Serge Barbereau*
Les dons de médicaments peuvent apparaître comme une solution naturelle, geste de solidarité, devant l’ampleur des besoins de santé non satisfaits dans les pays pauvres, en particulier lors de catastrophes naturelles ou de guerres. Mais ces dons sont souvent empoisonnés en créant plus de problèmes qu’ils n’en résolvent.
Dans une première partie, on montrera que depuis plus de 15 ans, les aides d’urgences en médicaments ont créé des difficultés à beaucoup de pays, malgré l’établissement de règles internationales et la sensibilisation des pays du Nord à ce problème. Dans une seconde partie, on verra que les problèmes sont différents selon l’origine de ces médicaments. Et dans une troisième partie, seront pointés les problèmes posés par les dons aux politiques pharmaceutiques nationales.
1 – Une série de catastrophes humanitaires …et pharmaceutiques
Suite au tremblement de terre qui affecta l’Arménie en 1988, 5 000 tonnes de médicaments et de fournitures médicales ont été envoyées sur place. Il fallut six mois à 50 personnes pour en dresser l’inventaire. Conclusion de ce travail : qu’ils soient périmés, inadaptés aux pathologies locales ou tout simplement non identifiés, 58 % des médicaments étaient inutilisables dans ce contexte d’urgence. Il a fallu alors mettre sur pied un programme de destruction.
Le coût de cette destruction a été publié dans le New England Journal of Medicine ; il y est estimé qu’entre 1992 et 1996, le coût des destructions en Bosnie-Herzégovine a été de 34 millions de dollars US.
Cela a été également le cas en Roumanie en 1989, puis il y a eu à nouveau l’Arménie, la Pologne, l’Albanie, La Bosnie, le Mozambique, le Honduras, Timor, l’Algérie… Que venait faire à Mostar en 1995 des échantillons américains périmés depuis les années 1975-1980 ? Quel laboratoire avait fait cadeau de “Dapsone” (un anti-lèpre) aux Bosniaques ? Qui a fait cadeau “d’amphétamines” coupe-faim en Zambie ?
Certains laboratoires se sont ainsi débarrassés de leurs produits en défiscalisant leurs dons. Il s’est avéré être moins cher de faire un don humanitaire que d’avoir à détruire des médicaments invendables.
En 1995, suite à la découverte de 340 tonnes de médicaments de l’aide humanitaire dans l’hôpital de Mostar en Bosnie, l’administrateur européen lançait une alerte vers la Commission européenne.
European Union Administration of Mostar, M. Hans Koachnick, 2 octobre 1995
A l’attention de : Ambassadeur Carlos Benavidos
Nous avons étudié la situation des médicaments périmés arrivés à Mostar et découvert que le problème est plus important que prévu au départ.
Le résultat d’une étude menée par des experts sous la Direction de l’administration européenne a établi que la quantité totale de médicaments périmés s’élève à 340 tonnes. Cela présente une situation sérieuse causée par différentes associations européennes qui envoient actuellement des médicaments à Mostar.
Cela donne aux Croates et aux Bosniaques la très mauvaise impression que les nations européennes font du « dumping » avec leurs médicaments périmés. De telles actions sont de plus dangereuses pour la santé des populations.
Nous souhaiterions que vous informiez les Etats Membres, leur demandant d’informer leurs organisations nationales et leurs associations non gouvernementales pour qu’elles arrêtent immédiatement de tels envois.
En 1996, devant la répétition de ces affaires, l’Organisation Mondiale de la Santé a établi des principes pour les dons de médicaments (révisés en 1999) permettant d’éviter tous les problèmes rencontrés.
OMS : Principes directeurs applicables aux dons de médicaments
Choix des médicaments
- Tous les dons de médicaments doivent être basés sur un besoin exprimé et adaptés au profil épidémiologique du pays bénéficiaire. Les médicaments ne doivent pas être expédiés sans le consentement préalable du bénéficiaire.
- L’utilisation de tous les médicaments offerts ou de leurs équivalents génériques doit être approuvée dans le pays bénéficiaire et tous ces médicaments doivent figurer sur la liste de médicaments essentiels ou, à défaut de liste nationale, sur la liste modèle OMS des médicaments essentiels, à moins que le bénéficiaire n’ait expressément donné des indications contraires.
