La politique de la santé au Viêt-nam, au seuil du 3ème millénaire

Pr Duong Quang Trung*

 

126 ll y a plus de 4 000 ans, une petite nation est née dans la partie méridionale du Sud-Est asiatique.

Depuis la deuxième moitié du premier millénaire, dans les années 500, avec le soulèvement de Ly Bon, cette petite nation a pris le nom de “Van Xuan”, ce qui signifie “Dix mille printemps”, témoignant l’esprit des fondateurs de ce petit pays tranquille et souriant, à savoir que le pays existe, se développe et se pérennise dans la fraîcheur de l’histoire, pendant au moins 10 000 ans.

Et ce pays devient le Viêt-nam, il y a juste deux siècles, et ne cesse de se développer contre vents et marées.

Déjà, à l’aurore de sa naissance, le Viêt-nam a toujours considéré que l’homme devrait avoir droit au“riz”, au “vêtement”, au “médicament” et à “l’école”. Depuis, la nation vietnamienne ne cesse de prospérer, avec d’énormes secousses, vu l’évolution historique du monde.

1 – Le Viêt-nam actuel, sa politique de santé

Actuellement, le Viêt-nam a près de 80 millions d’habitants, sur une superficie de plus de 300 000 km2, avec un PIB modeste encore certes (400 US$ / personne / an) mais un taux de croissance économique de plus de 7 % par an, au deuxième rang en Asie, avec une politique d’industrialisation et de modernisation, dans un contexte de mondialisation inexorable.

Pourtant, l’histoire n’a pas toujours souri au peuple vietnamien qui a subi plus d’une fois des conflits meurtriers pour garder son indépendance dans la liberté.

Qu’advient–il, du point de vue protection de la santé, au Viêt-nam ?

Dans un pays tropical avec une forte démographie et au panel important des pathologies infectieuses se greffent les pathologies des pays développés, telles que les cardiopathies, les maladies oncologiques, même le SIDA et les accidents de la circulation, vu le nombre astronomique des véhicules à deux roues, la politique de santé au Viêt-nam porte sur trois secteurs principaux :

1 – La lutte contre les maladies infectieuses, telles que les maladies intestinales, respiratoires et épidémiques, comme le paludisme, la fièvre hémorragique…, sans compter les parasitoses et bien sûr les maladies dites sociales, telles que les MST, y compris le SIDA, la tuberculose et les maladies psychiatriques.

2 – La détection, prévention et traitement des maladies chroniques, dont les syndromes cardio-vasculaires, le cancer et les pathologies gériatriques, sans compter les séquelles d’une guerre dévastatrice, avec des moyens de destruction massive.

3 – La promotion et la protection de la santé de la mère, de l’enfant, des travailleurs et des personnes âgées, reste au premier rang des préoccupations des autorités médicales.

Pour arriver à ces objectifs d’ordre sanitaire, s’appuyant sur l’important mouvement de lutte contre la pauvreté, — le Viêt-nam a actuellement près de 11 % de la population, vivant au-dessous du niveau dit de pauvreté — les efforts portent essentiellement sur quatre domaines :

1 – L’organisation d’un large réseau de santé, public et privé, des grandes métropoles urbaines jusqu’aux régions lointaines et reculées, avec des institutions curatives et préventives.

2 – Une politique équilibrée du système de santé, d’une part centrée sur le développement de la haute technologie appropriée et sélectionnée dans différentes spécialités médicales et, d’autre part, basée sur les soins de santé primaire, avec renforcement des postes de santé communautaires, au niveau des districts et communes, avec des programmes nationaux de santé publique, organisés par l’Etat avec la participation communautaire et l’aide internationale, dont l’OMS, l’Unicef, l’UNFPA, l’UNDP, la CIDMEF et une coopération de plus en plus décentralisée des pays partenaires, dont la France occupe une place privilégiée, vu les conditions historiques des deux pays.

3 – La formation et le perfectionnement des cadres de santé, médicaux et paramédicaux visent l’orientation vers les besoins de santé de la communauté, avec sa participation et son engagement. Le Viêt-nam a actuellement un système de formation et d’éducation médicale, avec plus de 20 établissements supérieurs médicaux : Université, Faculté et Ecole supérieure des cadres, avec un cursus initial de six ans et la formation post-universitaire spécialisée, sans compter les écoles d’infirmières et de techniciens qui existent dans toutes les provinces du Viêt-nam pour la formation des cadres paramédicaux.

4 – L’alliance de la médecine moderne et de la médecine traditionnelle est un point fort de la médecine vietnamienne, avec plus de 3 000 plantes et 200 animaux qui pourraient rentrer dans la pharmacopée, sans compter l’acupuncture et les méthodes de physiothérapie traditionnelle.

