Jakarta, la mégapole indonésienne en crise

Djamester Simarmata*

Jean -Michel Cusset**

 

130-page-001Introduction

Jakarta, comme la plupart des grandes métropoles d’Asie, a connu de profonds bouleversements depuis les années 80, Le processus de métropolisation impulsé par l’afflux de capitaux internationaux et l’accélération de l’industrialisation ont donné naissance à une mégapole, la région du Jabotabek. Cette région urbaine englobe la ville de Jakarta et sa périphérie, la concentration urbaine la plus étendue du pays. La Région Jabotabek représente aujourd’hui 11 % de la population du pays contre 6 % en 1960. Depuis 1990, la population de Botabek (région périphérique) dépasse celle de Jakarta en raison de flux nets migratoires négatifs de la ville centre, et de la suburbanisation.

Une péri-urbanisation mal contrôlée, et le développement de la spéculation foncière au profit d’un oligopole de promoteurs immobiliers appuyé par le secteur bancaire ont orienté une urbanisation résidentielle au profit des catégories sociales les plus favorisées alors que la pauvreté urbaine et les disparités sociales se sont aggravées au cours des vingt dernières années. Les réseaux et services de transport urbain, malgré le développement d’un réseau ferré de banlieue, ne sont pas vraiment adaptés à une mobilité quotidienne marquée par d’importants flux de migrations alternantes entre la ville de Jakarta et sa région urbaine, et par une congestion croissante de la circulation. Les coûts sociaux et environnementaux des transports (la pollution de l’air avec ses répercussions sur la santé) sont de plus en plus élevés alors que la motorisation deux roues et voiture particulière continue sa progression sans que des mesures dissuasives aient été mises en place jusqu’ici.

Dans cet article, on donnera quelques éclairages sur l’évolution urbaine de Jakarta sans prétendre faire un état des lieux complet.

1 – Processus d’urbanisation et formes urbaines de Jakarta

La Région Spéciale de Jakarta (DKI Jakarta, divisée en cinq districts) est passée de 1,452 million d’habitants en 1950 à 6,330 millions en 1985 et à 7,100 millions en 1990. Mais un renversement la tendance intervient à la fin des années 90. De fait la capitale voit sa population de DKI Jakarta diminuer au profit des autres agglomérations de la région métropolitaine : Tangerang, Bekasi, Depok et Bogor. En effet, DKI Jakarta comptait 7,818 millions d’habitants en 1998, 7,578 en 2000 et 7,461 en 2002 selon les statistiques officielles.

La population de Jakarta a diminué constamment à un rythme annuel de 0,93 % depuis 1998, Jakarta Centre est la partie la moins peuplée de la ville (878 000 habitants), mais elle a la plus forte densité : 187,5 habitants par hectare.

En effet, des migrations résidentielles de DKI Jakarta vers les villes périphériques de la région urbaine, essentiellement Bekasi, Bogor, Tangerang apparaissent dès les années 80 et s’amplifient avec les expulsions liées à des opérations de rénovation du centre, l’attractivité de la périphérie favorisée par les infrastructures routières radiales de grande capacité et le développement résidentiel par des promoteurs publics, puis privés. La Région Urbaine de Jakarta qui comptait 20 millions d’habitants en 1995 (dont 3,5 millions de « ruraux »), atteignait plus de 21 millions en 2000, répartis sur un territoire de 7 500 km2, la ville de Jakarta s’étendant sur 661 km2 seulement.

Le développement urbain de Jakarta et de sa région au cours des trente dernières années est le résultat de processus en interaction : densification de la ville centre au détriment de populations parmi les plus défavorisées contraintes d’évacuer leurs logements, absorption de villages “ruraux” dans le processus de péri-urbanisation, création de complexes résidentiels de haut standing dans une périphérie de plus en plus lointaine avec pour conséquence l’aggravation des disparités sociales au sein de la Région Métropolitaine.

Cette péri-urbanisation ne s’accompagne pas de délocalisations parallèles d’activités du centre vers la périphérie : en effet les personnes actives qui ont quitté DKI Jakarta pour la périphérie continuent le plus souvent d’exercer leur activité dans leur quartier de résidence antérieur. Une conséquence majeure de cette situation est l’augmentation du flux de migrations alternantes quotidiennes des zones périphériques vers Jakarta, aggravant ainsi les difficultés de transport au sein de la région métropolitaine.

