Patrice Allard, rédacteur en Chef de Informations et Commentaires
Avec la tenue du premier dialogue de haut niveau sur les migrations et le développement, en 2006, à l’initiative de l’Assemblée générale des Nations Unies, puis la constitution, la même année, du Global Migration Group, chargé d’instruire la question, suivie, en 2007, par la création du Forum global sur les migrations et le développement, s’amorce un changement notable dans la perception des relations établies entre les migrations et le développement. Les difficultés rencontrées pour atteindre les objectifs du millénaire (OMD), la crise financière et économique de 2008 (commencée bien avant dans les pays périphériques sous forme d’une crise alimentaire et énergétique) ne sont pas étrangers à ce changement. Une relation faisant des migrations la conséquence de l’inégal niveau de développement des pays de départ et d’arrivée paraît simpliste. Elle focalise l’attention sur les flux migratoires Sud-Nord, en oubliant l’importance d’autres flux. Elle oublie que la proportion d’émigrants rapportée à la population résidente est plus élevée dans les pays riches du Nord (de 3,6 à 3,9 %) que dans les pays du Sud (2,9 %) selon les données de l’Organisation internationale des migrations (OIM)[1], ce qui laisse entendre que la relation entre migrations et développement est moins linéaire et bien plus complexe.
Aujourd’hui, l’émergence de certains pays antérieurement périphériques, l’internationalisation des firmes et la crise économique qui frappe principalement les pays riches du Nord, affectent aussi bien les mobiles qui animent les candidats au départ que les conditions d’accueil que leur réservent les pays de destination. L’objet de ce dossier est ainsi de renseigner à la fois les faits nouveaux et les nouvelles approches (et débats) qu’elles suscitent.
Les migrations internationales en 2010
Les migrations internationales, qui impliquent à la fois le franchissement d’une frontière et la résidence dans un pays différent du pays d’origine, sont des phénomènes difficiles à observer de manière précise. D’une part, l’élaboration de données statistiques dépend des informations recueillies et de leur fiabilité. Les migrations illégales ne peuvent pas être mesurées directement. Le critère de la résidence (habiter dans le pays depuis au moins un an) masque les migrations saisonnières ou circulaires (de court terme) et s’oppose au critère de la nationalité (cas des personnes de nationalité étrangère nées dans le pays de résidence)[2]. Enfin le classement des différents flux migratoires est le plus souvent établi sur une distinction régions du Nord (riches) et régions du Sud (pauvres). De là résulte une nouvelle source de difficulté. En effet le rangement des différents pays dans ces deux rubriques peut être mené suivant différents critères. Trois classements sont ainsi établis, celui du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unis (DAES) qui repose sur une distinction entre régions développées ou en développement, celui du Programme des Nations Unis pour le développement (PNUD) fondé sur l’indice de développement humain et celui de la Banque mondiale (BM), reposant sur les niveaux de revenu moyen par habitant. De manière concrète, les différences entre les trois listes de pays classés au Nord reposent sur le classement de quelques pays émergents, de pays exportateurs de pétrole, et de quelques îles ou villes-États. Les recensements des pays du Nord effectués par le PNUD et la BM sont voisins. Par souci de commodité, nous les utiliserons dans les différents tableaux qui suivent.
Les deux tableaux ci-dessous donnent un état récent des flux migratoires et de leur évolution.
Tableau 1 : effectifs des immigrants résidants dans les pays d’accueil du Nord et du Sud
Années | 1965 | 1985 | 2005 | 2010 | ||||
effectif | % | effectif | % | effectif | % | effectif | % | |
Pays à haut revenu (Nord) | 34 | 43 % | 59 | 54 % | 113 | 59 % | 132 | 60 % |
Pays en développement (Sud) | 45 | 57 % | 51 | 46 % | 78 | 41 % | 82 | 40 % |
Total | 79 | 100 % | 110 | 100 % | 191 | 100 % | 214 | 100 % |
Unité : million d’individus et pourcentage
Sources / de 1965 à 2005, D. Ratha et W. Shaw, South South migrations and remittances, Development Prospects Group, Banque mondiale, janvier 2007 ; et pour 2010, OIM, Rapport cité, 2013.