Quelques résultats

Grâce aux efforts persévérants du gouvernement et de toute la communauté vietnamienne, — aussi bien locale que d’outre-mer — avec l’aide et la coopération internationale, des résultats notables sont acquis dans le domaine de la protection de la santé au Viêt-nam. Nous ne donnons que quelques chiffres à titre d’exemples.

Au Viêt-nam, actuellement tout le monde sait lire et écrire.

L’espérance de vie a la naissance est de 67,8 années d’âge (statistique de 1999), en moyenne pour hommes et femmes, visant à atteindre 70 ans en l’an 2005.

Le taux de mortalité infantile est de 36,7 ‰ en 1999 (Ho-Chi-Minh-Ville, un peu plus de 20 ‰).

Nous avons un taux de couverture vaccinale, dans le programme de vaccination élargie, de près de 97 % de la population totale en l’an 2000.

Les épidémies sont jugulées ou écartées, grâce à une politique de prévention active et de lutte sans relâche contre les maladies épidémiques. Récemment, le contrôle et l’enrayement du SRAS nous poussent à devenir plus vigilants encore pour les pathologies émergentes, ayant un caractère mondial, sans compter le SIDA qui reste un lourd fléau de caractère social.

De gros efforts sont déployés dans le domaine de la santé de la mère et de l’enfant, tout en continuant à nous occuper des personnes âgées. Ce vaste programme de planification familiale contribue à abaisser le taux annuel d’accroissement naturel, de près de 4 % en 1975 à 1,4 % pour l’an 2000, etc.

2 – Pourtant, tout n’est pas aussi souriant

La croissance économique manque de caractère durable. Il ne faut pas dormir sur les lauriers.

Les maladies infectieuses, y compris le SIDA et les MST, sont encore des “best killer”, sans compter les accidents mortels de la circulation par dizaine de milliers par an.

La taille des jeunes a augmenté, mais lentement.

Les médicaments, en général, sont chers et le système de sécurité sociale n’est pas toujours à la hauteur de la demande de la société.

Le système de santé de base reste encore un point faible, surtout dans les régions isolées et lointaines.

La formation et l’éducation médicale ont besoin d’être réformées rationnellement, pour une orientation sociale, évitant une médecine a plusieurs vitesses.

Santé et développement

La politique et l’approche pour la santé dans chaque pays sont conditionnées non seulement par les particularités liées à l’organisation du système politique, économique et social, propres à chaque pays, mais aussi par le système de santé et le niveau technologique médical qui différent largement d’un pays à l’autre.

Au Viêt-nam, tout aussi bien dans les pays du Sud-Est asiatique, si les dépenses occasionnées par le Secteur public de la Santé peuvent varier entre 2 % et 7 % du PIB, en général, les mêmes conclusions se sont imposées pour une approche communautaire, en faisant appel à tous les Secteurs  de la société à s’investir pour le bien-être de l’Homme, avec le développement graduel d’un système de Sécurité sociale adéquat, — l’Etat gardant la responsabilité et le contrôle de la Santé de la population — tout en encourageant la privatisation des institutions médicales, dans une économie de marché à orientation socialiste, qui, pour le Viêt-nam, prend de plus en plus d’envergure. Témoins les deux hôpitaux franco-vietnamiens modernes à Hanoi et à HCM-Ville, sans compter des centaines de polycliniques et hôpitaux privés, avec des dizaines de milliers de cabinets de consultation, en dehors des heures de service.

Certains pays moins favorisés de la région Asie-Pacifique, — comme le Viêt-nam et les pays de la péninsule indochinoise — ont pu bâtir, à partir de leurs propres expériences, un système de santé efficace et peu coûteux, mettant l’accent sur la prévention, les soins de santé primaires, le réseau sanitaire de base et un meilleur accès aux soins pour la population, grâce a une politique de répartition judicieuse des structures et du personnel sanitaires, ainsi que la gérance des problèmes majeurs de santé publique par les programmes de santé nationaux.

Parmi les pays de cette partie Sud de l’Asie, des pôles  émergents dans le domaine de la prestation des soins médicaux de haute technologie commencent à prendre forme, non seulement pour desservir la région, mais pour l’Asie tout entière : c’est Singapour, suivi de près par le Viêt-nam, la Malaisie et la Thaïlande, qui prospère dans ce domaine à un certain point très profitable du soi-disant “business médical”, ceci répondant par ailleurs aux besoins des patients qui, en se faisant soigner dans les hôpitaux modernes de la région, parviennent à obtenir, pour les maladies graves et difficiles, une qualité de soins semblable à celle des cliniques de pointe du monde occidental, à des prix nettement plus abordables. Il se crée en plus, à côté de ces structures plus ou moins lucratives, des centres-pilotes de médecine de haute technologie, à but non lucratif, bien gérés dans un esprit de transfert de technologie, tels que l’Institut du cœur au Viêt-nam et au Cambodge, grâce à l’esprit humaniste et généreux des Professeurs Carpentier et Deloche, ainsi que d’autres établissements dits de charité.

