Béatrice Chevallier-Bellet*
Haïti se situe à l’ouest de l’île d’Hispaniola, île dont le nom signifiant « Petite Espagne » lui a été donné par Christ ophe Colomb en 1492. Ce pays a une frontière terrestre avec la République Dominicaine et se trouve à un peu moins d’une centaine de kilomètres au sud de Cuba. Haïti a une superficie de 27 750 km2 comparable à celle de la Sardaigne et compte aujourd’hui 8,1 millions d’habitants. Plus de 80 % du territoire est recouvert de montagnes et le point culminant — le Morne la Selle — atteint 2 680 m. Plusieurs petites îles constituent également le territoire haïtien dont les deux principales sont l’île de la Gonâve (600 km2) et l’île de la Tortue (180 km2). Divisé en 9 départements, Haïti comporte 41 arrondissements regroupant en tout un peu plus de 130 communes.
La population haïtienne est encore principalement rurale (environ 65 %). Toutefois les prévisions envisagent une croissance de la population urbaine de 10 points de pourcentage d’ici 2015. Population jeune également puisque les moins de 15 ans représentent aujourd’hui près de 40 % de la population totale. Les deux principales villes du pays sont Port-au-Prince (1 million d’habitants, 2,2 millions avec l’agglomération) et Cap-Haïtien (120 000 habitants). La population est composée avant tout d’Haïtiens de souche africaine (95 %), les 5 % restants étant des mulâtres trouvant leurs origines dans la période de colonisation française qui s’est étendue de la fin du 17ème siècle au début du 19ème siècle. La très grande majorité de la population (80 %) est catholique et adepte des cultes vaudous.
Le taux d’accroissement annuel démo-graphique, estimé à 1,9 % de 1975 à 2001, est élevé même si l’on doit noter une baisse de l’indice de fécondité de 5,8 (moyenne pour 1970-1975) à 4,0 (2000-2005) ainsi qu’une diminution du taux de mortalité infantile passant de 148 ‰ en 1970 à 79 ‰ en 2001. Haïti reste l’un des pays les plus pauvres au monde. Le PNUD le classe dans les pays à faible développement humain et il se trouve en 150ème position (sur 175 pays) avec un IDH de 0,467 se situant à ce titre entre Madagascar (0,468) et la Gambie (0,463). La pauvreté de la population haïtienne peut se lire au travers de ce chiffre : la moitié d’entre elle souffre de malnutrition et est privée d’un accès régulier à un point d’eau aménagé.
La traite des noirs a été instaurée quelques années après la découverte de l’île d’Hispaniola par Christophe Colomb. En 1697, le Traité de Ryswick octroie à Louis XIV la partie ouest de l’île d’Hispaniola. La colonisation française au 18ème et au 19ème siècle est fortement marquée par l’insurrection menée entre autres par Toussaint Louverture et Jacques Dessalines. De cette insurrection Haïti obtient son indépendance en 1804 ce qui fait de ce pays le premier pays indépendant au monde. En 1825, le roi Charles X reconnaît la souveraineté d’Haïti en contrepartie du versement à la France de 150 millions de francs-or. Ce versement est d’ailleurs aujourd’hui objet de polémiques puisque différents représentants haïtiens demandent la restitution par l’Etat français à Haïti de cette dette coloniale. Au début du 20ème siècle, les Etats-Unis occupent Haïti durant 19 ans (de 1915 à 1934). Puis la dictature s’installe avec la dynastie des Duvalier (Papy Doc puis Baby Doc) qui règnent d’une main de fer sur le pays de 1957 jusqu’à leur destitution en 1986.
Depuis la fin de la dictature, la démocratie cherche son souffle en Haïti et a bien du mal à s’installer durablement dans ce pays ballotté par différents coups d’Etat. La longue marche vers la démocratie en Haïti débute en 1986 après le départ en exil de Jean-Claude Duvalier qui a succédé en 1971 à son père. En 1987, la démocratie franchit un pas avec l’adoption par référendum d’une nouvelle Constitution dont l’un des objectifs est de contrôler le pouvoir du président de la République en limitant la durée du mandat présidentiel à cinq ans et le nombre des mandats à deux. Malgré cette nouvelle Constitution, la démocratie ne s’ancre pas en Haïti puisque les présidents et les coups d’Etat se succèdent de 1987 à 1991 (cf. tableau). En décembre 1990, le président Aristide obtient la présidence avec environ 67 % des voix en sa faveur. Le 30 septembre 1991, un coup d’Etat mené par le général Raoul Cédras le destitue et l’oblige à s’exiler aux Etats-Unis. L’Organisation des Etats Américains et ensuite l’O.N.U. répondent alors à ce coup d’Etat en imposant un embargo dont l’objectif politique affiché est de promouvoir la démocratie.