Tableau 2 : effectifs des émigrants en fonction de leur pays d’origine
Années | 2005 | 2010 | ||
effectif | % | effectif | % | |
Pays à haut revenu (Nord) | 34,8 | 18,3 % | 43,7 | 20,4 % |
Pays en développement (Sud) | 155,8 | 81,7 % | 170,4 | 79,6 % |
Total | 190,6 | 100 % | 214,1 | 100 % |
Unité : million d’individus et pourcentage
Sources : Ibid.
De 2005 à 2010 l’effectif global des migrants s’accroît, passant d’environ 195 millions de personnes à 215, soit un taux d’accroissement moyen annuel de 1,8 %[3]. Ce taux est légèrement inférieur à celui de la précédente période (1985-2005) qui dépassait 2 %, ce qui résulte sans doute des difficultés économiques des pays du Nord. La répartition de ces migrants reste inchangée : 80 % d’entre eux proviennent des pays du Sud et ceux du Nord attirent 60 % d’entre eux. La part des hommes reste légèrement majoritaire, surtout parmi les migrants venus du Sud. Cependant le taux de féminisation tend à augmenter lorsque le séjour à l’étranger s’allonge. Ainsi en 2010 ce taux atteint 53,5 % pour les migrants établis depuis au moins 5 ans dans un pays d’accueil, contre 47,0 % pour les migrants établis de plus fraiche date[4]. Quelque soit la durée de leur séjour, l’âge des migrants, enfants exclus, reflète la pyramide des âges des populations d’origine : les migrants venus du Nord sont ainsi en moyenne plus âgés que ceux venus du Sud.
La pluralité des formes que revêtent les migrations internationales est bien connue. Divers types peuvent être observés[5] :
– les migrations circulaires, qui sont des migrations temporaires dont la date de retour est initialement prévue. Il s’agit par exemple du transfert à l’étranger pour une courte période de membres du personnel d’une entreprise ;
– les migrations saisonnières, qui sont également des migrations temporaires, mais dans ce cas inscrites sur un cycle agricole[6] ;
– les migrations depuis le monde rural qui s’apparentent à un exode rural et sont durables. Elles concernent des migrants souvent peu qualifiés qui ne trouvent pas une place dans le monde urbain du pays d’origine ;
– les migrations depuis une zone urbaine qui sont également durables et concernent des migrants de différents niveaux de qualification ;
– les migrations par étape qualifient les migrations successives d’une personne qui s’éloigne peu à peu de son pays d’origine. Ce genre de migration s’oppose à un établissement direct du migrant dans un pays d’accueil ;
– les migrations en chaîne concernent le départ successif des membres d’une même famille ou d’une même communauté, les premiers partis attirant les suivants. Cette modalité s’oppose à la migration d’individus isolés.
Une même diversité se retrouve dans les différents mobiles justifiant la décision d’émigrer. Ces mobiles permettent le classement des migrations à partir de leurs causes. Il s’agit de :
– la recherche d’un niveau de vie supérieur ou d’un accès plus facile à l’emploi, dans un pays plus développé ou en croissance rapide constitue une migration à motif économique ;
– la dégradation des services publics (surtout éducation et santé), le niveau élevé de népotisme et de corruption qui peut accompagner cette dégradation, sont de nature à jouer un rôle répulsif incitant au départ ;
– les déséquilibres démographiques qui conduisent à une compétition accrue pour un accès à des emplois trop rares dans les pays « jeunes » et, dans les pays « vieillissants », à un appel à l’immigration pour pallier la réduction de la population en âge de travailler ;
– le déclin d’activités agricoles ou industrielles qui conduit ceux qu’elles faisaient vivre à rechercher dans une migration durable ou temporaire de nouvelles ressources. Ces migrations résultent de stratégies de subsistance ;
– les conflits internes ou internationaux peuvent imposer des migrations forcées aux populations qu’ils touchent. Les personnes concernées sont considérées comme réfugiées (ou demandeurs d’asile) si elles sont amenées à quitter leur pays d’origine ou comme personnes déplacées lorsque leur déplacement s’opère à l’intérieur de ce pays[7] ;
–les catastrophes naturelles (tremblements de terre, inondations, sécheresse, etc.) liées ou non au réchauffement climatique, peuvent conduire à des déplacements de population qui peuvent, ou pas, rester internes au pays concerné.