Le nombre de déplacements de personnes âgées de plus de 5 ans devant venir à Jakarta, en 2000, est estimé à 4,1 millions[1]. Une partie importante de cette population comprend des écoliers, des étudiants, et des actifs. Les destinations principales dans la ville de Jakarta sont réparties entre 9 pôles d’attraction, mais la majorité des flux s’oriente dans Jakarta Centre et Jakarta Nord, et Jakarta Sud dans une moindre mesure. Les grands centres commerciaux sont localisés principalement à Jakarta Nord et Jakarta Centre. Les activités administratives et de services aux entreprises sont concentrées à Jakarta Centre, le long des avenues Thamrin et Sudirman, et Gatot Subroto.

1.1 – La desakota Jakarta

La région urbaine de Jakarta répond pleinement à la définition de la desakota, concept avancé par McGee. T.G., 1991[2]

La grande agglomération de DKI-Jakarta comprend 5 “villes” ou grands districts : Jakarta Centre, Jakarta Ouest, Jakarta Nord, Jakarta Est, et Jakarta Sud. Elle s’étend sur 661,52 km2 avec une densité de 11 272 personnes au kilomètre carré. L’habitat occupe une grande partie du territoire de Jakarta, surtout dans certains districts. Cette proportion est supérieure à celle observée dans de grandes métropoles mondiales. Il faut observer qu’en dehors du centre ville, l’habitat est de faible densité, avec peu d’immeubles ; il s’agit essentiellement d’habitat individuel avec de fortes disparités dans les types de logements.

Dans le centre, des zones résidentielles avec immeubles ont remplacé l’habitat traditionnel des kampungs (villages urbains). De nombreux habitants, propriétaires de leurs logements et établis légalement, ont été contraints de déguerpir et de trouver à se reloger dans la périphérie. Un grand nombre d’entre eux ne retrouveront pas une activité comparable.

La tertiarisation des activités dans DKI Jakarta, et sa traduction spatiale

En 1996, la ville de Java abritait 48 % des établissements industriels de l’aire métropolitaine JABOTABEK mais 62 % d’entre eux dans le secteur des services, 72 % dans le secteur financier.

Le secteur tertiaire (commerces et services aux particuliers et aux entreprises) contribue pour 75 % au Produit Intérieur Brut de la ville. Des buildings de grande taille abritent les activités de services, de banques et de finances dans le centre de Jakarta, le long des grandes avenues. Parallèlement, de nouveaux centres commerciaux se sont développés. L’habitat des kampungs a progressivement laissé la place à un habitat collectif. Les anciens résidents ont été plus ou moins contraints de quitter la ville pour des périphéries plus ou moins lointaines, les uns conservant leur activité ou leur emploi dans le centre, les autres n’en ayant pas la possibilité ont grossi la population pauvre de la mégapole.

Jakarta est entourée de deux périphériques. L’un, intérieur, est déjà en service depuis plusieurs années, en cours de construction. Ces deux rocades renforcent la forme circulaire de la ville, et elles ont des répercussions sur la localisation des activités. Les bureaux de haut standing sont concentrés en centre ville tandis que les autres bureaux se délocalisent à proximité des périphériques intérieur ou extérieur. On espère qu’à long terme, ces localisations du tertiaire permettront de réduire la congestion du trafic dans le centre de Jakarta.

Le secteur tertiaire (commerces et services) et le transport contribuent pour 75 % au PIB de Jakarta. L’économie urbaine de Jakarta est donc dominée par les activités tertiaires. La prise en compte réelle du secteur dit informel ne pourrait que renforcer cette caractéristique.

Les migrations quotidiennes des résidents des villes limitrophes.

Une partie de la population active, étudiante ou scolaire des villes limitrophes, Besi, Depok, Tangerang, Bogor se rend à chaque jour à Jakarta. Selon un sondage réalisé en 2001, une partie des migrants alternants venant des villes ou communes limitrophes habitait auparavant à Jakarta, ou dans les zones où ils se déplacent pour aller travailler.