Du coup d’Etat contre Jean-Bertrand Aristide à la levée de l’embargo
L’Organisation des Etats Américains (O.E.A.) réagit vigoureusement en dénonçant immédiatement le coup d’Etat et en adoptant successivement deux résolutions les 3 et 8 octobre 1991. La seconde résolution exige que les Etats membres de l’O.E.A. gèlent les avoirs financiers de l’Etat haïtien et interrompent les relations commerciales avec Haïti exclusion faite de l’aide humanitaire. En revanche, l’implication du Conseil de sécurité est extrêmement tardive puisque la première résolution onusienne est prise seulement en juin 1993. L’embargo universel sur le pétrole et les armes est ainsi mis en vigueur plus d’un an et demi après le coup d’Etat contre le président Aristide. En plus d’être tardive, l’action du Conseil de sécurité reste extrêmement limitée dans le temps : l’embargo onusien est effectif seulement un an sur les trois ans de la crise haïtienne. L’embargo sur les armes et sur le pétrole est tout d’abord levé en août 1993 soit deux mois après sa décision suite à la signature des accords de Governor’s Island entre les putschistes et le président Aristide en juillet 1993. Ces accords prévoient le retour au pouvoir du président. En octobre 1993, le Conseil de sécurité rétablit les sanctions sur le commerce des armes et du pétrole en raison du non-respect de ces accords par la junte militaire et adopte un embargo total qui devient effectif seulement à partir du mois de mai 1994.
Le dénouement de la crise haïtienne en septembre 1994 devient l’affaire des seuls Etats-Unis qui opèrent militairement sous l’autorisation des Nations Unies en faisant débarquer des troupes armées en Haïti dans le cadre de l’opération « Soutenir la démocratie ». Le mois suivant le Conseil de sécurité lève les sanctions onusiennes à l’encontre d’Haïti avec le retour au pouvoir du président Aristide.
Haïti : quels intérêts pour les Etats-Unis ?
La politique étrangère américaine a toujours été interventionniste vis-à-vis de la zone des Caraïbes comme l’indique Leslie Manigat (président de la République d’Haïti en 1988) : « Même au plus fort des périodes d’introversion — l’isolationnisme des années 1920 par exemple — les Etats-Unis ont souvent continué à pratiquer une politique d’intervention active dans la région des Caraïbes »[1]. Dans les années 1960, les Etats-Unis veulent principalement se préserver de l’établissement de gouvernements communistes dans leur “arrière-cour”. Puis la politique de sanctions américaines dans la zone des Caraïbes prend un tournant à la fin des années 1980. La promotion de la démocratie devient alors l’objectif majeur des interventions américaines (qu’elles soient militaires ou non).
Les Etats-Unis ont déjà pris des sanctions sur Haïti avant la destitution du président Aristide. En janvier 1986, ils suspendent une aide de 25,5 millions de dollars en raison des violations des droits de l’homme commises par le régime Duvalier. En novembre 1987, ils emploient des mesures similaires en vue d’accélérer la mise en place d’un régime démocratique. Suite aux violences perpétrées durant les élections haïtiennes, les Etats-Unis gèlent une aide de 48 millions de dollars pour équilibrer la balance des paiements ainsi qu’une aide au développement de 14 millions de dollars et ne donnent pas suite à la demande du gouvernement haïtien portant sur une assistance militaire dont le montant est de 4 millions de dollars. Puis, au mois de décembre 1987, le Congrès américain vote une loi (Foreign Assistance Appropriations Act for Fiscal Year 1988) qui suspend l’aide américaine jusqu’à ce qu’un système politique basé sur la démocratie soit totalement mis en œuvre par le gouvernement haïtien.
L’émigration, le commerce de la drogue, la rupture de la démocratie sont les motifs que le gouvernement américain avance pour justifier son intervention dans la crise haïtienne de 1991. En mai 1994, quelques mois avant l’intervention militaire, le président Clinton précise alors les « intérêts légitimes » des Etats-Unis en rapport avec Haïti : 1) Haïti est notre cour intérieure ;
2) nous avons un million de Haïtiens-Américains ;
3) il y a des milliers de citoyens américains en Haïti, ;
4) le pays est un centre de trafic de drogue ;
5) il est actuellement le seul pays de l’hémisphère occidental — avec Cuba — où des militaires ont renversé un président élu ; c’est le seul régime non démocratique ;
6) il faut éviter un afflux massif de réfugiés aux Etats-Unis[2]..
