Combattre la pauvreté et l’inégalité

Rapport de l’Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social

 

158Chapitre 1

Pour des changements structurels centrés sur l’emploi[1]

Une condition préalable fondamentale pour la réduction de la pauvreté est un modèle de croissance et de changement structurel qui engendre des emplois productifs, augmente les revenus et contribue au bien-être de la population. Les politiques d’emploi doivent occuper une place centrale dans les stratégies de développement, si un tel modèle de croissance pouvait advenir un jour. Le Sommet mondial de 1995 pour le développement social a recentré l’attention du monde sur la centralité de l’emploi dans le développement social, amenant les gouvernements à « promouvoir le plein emploi comme une priorité de base des politiques économiques et sociales et à permettre à tous les hommes et les femmes de disposer de moyens d’existence sûrs et durables par un emploi productif et un travail librement choisis »[2]. Néanmoins, les approches dominantes de politique de développement de la décennie suivante, comme en témoigne, par exemple, les Documents de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP), ont largement ignoré l’emploi. Même les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) ramènent l’emploi à une simple variable dans les dispositifs de réduction, de moitié, de l’extrême pauvreté et de la faim. Alors que l’inclusion dans les orientations des OMD de l’objectif de « plein emploi productif et de travail décent pour tous » soit une reconnaissance opportune de son importance, les stratégies pour atteindre cet objectif demeurent incertaines.

Ce chapitre décrit les éléments d’un cadre pour donner à l’emploi une place plus centrale dans la politique de développement. Il met en évidence le potentiel et les limites des différents modèles de croissance pour créer des emplois et soutient que la croissance économique ou l’industrialisation en soi ne conduira pas nécessairement à des améliorations durables en matière d’emploi, de revenu et de bien-être. Le modèle classique de changement structurel élaboré à partir de la situation des pays à revenu élevé d’aujourd’hui pour lesquels la croissance économique a alimenté un passage de l’agriculture à l’industrie et de l’industrie aux services, ainsi qu’un passage de l’emploi indépendant à l’emploi salarié formel, est difficile à reproduire dans le contexte d’économies ouvertes sans une politique volontariste. La force de travail quitte toujours l’agriculture dans la grande majorité des pays, mais elle est absorbée dans des services de faible valeur ajoutée et le secteur informel où l’espérance d’une croissance soutenue de la productivité et des revenus est limitée. La pauvreté dans la plupart des régions du monde en développement est en grande partie expliquée par ce schéma de changement structurel. Dans les dernières décennies, les politiques de développement fondées sur la seule liberté des marchés sont associées à l’expansion des inégalités sur le marché du travail, à la persistance d’un secteur informel et à l’émergence des formes précaires d’emploi dans de nombreux pays.

La politique publique est essentielle pour engendrer un modèle de changement structurel qui crée des emplois et réduit la pauvreté. Cependant, il n’y a pas d’approche toute faite de la politique de l’emploi et les institutions indispensables à la réalisation de résultats probants se situent souvent hors du marché du travail lui-même. La politique macroéconomique, les institutions financières, la structure internationale de la production, la nature et la composition des ménages, la dynamique des sexes et la politique sociale influencent tous la situation de l’emploi et la possibilité de créer de meilleures opportunités permettant d’améliorer réellement la vie des gens. Les interventions politiques efficaces dépendront des structures existantes de l’emploi et des contextes institutionnels et économiques. À un niveau général, et en prenant la structure de chaque pays de l’emploi comme point de départ, les politiques doivent s’attaquer aux problèmes de demande insuffisante de travail, améliorer la qualité des emplois existants et faciliter la mobilité de la main d’œuvre. En outre, le processus de développement implique la transformation de la structure de l’emploi – pas simplement l’amélioration des possibilités dans les activités existantes. Le défi à long terme est de déplacer les ressources humaines dans les activités à plus forte valeur ajoutée et augmenter le niveau de productivité du travail.

Les pays qui ont réussi à réduire la pauvreté dans des périodes de temps relativement courtes, ont utilisé des politiques industrielles et agricoles ainsi que des politiques sociales actives pour que les emplois soient en adéquation avec les transformations structurelles. Des types d’interventions similaires peuvent être utilisés dans de nombreux pays aujourd’hui pour transformer la structure de l’emploi, favoriser des liens productifs entre l’industrie et l’agriculture et encourager le développement, à plus long terme, de bases solides pour créer des opportunités de travail décent. Ces stratégies, cependant, devront être sensibles aux contraintes du changement climatique, qui exigent des efforts supplémentaires pour intégrer des capacités de production qui utilisent des technologies permettant à la fois une plus forte croissance et une plus faible émission de carbone.