Quelques soient les raisons qui motivent ces migrations il convient de signaler que l’existence de réseaux dans le pays d’accueil, soit sous la forme d’une communauté organisée ou d’un ensemble de parents résidant là constitue un facteur important attirant les migrants d’un même pays d’origine.
À ces différents mobiles de départ s’opposent les entraves que les pays d’accueil peuvent établir à leur encontre. Face à la montée du chômage, certains de ces pays ont pris des mesures pour limiter l’entrée de nouveaux immigrants. Il s’agit de réduction de quotas ou de plafond d’entrées, de restriction à l’accès au marché du travail (professions réservées aux nationaux, de non renouvellement de permis de travail, de limitations à l’accès au statut de non salarié ou de mise en place de système d’aide au retour). Des changements significatifs dans les conditions d’octroi de visas et des restrictions dans l’attribution des permis de travail, touchant toutes les qualifications, ont été pratiqués dans différents pays tels que le Canada, les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni, l’Inde, la Malaisie, Singapour et la Thaïlande. À ces entraves institutionnelles s’ajoute fréquemment dans les pays d’accueil touchés par la crise l’exacerbation des tensions entre nationaux et immigrants, qui peuvent être exploitées par différents courants politiques.
Les apports du Rapport 2013 de l’OIM
Dans ce Rapport, l’OIM recherche une évaluation du bien-être[8] des migrants qui l’amène à produire des connaissances plus fines sur les différents flux migratoires. Ce travail s’appuie, entre autres, sur le sondage à grande échelle effectué par le Gallup World Group[9]. Ce sondage, réalisé entre 2009 et 2011, a porté sur des entretiens réalisés auprès de 25 000 migrants et 440 000 non migrants répartis sur 150 pays. Les résultats de ce sondage[10] complètent les informations habituelles recueillies par l’OIM et soutiennent la typologie construite autour de quatre axes migratoires : Nord-Nord, Nord-Sud, Sud-Nord et Sud-Sud. Quantitativement, l’importance de chacun d’entre eux figure dans le tableau 3 ci-dessous.
Tableau 3 : Effectifs des migrants sur les 4 axes migratoires
Axes de migration | Suivant le classement de la BM | Suivant le classement du PNUD[11] | ||
Effectif | % | Effectif | % | |
Sud-Nord | 95 091 | 45 % | 86 873 | 41 % |
Nord-Nord | 36 710 | 17 % | 32 757 | 15 % |
Sud-Sud | 75 355 | 35 % | 87 159 | 41 % |
Nord-Sud | 7 044 | 3 % | 7 410 | 3 % |
Total | 214 200 | 100 % | 214 199 | 100 % |
Unités : million de personnes et pourcentage.
Sources : OIM, rapport cité, 2013.
Une décomposition par pays de chacun de ces axes révèle une certaine concentration des flux migratoires. Ainsi, sur l’axe Sud-Nord, les « couloirs[12] » reliant le Mexique aux États-Unis (12,1 millions de migrants mexicains résidant aux États-Unis) et la Turquie à l’Allemagne (2,8 millions) représentent ensemble 15,8 % du total des migrations Sud-Nord. Cette concentration reste relative ; en retenant les cinq « couloirs » les plus importants de chacun de ces axes, leurs parts au sein du flux total de chaque axe se situe entre 20,5 et 21,5 %, à l’exception de l’axe Nord-Nord où elle n’atteint que de 15,8 %, montrant une plus grande dispersion des migrants. Cette concentration relative se retrouve au niveau des pays. Les États-Unis reçoivent 35 % des flux Sud-Nord et 27 % des flux Nord-Nord. La part des immigrants dans certains pays d’accueil (pays du Golfe) est importante : 86 % au Qatar, 68 % dans les Émirats arabes unis, 66 % au Koweït. Cela se retrouve également du côté des pays d’origine : Les émigrants représentent 39 % de la population de la Barbade, 37 % de celle de Porto Rico, 19 % de celle du Bangladesh. Des pays européens figurent ici en bonne place : les migrants originaires du Portugal représentent 18 % de la population portugaise ; en Croatie et en Irlande, ils sont 15 %. Lorsque ne sont retenus que les migrants les plus qualifiés, cette concentration prend des aspects plus inquiétants : 83 % des diplômés haïtiens de l’enseignement supérieur quittent leur île natale, en Gambie, ils sont 68 % à agir de même.
