Une approche progressiste du “développement” : la notion de “Contrat de développement”

Paul Sindic*

126Les constats sur l’état de l’humanité faits par les grandes organisations internationales comme le PNUD, l’OMS, l’UNESCO, la FAO, l’UNICEF, le Haut-Commissariat aux réfugiés, le BIT, etc. sont accablants quant aux conditions dans lesquelles vivent ou plutôt survivent, en ce début du XXIème siècle, la majorité des hommes et des femmes de notre planète. Dans les “pays en développement” (PED), sévissent toujours le chômage massif, la surexploitation du travail y compris de celui des enfants, l’analphabétisme, l’absence fréquente d’eau potable, de systèmes d’assainissement, les millions de morts liés à diverses maladies (ex. paludisme ou sida), non soignées par défaillances des systèmes de santé ou manque de moyens financiers, la malnutrition, etc., le tout accompagné d’un creusement des inégalités avec les zones développées qui n’a jamais été aussi spectaculaire. A noter également que ces conditions de vie désastreuses persistent dans de vastes zones de pays dits “émergents” (ex. Inde, Brésil), malgré leurs taux de croissance macroéconomiques flatteurs. Cette situation menace l’avenir de l’humanité et le système capitaliste néolibéral, même “globalisé”, s’avère incapable de définir et de mettre en œuvre une voie crédible pour en sortir. Par ailleurs, la logique de fonctionnement très gaspilleuse des systèmes de production et de commercialisation des pays capitalistes développés, conjuguée à la poussée démographique des PED et à leurs propres processus de développement, notamment ceux des pays “émergents”, ont contribué à l’aggravation rapide de problèmes majeurs, eux aussi générateurs, s’ils ne sont pas pris à bras le corps rapidement, de graves dangers pour l’avenir de l’humanité. Le premier étant le réchauffement climatique lié historiquement à l’utilisation massive de combustibles fossiles par les pays développés, le deuxième étant les perspectives d’insuffisance ou d’épuisement de diverses ressources naturelles (en premier lieu, des hydrocarbures avec un décrochage possible entre la demande planétaire de pétrole et l’offre potentielle dans un délai historique relativement bref, à partir de 2020 ?). Faire face à de tels défis nécessiterait à bref délai une mutation planétaire des systèmes productifs (“décarbo-nisation” de l’énergie, recyclage, nouveaux matériaux, produits modernisables, etc.) que le capitalisme, là aussi, se révèle incapable d’assumer.

Compte tenu de ces constats, de ces échecs, de ces contraintes nouvelles, les processus de développement doivent être repensés. Dans l’étude qui suit, nous essaierons donc d’esquisser une réflexion d’ensemble à ce propos à partir des thèmes généraux ci-après :

1 – une analyse historique critique des divers modèles de “développement” et des rares exemples de PED ayant réussi, depuis les années 60, un décollage partiel ou global de leur économie ;

2 – la possibilité de définir aujourd’hui, pour chaque PED, les conditions essentielles spécifiques d’un “développement global » intégrant les critères du “développement humain”, tels qu’ils ont été définis notamment par un organisme international comme le PNUD ;

3 – la nécessité de repenser le cadre international des actions de “développement” en redonnant la primauté en la matière au rôle de la communauté internationale et de ses diverses organisations au sein des Nations Unies, sur la base d’orientations et de programmes concrets adaptés à la spécificité de chacun des PED concernés, afin qu’aucun ne soit exclu. Nous proposerons dans cette perspective la mise sur pied d’un outil spécifique, les “Contrats de développement”, à négocier entre chaque PED et une entité ad hoc des Nations Unies, chargée de la responsabilité globale du “développement” et de la coordination de l’action des diverses organisations internationales compétentes en la matière.