Les éléments présentés dans ce chapitre permettent de mettre en avant quatre conclusions principales :

  • La croissance économique est importante, mais, seule, elle ne peut pas nécessairement réduire la pauvreté et l’inégalité. L’emploi représente un canal essentiel par lequel le revenu supplémentaire généré par la croissance peut être largement distribuée dans une population et mérite donc que la politique s’en préoccupe de manière déterminée.
  • Les changements structurels peuvent avoir de multiples formes, impliquant différents types d’industrialisation, le secteur primaire ou des services orientant le développement. Les pays qui sont bloqués dans des activités à faible productivité dans l’agriculture, l’extraction des minéraux ou des services, ont tendance à présenter des marchés du travail fortement segmentés et inégalitaires, à engendrer des possibilités d’emploi limitées et offrent peu dans le domaine de la protection sociale.
  • Les politiques centrées sur l’emploi qui ont éradiqué la pauvreté dans les pays d’industrialisation tardive sont incompatibles avec les stratégies de développement néolibérales adoptées plus récemment par la plupart des pays. Les pays qui ont réussi, ont beaucoup investi dans l’infrastructure, orienté le crédit vers des activités productives spécifiques et poursuivi des politiques industrielles et agricoles éclairées ainsi que des politiques sociales actives qui ont amélioré le niveau de compétence et le bien-être de la population.
  • Pour de nombreux pays où l’industrialisation est au point mort ou à peine démarrée, un défi important réside dans l’amélioration de la qualité des emplois du tertiaire et de l’agriculture au lieu de poursuivre le seul objectif d’accroissement de la production industrielle. Ces défis prennent une importance croissante à la lumière des crises alimentaires et environnementales […].

1.1. Changement structurel dans la mondialisation

Le changement structurel implique des changements continus dans la part du secteur industriel, des services et de l’agriculture dans la production et l’emploi en faveur des secteurs les plus dynamiques. Comment ces secteurs sont-ils organisés et comment les individus, groupes et communautés sont-ils répartis entre ces secteurs ? Quelles sont les implications de cette configuration dans l’accès aux moyens de subsistance ? L’emploi représente la source la plus importante et souvent unique de revenus pour la majorité des gens dans le monde – soit directement à travers leur participation au marché du travail, ou indirectement par le biais de leur appartenance à des ménages tirant leurs ressources d’un emploi. Les changements structurels qui améliorent les possibilités d’emploi, seront donc plus englobants que ceux dans lesquels la qualité des emplois stagne ou se détériore. Inversement, l’inégalité d’accès au travail décent et les inégalités persistantes au sein du marché du travail vont entraver les efforts pour réduire la pauvreté.

Alors que les économies se développent, elles subissent des changements dans la structure de la production qui ont des implications directes pour la qualité et la quantité des emplois. Le modèle de développement économique associé aux pays à revenu élevé d’aujourd’hui s’appuie sur une substitution de l’agriculture vers la production industrielle et de services et une substitution de l’emploi indépendant vers des emplois salariés du secteur formel. Comme le travail et les capitaux provenant de l’agriculture se déplacent vers des activités plus dynamiques, la productivité moyenne dans l’économie grimpe, améliorant encore la demande de services et de produits industriels. L’agriculture connaîtra également des améliorations de productivité, puisque la population urbaine industrielle doit être alimentée par une main-d’œuvre rurale en diminution. Le changement structurel est souvent accompagné par des changements dans la structure démographique, avec des taux de fécondité diminuant lorsque les pays s’industrialisent et s’élèvent dans l’échelle des revenus[3].