S’il n’est pas nouveau de distinguer les migrants empruntant chacun de ces 4 axes, l’approche faite par le Rapport 2013 de l’OIM précise et quantifie davantage les caractéristiques de chacun d’eux et justifie la typologie de départ. De plus la distinction faite entre anciens migrants, c’est-à-dire établis depuis 5 ans ou plus dans le pays d’accueil et nouveaux migrants (ayant moins de 5 ans de résidence) complète avec pertinence. Le niveau de formation des migrants, comparé à celui des non migrants des pays d’origine et des pays d’accueil constitue une première de ces caractéristiques. Le tableau 4 la traduit.
Tableau 4 : Niveau de formation des migrants et non migrants en 2009-2011
Axes migratoires et population concernée | Population née dans les pays du Nord et non migrante | Axe Nord-Nord | Axe Sud-Nord | Population née dans les pays du Sud et non migrante | Axe Sud-Sud | Axe Nord-Sud | ||||
Migrants anciens | Nouveaux migrants | Migrants anciens | Nouveaux migrants | Migrants anciens | Nouveaux migrants | Migrants anciens | Nouveaux migrants | |||
Diplômés des Universités | 20 | 26 | 39 | 21 | 19 | 6 | 13 | 8 | 15 | 13 |
De 9 à 15 années d’études | 65 | 60 | 56 | 61 | 58 | 32 | 45 | 47 | 44 | 49 |
8 ou moins de 8 années d’études | 15 | 14 | 5 | 18 | 23 | 62 | 42 | 45 | 41 | 38 |
Unité : %.
Sources : OIM, rapport cité, 2013 et Gallup World Group, 2009-11.
Remarques : les diplômes des Universités sont comptés à partir de 4 années d’études supérieures ; 8 années d’études correspondent à la formation délivrée par l’école élémentaire.
En laissant de côté l’axe Nord-Sud de nature trop composite, ce qui sera précisé ensuite, il est aisé de voir que les migrants sont en moyenne plus qualifiés que la population non migrante des pays de départ. Ce niveau supérieur de qualification tend à se renforcer sur l’axe Nord-Nord (comparaison entre anciens et nouveaux migrants), l’inverse se produisant sur les axes issus du Sud. En conséquence, les migrants sont en moyenne plus qualifiés (axes Nord-Nord et Sud-Sud) ou, à peine, moins qualifiés (axe Sud-Nord) en moyenne que les habitants des pays d’accueil. Sur chacun de ces axes, les populations migrantes sont bien distinctes en terme de qualification, ce que l’on retrouve en examinant les taux d’activité et conditions d’emploi de ces différents migrants.
Tableau 5 : taux d’activité et conditions professionnelles des migrants et personnes non migrantes des pays d’accueil
Proportion de : | Population née au Nord | Migrants Nord-Nord | Migrants Sud-Nord | Population née au Sud | Migrants Nord-Sud | Migrants Sud-Sud |
Taux d’activité | 59 | 60 | 66 | 67 | 48 | 63 |
Employés à temps plein | 55 | 49 | 52 | 44 | 44 | 48 |
Sous-employés | 18 | 24 | 29 | 18 | 22 | 18 |
Taux de chômage | 8 | 11 | 15 | 7 | 8 | 6 |
Unité : %.
Sources : OIM, rapport cité, 2013 et Gallup World Group, 2009-11.
