La finalité de l’émigration algérienne

Djilali Sari*

 

124C’est avec le recul suffisant dans le temps, que des approches récentes et en cours s’efforcent de mieux cerner les différentes dimensions de l’émigration algérienne durant la période coloniale, à l’instar notamment des travaux de Benjamin Stora (1985), en focalisant l’attention sur les aspects socio-politiques.

Plus que jamais, il importe d’appréhender l’émigration dans sa globalité et dans le contexte politique d’alors, durant toute la période coloniale. En effet, le déclenchement de l’émigration — des mouvements migratoires hors du territoire algérien — est demeuré étroitement lié aussi bien à l’extension de la conquête militaire qu’à l’expansion de la colonisation, de surcroît une colonisation de peuplement.

En effet, avant que les mouvements migratoires ne s’orientent exclusivement vers la France dès l’aube du XXème siècle, n’a-t-on pas observé au XIXème siècle des mouvements dirigés vers les deux pays voisins immédiats et jusqu’aux lointaines terres de Syrie et de Palestine ? Des mouvements fuyant la soumission aux Infidèles et revêtant d’autres formes de résistance ? “Une arme politique” (Ch-R Ageron) ?

Dans de telles conditions, le changement de destination vers le territoire de la puissance coloniale à partir du début du XXème siècle ne constitue-t-il pas une renonciation aux objectifs recherchés antérieurement ? Une rupture ou au contraire un redéploiement objectif car dicté par une paupérisation généralisée, de surcroît accompagnée de famine, voire d’inanition localement à l’aube du XXème siècle, (L. Boyer-Banse, 1906, p. 196) ?

Par ailleurs, plus que l’objectif d’affranchissement des affres de la faim, la nouvelle destination n’offre-t-elle pas aussi et surtout bien des avantages dans l’immédiat, avec de larges perspectives à court et long terme, aussi bien sur les plans individuel que collectif, au contact direct d’un environnement socio-culturel, des syndicats et des milieux progressistes ? Des contacts si favorables aux transformations des comportements et mentalités ?

Afin d’élucider ces problèmes, nous nous proposons d’examiner les deux points suivants:

– au XIXème siècle : l’émigration est une arme politique,

– au XXème siècle : l’émergence des forces revendiquant l’indépendance de l’Algérie.

1 – Au XIXème siècle : l’émigration est une arme politique

Les mouvements migratoires durant le XIXème siècle concernent exclusivement les pays musulmans en visant les territoires voisins immédiats, le Maroc et la Tunisie, et le Machrek, mais essentiellement le Bilad Cham, soit le territoire renfermant la Syrie et le Liban, les pays du Jourdain, Palestine et Transjordanie. Les mouvements migratoires sont consécutifs à la conquête et à l’expansion de la colonisation par suite de la déstructuration croissante de l’économie et des collectivités.

En conséquence, les pays recherchés s’inscrivent essentiellement dans l’aire culturelle d’appartenance : le monde arabo-musulman uniquement. Plus que la quantification des mouvements si difficile à cerner, c’est la finalité qui importe avant tout.

1.1 – L’approche quantitative

L’approche n’est pas toujours aisée même si l’on dispose de certaines données, parfois d’ordre statistique, parallèlement à certaines appréciations qu’il convient de cerner dans leur contexte propre. Dans ce cadre trop étroit, force est de se limiter à quelques généralités à même d’approcher la continuité dans l’espace et le temps avec quelques aspects d’ordre socio-culturel.

C’est ainsi que les données se rapportent le plus souvent aux collectivités des confins algéro-marocains d’une part, et des confins algéro-tunisiens d’autre part. D’autres mouvements sont signalés également à partir des villes de l’Oranie et de certaines oasis du Sud. Dans tous les cas aussi, ils sont consécutifs aux résistances armées. D’autant que les conséquences sont des plus lourdes sur tous les plans comme le montrent bien les destructions de cultures, la perte du cheptel et souvent les destructions des plantations d’arbres fruitiers, parallèlement aussi à de très fortes contributions de guerre généralement accompagnées par l’expropriation des meilleures terres ! Dans de telles conditions, l’émigration devient inéluctable pour échapper à l’enfer et à l’apocalypse !