I – Analyse historique critique des divers modèles de développement des PED

Les luttes idéologiques des années 60 sur la nécessité d’un nouvel ordre économique international, la recherche d’une sorte de troisième voie politique et économique, que symbolisait le mouvement des non-alignés, empruntant à la fois au modèle soviétique, mais dont la rigidité rebutait, et au capitalisme, ont effectivement engendré, à la sortie de la décolonisation, des processus de développement des pays du tiers-monde, comme l’on disait alors, basés sur les concepts de “développement auto-centré”, de “substitution aux importations”, à partir d’économies mixtes contenant une proportion variable d’entreprises d’Etat. Dans nombre de pays émergeant de la décolonisation, des processus de développement significatifs, non seulement économiques, industriels et / ou agricoles, mais aussi humains (développement des systèmes d’éducation, de santé) se sont ainsi amorcés. L’Algérie des décennies 60 et 70 en a été un bon exemple et les pays du “camp socialiste” ont, à l’époque, apporté une aide réelle à nombre de PED. Mais l’hétérogénéité de ces processus a été grande. Tantôt, ils ont été à peine amorcés, faute de ressources suffisantes, locales et en devises, dans nombre de pays africains ou asiatiques, tantôt, dans les pays dotés de ressources naturelles exportables ou placés dans des positions géopolitiques stratégiques particulières justifiant un soutien occidental important (type Corée du Sud, Taiwan), ils ont pu prendre rapidement une certaine ampleur. Cependant, d’ores et déjà, on pouvait noter certains clivages. Si la plupart des PED faisaient preuve d’un nationalisme fort à tendance protectionniste dans l’édification de leur économie, certains donnaient priorité à des logiques socialisantes avec une économie administrée, des entreprises d’Etat à faible autonomie, sous tutelle de ministères, s’inspirant au moins en partie du modèle soviétique (type Algérie, Irak ou pays appartenant au “camp socialiste”, type Cuba, Vietnam). D’autres, au contraire, même avec un nombre significatif d’entreprises d’Etat, fonctionnaient sous logique capitaliste dominante (type Corée du Sud avec ses conglomérats à la japonaise, ou Taiwan).

Ensuite, l’affaiblissement progressif, à compter de la décennie 70, du “camp socialiste”, puis son effondrement au début des années 90, le basculement du rapport de forces planétaire en faveur du capitalisme et des classes dirigeantes occidentales qui en a découlé, ont profondément modifié ce paysage. Pour schématiser et sans s’appesantir sur ce sujet connu, le rétablissement de la domination capitaliste occidentale sur la quasi-totalité des PED s’est opéré en trois temps :

1 – octroi relativement laxiste de crédits occidentaux aux PED tout d’abord ;

2 – explosion de la dette correspondante ; ensuite ;

3 – soi-disant remèdes pour la maîtriser, imposés par les classes dirigeantes occidentales via le FMI, consistant en des “plans d’ajustement structurel”, qui se sont avérés pires que le mal, déstructurant les Etats et leurs administrations, leurs embryons de services publics, liquidant nombre d’entreprises d’Etat et les secteurs d’activité qu’elles couvraient, plongeant dans la misère, de par la suppression des subventions aux produits de première nécessité, la grande majorité des populations concernées, etc.

Les guerres endémiques qui ensanglantent l’Afrique, les catastrophes humanitaires, n’ont bien souvent pas d’autre origine première que ces politiques, criminelles de par leurs conséquences humaines désastreuses. Dans ces échecs, les responsabilités des classes dirigeantes des PED sont patentes (inefficacité, corruption, tendances dictatoriales, indifférence aux besoins de “développement humain” de leurs compatriotes, sous-estimation de la nécessité et de la difficulté de mettre sur pied des activités productives diversifiées et compétitives, etc.), mais elles demeurent secondes par rapport à celles des classes dirigeantes occidentales (soutien préférentiel aux dirigeants corrompus, insuffisances de l’aide, contraintes financières imposées insurmontables, néocolonialisme économique lui aussi imposé, etc.).