Si les taux d’activité peuvent être expliqués par les différences de moyenne d’âge des populations concernées, il existe un fort contraste entre les régions d’accueil Nord et Sud en termes de conditions d’emploi. En laissant à nouveau de côté l’axe Nord-Sud, les pays d’accueil du Sud réservent des conditions à peu près identiques à celles des natifs aux migrants. Il n’en est pas de même des pays d’accueil du Nord dans lesquels des discriminations frappent les migrants, leur réservant en moyenne des conditions d’emploi plus précaires, les migrants venus du Nord restant moins frappés que ceux venus du Sud.
La question des rémunérations comparées des migrants et non migrants dans les pays d’accueil constitue une dernière caractéristique que renseigne le tableau 6 ci-dessous. Le premier quintile est constitué par les 20 % de ménages percevant les plus bas revenus, le dernier quintile, les 20 % les mieux rémunérés.
Tableau 6 : comparaison de la répartition des revenus entre migrants et non migrants
Proportion de la population concernée figurant dans : | Population non migrante née au Nord | Axe Nord-Nord | Axe Sud-Nord | Population non migrante née au Sud | Axe Nord-Sud | Axe Sud-Sud | ||||
Migrants anciens | Nouveaux migrants | Migrants anciens | Nouveaux migrants | Migrants anciens | Nouveaux migrants | Migrants anciens | Nouveaux migrants | |||
Premier quintile | 18 | 20 | 17 | 31 | 35 | 16 | 20 | 23 | 18 | 17 |
Dernier quintile | 17 | 18 | 11 | 11 | 7 | 20 | 24 | 33 | 22 | 19 |
Unité : %.
Sources : OIM, rapport cité, 2013 et Gallup World Group, 2009-11.
La progression des revenus perçus par les migrants en raison de la durée de leur séjour est ici bien visible, mais ne compense pas les inégalités créées suivant leur pays d’origine. Les données apportées ici confirment la spécificité des populations migrantes sur chacun des axes, à la condition que celles-ci soient relativement homogènes. Ce n’est pas le cas pour l’axe Nord-Sud qui doit être considéré comme un cas particulier.
Les migrants venus du Nord et s’établissant dans un pays du Sud
Ce genre de migration est peu connu. La faiblesse de ses effectifs le rend marginal. Pourtant, bien qu’aucune mesure globale n’en rende compte, ces mouvements de population prendraient aujourd’hui de l’importance. Ainsi en Chine, entre 2006 et 2010 le nombre d’immigrants s’accroît de 29 %, ces nouveaux arrivants venant principalement d’Asie mais également de pays du Nord (Corée du Sud, Australie, Amérique du Nord).
Les migrants circulant sur cet axe Nord-Sud constituent des populations hétérogènes, ce que traduit la diversité des mobiles à l’origine de leur départ. L’OIM distingue ainsi 5 grands types de migrants[13] :
– le chômage dans les pays du Nord conduit des demandeurs d’emploi, souvent qualifiés, à se tourner vers les pays du Sud en croissance rapide pour trouver du travail. Le Brésil a connu ainsi une hausse de 64 % du nombre de permis de travail délivrés entre 2009 et 2011, les plus nombreux bénéficiaires provenant des États-Unis ;
– l’internationalisation des firmes occidentales débouche sur des créations de postes à l’international, certains localisés dans le Sud. Ces postes peuvent être pourvus aussi bien par des salariés originaires du Nord que par des salariés migrants établis au Nord qui trouvent là l’occasion d’un retour au pays :
– les migrations de retour sont devenues plus nombreuses. Au Brésil, en 2010, ces retours se montent à 175 700 personnes (65 % des entrées annuelles). Une partie des retours trouve son origine dans le renvoi de migrants opéré par certains pays d’accueil. Une seconde partie concerne les membres de diasporas issues de pays émergents qu’attire la croissance rapide de leur pays d’origine. Ce fait s’observe dans les diasporas chinoises des États-Unis et d’Australie. Il pourrait peut-être expliquer également le fait que le solde migratoire net entre les États-Unis et le Mexique soit devenu à peu près nul en 2010 ;
– les déplacements internationaux d’étudiants sur un axe Nord-Sud augmentent plus rapidement que sur les autres axes. Les progrès et la renommée acquise par certaines Universités du Sud (Chine, Malaisie, Afrique du Sud) en font des destinations appréciées ;
– les migrations de retraités du Nord vers des pays du Sud au climat plus agréable et au coût de la vie moins élevé expliquent la moyenne d’âge plus élevé des migrants sur cet axe. Ces migrations se produisent sur des « couloirs » assez bien connus : d’Amérique du Nord vers le Mexique[14] et l’Amérique latine, d’Europe du Nord vers le littoral méditerranéen et aujourd’hui vers la Roumanie, la Bulgarie et la Turquie, du Japon vers la Thaïlande, la Malaisie et les Philippines.