Ces migrations alternantes contribuent à la congestion de la circulation même si une partie des déplacements est réalisée, dans des proportions variables selon les communes de banlieue, par les transports collectifs.

La politique urbaine de l’Indonésie depuis la fin des années 60, de plus en plus marquée par l’entrée du pays dans l’économie mondiale, la libéralisation des activités immobilières, les imbrications du foncier urbain (spéculation), de la promotion immobilière, et du secteur bancaire.

1.2 – Du KIP à l’urbanisation débridée

La réhabilitation des villages urbains (KIP)

Dans un premier temps, de 1979 au milieu des années 80, la réhabilitation des villages urbains (Kampung Improvement Program) a été un instrument régulateur de la politique urbaine du pays. Ce programme, qui a commencé par Jakarta, a consisté à apporter une amélioration minimale des infrastructures (aménagement des ruelles, drainage, services sanitaires…) et de l’habitat par la mobilisation de systèmes traditionnels d’entraide. Les premières opérations de réhabilitation étaient financées par la Région Spéciale de la capitale (DKI) et concernaient des kampungs établis dans les parties les plus denses de la ville. De 1969 à 1974, 87 kampungs ont bénéficié de ces opérations, soit une population de 1,230 000 habitants sur une superficie totale de 2 340 hectares. La Banque mondiale est intervenue ensuite à la fois pour financer le KIP et les programmes de logement social dans le centre ville. Quinze ans après son lancement, le KIP avait concerné près de la moitié de la population de Jakarta et 537 kampung. Cependant en dehors de DKI Jakarta, le processus de suburbanisation s’est accentué à partir des années 80, favorisé par les grands axes routiers et autoroutiers vers Tangerang à l’ouest, Bekasi à l’Est , et Dépok et Bogor au sud.

Des années 80 à 1997 : ouverture à l’économie mondiale Jakarta, ville “globale”

Pendant cette période, Jakarta s’insère dans le marché des échanges et des mouvements de capitaux à l’échelle mondiale, attirant comme d’autres villes asiatiques des investissements étrangers. La capitale indonésienne apparaît comme la plus forte concentration de capitaux nationaux et étrangers de l’Indonésie (50 % de l’ensemble), à l’exclusion des secteurs pétrolier et gazier. L’afflux d’inves-tissements privés directs et l’implantation de nombreuses banques étrangères encouragée par une politique libérale stimulent la Bourse où le nombre d’entreprises cotées grimpe de 24 en 1988 à 163 en 1993. L’économie urbaine de Jakarta est dominée par les activités tertiaires.

Spéculation foncière, promotion immobilière et urbanisation débridée

Avant la crise économique et financière de l’Indonésie, le foncier urbain sous forme de spéculation, et la promotion immobilière (bureaux et habitat résidentiel de haut standing) ont attiré la grande majorité des flux d’investissement au détriment d’autres secteurs comme l’agriculture et l’industrie. Ce mouvement a été largement appuyé par le secteur bancaire national et international d’une part, les lacunes de la planification urbaine incapable de maîtriser et d’orienter le processus d’urbanisation d’autre part. Les politiques de dérégulation mises en œuvre au début des années 90 ont permis aux promoteurs privés d’obtenir facilement des “autorisations de principe” de la municipalité de Jakarta pour lancer des projets (pas toujours réalisés) et “négocier” directement avec les petits propriétaires, souvent en situation légale précaire, et contraints de déguerpir avec l’intervention de la police et de l’armée. Ces expropriations furent à l’origine de mouvements sociaux urbains mais aussi ont eu des conséquences dans plusieurs domaines « le caractère spéculatif de nombre de ces investissements (avec une menace de surendettement et de saturation des réseaux bancaires de crédit), l’accroissement des disparités sociales et la marginalisation des plus pauvres, la réduction des terres en riziculture irriguée (pouvant compromettre à terme l’autosuffisance alimentaire), l’acca-parement ou le contrôle par les sociétés privées de vastes portions du littoral ou d’îles entières » (Frédéric Durand, 2000). Sans entrer ici dans une explication de la bulle foncière et immobilière largement à l’origine de la crise de l’économie indonésienne, il suffit de rappeler qu’une grande partie des terrains acquis par des sociétés immobilières grâce à un crédit bancaire avantageux étaient détenue à des fins spéculatives. Dans la région du Jabotabek, vers 1995, on recensait 21 projets de villes nouvelles pour une superficie totale de 83 000 hectares,ainsi que 18 000 projets d’ensemble résidentiels de luxe dans le pays, situés en majorité dans la province de Java Ouest. En septembre 1995, les fonds nécessaires pour obtenir les autorisations administratives et réaliser les acquisitions foncières correspondant aux cahiers des charges de ces divers projets représentaient 17 % de l’endettement national[3].