- La présentation, le dosage et la forme pharmaceutique des médicaments offerts devraient, dans la mesure du possible, être analogues à ceux des médicaments généralement utilisés dans le pays bénéficiaire.
Assurance de la qualité et durée de conservation.
- Tous les médicaments qui font l’objet de dons devraient provenir de sources fiables et être conformes aux normes de qualité du pays donateur et du pays bénéficiaire. Le système OMS de certification de qualité des produits pharmaceutiques entrant dans le commerce international devrait être utilisé.
- Des médicaments qui ont été délivrés aux patients puis retournés à la pharmacie ou à d’autres officines, ou qui ont été distribués aux membres des professions de santé sous forme d’échantillon gratuit, ne devraient pas faire l’objet de dons. 6. A leur arrivée dans le pays bénéficiaire, tous les médicaments faisant l’objet de dons devraient être encore valables au moins une année. Une exception pourrait être consentie pour les dons directs à des établissements de santé déterminés, pour autant que le responsable de la réception des médicaments reconnaisse être informé de leur durée de consommation, et que la quantité et la durée de conservation permettent de les utiliser avant la date de péremption. Dans tous les cas, il est important que les dates d’arrivée et de péremption soient communiquées au destinataire suffisamment à l’avance.
Présentation, emballage et étiquetage
- Les étiquettes de tous les médicaments devraient être libellées dans une langue comprise par les professionnels de la santé du pays bénéficiaire ; l’étiquette figurant sur chaque emballage individuel devrait mentionner au moins la dénomination commune internationale (DCI) ou le nom générique, le numéro de lot, la forme pharmaceutique, la teneur en principes actifs, le nom du fabricant, la quantité contenue dans l’emballage, les conditions de conservation et la date de péremption.
- Les médicaments offerts doivent autant que possible être conditionnés en grande quantité comme pour les hôpitaux.
- Tous les dons de médicaments devraient être conditionnés conformément aux règlements internationaux en vigueur en matière d’expédition et accompagnés d’une liste de colisage détaillée indiquant le contenu de chaque carton numéroté et précisant la DCI, la forme pharmaceutique, la quantité, le numéro de lot, la date de péremption, le volume, le poids et, le cas échéant, les conditions de conservation particulières. Le poids de chaque carton ne devrait pas excéder 50 kg. Un même carton ne devrait pas contenir à la fois des médicaments et d’autres fournitures.
Information et gestion
- Les bénéficiaires devraient être avisés de tous les dons de médicaments envisagés, préparés ou déjà expédiés.
- Dans le pays bénéficiaire, la valeur déclarée du don de médicament doit être basée sur le prix de gros de son équivalent générique dans le pays bénéficiaire ou, à défaut d’une telle information, sur le prix de gros sur le marché mondial de son équivalent générique.
- Les coûts de transport locaux et internationaux, de l’entreposage, du dédouanement, et du stockage et de la manutention dans de bonnes conditions devront être à la charge de l’organisme donateur, à moins qu’il n’en ait été décidé autrement en accord avec le bénéficiaire.
Source : OMS, Principes directeurs applicables aux dons de médicaments, révision 1999, WHO/EDM/PAR/9, 26 p, p. 9.
En 1998, une coordination européenne a été créée pour promouvoir l’application des principes directeurs de l’OMS concernant les dons en médicaments, en sensibilisant les différents acteurs de la chaîne des dons sur les problèmes occasionnés par les dons inopportuns et en les mobilisant pour changer de stratégie. Il a été en effet constaté que la plupart des dons sont faits en méconnaissance des besoins réels et des règles de l’OMS. Cette campagne, menée en partenariat entre ReMeD (France), Wemos (Pays-Bas), Difäm (Allemagne) et Prosalus (Espagne) a été partiellement financée par l’Union européenne[1]
Malgré cela, chaque crise voit son lot de dons ne correspondant à aucun besoin.
Un audit de la qualité des dons a été ensuite effectué en mai 1999 au Kosovo avec l’OMS.