Le coup d’Etat contre le président Aristide et l’embargo réactivent le départ des boat people haïtiens vers les Etats-Unis[3]. La diminution du niveau de vie et la répression politique favorisent une émigration clandestine massive : « dans les neuf mois qui ont suivi le coup d’Etat du mois de septembre 1991, environ 38 000 réfugiés ont été interceptés par les garde-côtes des Etats-Unis, dont 26 000 ont été renvoyés en Haïti et le nombre des réfugiés a de nouveau augmenté après la rupture de l’accord de juillet 1993 portant sur le retour du Père Aristide »[4].
Les Etats-Unis se doivent d’intervenir activement dans la crise haïtienne car son règlement a aussi une valeur symbolique. L’embargo sur Haïti représente ainsi un avertissement pour les autres Etats de l’Hémisphère Occidental en leur signifiant que toute rupture de la démocratie sera sanctionnée. Mais le coup d’Etat contre le président Aristide en 1991 est aussi une menace pour les intérêts géostratégiques des Etats-Unis dans la zone des Caraïbes. En effet, une des routes maritimes qui va de la Floride au canal de Panama passe par le Canal du Vent se trouvant entre Haïti et Cuba. Cette route est d’ailleurs encadrée par un ensemble de bases militaires américaines (cf. schéma).
Certes, l’enjeu économique d’Haïti pour les Etats-Unis est peu signifiant si l’on tient compte uniquement des capacités économiques de ce pays qui est le plus pauvre de la zone des Caraïbes. Mais la présence d’industries de sous-traitance représente un intérêt économique certain pour les Etats-Unis. Le secteur de la sous-traitance d’articles manufacturés concerne principalement l’assemblage de vêtements, d’articles de sport, d’appareils électriques et d’appareils électroniques en Haïti. Il s’est fortement développé dans les années 1970 et au début des années 1980 en raison des avantages fiscaux, du climat de sécuri-té, de la qualité et du faible prix de la main-d’œu-vre haïtienne, ce qui a permis le développement d’une industrialisation légère. Les firmes améri-caines ont été attirées par les salaires extrême-ment bas et, jusqu’à la chute de « Baby Doc », par le découragement actif des unions syndicales. L’implantation de ces firmes est alors stimulée par l’existence de rapports sociaux avantageux pour les entrepreneurs. Elle est aussi favorisée par la dispense d’impôts qui leur est accordée pour plus de quinze ans, ces firmes pouvant alors libre-ment rapatrier leurs profits[5]. Toutefois, il faut noter qu’un ensemble de firmes américaines se tournent à la fin des années 1980 vers la Répu-blique Dominicaine et vers d’autres pays de la ré-gion des Caraïbes en raison de l’instabilité politi-que après la chute de la dictature duvaliériste.
Les industries d’assemblage sont un élément essentiel de l’industrie haïtienne et elles contribuent de manière conséquente au commerce extérieur. Les exportations de ces industries spécifiquement vers les Etats-Unis correspondent à elles seules au début des années 1990 à plus de 50 % du total des exportations haïtiennes et à plus de 80 % en 2001. D’ailleurs, en plein période d’embargo, le gouvernement américain autorise en février 1992 la délivrance de licences aux personnes qui sont engagées en Haïti dans des opérations d’assemblage ou de transformation d’articles fabriqués à partir de matières premières importées des Etats-Unis. L’assouplissement du régime de sanctions permet alors aux entreprises américaines de continuer à sous-traiter en Haïti jusqu’à la décision d’un embargo total par l’O.N.U. au mois de mai 1994. Il révèle aussi l’enjeu économique que le secteur haïtien des industries de sous-traitance représente pour les Etats-Unis. Même si le gouvernement américain s’est ému devant les effets de l’embargo sur les travailleurs haïtiens, sa décision a été plus motivée par la volonté de protéger des groupes industriels nationaux qui trouvaient en Haïti une main-d’œuvre à bas coût.
La période d’embargo : quels impacts sur Haïti ?