Le cas particulier des migrants originaires des pays du Sud les moins avancés (PMA)
Les spécificités des PMA donnent aux flux d’émigration issus de ces pays des caractéristiques particulières. La pauvreté et le manque de perspectives d’avenir, liés au sous-développement, aggravé par les effets destructeurs des politiques d’ajustement structurel et dans certains d’entre eux par les conflits internes ou externes, les distinguent des autres pays du Sud. Ainsi la propension à émigrer[15] y est un peu plus forte (3,3 %) que la moyenne des pays du Sud (2,9 %). En 2010, ces migrants issus des PMA sont évalués à 27,5 millions (16 % de l’ensemble venu du Sud).
De manière plus fréquente, à la recherche de meilleures conditions d’emploi et de rémunération (stratégie économique) s’ajoute une stratégie de survie qui impose le départ soit pour fuir l’insécurité soit pour obtenir à l’extérieur les ressources monétaires devenues indispensables pour assurer la subsistance de la famille restée sur place. Le niveau élevé de diplôme détenu par le candidat au départ augmente ses chances d’obtenir un emploi, créant une plus grande incitation à émigrer. Il en résulte que, plus que dans les autres pays du Sud, « l’exode des cerveaux » peut y avoir des effets négatifs.
L’originalité principale de ces migrations tient en leur destination. 80 % de ces migrants se dirigent vers un autre pays du Sud et 20 % vers le Nord, alors qu’en moyenne ces proportions sont de l’ordre de 50/50 pour l’ensemble des migrants issus du Sud. Il s’agit donc surtout d’une migration de proximité que peut expliquer la pauvreté ou l’urgence de la situation (cas des victimes de conflit).
Migrations et développement
Quels liens peut-on établir entre les migrations internationales et le développement des pays d’accueil ou de départ ? Pour les premiers, démographiquement, les migrants, principalement de jeunes adultes, constituent un apport appréciable de population. Économiquement, ils représentent un apport de main d’œuvre tantôt peu qualifiées, tantôt très qualifiée, qui contribue à combler les manques de la population active locale. Les apports qualitatifs ou quantitatifs de cette main d’œuvre, s’ils sont indiscutables, restent délicats à calculer, donnant lieu à des débats d’une grande partialité lorsqu’ils entrent dans une logique de comparaison avantages/coûts.
Qu’en est-il pour les pays de départ, surtout lorsqu’il s’agit de pays en développement ? Les remises de fonds transmises par les migrants à leurs familles restées au pays constituent, par l’ampleur qu’elles ont prises depuis quelques années, un sujet abondamment traité aujourd’hui. Bien que leur montant exact ne soit pas connu en raison des multiples réseaux qui se chargent de les acheminer, ces remises peuvent être comptées comme un revenu additionnel dont les effets restent à apprécier. Remède contre la pauvreté pour les familles qui les reçoivent, injection de liquidités exogènes pouvant exercer des effets de multiplicateur ou épargne supplémentaire pouvant être mobilisée pour investir, l’action de ces remises de fonds est au centre de nombreuses discussions théoriques ou pratiques. Les rôles multiples que pourraient jouer les diasporas sont également fréquemment avancés. Réservoir de connaissances et de savoir faire, source de transferts financiers, les actions que pourraient entreprendre ces diasporas en faveur du développement de leur pays d’origine sont au cœur des débats.