« Tout concourt à la ruine du possesseur du sol » comme l’affirme l’enquête de 1868, au lendemain du désastre démographique de 1867-68, lequel s’est soldé par une forte proportion de pertes (Dj. Sari, 1996).

Or, parallèlement à l’occupation des villes de l’Oranie qui ont beaucoup souffert durant la résistance dirigée par l’Emir Abd El Kader en subissant de fortes pertes de vies humaines, d’autres saignées sont consécutives aux départs temporaires ou définitifs vers le Maroc. Citadins et collectivités rurales ont payé ainsi un lourd tribut. Il en est ainsi au fur et à mesure des insurrections, particulièrement celle de 1871. Du reste, il en va de même de l’expansion de la colonisation proprement dite, comme le révèlent indirectement les archives de la propriété foncière. Bien des collectivités, à l’instar des Béni Ameur (Sidi Bel Abbès), sont qualifiées de “débris” pour bien fixer l’attention sur l’importance des pertes humaines.

En conséquence tout bilan chiffré est difficile à établir. D’autant que les statistiques démographiques durant toute cette période demeurent lacunaires comme le souligne la controverse à propos de l’évaluation de la population vers 1830 (X. Yacono, 1954 ; Dj. Sari, 1996). Néanmoins l’ampleur des départs est à rapprocher au dépeuplement durable de certaines villes durant tout le XIXème siècle et de certaines zones totalement colonisées particulièrement en Oranie.

1.2 – Signification profonde de l’émigration

Très succinctes, ces données apportent des éléments de réponse concordants, mais doivent être appréciées et situées dans leur véritable contexte politique. Principalement quant à leurs retombées sur le système colonial à court et moyen terme.

Paradoxalement, c’est en cette fin du XIXème siècle et alors que la colonisation est définitivement assise et partout triomphante, que les autorités se soucient le plus de certaines conséquences en rapport avec les besoins de main d’œuvre. Pour cela, la solution doit être habilement recherchée avant tout auprès des instances les plus compétentes en la matière, mais il faut recourir inévitablement à une fatwa, une fatwa devant émaner nécessairement de la plus haute et authentique instance islamique, en l’occurrence celle de La Mecque, l’un des trois lieux saints de l’Islam.

Telle est bien la tâche que s’est assignée le gouverneur général de l’Algérie, Jules Cambon en 1896 : « La fatwa qui fut accordée, faite de citations et écrite dans un style ambigu, n’en conclut pas moins qu’une terre d’Islam n’était pas obligatoirement territoire de guerre lorsqu’elle était occupée par des Infidèles » (Ch-R. Ageron (1968, I, p. 513).

Force est de reconnaître que, dans l’immédiat, la recherche de cette lointaine caution souligne bien la signification profonde de l’émigration, comme l’a bien remarqué Ch-R. Ageron : « C’est le refus de vivre sous la domination des Infidèles. C’est aussi une arme politique dirigée contre toutes les formes de domination et d’exploitation ».

1.3 – Le redéploiement des forces spirituelles et politiques

Incontestablement l’émigration vers certains pays arabo-musulmans ne constitue pas une fin en soi. Plus que jamais, il est aisé d’en relever de plus en plus les impacts sur divers plans : humanitaire, culturel et politique.

C’est ainsi que la fixation durable au Machrek n’est pas passée inaperçue. Très vite, elle s’est révélée active et a été bien appréciée à sa juste valeur comme le soulignent bien les deux évènements majeurs suivants. Il en est ainsi du rôle joué par l’Emir Abd El Kader et de ses compagnons en parvenant à sauver des massacres à Damas en 1860, outre les consuls d’Europe en les accueillant directement chez lui, des milliers de chrétiens. De plus, par autant de réalisme que de clairvoyance politique, l’Emir a soutenu le projet relatif au percement de l’isthme de Suez pendant les travaux et lors de l’inauguration du Canal en compagnie de plusieurs souverains d’Europe. De plus, tenant compte de ses engagements envers le Très-Haut, il a dû renoncer à toutes les propositions formulées par Napoléon III tendant à le faire reconnaître à la tête d’un royaume au Machrek afin de contrebalancer l’hégémonisme britannique dans la région.