Par ailleurs, la “globalisation” liée au capitalisme néolibéral, aux orientations symbolisées notamment par le slogan de Washington, « Trade, not aid », s’étend progressivement à la plupart des PED, via les accords de libre-échange des marchandises et la libre circulation des capitaux qui se généralisent et via les impulsions néolibérales de l’OMC actuelle. Elle a déclenché des processus d’exclusion (pays non attractifs pour les investissements capitalistes désormais exclus de tout processus de développement). Ainsi la majeure partie des Etats africains est désormais dans cette situation et certains d’entre eux ont même régressé du point de vue des infrastructures et des critères du développement humain (éducation, santé). A l’inverse, dans certains pays, en nombre limité, de nouveaux processus de développement sont apparus, le plus souvent partiels et limités à certains secteurs d’activité exportateurs, sur la base, soit d’investissements directs étrangers (IDE), le plus souvent sous forme de délocalisations, attirés par de faibles coûts de main d’œuvre, soit d’investissements capitalistes nationaux (sous-traitance). Parmi les PED ayant réussi à s’insérer, partiellement ou plus globalement, dans le marché “globalisé” du capitalisme néolibéral, on trouve une gamme très variée de situations. Quelques rares pays ont réussi un décollage économique global avec une gamme déjà très diversifiée d’industries et de services compétitifs, tels que la Corée du Sud, Taiwan, mais historiquement au prix d’une surexploitation forte de leurs salariés, de carences importantes dans les acquis sociaux, les libertés, même s’ils ont connu ensuite en ces domaines des évolutions partielles positives conquises de haute lutte. D’autres, qualifiés de pays “émergents”, ont réussi des décollages partiels avec une série plus ou moins diversifiée d’industries et de services compétitifs. C’est un ensemble hétérogène qui peut comprendre des pays de taille moyenne type Malaisie, Turquie et de grands pays type Brésil, Inde, Chine. Chez ces derniers, une caractéristique très limitative, jusqu’ici, du point de vue des critères du développement humain réside dans le fait que le décollage économique, toujours sous dominante de logique économique néolibérale “globalisée”, se concentre dans certaines zones géographiques et laisse largement de côté le reste du pays et la majorité de la population, avec une explosion concomitante des inégalités sociales. Enfin, une série d’autre pays ont connu des développements très partiels par délocalisations, limités à quelques rares secteurs exportateurs à base de faible coût de main d’œuvre (textile, chaussure, assemblage électronique) et qui s’avèrent particulièrement fragiles dès qu’apparaît un nouveau pays exportateur à coût de main d’œuvre encore plus faible (ex. mise en cause du textile tunisien ou des maquiladoras mexicaines du fait notamment de la concurrence chinoise).

De cette analyse critique, il ressort, outre les raisons d’échec mentionnées plus haut, au moins trois constats principaux :

– aucun processus de développement significatif, à l’heure actuelle, n’a lieu sans un certain niveau d’insertion, plus ou moins maîtrisé, dans la logique du marché capitaliste «globalisé» ;

– à l’inverse, aucun décollage économique significatif dans un PED quelconque ne s’est opéré en suivant les dogmes économiques néo-libéraux actuels : ouverture totale des frontières et libre échangisme, privatisations tous azimuts et effacement total du rôle économique et industriel de l’Etat, avec liberté totale aux investissements étrangers. Au contraire, protectionnisme de droit ou de fait des industries naissantes, économie mixte maintenant des entreprises publiques dans des secteurs d’activité stratégiques ou pour des services publics essentiels et politiques industrielles très actives, avec contrôle des investissements directs étrangers, ont été au contraire la clef des décollages économiques réussis ;

– pour l’accès à un décollage économique global concernant l’ensemble du pays et l’ensemble de la population, trois éléments paraissent en fait particulièrement décisifs :

i – la mise sur pied d’un système d’éducation-formation-recherche de niveau occidental et touchant l’ensemble de la population ;

ii – une politique des activités productives très active, visant à la création d’un maximum de branches d’activité, soit par des entreprises d’Etat, soit par des entreprises privées nationales, appuyée sur la réalisation des infrastructures nécessaires, ce qui suppose, par ailleurs un Etat et une administration efficace ;

iii – une maîtrise nationale de l’éventuelle intervention des investissements directs étrangers.

 II – Conditions essentielles pour un “développement global” de chaque PED intégrant les critères du “développement humain

II.1 – Les conditions

Il s’agit ici de définir les conditions essentielles d’un développement “global”, qui concerne donc l’ensemble de la population du pays concerné et ne se contente pas de chiffres de croissance macro-économiques flatteurs, mais qui vise à satisfaire l’ensemble des critères du “développement humain” pour la dite population, soit l’accès à l’éducation, à la santé, au logement, le droit à l’emploi, les libertés démocratiques sans discriminations de sexe, de religion ou ethniques, etc.

Compte tenu de l’analyse historique critique qui précède, et de nombre de travaux et d’études récents (importance des apports du PNUD en la matière), ces conditions essentielles nous paraissent être les suivantes :

a – La mise sur pied d’un système d’éducation-formation-recherche de niveau équivalent aux systèmes occidentaux, respectueux de l’identité culturelle nationale, mais garantissant l’accès pour tous, sans coût significatif, (alors que bien souvent l’éducation est payante dans les PED) et sans discrimination (homme – femme notamment), aux savoirs de notre temps ;