Les données comparant les pays en fonction du revenu par habitant mettent en évidence une tendance de base reliant la croissance économique et la réduction de l’emploi agricole. La relation entre le produit intérieur brut (PIB) par habitant et la part de l’emploi agricole pour 120 pays montre une relation négative évidente : lorsque le revenu par habitant augmente, la part de l’emploi agricole dans l’emploi total diminue considérablement, s’approchant de zéro pour les pays à revenu élevé. La part de l’emploi industriel dans l’emploi total augmente avec le revenu par habitant jusqu’à environ 30  % de l’emploi total en moyenne, mais avec la poursuite de l’augmentation du revenu, la part de l’emploi industriel rediminue. Ce pic relativement faible de 30 % suggère qu’il n’est pas réaliste d’attendre du secteur industriel qu’il puisse parvenir à employer la majorité de la population active. Le niveau de revenu par habitant à partir duquel la désindustrialisation commence à se produire s’est réduit (dans ce cas, la désindustrialisation est définie par une chute de la part du secteur industriel dans l’emploi total lorsque le revenu par habitant augmente. Toutefois, il convient de noter que la distinction entre l’industrie et les services s’estompe, en particulier dans les économies à haut revenu. Les entreprises industrielles externalisent la plupart de leurs activités de service au profit d’entreprises de services et de l’utilisation d’intrants intermédiaires à partir d’une offre de services indépendants.

Dans de nombreux pays à revenu élevé, les services comptent pour 70 à 80 % de tous les emplois. Pour les pays à faible revenu, les services comptent pour 20 à 30 % de l’emploi total, mais créent toujours plus d’emplois que l’industrie.

Malgré les grandes tendances que suggèrent ces chiffres, le modèle traditionnel de changement structurel ne peut pas s’appliquer dans un monde aux économies ouvertes et aux réseaux de production et de commerce mondialisés. La mondialisation affaiblit les liens organiques entre l’agriculture et l’industrie, car une population urbaine peut être alimentée par l’importation d’aliments plutôt que par le soutien de la production agricole nationale. La demande pour les produits industriels peut également être satisfaite par une augmentation des importations plutôt que par une augmentation de la production domestique. De plus, la concurrence mondiale dans la production de biens industriels peut conduire à des améliorations de productivité ce qui peut limiter le rythme des créations d’emplois industriels par rapport au rythme de la croissance de la production industrielle.

L’augmentation du taux de croissance de la productivité a tendance à ralentir le taux de croissance de l’emploi. Durant la période 1961-1970, par exemple, une hausse de 1 point de pourcentage du taux de croissance de la productivité a entraîné une réduction de 0,07 point du taux de croissance de l’emploi – un effet très faible. Cependant, dans la période 2001-2008, la même augmentation de 1 point du taux de croissance de la productivité a entraîné une baisse 0,54 point du taux de croissance de l’emploi – un impact beaucoup plus significatif. Cela suggère que d’ici 2008, les améliorations de productivité ou de politiques macro-économiques ne sont plus à même de soutenir la croissance de la demande globale de la même manière qu’elles l’ont fait dans le passé.

Ces caractéristiques concernant la relation entre croissance de la productivité et la croissance de l’emploi sont repérables dans tous les secteurs de l’économie. Cependant, le changement dans cette relation est plus prononcé pour le secteur industriel que pour les autres secteurs, car les possibilités de croissance de la productivité y sont plus grandes. Cela pourrait conduire à une divergence entre la dynamique de l’industrialisation et celle de l’emploi.

Une plus grande ouverture au commerce est probablement la principale cause de la divergence croissante entre l’évolution de la production et de l’emploi[4]. En outre, les politiques macroéconomiques qui visent à restreindre la demande intérieure afin de stabiliser les taux de l’inflation et la dette publique peuvent également contribuer à une telle divergence. Dans les pays à faible revenu en particulier, la contraction des dépenses publiques a tendance à affecter non seulement les secteurs à forte utilisation de main d’œuvre comme le secteur social, santé et éducation, mais aussi l’agriculture, qui est une source importante de moyens de subsistance. Cela conduit à réduire la création d’emplois directs par le gouvernement et l’impact indirect à travers des effets multiplicateurs.

Par conséquent, différentes trajectoires de changement structurel peuvent être observées dans la plupart des pays aujourd’hui. Le mouvement d’exode rural est encore présent, mais la force de travail libérée qui en résulte n’est pas automatiquement absorbée par le secteur industriel. Au lieu de cela, les travailleurs se déplacent de façon disproportionnée dans le secteur des services et dans l’emploi informel où les possibilités d’une croissance soutenue de la productivité et d’amélioration des revenus sont limitées. Dans les dernières décennies, quelques pays d’Asie de l’Est ont subi une transformation industrielle semblable à celle vécue dans les pays à revenu élevé. Ils ont utilisé des politiques industrielles interventionnistes et d’autres moyens comme le commerce administré, un renforcement des liens entre la finance et l’industrie et des politiques sociales qui ont élevé le niveau de compétence de leur main-d’œuvre. La part de l’emploi industriel a augmenté et le niveau de vie a considérablement augmenté. Toutefois, le maintien d’un état du travail qui offre une rémunération et une protection adéquates, est difficile, même pour ces pays qui ont réussi une industrialisation.