L’isolement commercial imposé à Haïti en 1991 a comme conséquence la diminution du revenu annuel par tête de 416 dollars en 1991 à 384 dollars en 1994. Les importations haïtiennes se contractent sensiblement en passant de 208,22 millions de dollars au troisième trimestre 1991 à 94,63 millions de dollars au premier trimestre 1992. L’interruption des relations commerciales provoque une baisse significative des exportations de produits manufacturés (issues principalement du secteur de l’assemblage) et une réduction des exportations de café. La rupture des relations commerciales accroît les difficultés d’approvisionnement en intrants nécessaires à la production nationale. L’agriculture haïtienne subit ainsi une baisse des importations d’engrais, de pesticides, de pièces détachées pour l’entretien du matériel, etc. Mais parallèlement à cela, les importations de certains produits agricoles sont autorisées pour raison humanitaire. Cet accroissement des importations de produits alimentaires fragilise fortement le secteur agricole en Haïti car les producteurs nationaux de sucre et de farine se trouvent alors confrontés à une forte concurrence.
L’insularité d’Haïti contribue aussi au renforcement des échanges commerciaux avec la République Dominicaine principalement pour l’approvisionnement en produits pétroliers. A partir du mois de juin 1993, celui-ci provient en majeure partie des activités de contrebande qui se développent à la frontière entre ces deux pays ce qui entraîne une hausse substantielle du prix de l’essence[6]. La hausse des prix des produits pétroliers et la raréfaction de certains intrants augmentent les coûts de production. De plus, durant l’embargo, le gouvernement en place monétise le déficit budgétaire en ayant recours à la création monétaire et cette augmentation des moyens de paiement ne trouve pas de contrepartie au niveau de la production nationale. Tous ces facteurs favorisent alors l’inflation et la dépréciation de la monnaie officielle (la gourde). L’inflation atteint les 20 % en 1993 puis un niveau record autour de 40 % en 1994.
Certains analystes et le gouvernement autoproclamé après le coup d’Etat de 1991 ont imputé la crise économique haïtienne au seul embargo. En réalité, l’économie haïtienne est entrée en 1982 dans une phase de récession suite au choc pétrolier de 1979, aux taux d’intérêts élevés aux Etats-Unis et à la crise de l’économie mondiale ; au cours de cette décennie, la balance commerciale du pays s’est aggravée avec l’escalade des prix des produits pétroliers et la baisse de la valeur d’exportation de produits traditionnels (bauxite, café, cacao, sucre…)[7]. Ainsi, dans les années 1990, la crise haïtienne est, entre autres, le résultat de la crise du mode d’accumulation impulsé à partir des années 1970[8] et non pas uniquement la conséquence des mesures d’embargo. Mais la période d’embargo a poussé encore un peu plus Haïti dans le sous-développement et a éloigné toute possibilité de création d’une base autonome d’accumulation interne. L’embargo a sapé des pans entiers de l’économie haïtienne qui était déjà entrée dans un processus de récession dans les années 1980.
De la levée de l’embargo à la situation actuelle
A la fin de l’embargo, la situation économique en Haïti est extrêmement défavorable : en 1994, le taux de variation du P.I.B./habitant est de – 8,3 %, l’inflation à plus de 40 % et le taux de chômage est estimé à 70 % de la population active[9]. L’intervention militaire, la levée de l’embargo et le retour au pouvoir du président Aristide (le 15 octobre 1994) permettent la reprise officielle des négociations avec le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale ainsi que la mise en place d’une politique économique libérale en Haïti.
Le rétablissement du régime constitutionnel est suivi par l’adoption d’un plan de redressement économique national d’urgence en janvier 1995. Les grands axes de ce programme économique, décidé par le gouvernement haïtien en accord avec le Fonds Monétaire International et les autres prêteurs internationaux, sont :
1) la privatisation des entreprises étatiques ;
2) la réduction des effectifs et des dépenses de l’administration publique ;
3) la réforme de la politique d’investissement ;
4) la réforme de la politique commerciale.
Les premières mesures sur le commerce sont prises en février 1995. Elles constituent en l’élimination des quotas sur les importations et en la diminution des barrières tarifaires. Les taxes sur les importations passent dans une fourchette allant de 0 à 15 % alors qu’elles se situaient en 1989 aux alentours de 30 %.
En 1995, la Banque Mondiale définit une politique ambitieuse pour Haïti s’articulant autour de trois objectifs prioritaires :
1) réduire immédiatement la pauvreté ;
2) reconstruire le secteur public ;
3) établir des bases solides pour instaurer une croissance économique durable[10].
