances des groupements économiques d’autres régions du monde
D’après des études récentes publiées sur le commerce international, il ressort que plus de 60 % des échanges mondiaux de l’UE à 25 sont réalisés à l’intérieur de la zone. Il en est de même de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) dont le commerce intra-zone a représenté 55,7 %, 56,7 % et 56,1 % du total des exportations pour respectivement les années 2000, 2002 et 2003. Pour l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) les échanges intra-communautaires dépassent légérement les 20 % des échanges des pays de la zone. Quant au Marché commun d’Amérique du Sud (MERCOSUR), les échanges intra-communautaires avoisinent les 20 % des exportations totales de la zone. Cette part est encore plus faible pour les CER africaines. Les échanges intra-zones au sein des CER africaines dépassent à peine les 10 % des exportations totales, et ce en dépit de toutes les dispositions institutionnelles mises en place pour promouvoir le commerce intra-régional. Les accords commerciaux régionaux signés en Afrique se heurtent pour l’essentiel à l’absence de complémentarité de leurs économies et à l’étroitesse des marchés locaux.
Obstacles aux échanges commerciaux intra-régionaux
La faible performance du commerce intra-africain s’explique par plusieurs contraintes qui tiennent, entre autres, aux structures économiques des pays concernés, aux contraintes institutionnelles, infrastructurelles et financières, aux politiques et mécanismes de financement, mais également aux options prises dans la mise en œuvre des accords de coopération régionale.
Contraintes liées à la structure de production de biens
L’un des principaux obstacles au développement des échanges commerciaux en Afrique réside dans la similitude de la struture des biens produits dans les différents pays. En effet, la plupart des pays africains fournissent pratiquement les mêmes produits de base agricoles, alors que leurs besoins les plus pressants sont les produits manufacturés (qui représentent en moyenne près de 73 % de leurs importations) pour lesquels les pays développés à économie de marché ont un avantage certain.
Contraintes liées aux options prises dans la mise en œuvre des accords de coopération
Les options prises dans la mise en œuvre des accords de coopération ont, dans bien des cas, entravé le commerce intra-régional. L’expérience de l’Union européenne (UE) a montré qu’il importe de développer les structures de production à travers les politiques sectorielles (telles que la politique industrielle, la politique agricole, la politique des transports et des télécommunications, etc.) concomitamment avec la mise en place d’une union douanière. Or à l’analyse, l’expérience de l’intégration régionale en Afrique montre que l’intégration par les règles visant à unifier les marchés nationaux à travers le désarmement douanier a été privilégiée dans presque tous les accords commerciaux régionaux. Cette approche a, de manière générale, pris le pas sur les politiques sectorielles. Ce qui fait que, même avec une ouverture plus grande des frontières, l’accroissement des échanges intra-régionaux ne suit pas de manière automatique. La libéralisation est certes importante, mais elle doit s’appuyer sur un système de production performant (renforcement des capacités de production, augmentation de l’offre, amélioration de l’environnement de l’entreprise, etc.).
Contraintes liées aux infrastructures
Les infrastructures, notamment de transport et de communication, constituent de puissants catalyseurs du processus d’intégration économique, car ils peuvent grandement faciliter la circulation des personnes, des biens et des services. Cependant, dans les différentes sous-régions, bien que des efforts aient été déployés ces dernières années, on se rend à l’évidence que les différents États ont très peu de voies de communication viables, tant au plan interne qu’au plan transnational. Le commerce intra-africain se trouve par conséquent entravé par l’insuffisance et la précarité des infrastructures, notamment dans le domaine des transports et des communications.
Défaillance dans l’application des textes visant à l’expansion du commerce ira-africain
Il est important de relever au niveau de toutes les sous-régions, le peu d’empressement des responsables des États à donner suite aux engagements pris dans le cadre des accords sous-régionaux en prenant des mesures visant à intégrer ceux-ci dans leurs politiques, législations et réglementations nationales. Certains n’ont du reste pas hésité à demander un délai supplémentaire pour l’application de tel ou tel acte, différant du coup le respect des échéances ou des calendriers de libéralisation commerciale adoptés par eux. Un autre argument généralement avancé pour justifier la réticence de certains gouvernements à appliquer les accords ou protocoles communautaires est l’importance excessive accordée à la souveraineté nationale, se traduisant par la disponibilité de certains États à sacrifier les objectifs régionaux à long terme sur l’autel des intérêts politiques et économiques nationaux immédiats.