« 50 % des médicaments reçus étaient inadéquats ou inutiles et devaient être détruits 4 000 comprimés, 1 200 flacons de perfusion, 16 000 tubes de pommade étaient périmés avant d’arriver dans le pays. Deux millions de comprimés et 85 000 flacons pour injection étaient périmés avant la fin de l’année. La moitié des listes de colisage ne mentionnaient que les noms de marque dont la plupart étaient inconnus des professionnels de santé locaux. »
Après les inondations de l’an 2000 qui coûtèrent la vie à plus de 30 000 habitants, c’est au tour du Venezuela d’avoir été submergé par des dons inappropriés : 70 % de l’aide médicale apportée. Selon le Dr Fransisco Griffin, directeur du service gouvernemental de la production pharmaceutique, certaines compagnies auraient délibérément envoyé des produits périmés dans le but d’économiser les frais de destruction.
Suite au tremblement de terre en Algérie, le constat aura été une fois de plus le même :
« L’afflux de dons de produits pharmaceu-tiques inappropriés déstabilise durablement la réorganisation du secteur de la santé. Les 12 Principes Directeurs de l’OMS applicables aux dons de médicaments (édition 1999) ont fait l’objet d’une explication détaillée soulignant les effets néfastes provoqués par leur non-respect. » XVèmes Journées Pharmaceutiques d’Algérie (2003).
Lors du dernier tremblement de terre au Maroc, ce sont quatre inspecteurs des pharmacies envoyés de Rabat qui mettront en place un contrôle sur l’arrivée des dons en médicaments pour éviter de nouveaux dérapages. Comme dans le cas du Maroc, le Togo et la plupart des pays de l’Est européen ont mis en place des législations pour contrôler l’arrivée de ces dons en médicaments.
Force est de constater que certains dons mal ciblés détruisent les politiques de développement et nuisent ainsi à la pérennisation des centres de santé. Une étude menée au Burkina Faso dans la région du Ganzhourgou montre la fragilité des centres de santé situés à l’ouest de la région. Après enquête, il s’est avéré qu’un gros centre de santé voisin était approvisionné régulièrement en dons par une ONG française.
2 – Qui sont les donateurs ?
Les ONG
Beaucoup de dons sont souvent le fait d’ONG ou de particuliers qui méconnaissent le terrain et la législation française. En effet, le Code de la santé publique réglemente les collectes de médicaments. Il n’est pas rare en France, alors que cela est interdit, de voir des collectes se faire dans les écoles ou par des collectivités locales dans les mairies. Ces médicaments de don, pour la plupart des médicaments de récupération, ne correspondent que rarement aux besoins. Ils correspondent à nos pathologies et à notre thérapeutique. Il faut également faire très attention aux échantillons médicaux remis aux médecins. Ils sont souvent collectés par des associations qui ne se rendent pas compte que ce n’est pas leur rôle que d’initier de nouvelles molécules dans les traitements des malades.
Certains médicaments doivent aussi retenir toute l’attention des associations. Ce sont les tranquillisants, psychotropes, neuroleptiques qui sont couverts par la convention internationale de Vienne. Leur exportation ou importation entre dans la législation des stupéfiants et peut entraîner de lourdes condamnations lorsque les dons sont effectués en dehors des règles légales.
Etude effectuée dans le Puy de Dôme par Pharmaciens Sans Frontières :
Méthode : Une collecte exhaustive de tous les MNU (médicaments non utilisés) apportés par les patients dans 1/5 des pharmacies du Puy de Dôme a été réalisée sur 3 périodes d’une semaine au cours de l’année 1998.
Résultats : Parmi les MNU collectés, seulement 20 % sont valorisables et potentiellement réutilisables pour des actions humanitaires sans tenir compte du critère d’essentialité.
Conclusions : Bien que leur volume soit important, les MNU sont peu souvent réutilisables et la politique actuelle d’aide humanitaire n’incite pas à leur réutilisation. Il semble qu’il soit de moins en moins intéressant de s’investir dans ces collectes compte tenu du temps passé et du devenir des médicaments. Afin d’affiner et de généraliser les résultats obtenus dans cette enquête, il serait très intéressant de poursuivre ce travail à un échelon national.