1.2. Nouvelles tendances en matière d’emploi

Jusqu’à présent, ce chapitre a examiné les diverses relations observées entre le développement économique et la structure de l’emploi. La discussion a porté sur la façon dont les changements structurels de la demande intérieure de biens et services et de la productivité ont affecté le niveau et la composition de la demande de travail. Ces dernières années, cependant, l’évolution des offres sur les marchés du travail dans le monde a été très importante. Cette section met en évidence quatre questions qui affectent l’offre de travail et qui sont d’une importance particulière dans la compréhension de la formation des revenus des ménages et des risques de pauvreté : l’urbanisation, la participation croissante des femmes à la vie professionnelle, une plus grande intégration de la main-d’œuvre mondialisée et les migrations.

1.2.1. Urbanisation

 Une part croissante de la population mondiale vit dans les villes et dans les centres urbains[5]. Bien que la part de la population urbaine soit plus élevée dans les pays à revenu élevé et plus faible dans les pays à faible revenu, l’urbanisation croissante est un phénomène vécu par tous les pays ce qui soulève de sérieuses questions quant au fait de savoir si la demande de travail dans les zones urbaines va croître suffisamment pour absorber une main-d’œuvre en pleine expansion.

Le tableau 1 illustre les tendances récentes dans la croissance des populations urbaines, la population totale et de l’emploi industriel pour 11 pays en développement. Dans tous les cas, la population urbaine croît plus vite que la population totale (à noter que ce sont des taux annuels de croissance moyenne couvrant 20 à 25 ans).

Tableau 1

Taux de croissance annuel de la population urbaine, de la population totale et de l’emploi industriel dans quelques pays

  Population urbaine Total population Emploi industriel période  
  taux de croissance annuel  % Années Source
Bolivia 3,6 2,2 4,2 1981–2003 GGDC
Botswana 7,8 2,6 7,2 1981–2003 UNIDO
Brazil 2,6 1,7 1,6 1981–2005 GGDC
Costa Rica 3,9 2,4 3,2 1981–2006 ILO
India 2,8 1,9 0,6 1981–2002 UNIDO
Indonesia 4,6 1,5 3,7 1981–2006 ILO
Republic of Korea 2,2 0,9 1,5 1981–2006 ILO
Mexico 2,2 1,7 1,8 1981–2005 GGDC
Peru 2,3 1,8 1,2 1981–2005 GGDC
Philippines 4,3 2,3 2,1 1981–2006 ILO
Thailande 1,9 1,2 4,2 1981–2006 ILO
Notes : Industrial employment includes manufacturing, construction and utilities. For Botswana and India, industrial employment only includes manufacturing. The correlation coefficient between growth in the urban population and growth in industrial employment across the 11 countries is 0.77. GGDC = Groningen Growth and Development Centre; ILO = International Labour Organization; UNIDO = United Nations Industrial Development Organization. Source: Heintz, 2009 op.cit.

 

Le tableau montre une relation positive entre le taux de croissance de la population urbaine et le taux de croissance de l’emploi industriel. Cela suggère que l’augmentation de la demande de travail dans le secteur industriel augmente l’exode rural. Cependant, dans la plupart des pays examinés ici, la croissance de la population urbaine dépasse la croissance des possibilités d’emploi dans l’industrie. Cela indique que, au fil du temps, l’emploi industriel représentera une part décroissante de l’emploi urbain total. Les migrants ruraux vers les villes qui ne seront pas employés dans des emplois industriels, travailleront dans le secteur des services, dans le secteur informel ou deviendront chômeurs. Bien sûr, tous les emplois industriels ne sont pas situés dans les zones urbaines, mais la majorité des opportunités est concentrée dans et autour des villes. Dans la plupart des pays, les revenus provenant d’un emploi, même dans le secteur informel restent, en moyenne, au-dessus des revenus agricoles, incitant à la poursuite des migrations des campagnes vers les villes, même quand il y a peu de possibilités d’emplois industriels. La poursuite de l’urbanisation dans des contextes où les possibilités d’emploi sont limitées peut créer une pression à la baisse sur les revenus urbains, pression associée au fait que l’emploi informel est généralement précaire et mal rémunéré avec peu, voire aucune protection sociale.