2 – La crise économique et ses conséquences

2.1 – Un coup d’arrêt aux projets urbains

Depuis 1998, les projets de création de villes nouvelles (grands ensembles résidentiels en périphérie) ont été abonnés ou retardés ; le ralentissement de la construction a eu des répercussions sur l’emploi dans le secteur du BTP. De plus, le renversement du pouvoir de Suharto a entraîné une période d’incertitude marquée par des émeutes urbaines ; cela a sans doute détourné l’investissement étranger au profit d’autres pays de l’Asie du Sud-est comme le Viêt-nam. Dans le domaine des infrastructures urbaines, les projets de métro qui avaient fait l’objet de nombreuses études à la fin des années 80 et jusqu’au milieu des années 90 ont été remis sine die alors que le projet actuel de monorail sur lequel on reviendra rapidement est sérieusement remis en cause en raison des incertitudes sur son financement et de son bien fondé dans le contexte économique du pays.

2.2 – L’agriculture urbaine, une réponse à la crise ?

Selon une étude réalisée à la fin des années 90 (Ning Purnomohadi, 2000), la crise économique a entraîné la pratique d’une agriculture “informelle” par des populations pauvres sur des terrains vacants, et près d’un champ de courses. En dehors de ce phénomène récent, l’agriculture urbaine est une activité qui occupait en 1997 plus de 100 000 personnes dont 8 % seulement étaient propriétaires exploitants. Dans la Région Spéciale de Jakarta (DKI), les terres à usage agricole occupent encore 11 000 hectares, 90 % de cette superficie étant la propriété de promoteurs immobiliers, de l’État  ou de la municipalité. En fait, cette agriculture, qui s’est développée avec la crise économique de 1997, est considérée par les autorités comme une activité temporaire qui n’a pas encore été prise en compte par le Master Plan de Jakarta. Cependant elle pourrait être un élément important pour le maintien d’une ceinture verte dans la région de Jakarta.

Les usagers de système de transport à Jakarta sont à la fois les résidents et les habitants des agglomérations de la périphérie pour leurs déplacements quotidiens : on compte environ 1 million de personnes venant à Jakarta chaque jour pour motif de travail ou d’études. Donc le nombre de déplacements dans Jakarta est de l’ordre de plus de 5 millions aux heures de pointe du matin et du soir à actuellement.

On estime que l’espace réservé à la voirie est faible (7 % de la superficie totale en 2001) comparativement à d’autres grandes villes : 20 % à Paris, 40 % à Los Angeles en englobant l’espace parking. Le problème major de transport à Jakarta est de l’insuffisance de transport en commun par rapport au besoin de la population, l’inadaptation de l’organisation du système de transport au bon fonctionnement de la ville, la mauvaise qualité de service, les désagréments dans le transport en commun, le non-respect ou la non disponibilité des horaires des lignes, entraînant l’impossibilité de la prévision de l’heure de l’arrivée au lieu de destination. De plus, les interconnexions et correspondances entre systèmes de transport collectif : réseaux de bus de surface, réseau de bus et réseau ferroviaire, etc. ne sont pas bonnes, rendant les déplacements encore plus pénibles pour les usagers pendant la saison chaude.

Le gouvernement de la ville de Jakarta et le gouvernement indonésien considèrent les transports en commun comme un service privé : ils y investissent peu et n’assurent pas une réelle régulation du marché. Les petits opérateurs privés concurrencent les opérateurs publics sur les lignes principales et le manque de coordination entre opérateurs est une faiblesse majeure du système.