Les problèmes de paiement
Au nombre des difficultés auxquelles se heurtent les exportateurs africains, figurent également les problèmes de paiement et d’inter-convertibilité des monnaies nationales. A moins d’avoir la certitude d’être payé pour les prestations des biens et services, il ne peut y avoir de bases solides pour les échanges commerciaux intra-sous-régionaux. Ainsi, pourrait-on déplorer, au niveau de certaines sous-régions, l’absence d’harmonisation des politiques monétaires, de même que l’inefficacité des mécanismes de compensation.
Autres contraintes institutionnelles
Au chapitre des faiblesses instutionnelles, l’environnement juridique et réglementaire relatif à la promotion des échanges commerciaux souffre également d’un certain nombre d’imperfections, notamment en ce qui concerne le fonctionnement de la justice commerciale ainsi que la lourdeur excessive des procédures administratives et contractuelles. En outre, les tensions socio-politiques dans lesquelles se sont engluées plusieurs sous-régions au cours de ces dernières décennies ont également affecté les performances et les perpectives des CER en matière commerciale. Ces évenements ont même, dans des cas extrêmes, contribué à la destruction regrettable de l’outil de production, la désorganisation de l’appareil administratif, le développement du chômage urbain et la fuite des capitaux. De plus, les risques de propagation des troubles socio-politiques dans les pays voisins ont largement contribué à alimenter les craintes des investisseurs étrangers, décourageant ainsi les éventuels investissements étrangers indispensables à la consolidation de la base économique des pays africains.
Mesures et mécanismes de soutien au développement des échanges commerciaux en Afrique
En vue de faire avancer la libéralisation des échanges et d’accroître le commerce intra-régional, il est important, en même temps que les CER poursuivent la mise en œuvre de leurs programmes de libéralisation des échanges, d’accorder une plus grande attention à certaines questions importantes dont le traitement pourrait contribuer au développement du commerce intra-africain et parallèlement accélérer la réalisation de l’objectif d’intégration des marchés au niveau de chaque CER. Parmi ces questions, on peut citer la création d’un climat politique et économique favorable à l’investissement privé au niveau de chaque CER, la participation du secteur privé dans le processus d’intégration, et l’interconnection des territoires des États membres de chaque CER par des infrastructures de transport et de communications adéquates.
Un environnement macro-économique stable
Le principal objectif des gouvernements devrait être de promouvoir une croissance économique soutenue et une amélioration des conditions de vie, en créant un environnement économique stable pour les opérateurs économiques. Ces derniers ont en effet besoin de stabilité pour planifier leurs stratégies de production, de commercialisation et d’investissement. Les changements rapides de politique vont à l’encontre de ces objectifs, étant donné que les opérateurs seront plus enclins à investir s’ils peuvent compter sur une croissance soutenue de la demande.
Appui à la production
Il est évident que l’on n’échange que ce qui est produit. Aussi, avant d’envisager la promotion des échanges commerciaux, il est important de s’assurer une production en quantité et en qualité des biens et services. La promotion des échanges commerciaux intra-régionaux commence par celle de la production avant la mise à disposition du produit ou du service dans un espace économique considéré. Plusieurs actions devraient être engagées en vue de consolider le processus de production, et de garantir les autres facteurs de production que sont les ressources financières, les ressources humaines et les moyens techniques à acquérir par l’entreprise.
Importance de la diversification et de la spécialisation
L’objectif d’intensification des échanges intra-communautaires peut être difficilement atteint sans l’engagement des pays africains dans un processus efficace de diversification de leurs structures de production et d’exportation. Dans leurs efforts de diversification nécessaires à la promotion de la production locale, les gouvernements pourraient envisager une réorientation des politiques et des stratégies de développement industriel en s’écartant de plus en plus des schémas basés sur la substitution aux importations pour résolument s’orienter vers un schéma d’industrialisation basé sur la transformation des matières premières locales et sur l’innovation locale.
Amélioration des infrastructures physiques sous-régionales
Étant donné que l’essentiel du commerce intra-régional s’effectue par la route et les chemins de fer, les gouvernements devraient aider ces secteurs à se développer et à se moderniser en encourageant la privatisation et l’établissement de partenariat effectif et efficace entre les différentes entreprises de transport, notamment routier opérant dans les sous-régions. Bien que l’Afrique soit très en retard dans les domaines des infrastructures des transports et communication par rapport aux autres régions en développement, il convient néanmoins de souligner qu’au niveau régional, les CER mettent en œuvre, dans le cadre de leurs activités, des programmes de développement du secteur des transports visant à renforcer le développement socio-économique et l’intégration physique de leurs régions respectives.