b – la remise à niveau (ou la mise sur pied) des grandes infrastructures (éducation déjà mentionnée, santé, équipements urbains et logements sociaux à faible loyer, eau, assainissement, transports, énergie, télécoms, etc.) permettant à l’ensemble de la population de parvenir à un meilleur niveau de développement humain, mais aussi de productivité ;

c – une politique nationale volontariste des activités productives (industrielles, de services, agricoles) orientée vers la création d’une palette d’activités la plus diversifiée possible, incluant notamment des activités à haute valeur ajoutée, et visant l’accès à la compétitivité mondiale. Une telle politique est la seule à même de garantir : 1) Les créations d’emplois massives indispensables dans tous les PED, 2) L’accumulation de ressources nationales nécessaire pour autofinancer la poursuite du processus de développement sans dépendance, en relayant les indispensables aides internationales de départ.

Ce développement des activités productives devra aussi intégrer les critères d’un véritable développement “durable”, à savoir l’économie des ressources naturelles consommées et la minimisation des nuisances pour l’environnement, local et planétaire (déchets, “effet de serre”, eau, sécurité industrielle, etc.) ;

d – remplir les conditions précédentes suppose également, comme indiqué plus haut, un Etat et une administration efficace ;

e – des réformes politiques, économiques et sociales devant nécessairement accompagner le développement “global (démocratisation du système politique, respect des libertés fondamentales, tolérance à l’égard des minorités de toute nature, cessation des discriminations sociales et politiques envers les femmes, politiques de partage équitable des fruits du développement, développement des acquis sociaux, etc.) ;

f – enfin, dernière condition, externe celle-là, la mise sur pied d’une “régulation des échanges alternative au libre échange”. Même si ce point ne peut être développé ici faute de place et de maturation suffisante (études en cours au sein d’un groupe de travail auquel participent divers responsables de cette revue), il s’agit notamment de garantir aux PED ou à des zones économiques régionales (ZER) les regroupant, des quotas d’accès libre, mais limités, pour toutes leurs productions sur les marchés développés ainsi que de la possibilité de protéger significativement leurs industries naissantes (droits de douane, quotas sur leur marché local), ces protections étant abaissées, mais non supprimées, après leur accession à la compétitivité. Une régulation des échanges spécifique devra également viser la promotion des échanges “Sud-Sud” au sein des ZER du “Sud” et entre ces dernières. Au total, chaque PED devra pouvoir ainsi disposer à terme d’un montant de ressources en devises suffisant pour autofinancer la poursuite de son développement.

II.2 – Quel financement ?

Définir ainsi les conditions essentielles d’un “développement global” intégrant les critères du “développement humain”, pose évidemment la question de son financement.

1 – Investissements de base

 La description des caractéristiques d’un tel développement fait immédiatement apparaître que nombre des investissements exigés (mise à niveau des systèmes d’éducation-formation-recherche, des systèmes de soin, des grandes infrastructures : eau potable, assainissement, logements sociaux, transports publics, etc.) ne peuvent relever que de financements publics, car si l’on veut qu’ils bénéficient à l’ensemble de la population au moindre coût, il est impossible qu’ils remplissent les critères habituels de rentabilité très élevés des financements capitalistes, en particulier des investissements directs étrangers (IDE) des multinationales. Or, nombre de PED, dans une situation financière difficile, sont incapables de financer seuls de tels investissements. Il est donc absolument nécessaire de leur apporter une aide publique internationale d’envergure (multilatérale et bilatérale). Nous examinerons ce point dans la III° partie consacrée aux “Contrats de développement”.

2 – Modalités de financement du développement des activités productives

On connaît la réponse capitaliste néolibérale à ce problème : libre échangisme, privatisations tous azimuts et rôle exclusif des capitaux privés, nationaux ou IDE, pour le financement des activités productives, l’Etat n’intervenant pas. Le poids idéologique international de ces dogmes est tel que, même le PNUD, tout en reconnaissant récemment la nécessité d’un certain rôle économique de l’Etat, en reste partiellement prisonnier.

Nous pensons qu’une grande bataille politique internationale doit donc être menée pour que, à l’opposé de cette pensée unique, soient reconnus deux principes essentiels :

a – La liberté pour chaque PED de choisir à tout moment, sans qu’aucune pression politique internationale puisse s’exercer à cet égard, le niveau d’intervention des capitaux publics nationaux (prêts ou participations directes) dans ses activités productives ;

b – La liberté pour chaque PED de faire appel ou non aux IDE et de décider des règles du jeu encadrant leur intervention, la seule sanction étant économique (non-intervention des IDE si le pays n’est pas suffisamment attractif).