3 – La dynamique du système de transport

Dans les années 80, la priorité de la politique des transports a été la construction de rocades et d’autoroutes urbaines à péage afin de lutter contre la congestion croissante au sein de DKI Jakarta, et d’assurer des liaisons rapides avec les pôles urbains périphériques de Bogor, Tangerang et Bekasi. Cette politique a naturellement orienté le développement résidentiel urbain autour de ces axes routiers et au sein des villes périphériques, la délocalisation d’activités industrielles du centre vers la périphérie où les zones industrielles se sont rapidement étendues1.

 3.1 – Les infrastructures routières et autoroutières longtemps privilégiées

Les transports de personnes à Jakarta sont assurés à la fois par les transports privés mécanisés (voitures, deux roues à moteur et bicyclette), et les transports collectifs (bus, minibus, train de banlieue) et semi collectifs : taxi voiture mais aussi le bajaj, le bemo, et le becak (cyclopousses), et les ojeks (taxi moto pour transporter un passager, en principe). La marche à pied reste encore importante pour les petits déplacements, mais elle est rendue difficile par l’absence de passages souterrains et l’insuffisance de passerelles enjambant les grands axes routiers. Enfin de petits bateaux assurent la traversée des cours d’eau dans la ville.

L’évolution du parc des différents types de véhicules à Jakarta illustre assez bien les tendances de ces dernières années en faveur des transports privés de personnes.

Figure 2 : Evolution du parc de véhicules à Jakarta

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Source : Bureau des Statistiques de Jakarta

La progression des deux roues à moteur, depuis 1998, est spectaculaire, surtout si on la compare à la faible croissance du parc des véhicules de transport collectif. On peut dire que le transport motorisé à DKI-Jakarta est dominé par les deux roues à moteur, sachant qu’une partie du parc de motocycles sert au transport de personnes (taxi motos) mais on ne peut l’évaluer faute d’enquêtes et études sur la question.

En se basant sur le principe de l’économie de marché, on peut deviner que la prospective de la profitabilité dans le transport de marchandises est plus élevée par rapport à celle des transports en commun (TC) par le bus, ou qu’il y a une diminution de la demande de transports en commun. Il y aurait une contradiction : une insuffisance de l’offre de TC et en même temps insuffisance de la demande (des usagers). Cette dernière concernerait le transport par minibus à en croire les résultats d’une enquête succincte réalisée auprès d’opérateurs des petits bus. En plus, la montée significative de nombre de voitures et de deux roues à moteur est attribuée à l’insuffisance et aux défaillances des réseaux de transport en commun. Il en résulte donc une diminution de la fréquentation des TC concurrencés par les transports privés motorisés plus rapides et confortables. Enfin les prêts disponibles pour l’achat de véhicules privés, surtout des deux roues a fortement contribué à l’augmentation des immatriculations en 2002 et en 2003.

La progression de la motorisation combinée à l’insuffisance des réseaux de transports collectifs a contribué à la progression de la part des transports privés motorisés (deux roues à moteur et voiture) dans la répartition modale : elle est passée de 39 % en 1972 à 41 % en 1985, 42 % en 1990 et 49 % en 2000. Les réseaux de bus et le train ont vu leur part régresser de 61 % en 1972 à 51 % en 2000. Les modes de transport semi-collectifs à la demande se partagent le reste du marché des déplacements : les uns progressent comme les taxis, les autres ont vu leurs conditions d’exploitation de plus en plus limitées (interdiction sur les grands axes et dans certaines zones) sont en voie de disparition (bemo) ou aujourd’hui interdits (bajaj, ou tricycle à moteur). Les cyclopousses ou becak subsistent encore de façon marginale.

Selon une étude de la JICA (Japan International Cooperation Agency) réalisée en 2002, les résidents de Jakarta se déplaceraient en majorité avec les transports collectifs 56,6 %), les deux roues à moteur étant le second mode (28,3 %), précédant la voiture particulière (13,3 %).

D’une manière générale, les petites activités “informelles” de restauration, de commerce et de transport ont fait l’objet d’interdiction et de répression par les autorités de Jakarta.

3.2 – Les transports collectifs et semi-collectifs routiers

Le réseau de transports collectifs de Jakarta, à l’exception des lignes ferroviaires de banlieue, est assuré par un parc de 22 500 véhicules dont 57 % sont des minibus du secteur transport. Au total le réseau est constitué de 629 lignes de bus dont plus de la moitié sont exploitées par des opérateurs de bus de grande capacité.