Le retour du président Aristide contribue aussi à la réouverture des “vannes” de l’aide internationale. En 1994, les déboursements nets de l’aide internationale au développement (multilatérale et bilatérale) atteignent des niveaux record : 601,3 millions de dollars alors qu’ils se montaient à 172,4 millions de dollars en 1990. Cet accroissement est principalement le résultat de l’augmentation de l’aide bilatérale fournie par les Etats-Unis : celle-ci représente 90 % de l’aide totale en 1994 alors qu’elle comptait pour 30 % en 1990. L’importante augmentation de l’endettement international a comme effet de plonger Haïti dans une dépendance financière insurmontable vis-à-vis de ses bailleurs de fonds internationaux lui faisant perdre toute souveraineté en matière de politique économique[11].
L’amélioration des performances économiques n’est que de courte durée. Après avoir varié de – 8,3 % en 1994 à 4,4 % en 1995, le taux de croissance annuel par habitant diminue de nouveau en passant à 2,8 % en 1996 et à 1,1 % en 1997. Haïti devient un pays qui n’exporte plus rien et importe tout : en 1996, le montant des exportations permet de financer seulement 1 / 6ème des importations ; le reste devant l’être par le biais de l’aide et des prêts internationaux. Certes les résultats en matière d’inflation sont conformes aux objectifs du programme économique : le taux d’inflation enregistre une baisse de plus de 12 points entre 1994 et 1997. Mais la politique d’ajustement structurel du F.M.I. et plus précisément la réforme de l’administration publique engendrent aussi des pertes d’emplois de l’ordre de 15 % dans le secteur public en 1996[12] et le gel des salaires pour trois ans dans ce secteur.
En octobre 1995, la vie politique haïtienne traverse une première crise majeure alors que le président Aristide est au pouvoir. En raison des hostilités suscitées par son plan de privatisations, le Premier ministre Michel Smarck présente sa démission. En décembre 1995, René Préval (un proche collaborateur d’Aristide) est élu à la présidence avec 88 % des voix (score qui doit être toutefois relativisé par un taux d’abstention d’environ 72 %). En juin 1997, le Premier ministre Rosny Smarth démissionne à son tour suite à une crise politique qui éclate à l’occasion des élections sénatoriales partielles. En guise de démocratie, la République d’Haïti se retrouve sans gouvernement de juin 1997 au mois de mars 1999. Des élections sont organisées en novembre 2000 et remettent au pouvoir le président Aristide en février 2001. Les dysfonc-tionnements liés à cette élection et la dérive mafieuse de Jean-Bertrand Aristide alimentent l’insurrection populaire et la rébellion armée. Cette insurrection trouve son apogée avec la démission et l’exil d’Aristide en février 2004.
Haïti : quel devenir ?
Boniface Alexandre a été nommé président provisoire depuis le renversement d’Aristide. Il doit occuper ce poste jusqu’à la tenue d’élections dont le calendrier n’a pas encore été arrêté. Il a désigné, en mars dernier, Gérard Latortue en tant que Premier ministre provisoire.
Gérard Latortue a occupé en 1988 la fonction de ministre des Affaires étrangères sous la présidence de Leslie Manigat ; il avait, auparavant, effectué l’essentiel de sa carrière comme économiste à l’O.N.U.D.I. (Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel). Son premier objectif est politique. Il consiste à préparer des élections démocratiques et libres en Haïti afin de rompre l’enchaînement des élections frauduleuses et tronquées depuis 1987. Cette volonté repose sur la mise en place d’un système multipartite et sur l’élimination de la corruption dans l’appareil de l’Etat haïtien, principalement dans la police et dans le système judiciaire. Le programme économique du nouveau Premier ministre est également ambitieux : établir des infrastructures sociales dans les domaines de la santé et de l’éducation, établir des infrastructures économiques en matière de transports et de télécommunications, créer des emplois en prenant appui sur un processus de décentralisation, créer un environnement favorable aux investissements étrangers. Ce plan s’appuie sur une plus grande connexion entre le secteur public et le secteur privé, sur une politique de modernisation en profondeur de l’outil économique mais aussi sur une participation plus active des pays industrialisés. Gérard Latortue a rappelé à ce titre, lors de sa récente visite à Paris au mois de mai dernier, que la France avait un devoir moral envers Haïti.
Le pari du nouveau gouvernement est périlleux : redresser la barre de cette île secouée politiquement et économiquement durant des siècles et faire qu’elle ne redevienne pas une fois de plus un bateau ivre isolé et délaissé dans la mer des Caraïbes.
Les enjeux stratégiques de l’Espace caraïbe
Source : MM. Rebour et Trehard, « Signification stratégique de l’espace caraïbe », Défense Nationale, avril 1986, p. 102.