Le rôle de CYCLAMED :
Depuis 1992, un décret oblige tout fabricant à assumer ses propres résidus. D’où la création d’Eco-Emballage, une société de récupération des déchets, à laquelle près de 10 000 industriels versent aujourd’hui une participation financière, modulée selon le poids de l’emballage qu’ils génèrent. Comme alternative à cette taxe pollueur / payeur, l’industrie pharmaceutique a préféré créer Cyclamed. Une association, qui, à la différence d’Eco-Emballage, ne facture pas les industriels proportionnellement à ce qu’ils produisent, mais selon ce qu’elle récupère (pour l’an 2000, 17 % d’un gisement estimé à 70 000 tonnes). Restait à pérenniser le mode de récupération. Ainsi, selon les mauvaises langues, Cyclamed aurait employé l’argument humanitaire de la collecte des MNU pour inciter les consommateurs à rapporter leurs boîtes de médicaments en pharmacie et pour se rallier les pharmaciens peu disposés à se cantonner dans un rôle d’éboueur.
Depuis, Cyclamed est revenu à son objet principal, c’est-à-dire la destruction des déchets de l’industrie pharmaceutique. Tout médicament délivré à un malade perd alors sa traçabilité pharmaceutique, il devient un déchet.
Alors comment peut-on encore accepter l’exportation de ces déchets sous le couvert d’humanitaire ou de développement ? Selon l’OMS, il ne doit pas y avoir deux poids deux mesures en matière de qualité. Si le produit ne répond pas aux normes de qualité dans le pays donateur, il ne peut pas faire l’objet d’un don.
Les laboratoires
De nombreux dons des laboratoires ne correspondent pas à des besoins précis. Par exemple, certains dépassent la consommation annuelle du pays receveur. Le donateur « laboratoire pharmaceutique » doit oublier sa logique de marketing pour préserver celle de la santé publique. L’industrie pharmaceutique réagit à sa mauvaise image par des campagnes de communication. Elle est totalement sous la dépendance de ses actionnaires qui eux ne cherchent que les profits immédiats. C’est extrêmement dangereux pour une industrie qui doit viser l’avenir avec de nouveaux traitements pour les maladies existantes et aussi prévoir les traitements des maladies émergeantes en particulier d’origine virale.
Comme tous les dons, le don en médicament crée une dépendance vis-à-vis du donneur.
3 – Les dons de médicaments contribuent-ils à l’accès aux médicaments ?
Il n’y a pas de statistiques internationales sur les dons de médicaments. Il semble que, sauf exceptions pendant de courtes périodes de temps, les dons représentent moins de 10 % de l’approvisionnement pharmaceutique d’un pays bénéficiaire, ce qui est modeste.
Les dons contribuent souvent à désorganiser encore plus les systèmes pharmaceutiques
Les crises sont souvent à l’origine d’un désordre logistique et non d’un manque. Y a-t-il une production locale ou dans la proche région ? Que reste-t-il du circuit de distribution ? Deux questions que l’on devrait systématiquement se poser.
Un exemple de situation d’urgence : Albanie 1999. Le programme PHARE (financé par l’Europe) en 1991-1992 a permis la réhabilitation de l’industrie pharmaceutique. On va pourtant oublier la production locale lors de la crise des réfugiés Kosovars. Il y aura importation massive de médicaments sans conformité avec les recommandations du Ministère de la Santé, ni avec celles de l’OMS, et cela malgré les avertissements lancés depuis Tirana :
« E-MED : Humanitaire et dons de médicaments 26 Avril 1999
Il faut revoir l’humanitaire d’urgence. L’humanitaire peut-il être un facteur de déstabilisation économique ? La réponse est oui si l’on regarde les Balkans aujourd’hui. L’élan humanitaire en faveur des réfugiés Kosovars est en train de détruire les prémices de l’économie de marché en Albanie et en Macédoine. Il aurait pourtant été facile de privilégier l’économie locale ou bien celle des pays environnants. Regardons, par exemple, le secteur pharmaceu-tique. Que restera-t-il des 600 pharmacies privées présentes en Albanie ? Que restera-t-il de l’industrie albanaise et des importateurs privés (14) ? Des tonnes de médicaments sont arrivées en Albanie et en Macédoine. Comme d’habitude, l’offre a prévalu sur les besoins réels. Ce n’était pas un manque de médicaments mais un manque d’argent. Il y avait une bonne occasion pour donner un coup de fouet à l’industrie locale et régionale. L’industrie slovène, par exemple, est présente en Albanie ».