De surcroît, nous pensons que bataille devra être livrée aussi, le moment venu, pour la conclusion d’un nouvel AMI, progressiste cette fois, reconnaissant la légitimité internationale de certaines règles du jeu encadrant l’intervention des IDE, à savoir :

i – intervention s’effectuant préférentiellement sous forme d’un partenariat équilibré à objectif défini, associant (sans prise de participation en capital) firme étrangère et firme nationale (à capitaux nationaux privés ou publics) et comportant une obligation d’assistance technique à la mise à niveau de la technologie, de la gestion de la firme nationale ;

ii – droit de contrôle des PED sur les IDE pour vérifier qu’ils s’insèrent bien dans le plan de développement de ses activités productives, avec recommandation de choisir les IDE par appel d’offres ;

iii – respect par les IDE et le PED concerné d’un certain nombre de normes internationales de droit du travail à consigner dans les “Contrats de développement” (voir ci-après) ;

iv – garanties de la stabilité des conditions locales offertes permettant une “rentabilité normale” des IDE.

III – Les “Contrats de développement »

A l’heure actuelle, il existe diverses structures juridiques internationales censées agir en faveur du développement des PED (Objectifs de développement du millénaire, Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté, etc.). Il ne s’agit donc pas d’en rajouter une nouvelle pour le plaisir, mais de la nécessité, pour mettre en œuvre des orientations nouvelles, progressistes, en rupture nette avec les logiques actuelles, de disposer d’un instrument ad hoc, façonné à cette fin. Nous examinerons ci-après l’objectif principal de tels contrats, les partenaires contractants, les moyens de leur financement ainsi que les objectifs annexes dont ils pourraient être également les vecteurs.

1 – L’objectif principal

Au lieu des décisions actuelles d’attribuer, arbitrairement et unilatéralement, avec les pressions politiques que l’on connaît, un certain montant d’aide extérieure, toujours très insuffisant, et de voir ensuite à quoi elle peut être utilisée, nous proposons que soit établi entre la Communauté internationale et le PED concerné un “Contrat de développement” définissant un “Plan de développement” à 10 ans, établi par le gouvernement concerné en concertation avec une entité ad hoc des Nations Unies (voir 2/ ci-après) coordonnant l’assistance technique d’institutions internationales spécialisées (PNUD, UNESCO, OMS, FAO, etc.) et d’ONG actives dans le pays pour sa mise au point. Ce plan, visant à permettre un réel décollage économique, déterminerait le montant global des financements devant faire l’objet d’investissements publics (systèmes d’éducation-formation-recherche, de santé, grandes infrastructures (eau, assainissement, routes, transports ferroviaires, énergie, logements sociaux, etc.) ainsi que l’assistance technique nécessaire. Une fois déterminée la part que le pays concerné pourrait consacrer, sur ses propres ressources et dans le cadre d’une gestion rigoureuse, à ces investissements vitaux, le reste devrait être fourni par l’aide internationale jusqu’à ce que le décollage du pays lui fournisse les moyens d’autofinancer la poursuite de son développement. Ce montant d’aide internationale serait fourni dans le cadre du “Contrat de développement” précité, signé par le PED concerné avec l’organisme ad hoc des Nations Unies et les donateurs (aides internationales multilatérales et bilatérales, prêts à conditions favorables). Sa bonne exécution, par tranches successives, ferait l’objet d’une surveillance internationale rigoureuse (délais, coûts, absence de détournements, etc.) dans le cadre d’un nouveau rôle du FMI, de la Banque mondiale et dans une version rénovée de la “bonne gouvernance”.

2 – Les partenaires contractants

Il s’agirait tout d’abord, bien sûr, du PED concerné, avec une incitation internationale à ce qu’il ne s’agisse pas uniquement d’une affaire gouvernementale, mais que la population soit associée à l’élaboration du “plan de développement”, dans un débat national démocratique lui permettant de participer à la définition de ses besoins.