La prédominance des minibus pour les transports de personnes aggrave les difficultés de circulation dans Jakarta, d’autant que les petits opérateurs essaient de prendre la clientèle des opérateurs privés de réseaux de bus sur leurs itinéraires, s’arrêtant n’importe où. De plus, les conducteurs de petits véhicules ne respectent pas la réglementation de la circulation, ce qui aggrave la situation chaotique des transports et la congestion sur les axes.

L’absence d’interconnexions entre réseaux de lignes de TC pénalise les usagers et rend les transports collectifs encore moins attractifs car le temps total de déplacement est accru d’autant. Plusieurs mesures ont été prises en vue de remédier à cette situation, en particulier en réglementant l’usage des voitures particulières sur les principaux axes.

 Figure 3 : Evolution de la motorisation à Jakarta (véhicules pour 1 000 habitants)

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La congestion de la circulation dans Jakarta s’est amplifiée au cours des dernières années, surtout sur les principaux axes. L’insuffisance de l’offre de transports collectifs, et la motorisation, facilitée par les crédits à l’achat et le prix relativement bas des carburants, contribuent à amplifier le phénomène dont les coûts économiques et environnementaux sont très élevés.

3.3 – La restriction d’usage de la voiture dans le centre

En 1992, le gouverneur de Jakarta introduisait une zone de circulation contrôlée le long de grands axes de voirie et sur des voies rapides destinée à encourager le co-voiturage. Les voitures particulières transportant moins de 3 personnes ne peuvent accéder à ces zones aux heures de pointe du matin (7 à 10 heures 30), et du soir (16-19 heures). Cette mesure a vu son efficacité limitée pour diverses raisons : l’ensemble du réseau de voirie n’est pas contrôlé de fait, les automobilistes prennent des passagers à proximité qu’ils rémunèrent pour le « service rendu », certains automobilistes empruntent les ruelles étroites des kampungs pour accéder aux parcs de stationnement des immeubles situés en bordure des avenues concernées par la réglementation et débouchent sur cette voirie en échappant aux contrôles situés à ses extrémités.

La montée du nombre de véhicules ou transports privés et le manque de TEC à Jakarta se conjuguent avec l’insuffisance de la superficie de routes dans la ville de Jakarta. Aujourd’hui, on a appris que la construction de routes à péages ne contribue pas à l’allégement de congestion dans la ville de Jakarta. Dernièrement, même les routes à péages sont déjà surchargées. La ville est surchargée de transports motorisés, surtout de transports privés. Pour éviter la congestion énorme dans la ville, il n’y a pas d’autres moyens qu’un développement adéquat des transports collectifs de masse.

Le RER de Jakarta, le réseau du Jabotabek : une rénovation et un développement encore insuffisants

Le réseau ferroviaire de banlieue a été progressivement rénové depuis les années 80 avec la contribution des Japonais. L’électrification de lignes, la mise en double voies , la rénovation des gares, la surélévation des voies dans le centre ville, l’amélioration de la qualité de service (fréquences plus élevées, nouveau matériel roulant) ont permis de satisfaire les besoins de déplacements d’une partie de la population croissante de migrants alternants.

La desserte de la périphérie de Jakarta par le réseau Jabotabek reste encore insuffisante dans la mesure où n’existe pas un système de transport collectif de rabattement rapide et efficace vers les gares et stations du réseau ferroviaire de banlieue. Les villes desservies par le rail urbain sont Bekasi à l’est, Bogor au sud, Serpong au sud-ouest, et Tangerang à l’ouest.

De l’autre côté, on doit prendre en compte la mise en service prochaine d’une deuxième autoroute à péage encerclant la ville de Jakarta. Ainsi Jakarta est maintenant entourée par deux périphériques autoroutiers à péage, qui, à terme, pourraient entraîner des changements dans la localisation des activités dans la région urbaine de Jakarta. Les flux de migrations alternantes s’en trouveraient modifiés avec une répartition plus équilibrée dans l’espace.