Serge Barbereau
Quelle est la situation pharmaceutique et l’accès aux médicaments dans les pays en voie de développement ?
Y a-t-il un manque ou désordre dans la distribution ? Il n’y a que rarement de vraie pénurie. La distribution ne fonctionne pas et se fait dans les réseaux parallèles. La prolifération des « pharmacies gazons »[2] montre bien qu’il y a des médicaments disponibles. La majorité des dons en médicaments arrivent dans ces réseaux qui n’ont aucune fiabilité. Le résultat est qu’il y a des médicaments, mais avec aucune efficacité, et même avec des accidents liés à une mauvaise utilisation.
Pour une aide efficace, il est nécessaire de connaître la situation dans le pays où l’on veut apporter son aide, ainsi que la politique pharmaceutique nationale, pour la renforcer plutôt que de la déstabiliser. Ces politiques comportent deux aspects importants qui interfèrent avec les dons : la sélection des médicaments (listes de médicaments essentiels) et le recouvrement des coûts.
Listes nationales de médicaments essentiels
Fin 1999, 156 pays disposaient d’une liste de médicaments essentiels, souvent actualisée régulièrement. Les médicaments essentiels sont ceux qui satisfont les besoins prioritaires de la population en matière de soins de santé. Ils sont choisis en fonction de leur intérêt du point de vue de la santé publique, des données concernant leur efficacité et leur innocuité et de leur coût-efficacité comparatif. Les médicaments essentiels doivent être disponibles à tout moment dans le cadre d’un système de santé opérationnel, en quantité suffisante, sous la forme pharmaceutique appropriée, avec une qualité assurée ; ils doivent être accompagnés d’une information adéquate, et à un prix accessible pour les individus et la communauté. Sur ce concept, l’OMS a défini une liste-modèle. La première date de 1977. Nous en sommes à la 13ème.
La sélection des médicaments essentiels comporte deux étapes. Tout d’abord, l’autorisa-tion de mise sur le marché d’un produit pharmaceutique est habituellement accordée sur la base de l’efficacité, de l’innocuité et de la qualité de ce produit. C’est rarement sur la comparaison avec d’autres produits déjà sur le marché ou d’après des considérations de coût. Cette décision réglementaire définit la disponibilité d’un médicament dans le pays.
La deuxième étape conduit à l’établissement de la liste. Le mieux est d’établir une liste des médicaments essentiels pour les différents niveaux de soins, en s’appuyant sur des directives cliniques normalisées concernant les maladies et affections courantes qui peuvent et doivent être diagnostiquées et traitées au niveau en question.
Ce processus revêt une importance cruciale. Il est important que le processus soit consultatif et transparent. La liste est révisée tous les deux ans. A l’échelle nationale, comme au niveau de la Liste internationale de l’OMS, il est possible, avec arguments, de proposer un retrait ou une inscription sur la liste.
La mise en œuvre se fait par une diffusion massive auprès des structures de soins, mais aussi au niveau de la formation des personnels soignants.
Le “recouvrement des coûts”
Après la conférence d’Alma-Ata (en 1978) et la 37ème session du Comité régional de l’OMS tenue à Bamako en 1987, s’est engagé le processus de la participation communautaire dans le secteur de la santé à travers le recouvrement des coûts des soins de santé primaires et en particulier des médicaments essentiels.
A partir des années 80, l’insuffisance des budgets sanitaires publics, dans un contexte général marqué par la crise et l’ajustement structurel des économies, se traduit par une dégradation importante des services de santé publics dans la plupart des pays. Il est alors envisagé de faire supporter officiellement aux populations un certain nombre de charges supposées “gratuites” auparavant, notamment les médicaments. Ce passage d’une gratuité illusoire à un financement direct par les usagers peut devenir un moyen pour relancer, dynamiser et améliorer les services de santé au niveau local.
La participation financière des populations est à situer dans un financement d’ensemble de la santé. Le faible pouvoir d’achat des populations impose en effet de ne considérer cette source de financement que comme un appoint aux deux sources principales de financement que sont l’Etat et la coopération internationale.