Il se crée ainsi un brassage entre les membres du corps médical et les populations dans la région, au bénéfice des patients plus ou moins déshérités. En effet, par-delà les frontières des pays, la Santé a toujours été un domaine de coopération active et efficace, surtout dans le domaine de la formation et de transfert de technologie. On peut citer en exemple les séminaires récents sur l’assuétude et la lutte contre la drogue chez les jeunes, se tenant successivement à Bangkok et à Ho-Chi-Minh Ville, pour les agents de santé de la région, de même les séminaires sur le SIDA, organisés à Singapour, à Bangkok, Manille et à Hanoi, preuves d’une volonté manifeste d’associer les efforts des pays de la région contre ces fléaux qui restent encore un grand défi, même pour les pays développés. Des échanges et formations universitaires s’intensifient avec les pays du Nord, — surtout la France et l’Europe — dans les différentes disciplines médicales, comme il était coutume de le faire dans la coopération Nord-Sud.

Dans ce monde en ébullition et plein de cahots, nous sommes heureux de constater que la France a su garder son rôle de coordinateur et de modérateur scientifique de ces rencontres, — témoin, ce colloque-débat — pendant que, dans certains pays de cette région, — notamment ceux de la Péninsule indochinoise et la Thaïlande, avec d’autres pays de l’ASEAN et bientôt la Chine — la Santé et l’Education sont les domaines enrichissants de la Francophonie et de la solidarité internationale. Dernièrement, sous l’égide de la CIDMEF et de l’AUF, une coopération inter-universitaire intensive et des séminaires régionaux ont marqué les efforts entrepris pour valoriser le rôle des Universités dans la promotion sociale des pays en voie de développement.

Que faire ou quoi mieux faire ?

Nous savons tous que l’état de santé de l’individu est primitivement déterminé par l’environnement, c’est-à-dire les structures biologiques, physiques et sociales dans lesquelles les populations agissent et interagissent. De plus, l’environnement social inclut les systèmes politiques, économiques, éducationnels, sociaux et culturels, y compris le comportement des individus et les systèmes des soins de santé, dont la qualité et l’accès aux structures de soins pour la santé de la mère et de l’enfant, la planification familiale, et aussi l’accès aux centres vénérologiques et d’urgence jouent un rôle de premier plan. L’amélioration de la santé d’une population ne peut être envisagée que dans le contexte du développement général d’un pays, sinon d’une région, si l’on considère l’importance des interactions entre pays.

Il ressort de toutes ces considérations que le Viêt-nam, avec un peuple travailleur et hospitalier, malgré les vicissitudes de l’histoire, au sein de l’Asie et du Pacifique, est une région en plein développement et que si on est assez sage pour mettre à profit tous les avantages que cela peut apporter indifféremment dans chaque pays, tout en intensifiant les efforts d’entraide mutuelle, il y aurait tout à espérer que la Santé dans cette partie du monde sera nettement améliorée dans un proche avenir et que la qualité de la vie sera à l’égale de celle qui pourrait être dans les pays industrialisés, tout en gardant les caractères propres aux identités nationales de la région.

Ainsi donc, la santé est à la fois l’un des principaux objectifs du développement et une condition importante du développement. On comprend actuellement mieux la précieuse contribution que la Santé peut apporter à l’activité économique, à l’amélioration de la condition humaine et, partant, au processus global de développement de la société.

De même, et — honneur à la Médecine — la protection et la promotion de la Santé peuvent acquérir une valeur intrinsèque, par rapport à la vie des citoyens, en particulier celle des groupes vulnérables et marginaux, surtout dans les pays dits en voie de développement, comme la plupart des pays du tiers-monde.

Bien sûr, l’une des conditions fondamentales du développement est bien la paix avec l’entente et non pas les conflits avec les confrontations.

Nous souhaitons de tout cœur un monde serein et sans nuages, pour le bienfait de l’humanité.

Un poète vietnamien a écrit : « L’humanité, rampant au-dessus d’un océan baigné de sang, est en train d’entendre la venue du printemps, un printemps qui sourit »[1].

 

 

Notes:

* Duong Quang Trung, MD PhD, est Doyen honoraire – Président fondateur du Centre universitaire de formation des professionnels de santé (CUF), Chef du groupe des départements de Santé publique – Santé communautaire, Chargé des relations extérieures. Ho-Chi-Minh-Ville, mars 2004.

[1] Traduit de TO HUU : Nhan loai truon len tren bien mau, Dang nghe xuan toi no moi cuoi.