Principaux événements politiques en Haïti depuis 1986.
Février 1986 | « Le président à vie » Jean-Claude Duvalier (« Baby Doc ») part en exil, après plus de deux mois de troubles.
Le général Henri Namphy prend le pouvoir. |
Mars 1987 | Une nouvelle Constitution est adoptée par référendum. |
Novembre 1987 | Les élections législatives et présidentielles sont annulées suite à des massacres le jour du scrutin. |
Janvier 1988 | Leslie Manigat est élu président de la République, après de nouvelles élections boycottées par l’opposition. |
Juin 1988 | Le général Namphy s’empare à nouveau du pouvoir à la suite d’un coup d’Etat et il démet de ses fonctions le président Manigat, qui s’exile à Saint-Domingue. |
Septembre 1988 | Le général Prosper Avril, chef de la garde présidentielle, renverse le général Namphy qui part en République Dominicaine. |
Mars 1989 | Le général Avril restaure partiellement la Constitution de 1987. |
Mars 1990 | Le général Prosper Avril démissionne, il est remplacé par le général Hérard Abraham qui s’engage à remettre le pouvoir aux civils. |
Mars 1990 | Un accord entre l’armée et les partis permet à Mme Ertha Pascal-Trouillot d’assurer la Présidence par intérim du pays. |
Décembre 1990 | Jean-Bertrand Aristide est élu président avec 66,7% des suffrages. |
Janvier 1991 | Roger Lafontant, ancien chef des « tontons macoutes » sous le régime duvaliériste, tente de s’emparer du pouvoir afin d’empêcher la prise de fonctions du président Aristide. |
Février 1991 | Le président Aristide prend ses fonctions. |
Septembre 1991 | Le président Jean-Bertrand Aristide est renversé par un coup d’Etat militaire conduit par le général Raoul Cédras. |
Octobre 1991 – octobre 1994 | Embargo de l’Organisation des Etats Américains puis de l’Organisation des Nations Unies. |
Septembre 1994 | Débarquement des troupes américaines et rétablissement dans ses fonctions du président Aristide. |
Décembre 1995 | Election de René Préval à la présidence. Entre 1997 et 1999, Haïti reste sans gouvernement. |
Novembre 2002 | Election de Jean-Bertrand Aristide à la tête du pays dans le cadre d’élections vigoureusement contestées en Haïti et par la communauté internationale. |
Janvier 2004 | Insurrection populaire et rébellion armée. |
Février-Mars 2004 | Mise en place d’un gouvernement provisoire sous la direction de Gérard Latortue opérant sous la présidence de Boniface Alexandre. |
Notes:
* Chercheur, GRREC.
[1] L. F. Manigat, « Les Etats-Unis et le secteur caraïbe de l’Amérique Latine », Revue de Science Politique, vol. XIX, n° 3, juin 1969, p. 663.
[2] A. Corten, « Port-au-Prince, Washington, Santo Domingo, premières leçons d’un embargo », Etudes internationales, vol. XXV, n°4, décembre 1994, p.686.
[3] Economist Intelligence Unit, Haiti,Country Profile 1996-97, EIU, Londres, p. 35.
[4] Ibidem.
[5] Regional surveys of the world, South America, Central America and the Caribbean, 4ème édition, Europa Publications Limited 1992, London, 1993, p. 363.
[6] J.-M. Caroit, « Les trafics entre Haïti et la République Dominicaine », Le Monde, 4 février 1994, p. 6.
[7] Groupe Croissance, « Panorama de l’économie haïtienne », Chambre de Commerce Franco-Haïtienne, février 1996, p. 18.
[8] Perspectives Haïti, « Situation actuelle et crise économique », Rencontre, n° 9, juin-juillet 1994, p. 24.
[9] Banque Mondiale, D. Chung, « Haiti – The development challenge in Haiti », Washington, DC, 1997.
[10] En 1995 et en 1996, la Banque Mondiale a lancé un ensemble de projets visant à augmenter l’emploi dans le court terme, à reconstruire les routes et d’autres infrastructures de base (infrastructures électriques et hydrauliques), à améliorer la protection de l’environnement (en luttant principalement contre la déforestation) ainsi que la santé de la population.
[11] C. Wargny, « Haïti sous la férule de Washington et du FMI », Le Monde Diplomatique, juillet 1996, p. 28.
[12] Economist Intelligence Unit, Haiti, Country Profile 1996-97, op. cit., p. 38.