Conclusions et recommandations
De manière générale, les échanges commerciaux entre les pays africains se heurtent à de nombreux obstacles dans le cadre de leurs efforts visant à mettre en œuvre les programmes de libéralisation des échanges. Des mesures ont cependant été prises au cours des dernières années pour atténuer les effets de ces obstacles. Le fait le plus notable, à cet égard, est sans doute la tentative de beaucoup de groupements économiques d’harmoniser les politiques macro-économiques de leurs États membres. Malgré les insuffisances de cette nouvelle approche de l’intégration, il y a une réelle volonté de faire des groupements économiques des ensembles plus homogènes où les performances économiques des partenaires tendent à converger. Les modestes succès prouvent que les efforts ne sont pas vains et méritent d’être poursuivis. Mais le chemin à parcourir reste encore long, d’autant que la plupart des groupements économiques n’ont pas encore mis en place des programmes multisectoriels d’intégration cohérents.
En effet, dans la plupart des cas, des programmes sectoriels sont menés de manière parallèle, même si, comme on l’a vu depuis quelques temps, l’harmonisation des politiques macro-économiques tend à leur donner plus de cohérence. Cette nouvelle approche devrait, si elle est poursuivie durablement, déboucher sur de véritables politiques communes qui sont indispensables si les groupements économiques veulent se constituer en ensembles homogènes.
Adopter des mesures destinées à promouvoir le commerce intra-régional et la compétitivité de leurs produits restera sans effet si les pays africains ne se dotent pas du cadre institutionnel qu’exige tout programme d’expansion du commerce. Deux éléments indispensables, dans l’optique d’un tel cadre, la stabilité macro-économique et la promotion de l’initiative privée. De plus, les pays africains devront s’attacher à définir un ensemble d’objectifs stratégiques dans l’optique d’un programme de développement de leur secteur commercial. Ces objectifs devront à l’évidence être fixés par chaque pays en tenant compte de sa dotation en facteurs.
Par ailleurs, il importe de souligner que lors de la quatrième session du Comité du commerce, de la coopération et de l’intégration régionale tenue à Addis Abéba en mars 2005, le Groupe spécial d’experts sur le commerce intra-africain a proposé la mise en œuvre d’un programme minimal pour le développement du commerce intra-africain fondé sur quatre piliers :
Production. Les pays africains doivent accroître leurs efforts pour diversifier leurs économies. Ceci implique le renforcement et la promotion des investissements du secteur privé, le renforcement de la coopération économique sous-régionale et l’harmonisation du cadre institutionnel des investissements.
Commerce. Les pays africains doivent renforcer et accélérer la mise en œuvre des zones de libre-échange dans la sous-région. Les CER qui sont déjà des zones de libre-échange doivent envisager la mise en place d’unions douanières. Les pays doivent aussi rapidement réduire les barrières non tarifaires et avoir une définition commune de la «règle d’origine». Les experts ont également appelé les dirigeants africains à lancer un programme de convergence des mécanismes de libéralisation du commerce au niveau continental.
Concernant la facilitation du commerce. Les pays africains doivent accroître leurs efforts pour renforcer les infrastructures sous-régionales et interrégionales. Les pays africains doivent assurer la convergence des règles et réglementations concernant les activités des services de transport en Afrique. Pour promouvoir et intensifier les échanges, ils devraient également mettre en place des mécanismes solides et efficaces de paiement entre eux. En outre, ils devraient aussi créer des mécanismes d’assurance efficaces et réduire le nombre de procédures administratives et financières.
Politique macroéconomique. Les responsables africains devraient mettre en œuvre des politiques propres à stabiliser le cadre macroéconomique en vue du développement des échanges. Ils devraient, aussi, collectivement, étudier le problème de la «perte de recettes» résultant de la libéralisation des échanges. En outre, le commerce intra-africain serait intensifié si les pays pouvaient assurer la convergence des politiques macroéconomiques.
Annexe 1 : Composition et objectifs des communautés économiques régionales africaines
Communauté | Membres | Objectif fixé | Situation actuelle | Commentaires |
Union du Maghreb arabe (UMA) | Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie | Union économique totale | – Zone de libre-échange non réalisée, mais conventions en vigueur pour les investissements, les paiements et le transport terrestres | L’intégration progresse lentement depuis 1995 |
Communauté économique et monétaire d’Afrique (CEMAC) | Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine,
Tchad |
Union économique totale | – Union douanière depuis 1994 avec un TEC opérationnel
– Union monétaire avec monnaie unique et harmonisation du droit des affaires Convergence des politiques macroéconomiques |
|
Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) | Angola, Burundi, Comores, Djibouti, Egypte, Erythrée, Ethiopie, Kenya, Madagascar, Malawi, Maurice, Namibie, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, Seychelles, Soudan, Swaziland, Zambie, Zimbabwe | Marché commun | – Réalisation d’une zone de libre-échange sur le territoire de neuf membres en octobre 2001. Actuellement onze membres.