Le dossier
L’étude de chacune des nombreuses questions soulevées par les migrations internationales dépasserait de beaucoup la dimension de notre revue. Le dossier qui suit n’a donc pas cette prétention et se contentera d’apporter des éclaircissements à quelques unes de ces questions. Ainsi, Alassane Diallo et Yvan Renou présenteront une analyse des liens unissant le changement climatique et les migrations et Yves Achille, à travers l’exemple européen, soulignera les effets négatifs des politiques migratoires actuelles des pays d’accueil sur le développement des pays de départ. La seconde partie du dossier sera consacrée aux différents effets que peuvent exercer les diasporas sur leurs pays d’origine. Elle comprendra une présentation des contributions que ces migrants installés à l’étranger peuvent apporter à l’essor de leur pays, à travers un extrait de l’introduction au Rapport 2012 de la CNUCED sur les pays moins avancés faite par le secrétaire de l’organisation, Supachai Panitchpakdi, accompagnée d’un complément statistique. Cette présentation sera complétée par l’étude originale que Marc-Antoine Pérouse de Montclos consacre aux effets politiques des remises de fonds sur un pays de départ.
Notes: |
[1] Organisation internationale des migrations, État de la migration dans le monde 2013. Le bien-être des migrants et le développement, OIM, Genève, 2013.
[2] On peut se reporter ici à « Repères pour l’analyse des migrations Sud-Sud », Informations et commentaires, n°139, avril-juin 2007.
[3] Chiffres retenus par la CNUCED dans : CNUCED, Maximising the development impact of remittances, CNUCED-Nations Unies, New York et Genève, 2013.
[4] Chiffres calculés à partir du sondage du Gallup World Group inclus dans le Rapport 2013 de l’OIM.
[5] Les différentes catégories de classement présentées ci-après sont issues du rapport de la CNUCED, op. cit. 2013.
[6] Dans ce cas, comme dans le cas précèdent, le ménage du migrants est établi provisoirement sur deux pays, le pays d’accueil pour le migrant, le pays d’origine pour le reste du ménage demeurant dans le pays d’origine.
[7] Suivant le Haut comité aux réfugiés (HCR) des Nations unies, il y avait 10 millions de réfugiés et 28,8 millions de personnes déplacées dans le monde en 2012.
[8] Comme l’indique l’intitulé de ce Rapport : « Le bien être des migrants et le développement ».
[9] Ce groupe, attaché à l’institution Gallup, comprend Neili Esipova, Anita Pugliese, Julie Ray et Kirti Kanitkar.
[10] Ce sondage connaît cependant une limite : le classement des personnes interrogées en deux catégories, migrants ou non migrants, ne permet aucune différenciation sociale au sein de ces ensembles.
[11] Les pays classés au Nord par le PNUD, à l’exception des îles de faible superficie et des villes-Etats sont : Allemagne, Australie, Autriche, Bahreïn, Belgique, Brunei, Canada, Corée du Sud, Danemark, Émirats arabes unis, Espagne, Estonie, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Israël, Italie, Japon, Luxembourg, Nouvelle Zélande, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Qatar, Tchéquie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse et Royaume-Uni. Le classement établi par la BM ajoute à cette liste : Arabie saoudite, Chine, Croatie,, Guinée équatoriale et Oman, d’où la majoration des flux Sud-Nord et Nord-Nord.
[12] Flux mesuré par le nombre des résidents dans un seul pays d’accueil, originaire d’un même pays.
[13] OIM, Rapport cité, 2013.
[14] Entre 1990 et 2000, au Mexique, le nombre de résidents venus des Etats-Unis augmente de 17 % ; au Panama, de 136 %
[15] La propension à émigrer se mesure à la proportion d’émigrants issus d’un pays sur la population total de ce pays.
[16] En comparant la situation et le sentiment des migrants à celui des non migrants restés au pays, le Rapport 2013 de l’OIM fait état de résultats contrastés. Les migrants sur l’axe Sud-Nord semblent vivre mieux que leurs compatriotes restés au pays. Sur l’axe Sud-Sud, les migrants jugent, au mieux, avoir trouvé une situation comparable, ou, au pire, vivre plus mal que s’ils étaient restés dans leur pays d’origine.