Depuis la fin des années 90, la fréquentation du réseau semble marquer le pas, sinon diminuer légèrement peut-être en raison d’une intégration insuffisante avec le réseau de bus et de minibus, des difficultés permanentes et de l’insécurité d’accès aux gares ferroviaires. Bien que le tarif “économique” du train de banlieue soit comparativement meilleur marché que celui du réseau de bus, l’absence d’intégration tarifaire est sans doute un frein à la progression de la fréquentation du Jabotabek. Le migrant alternant qui doit prendre le train puis des lignes de bus pour se rendre à son travail devra acheter un ticket chaque fois qu’il change de ligne de bus.

La fréquentation annuelle du réseau de trains de banlieue entre 1998 et 2002 est tombée de 13,1 à 10,7 millions de passagers à l’intérieur du périmètre de DKI Jakarta : dans la même période elle est passée de 107,9 à 121,4 millions de passagers pour l’ensemble la région urbaine périphérique (114,3 millions en 2000).

De ce fait, on peut voir la similitude entre l’évolution du transport par chemin de fer et celle par transport collectif routier (bus et minibus). On peut supposer que la diminution des usagers des bus et du rail est due à l’utilisation croissante des deux roues à moteur. Il y a en quelque sorte un report modal des usagers des TC vers les transports individuels motorisés. Ce phénomène est plus marqué pour les usagers des réseaux de bus. S’agissant des usagers du chemin de fer, il faut relativiser selon les cas : la durée totale des déplacements quotidiens par rail est plus faible si le lieu de destination est à proximité d’une gare ou d’un terminus ; dans le cas contraire, un lieu de destination éloigné d’une gare ou d’un terminal ferroviaire, le déplacement en deux roues à moteur sera moins long. Une étude sur la répartition modale des déplacements dans la région du Jabotabek (Jakarta exclue) montre des différences d’une ville à l’autre.

Tableau 2 : Modes de transport utilisés selon le lieu de résidence (en %)

Ville de résidence Rail de banlieue Bus

et minibus

Voiture 2 roues

à moteur

Autres Total
Bogor municipalité 40,9 36,4 15,5 6,3 2,7 100,0
Depok 25,7 44,3 14,9 13,0 2,1 100,0
Tangerang municipalité 9,7 47,4 18,7 20,2 4,0 100,0
Bekasi municipalité 6,0 26,1 13,2 39,6 0,4 100,0
Bodetabek 12,6 30,6 14,9 20,0 2,9 100,0

Selon la dernière enquête de la JICA auprès des usagers de transports collectifs à Jakarta, la principale préoccupation est de loin la durée (trop longue) des déplacements, (42 % des enquêtés), suivie de la congestion (13 %), puis du coût du transport (5 %). Cependant le temps de déplacement est fortement lié à la congestion dont sont victimes les transports collectifs non protégés à l’exception de la récente ligne de bus Transjakarta. De plus, la mauvaise coordination entre opérateurs de bus se traduit par une interconnexion faible sinon inexistante des lignes de transport collectif ; de même l’interconnexion entre le réseau ferroviaire de banlieue et le réseau de lignes de bus laisse beaucoup à désirer.

D’une manière générale, l’organisation de transports collectifs n’est pas adaptée aux besoins de déplacement dans l’espace urbain de la mégapole. Une hiérarchie des niveaux de services devrait être définie en fonction de la densité de la demande avec, par exemple, des véhicules de grande capacité sur les itinéraires les plus chargés, avec interdiction aux petits véhicules d’opérateurs privés de les emprunter. De plus, on devrait instaurer un système d’interconnexion entre lignes de surface, et l’intégration tarifaire appropriée entre l’ensemble de sous-systèmes de transports en commun dans la ville. Enfin, les couloirs réservés pour bus devraient être étendus à d’autres itinéraires, comme cela a commencé sur un itinéraire entre Kebayoran Baru et Kota, un des terminaux du transport ferré interurbain.