Du côté de la communauté internationale, dans le cadre des propositions de réforme des Nations Unies, le “groupe des 77” réclame un rôle plus actif de l’ONU en matière d’aide internationale au développement et les travaux du South Center pour le “groupe des 77” proposent que le Secrétariat général assure une coordination des Institutions spécialisées internationales œuvrant dans le domaine du développement. Cette coordination serait assurée par la nomination d’un Secrétaire général adjoint spécialement chargé de cette tâche. Nous sommes d’accord avec ces orientations qui rejoignent nos propres propositions de voir la Communauté internationale, via l’ONU, prendre en main la responsabilité d’un processus cohérent d’aide au développement pour tous les PED. Elles devraient être concrétisées par la création d’un organisme ad hoc, chargé de cette coordination, doté des moyens nécessaires, dirigé par un secrétaire général adjoint, au sein du Secrétariat général. Bien entendu, la difficulté politique de parvenir à cette création ne doit pas être sous-estimée, puisqu’il s’agit en filigrane d’une modification du rapport de forces entre Conseil de sécurité et Assemblée générale et d’une conception nouvelle du Secrétariat général, exécutif de l’Assemblée générale.

3 – Les moyens de financement

Les moyens financiers disponibles pour chaque PED concluant un “Contrat de développement” seraient puisés dans des ressources, internes ou relevant de l’aide internationale, multilatérale ou bilatérale, d’origines diverses : meilleure valorisation des matières premières (organisations de producteurs, offices internationaux de régulation des marchés et des productions pour lutter contre les manœuvres spéculatives), Aide Publique au Développement portée effectivement à 0,7 % du PIB, annulation ou réduction drastique de la dette des PED, récupération des avoirs détournés par les classes dirigeantes des PED, répression financière des circuits de blanchiment du crime organisé (rappel du chiffre d’affaires estimé de celui-ci : 1 500 milliards de dollars par an), réduction des budgets d’armement au “Nord” comme au “Sud”, etc. Les fonds fournis directement par les pays développés (APD, réduction de la dette) devraient être prélevés dans la sphère de l’accumulation financière occidentale (Taxe Tobin, prélèvements sur les revenus financiers, etc.) afin que l’impact positif net sur l’économie des pays développés (sur l’emploi notamment) des exportations liées aux investissements effectués dans le “Sud” soit maximum (condition importante du “co-développement”).

4 – Les objectifs annexes

Les “Contrats de développement” pourraient aussi servir de support, en contrepartie de l’importance de l’aide qu’ils apporteraient aux PED, à des incitations fortes de la Communauté internationale pour le respect, par le pays concerné, d’un certain nombre de normes (environnementales notamment), de principes de droit international, de libertés fondamentales, d’acquis sociaux favorables au développement humain. Démonstration a été faite dans la dernière période que la prétention américaine de mettre fin à des régimes dictatoriaux et de faire progresser la démocratie et les libertés à coup de bombes, de tanks, voire de tortures (Afghanistan, Irak) était un leurre dangereux, aboutissant au résultat inverse de ce qui était théoriquement recherché. Mais la question de la progression internationale des libertés et des droits fondamentaux de l’être humain reste posée et les “Contrats de développement” pourraient aider, sans violence, à cette progression. Par exemple, une aide importante à la mise sur pied d’un système d’éducation-formation-recherche performant pourrait, en contre-partie, non seulement garantir l’accès pour tous à un niveau de connaissances correspondant aux savoirs mondiaux de notre temps, mais aussi le respect d’un certain nombre de valeurs de tolérance, de non-discrimination ethnique, sexiste, religieuse, etc. Pour les libertés fondamentales, si l’accès à une démocratie réelle est un processus de longue haleine qui n’appartient qu’au peuple concerné, il n’en demeure pas moins que le respect d’un certain nombre de droits, liberté de la presse, de constituer des partis politiques, élections pluralistes, aident à sa progression. Idem pour un certain nombre de principes du droit du travail (durée, salaires minima, libertés syndicales, cessation du travail des enfants), pour la reconnaissance explicite d’une souveraineté économique du pays dans les domaines déjà mentionnés (niveau d’intervention des capitaux publics dans l’économie, droit de contrôle des IDE) et pour la définition d’une “bonne gouvernance” du “développement global” et des modalités de son contrôle international. Tous ces points pourraient légitimement figurer dans les “Contrats de développement”.

Au total, définir ainsi une conception progressiste d’un processus de “développement humain” montre à la fois la difficulté, l’importance et la diversité des luttes politiques nécessaires pour la faire avancer, mais aussi l’étendue de l’adhésion qu’elle peut susciter chez les peuples pour peu que, dans leur diversité, l’ensemble des forces progressistes qui croient “qu’un autre monde est possible” en débattent, l’enrichissent et se l’approprient.

 

 

Note:

* Cadre juridique, spécialiste du développement, mai 2004.