Par ailleurs, parallèlement à cette présence éminemment positive loin de la mère patrie, il convient d’insister sur le redéploiement continu des forces morales et spirituelles, partout où la présence algérienne se manifeste, aussi bien le long des principales voies de passage que dans certaines zones de fixation. Pareil redéploiement est bien suivi par les autorités françaises. Inéluctablement, il se poursuit au détriment de l’expansion de la colonisation.

En effet, le redéploiement prend diverses formes. C’est en plein désert de la Cyrénaïque que les Sénoussites — ordre parti de la région immédiate de Mostaganem au milieu du XIXème siècle —parviennent à créer un royaume avec des répercussions prévisibles à court, moyen et long terme. C’est bien la présence française qui est visée de proche en proche, notamment durant la Première Guerre mondiale ! Parallèlement, d’autres ordres agissent de concert en contrariant directement les projets de la même puissance. Il en est ainsi de l’implantation durable de la Rahmanya dans le Djérid (Sud tunisien), de la Tidjanya en Afrique Noire et de bien d’autres ordres, bien que moins structurés. On ne soulignera jamais assez leur rôle dans la diffusion de l’Islam et de la langue de son message.

Concernant cette dernière finalité, le témoignage que nous venons de recueillir récemment sur le terrain, c’est-à-dire en Syrie en septembre 2001, est très illustratif, d’autant que les traces sont demeurées gravées dans les esprits en dépit du recul dans le temps. Les nombreux faits relevés insistent sur le rôle, didactique et culturel, joué par la communauté algérienne établie dans ce pays au XIXème siècle. Tels sont les exemples significatifs de fondation d’un certain nombre d’institutions pieuses et d’enseignement.

En définitive, loin de correspondre à un quelconque repli, les mouvements migratoires ont contribué largement à l’affirmation de la présence algérienne bien au-delà des frontières. En sera-t-il alors de même à partir du début du XXème siècle dont le contexte est tout autre ? Si les résistances armées sont révolues, les mouvements migratoires ne vont pas diminuer d’intensité pour autant. Plus que jamais, ils vont se renforcer mais en s’orientant vers une tout autre destination, une destination diamétralement opposée à celles du XIXème siècle. De surcroît avec des effectifs de plus en plus importants. Plus que jamais, leur situation socio-économique est des plus critiques comme le montre bien le retour inattendu à la législation islamique en matière foncière à la suite de la promulgation de la loi de 1897 tendant à freiner la dépossession des paysans ! .

2 – Au XXème siècle : l’émergence des forces revendiquant l’indépendance de l’Algérie

Consécutivement à l’orientation des mouvements migratoires vers le territoire français, l’on assiste rapidement à des transformations rapides et profondes du phénomène dans sa globalité.

2.1 – Une nouvelle carte de l’émigration

Alors qu’antérieurement, l’émigration n’a concerné dans l’ensemble que certaines collectivités, les départs vont dessiner une nouvelle carte des départs. Rapidement les contours de cette dernière se précisent en recouvrant en premier lieu les zones de reflux, soit la plupart des massifs montagneux, ceux resserrant les populations dépossédées… Il en est ainsi notamment des Aurès et des chaînes kabyles et progressivement des autres montagnes tant à l’Est qu’à l’Ouest et certaines oasis ! De plus en plus, à leur tour, les sous-prolétaires des centres urbains sont déstabilisés et mis en branle.

Or tout en se généralisant, les mouvements revêtent une tout autre signification qu’il est aisé d’appréhender à partir des principales données du phénomène. C’est ainsi qu’il s’agit avant tout de départs limités dans le temps, de va et vient ininterrompus, soit un renouvellement continu. De plus, les départs sont constitués d’effectifs masculins appartenant aux jeunes tranches d’âge des actifs comme le montrent bien les données suivantes. C’est ainsi qu’à la veille du déclenchement de la lutte de libération nationale on ne relève, sur un total de 208 000 algériens établis en France, que 37 000 femmes et 12 000 enfants, soit respectivement 17 % et 5 %. Si le volume d’ensemble paraît assez modeste, il n’a pas moins touché de très nombreuses collectivités et familles à travers le territoire algérien, en raison des séjours très courts effectués par les partants.