– Union douanière prévue pour décembre 2004. – Définition de critères de convergence des politiques macroéconomiques |
La réalisation de l’Union douanière est repoussée à une date ultérieure |
Communauté des États sahélo-sahariens
(CEN-SAD)
|
Bénin, Burkina Faso, Djibouti, Egypte, Erythrée, Gambie, Libye, Mali, Maroc, Niger, Nigéria, République centrafricaine, Sénégal, Somalie, Soudan, Tchad, Togo, Tunisie | Zone de libre-échange et intégration dans certains secteurs | – Lancement d’une étude de faisabilité de la zone de libre-échange | La CEN-SAD est devenue la CER la plus large en terme de pays membres. |
Communauté de l’Afrique de l’Est
(CAE) |
Kenya, Ouganda, Tanzanie | Union économique totale
Union politique |
– Union douanière depuis le 1er janvier 2005 | CAE est passée directement à l’Union douanière sans l’étape traditionnelle de la Zone de Libre Echange |
Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) | Angola, Burundi, Cameroun, Congo, Gabon Guinée équatoriale, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Rwanda, Sao Tomé et Principe, Tchad | Union économique totale | – Lancement de la Zone de libre-échange en janvier 2004.
– 2008 date butoir pour le démarrage effectif de ZLE |
|
Communauté économique des pays des Grands lacs
(CEPGL) |
Burundi, République démocratique du Congo, Rwanda | Union économique totale | – Signature d’accords commerciaux préférentiels | Intégration au point mort depuis 1994 |
Commission de l’océan Indien (COI) | Comores, Madagascar, Maurice, Réunion, Seychelles | Développement durable grâce à la coopération en matière de diplomatie, d’environnement et de commerce | – Élaboration d’un programme commercial dynamique
– Création de l’Université virtuelle de l’océan Indien |
Les enjeux politiques ont ralenti la progression du processus |
Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) | Djibouti, Erythrée, Éthiopie, Kenya, Ouganda, Somalie, Soudan | Union économique totale | – Élaboration de programmes multilatéraux dans les zones prioritaires (agriculture et environnement, affaires politiques et humanitaires et coopération économique régionale, projets d’infrastructures physiques) | Les conflits internes et entre États ont ralenti la progression du processus d’intégration |
Union douanière d’Afrique australe
(SACU) |
Afrique du Sud, Botswana, Lesotho, Namibie, Swaziland
|
Union douanière | – Réalisation, en 1970, de l’union douanière signée depuis 1910 et accord monétaire entre quatre membres, exception faite du Botswana | |
Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) | Afrique du Sud, Angola, Botswana, Lesotho, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, Seychelles, Swaziland, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe | Union économique totale | – Lancement de la zone de libre-échange en septembre 2000
– Réseau d’interconnexion – Mécanismes de paix et de sécurité en place |
|
Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) | Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo | Union économique totale | – Réalisation de l’union douanière
– Union monétaire avec une monnaie unique – Harmonisation du droit des affaires – Convergence des politiques macroéconomiques en place |
Source : Commission économique pour l’Afrique, Assessing Regional Integration in Africa (ARIA I)
Annexe 2 : Commerce interne de groupements régionaux
|