La ligne de bus en site propre : le transjarkarta

La mise en service de la première ligne de bus en site propre en janvier 2004 est une innovation pour les transports collectifs de Jakarta. Cette ligne dont l’un des terminus est un grand centre commercial (Blok M) est longue de 12,9 km. Sa fréquentation mensuelle a augmenté depuis son ouverture : en juillet 2004 on enregistrait 1,5 million de passagers. Une partie de la clientèle utilisait auparavant des transports privés : voiture (14 %), deux roues à moteur (2 %) ou semi collectifs (taxis 6 %). Mais la grande majorité est des usagers utilisant auparavant le bus. Les raisons pour lesquelles ses usagers utilisent le busway pour les déplacements quotidiens sont variées : le temps de déplacement est mentionné par 42 % des personnes enquêtées, loin devant « éviter la congestion » (13 %), la ponctualité (8 %) ou le tarif (5 %). Ainsi, cette première ligne, bien qu’appréciée, n’a pas entraîné un report modal massif des transports privés motorisés vers le bus. Cependant l’ouverture d’autres lignes en site propre formant un véritable réseau, 15 lignes circulant sur un total de 159 Km prévues pour 2010, devrait avoir un impact plus significatif sur les comportements de déplacement. Enfin une des lacunes du busway actuel est sa mauvaise interconnexion avec les lignes ordinaires.

4 – L’avenir des transports dans la région Jabotabek

On dit plus haut que la congestion de la circulation est devenue un problème majeur dans la ville de Jakarta et sa périphérie. Pour remédier à cette situation, on a proposé plusieurs mesures : une politique de stationnement, la mise en place de couloirs réservés aux bus, l’interdiction pour tout véhicule transportant moins de trois personnes d’entrer dans certaines zones. Dans un proche avenir, il est envisagé l’introduction de système de péage urbain pour entrer dans certaines zones dans la ville, un peu sur le modèle de Singapour.

Le monorail en débat

Alors que le début de la construction du monorail est sans cesse reporté, plusieurs groupes de pression, et en particulier l’organisation Pelangi, ont pensé qu’il serait préférable d’étendre le réseau de lignes de bus en site propre à grande capacité et à fréquence élevée (busway). Le principal argument est qu’avec un même montant d’investissement on peut mettre exploitation plusieurs busways au lieu d’une ligne de monorail : ce dernier nécessitait de lourdes subventions d’exploitation alors que les recettes d’exploitation d’un busway peuvent couvrir les coûts. À fortiori, le métro est une solution encore moins réaliste : le coût de construction d’un kilomètre de métro équivaudrait au coût de construction de 35 km de busway. De plus, le monorail pouvant transporter 270 000 personnes par jour ne serait pas accessible à la majorité des résidents de Jakarta, le tarif envisagé variant entre 3 500 et 7 500 roupies par trajet contre 1 500 roupies pour le bus. Quoi qu’il en soit, il est prévu de porter à 14 le nombre de busways d’ici 2007, ce qui représente un investissement de 263 millions de dollars US. Le monorail de 28 km aurait un coût nettement supérieur (650 millions de dollars US).

Un report modal substantiel des transports privés motorisés vers les transports collectifs ne peut être envisagé uniquement par la mise en place d’un système de transport collectif plus performant ; en parallèle, des mesures visant à limiter l’usage des modes privés devront être prises à plus ou moins long terme, comme le suggèrent plusieurs experts : taxes progressives sur les propriétaires de plusieurs véhicules privés, élévation du prix des carburants, introduction d’un péage urbain. Enfin Jakarta pourrait définir une politique de stationnement limitant le recours à la voiture par une tarification différentiée selon les zones et les moments de la journée. Sur le plan institutionnel, la mise en place d’une autorité organisatrice, sur un modèle comparable à celui des villes françaises, chargée de planifier, coordonner et de gérer l’ensemble des systèmes de transport collectif, ainsi que le stationnement, est une perspective à ne pas écarter.

 

Références

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Notes:

* Professeur d”économie à l’Université d’Indonésie de Jakarta

** Directeur de recherche émérite du CNRS, Laboratoire d’Economie des Transports, Université Lumière Lyon 2, ENTPE.

[1] Le profil des déplacements des villes environnantes à Jakarta, Bureau des  Statistiques de Jakarta, 2001.

[2] Mc Gee T. G., 1991, « The emergence of Desakota Regions in Asia: Expanding a Hypothesis » in Ginsburg N., Koppel B., Mc Gee T.G., (sous la dir. de) The Extended Metropolis Settlement Transition in Asia,. Honolulu, University of Hawaï Press, pp.3-25.

[3] Données reprises du chapitre de Frédéric Durand, op.cit.