Les recettes engendrées par le recouvrement des coûts financent certaines dépenses locales de fonctionnement comme les médicaments, les outils de gestion et le salaire du gestionnaire. Les autres dépenses, comme les investissements et les salaires du personnel de santé, étant couvertes par les budgets de l’Etat. Le recouvrement des coûts doit permettre d’assurer la disponibilité permanente des médicaments au niveau des formations sanitaires.
La participation communautaire se traduit sur le terrain par l’existence d’un comité de gestion qui gère les recettes engendrées par le recouvrement des coûts. Cette gestion communautaire garantit une parfaite transparence de l’utilisation des fonds pour les populations et crédibilise le système. Ce comité de gestion est choisi parmi le comité de santé du dispensaire. Ce dernier définit les orientations en matière de politique sanitaire et représente tous les villages concernés par le dispensaire.
Outre la participation communautaire, le recouvrement des coûts impose une rationalisation des coûts par la présence de médicaments essentiels.
Dans un tel système, les dons doivent être réservés aux indigents, aux structures ne pouvant être en recouvrement des coûts, et réalisées en achat local si possible et en médicaments essentiels selon les listes nationales.
Les dons en médicaments remis en question par les bénéficiaires
Depuis quelques années nombreux sont les médecins et pharmaciens africains qui alertent sur les méfaits des dons en médicaments et plus particulièrement des médicaments dits de récupération (MNU). Le Togo s’est même muni d’une charte qui en proscrit l’entrée sur son territoire. Dès lors que ces médicaments sont sortis du circuit pharmaceutique rien ne garanti en effet qu’ils aient été sainement conservés chez les particuliers. Certains sont à la limite de la date de péremption ou arrivent sous des noms de marque non enregistrés dans le pays “bénéficiaire”, sans mention de la DCI (dénomination commune internationale). D’autres ne correspondent pas aux besoins locaux et induisent des habitudes dangereuses. Ainsi le réflexe “médicaments anti-diarrhéiques” très répandu chez les patients et les pharmaciens français n’a aucune pertinence dans les pays du Sud où la priorité est celle de la réhydratation des enfants diarrhéiques. Les MNU sont parfois des spécialités pharmaceutiques très onéreuses, ce qui contraint à interrompre le traitement initié quand le don est épuisé. Sans compter que le recours à des produits de marque entrave aussi la diffusion des médicaments génériques1. Souvent, l’ensemble des coûts liés aux formalités douanières, au transport et à l’entreposage dépassent la valeur de la marchandise. Enfin, le stockage des produits non utilisés encourage les vols de médicaments qui réapparaissent ensuite sur les marchés parallèles où ils seront “prescrits” et vendus par des non-professionnels, quand ces dons ne sont pas en réalité des opérations commerciales déguisées.
C’est le paradoxe d’avoir à se protéger de généreux donateurs !
Conclusion : propositions pour une efficacité maximum
– Une évaluation pharmaceutique.
– Des besoins exprimés et vérifiés.
– Des médicaments essentiels en DCI (achetés localement si possible).
– Une valorisation à la valeur de l’équivalent générique.
– Et toujours :
Le conseil du pharmacien pour une bonne utilisation du médicament et pour obtenir des résultats par des soins pharmaceutiques adaptés. En effet, à quoi bon faire des dons en médicaments car, dans beaucoup de pays, la priorité est de bien utiliser ce qui est déjà en place.
Aider les autres et se faire plaisir à soi-même sont deux choses différentes.
Agir sur la santé peut aussi se faire en apportant l’eau potable, l’assainissement, l’hygiène en général et par l’éducation. Ainsi, la scolarisation, en particulier des filles, permet très rapidement d’avoir, par exemple, une incidence sur la mortalité infantile des moins d’un an.
Notes:
* Pharmacien, Vice-Président de l’Association REMED (Réseau Médicament et Développement)
http://www.remed.org/ ; serge.barbereau@wanadoo.fr.
[1] Site du consortium : http://www.drugdonations.org
Ce site existe en Anglais, Français, Espagnol, Allemand, Néerlandais, Italien et Russe.
[2] Nom donné dans certains pays d’Afrique à la vente illicite de médicaments par des vendeurs à la sauvette.