En définitive, c’est à travers ces principales données qu’il convient de rechercher la finalité de l’émigration durant les décennies décisives d’avant, pendant et après la Seconde Guerre Mondiale. C’est bel et bien une émigration temporaire, celle d’adultes masculins, sans famille et contraints à des conditions de séjour et de travail des plus difficiles dans le but de réaliser le maximum possible d’économies à envoyer aux familles démunies et demeurées au bled[1].

Plus que jamais, ces départs limités expriment bien la finalité, toute la finalité de ces séjours limités dans le temps. Pour la grande majorité des émigrés, les liens avec la terre des ancêtres demeurent. Bien plus, tout y est investi au profit de ces liens charnels. En témoigne parfois l’achat de micro-parcelles de terres !

2.2 – Une communauté demeurée très attachée à sa patrie

Bien qu’il agisse d’une population constituée essentiellement de déclassés et de sous-prolétaires, de surcroît analphabètes, la communauté algérienne émigrée a joué un rôle de premier plan en formant très tôt un terreau favorable au développement du courant nationaliste le plus radical. Cela n’a été possible que grâce à la conjonction de conditions bien déterminées, les unes propres aux pays d’accueil et d’autres directement en rapport avec “les expatriés” temporaires.

En effet, il n’y a point de comparaison possible entre la colonie et la métropole quant aux libertés syndicales et à l’exercice d’autres droits alors que le code de l’Indigénat est toujours une réalité de l’autre côté de la Méditerranée. De plus, dans le pays d’accueil les repères et opportunités de ressourcement ne manquent pas. Tout s’y prête avec une volonté inébranlable.

C’est ainsi que même en survivant dans ces îlots insalubres, à l’instar des sordides bidonvilles de Nanterre vécus et décrits par Monique Hervo (2001), les travailleurs ne sont pas totalement coupés de leurs racines. Il en est ainsi en particulier de la Mosquée de Paris inaugurée en 1926. D’autant qu’elle a été financée en grande partie grâce à leurs contributions et celles de leurs coreligionnaires maghrébins. A juste titre, Rachid Mokhtari (2001) a beaucoup insisté sur l’impact de la chanson de l’exil sur la communauté, celle de l’œuvre d’une pléiade de musiciens implantés en France précisément durant cette période cruciale d’avant, pendant et après la Seconde Guerre Mondiale, soit en pleine période de développement du Parti Populaire Algérien (PPA). Leur répertoire est très riche et percutant à plus d’un titre. De nombreux thèmes sont abordés dont des chants patriotiques en particulier. Les exemples ne manquent pas. Tel est le cas de Mohand Saïd U Bélaïd qui, « à partir de son café-hôtel de Boulogne, devient le point de rencontre clandestin des militants du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD) ». Du reste, son dernier disque chez Philips (1956) est explicitement nationaliste : Dukan agma ur tagwad (Va de l’avant mon frère, n’aie pas peur). C’est bien la réponse sans détour au message que lui a délivré Krim Belkacem en personne lors de son passage à Alger en 1953 : « Vous êtes un chanteur populaire et avec votre carte de la Sacem, vous pouvez aller où vous voulez. Organisez-vous en France. La guerre contre le colonialisme a besoin d’argent » (R Mokhtari, 2001, p. 121).

2.3 – Le terreau des forces nationalistes radicales

En fait, pour parvenir à ce tournant crucial, tout un travail en profondeur a été poursuivi méthodiquement. Inlassablement, comme le laissent entrevoir les biographies des militants établies par B. Stora (1976, 1982, 1985), principalement à travers les principales conclusions de l’auteur : « Les organisations indépendantistes, de l’Etoile Nord-Africaine en 1926 à la Fédération de France du FLN en 1962, proposeront une autre vie communautaire, religieuse, à ces hommes séparés de leurs milieux affectifs. Surtout, elles offriront, dans le même temps, une possibilité de sortie de cette fonction unique de travailleurs physiques assignée par la société française ». (B. Stora, 1992, p. 23).