||||||||||||||||||||||||||||
Valeur des exportations par groupements économiques
(en millions de dollars É.-U.) |
Valeur du commerce interne au groupement
(exportations en millions de dollars É.-U.) |
Commerce interne du groupement
en % des exportations totales de chaque groupement |
||||||||||||||||||||||||||
1980 | 1990 | 1995 | 2000 | 2002 | 2003 | 1980 | 1990 | 1995 | 2000 | 2002 | 2003 | 1980 | 1990 | 1995 | 2000 | 2002 | 2003 | |||||||||||
EUROPE | ||||||||||||||||||||||||||||
UE (25) | 821 020 | 1 547 400 | 2 146 174 | 2 369 069 | 2 554 030 | 3 047 551 | 483 141 | 1 022 932 | 1 385 805 | 1 618 929 | 1 732 227 | 2 063 450 | 60,9 | 67,1 | 66,1 | 67,2 | 66,7 | 67,2 | ||||||||||
UE (15) | 782 251 | 1 510 435 | 2 062 889 | 2 247 585 | 2 400 829 | 2 948 905 | 456 857 | 981 260 | 1 259 699 | 1 420 090 | 1 491 272 | 1 767 282 | 60,8 | 65,9 | 62,4 | 62,1 | 61,1 | 61,4 | ||||||||||
AMÉRIQUE | ||||||||||||||||||||||||||||
CARICOM | 11 443 | 47 764 | 5 684 | 7 791 | 7 066 | 9 550 | 599 | 456 | 877 | 1 076 | 1 252 | 1 538 | 5,4 | 8,0 | 12,2 | 14,4 | 12,5 | 12,5 | ||||||||||
MERCOSUR | 29 522 | 46 418 | 70 499 | 84 590 | 89 096 | 106 118 | 3 424 | 4 127 | 14 199 | 17 910 | 10 573 | 13 383 | 11,6 | 8,9 | 20,3 | 20,0 | 11,3 | 11,8 | ||||||||||
ALENA | 311 331 | 561 932 | 856 482 | 1 224 127 | 1 106 936 | 1 161 940 | 102 218 | 226 273 | 394 472 | 676 441 | 626 985 | 651 213 | 33,6 | 41,4 | 46,2 | 55,7 | 56,7 | 56,1 | ||||||||||
AFRIQUE | ||||||||||||||||||||||||||||
CEPGL | 2 455 | 2 510 | 1 807 | 862 | 1 296 | 1 335 | 2 | 7 | 8 | 10 | 12 | 15 | 0,1 | 0,5 | 0,5 | 0,8 | 0,7 | 1,2 | ||||||||||
COMESA | 14 204 | 19 911 | 20 335 | 25 772 | 26 861 | 30 950 | 555 | 890 | 1 027 | 1 281 | 1 465 | 1812 | 5,7 | 6,3 | 6,0 | 4,9 | 5,4 | 5,8 | ||||||||||
CEEAC | 9 023 | 11 956 | 11 550 | 16 712 | 17 724 | 20 298 | 89 | 163 | 163 | 196 | 193 | 236 | 1,4 | 1,4 | 1,5 | 1,1 | 1,1 | 1,1 | ||||||||||
CEDEAO | 33 348 | 22 743 | 22 305 | 30 338 | 26 829 | 35 186 | 661 | 1 532 | 1 875 | 2 811 | 3 192 | 3 541 | 9,6 | 8,0 | 9,0 | 9,5 | 11,5 | 9,8 | ||||||||||
UFM | 1 225 | 3 016 | 1 564 | 1 008 | 1 162 | 839 | 7 | 0 | 1 | 5 | 5 | 6 | 0,8 | 0,0 | 0,1 | 0,4 | 0,2 | 0,3 | ||||||||||
SADC | 34 884 | 38 425 | 43 803 | 49 573 | 50 690 | 60 450 | 108 | 1 058 | 4 124 | 4 453 | 4 240 | 5 345 | 0,4 | 3,1 | 10,6 | 12,0 | 9,3 | 10,0 | ||||||||||
CEMAC (UDEAC) | 4 668 | 5 558 | 6 016 | 7 926 | 8 823 | 10 296 | 75 | 139 | 120 | 101 | 120 | 157 | 1,6 | 2,3 | 2,1 | 1,0 | 1,4 | 1,4 | ||||||||||
UEMOA | 4 884 | 5 202 | 6 648 | 6 668 | 8 672 | 10 007 | 460 | 621 | 560 | 741 | 857 | 1 043 | 9,6 | 13,0 | 10,3 | 13,1 | 12,1 | 12,8 | ||||||||||
UMA | 40 648 | 34 394 | 32 071 | 47 887 | 45 146 | 55 350 | 109 | 958 | 1 109 | 1 112 | 1 243 | 1 553 | 0,3 | 2,9 | 3,8 | 2,3 | 2,8 | 2,7 | ||||||||||
ASIE | ||||||||||||||||||||||||||||
ANASE | 71 916 | 144 152 | 321 417 | 427 678 | 406 357 | 453 081 | 12 413 | 27 365 | 79 544 | 98 060 | 91 765 | 102 281 | 17,4 | 19,0 | 24,6 | 23,0 | 22,7 | 21,2 | ||||||||||
CCG | 161 307 | 87 565 | 104 240 | 175 496 | 163 183 | 204 754 | 4 632 | 6 906 | 6 832 | 7 218 | 6 905 | 7 864 | 3,0 | 8,0 | 6,8 | 4,5 | 4,6 | 4,2 | ||||||||||
Source : Manuel de Statistiques de la CNUCED, 2004. | ||||||||||||||||||||||||||||
Note:
* Économiste à la Division du commerce et de l’intégration régionale, Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), Addis Abéba, Éthiopie.