C’est bien en terre d’exil, loin des terroirs d’origine et de naissance qu’une longue tradition de militantisme politique s’est forgée, directement au contact des milieux progressistes et syndicaux. Au pays des Droits de l’homme et du Citoyen ! De plus, comme le précise bien le même auteur, cette longue tradition n’est pas le fait d’une avant-garde réduite à quelques centaines de personnes : « A la veille de l’insurrection du 1er novembre 1954, le Mouvement pour le triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD), la principale organisation nationaliste algérienne, regroupe en France près de dix mille militants actifs. C’est plus, toutes proportions gardées, que l’implantation du PCF dans la société française, à cette époque ». (B. Stora, 1992, p. 25).

Incontestablement, on ne soulignera jamais assez le rôle moteur des éléments d’encadrement, leur qualité et leur dévouement. Qu’il s’agisse d’autodidactes, de syndicalistes, d’étudiants, voire de membres de professions libérales demeurés anonymes à l’instar en particulier de Ahmed Bahloul[2], c’est le même idéal qui est poursuivi avec abnégation. Des données déterminantes, qui rendent compte du rôle réellement joué par l’émigration algérienne durant la lutte de libération nationale sur les différents plans notamment sur le plan financier en parvenant à alimenter régulièrement et massivement le budget du FLN établi à l’extérieur du territoire algérien. (Haroun A., 1985).

Conclusion

Ainsi durant toute la période en question, l’émigration algérienne n’a pas été une fin en soi, un renoncement à la patrie, à la terre des ancêtres.

Engendrée par l’extension de la conquête militaire, puis sans cesse aggravée par l’expansion coloniale, elle s’est révélée par excellence « une arme politique dirigée contre toutes les formes de domination et d’exploitation ».

Paysans sans terre resserrés dans les zones les plus répulsives et sous-prolétaires hypertrophiant les quartiers périphériques des centres urbains ont alimenté continuellement des mouvements migratoires. Décisive a été la réorientation vers le territoire français, en raison du contact éminemment positif avec un tout autre environnement, l’environnement culturel, syndical et politique directement à l’origine même de l’émergence et du développement du mouvement national le plus radical.

En définitive, compte tenu du rôle qu’elle a joué dans la décolonisation, la communauté algérienne a-t-elle été, pour autant, bien prise en considération tant par le pays d’origine que par le pays d’accueil ? D’autant que, dans ce dernier, son importance, aussi bien numérique qu’économique, n’a cessé de s’affirmer parallèlement à des événements de grande ampleur qui ont fini par l’affecter d’une façon ou d’une autre durant ces dernières décennies. N’est-ce point dans ce contexte que s’insère la conclusion qui est plus judicieuse et récemment formulée par P. Le Pautremat à l’issue d’une analyse minutieuse consacrée aux questions de l’Islam en France durant tout le siècle écoulé : « Les autorités métropolitaines et coloniales auraient dû — elles avaient les moyens de le faire — percevoir différemment ces populations qui refusaient d’être négligées ou considérées comme lentes à assimiler “les progrès” politiques (séparation des pouvoirs, etc.) et les “valeurs” démocratiques qui en découlent. » [3].

Références bibliographiques

Charles-Robert Ageron (1968), Les Algériens musulmans et la France de 1871 à 1919, Paris, PUF (2 tomes).

Tayeb Belloula (1965), Les Algériens en France, leur passé, leur participation à la lutte de la libération nationale, leurs perspectives, Alger, Editions Nationales Algériennes.

Louis Boyer-Banse (1906), « Les populations agricoles indigènes dans le département d’Alger », Bulletin de la Société de Géographie d’Alger, Alger.

Ali Haroun (1985), La septième wilaya, Alger, éd. Rahma.

Monique Hervo (2001), Chronique du bidonville, Nanterre en guerre d’Algérie, 1959-1962, Paris, Seuil.

Olivier Le Cour Grandmaison (2001), Le 17 octobre 1961. Un crime d’Etat à Paris, Paris, La Dispute.

Rachid Mokhatari (2001), La chanson de l’exil. Les voix natales (1939-1969), Alger, éd. Casbah.

Paulette Péju (2000), Ratonnades à Paris, Paris, La Découverte.

Jean-Jacques Rager (1950), Les Musulmans algériens en France et dans les pays musulmans, Alger.

Djilali Sari (1982), Le désastre démographique en Algérie, Alger, SNED.

Djilali Sari (1996), « Les hécatombes de 1867-68 en Algérie, ampleur et implications », Arab Regional Conférence, Le Caire, t. III, pp. 451-465.

Jacques Simon (2000), « Naissance de l’identité algérienne : les Algériens en France (1898-1960 », in : L’immigration algérienne en France, des origines à l’indépendance, (sous la direction de J. Simon), Paris, éd. Paris-Méditerranée.

Abdelmalek Sayad (1977), « Les trois âges de l’émigration algérienne en France », in : Actes de Recherches en Sciences Sociales, Paris, n° 15.

Benjamin Stora (1978), Messali Hadj, biographie, thèse de 3e cycle, Paris, EHSS, Le Sycomore, 1982.

Benjamin Stora (1985), Dictionnaire biographique des militants nationalistes algériens, 1926-1954, Paris, l’Harmattan.

Benjamin Stora (1992), Aide-mémoire de l’émigration algérienne, Paris, l’Harmattan.

Xavier Yacono (1954), « Peut-on évaluer la population algérienne en 1830 ? » Revue Africaine, Alger.

 

Notes:

* Professeur à l’Université d’Alger. La conférence a eu lieu le 24 mars ; elle accompagnait celle de Paul Muzard (cf. article suivant).

[1] C’est ainsi qu’à propos d’un centre très représentatif, celui de Larba Naït Irathen (ex-Fort National) en Kabylie, la moyenne annuelle ds envois de fonds calculée sur 10 ans durant l’entre-deux-guerres est de 2 534 francs, représentant souvent l’unique ressource (Rager,1950, p. 39). En 1937, une enquête fait état d’un envoi par voie postale de 120 millions de francs pour l’ensemble de l’Algérie dont la moitié concerne la Kabylie. La moyenne mensuelle par envoi individuel demeure assez proche des dépenses des familles en soulignant ainsi le dénuement général des milieux concernés.

En 1945, le total des versements de quatre mois consécutifs s’est élevé à 58 millions de francs. Dans une autre région très représentative, l’ex-Commune Mixte des Aurès, l’émigration est qualifiée de « l’industrie la plus nécessaire et la plus fructueuse ». On y dénombre 1 400 émigrés sur une population de 70 000 habitants.

[2] C’est à dessin que nous citons cet exemple, non abordé par B. Stora (1985). Cet ancien normalien de La Bouzaréah (1880-1940) a pu poursuivre ses études à Alger, à Paris où il a enseigné au Lycée Buffon et à l’Ecole des Travaux Publics, tout en poursuivant inlassablement une intense activité militante et journalistique auprès des leaders de l’Etoile Nord-Africaine (Emir Khaled, Messali) et du Parti Populaire Algérien (PPA).

A l’opposé, l’exemple suivant relevé sur le terrain est digne d’intérêt. Il a trait à Ammar Ladlani natif de Tizou Ouzou (1925) qui adhère très vite au MTLD  en émigrant en France en 1953. En 1955, il est actif au sein du FLN et devient membre du CNRA en 1959 (Conseil National de la Révolution Algérienne). C’est aussi l’un des principaux organisateurs des manifestations du 17 octobre 1961 à Paris.

[3] Pascal Le Pautremat (2003), La politique musulmane de la France au XXème siècle : de l’hexagone aux terres d’islam, espoirs, réussites, échecs, Paris, Maisonneuve & Larose.