1.2.2. La participation croissante des femmes à la population active

Une autre tendance importante est l’augmentation notable de la participation des femmes au travail rémunéré qui a augmenté globalement de plus de 18 % entre 1997 et 2007[6]. L’accroissement de la participation des femmes a coïncidé avec une croissance limitée de l’emploi industriel formel et avec une augmentation plus rapide de la part des services et de l’emploi informel. Plus de femmes à travers le monde sont employées dans les services qui sont souvent plus mal payés et offrent moins de protection sociale que dans des activités industrielles.

1.2.3. Accroître l’offre de travail globale

Une implication croissante des femmes dans le travail rémunéré est une partie d’un processus plus large d’expansion de l’offre de travail globale. Avec les réformes du marché en Europe orientale, en Asie centrale et, peut-être de manière plus significative, avec l’adoption élargie par la Chine et l’Inde de politiques économiques extraverties, le nombre de travailleurs engagés dans la production pour le marché mondial a augmenté énormément au cours des dernières décennies. L’expansion de la masse globale de travail a dépassé l’augmentation de la masse globale de capital faisant du travail un facteur relativement plus abondant et du capital un facteur relativement rare. Le résultat a été une pression à la baisse sur les salaires au moins jusqu’à ce que l’accumulation de capital à l’échelle mondiale puisse s’ajuster. La baisse quasi universelle de la part des salaires dans le revenu national peut être au moins en partie expliquée par ce vaste processus. La rareté relative du capital a été rendue plus sévère par les politiques néolibérales qui décourageaient l’investissement en capital fixe. L’augmentation de la part des exportations de produits industriels en provenance des économies en développement représente une des dimensions de l’intégration de la main-d’œuvre mondiale. En 1960, les produits manufacturés ne représentaient que 12 % des exportations des pays en développement et, en 2000, ils représentaient environ 67 %. Non seulement les pays se développent en concurrence avec les secteurs industriels établis des pays industriels avancés, mais ils sont aussi en concurrence les uns avec les autres. Ce changement a coïncidé avec la détérioration des termes de l’échange pour certains types de biens industriels, en particulier ceux issus de production à usage intensif de travail qui représentent l’essentiel des exportations industrielles des pays pauvres. Les pressions concurrentielles peuvent rendre le développement industriel plus difficile du fait que les gains tirés du commerce se détériorent au fil du temps et érodent les ressources disponibles pour investir dans l’amélioration de la production industrielle.

1.2.4. Les migrations internationales

 Les migrations internationales jouent un rôle complexe dans l’offre de travail. Bien que la proportion de migrants internationaux dans la population mondiale soit restée globalement stable à environ 3 %, le nombre total est passé à près de 200 millions en 2005, y compris les réfugiés et demandeurs d’asile. La plupart des migrants partent à l’étranger pour des raisons économiques et ils sont inégalement répartis dans le monde. Pour les pays ayant des niveaux élevés d’émigration, comme le Ghana, le Mexique et les Philippines, les envois de fonds provenant d’un emploi constituent un apport non négligeable de ressources financières. Dans les pays à revenu élevé, les migrants ont tendance à être concentrés dans les formes faiblement rémunérées, précaires et sans protection d’emploi. Aux États-Unis, par exemple, les étrangers représentent une part disproportionnée des journaliers, travailleurs à temps partiel et des employés temporaires – catégories d’activité qui tendent à être nettement plus précaires. Dans certains cas, les travailleurs migrants sont pris dans des modalités d’emploi illégal et sont surexploités. Malgré ces inconvénients sur le marché du travail, les envois de fonds financés par des revenus d’emploi dans le pays d’origine du migrant constituent souvent une composante importante du revenu des ménages, réduisant ainsi le risque de pauvreté.

1.3. Comment les différents modèles de développement affectent-ils l’emploi ?

L’emploi comprend non seulement l’emploi salarié, mais aussi le travail des indépendants, des agriculteurs et des artisans ainsi que celui des petits commerçants et des transporteurs du secteur informel qui se livrent à des transactions sur le marché pour obtenir une rémunération pour leur travail. Les expériences des différents pays peuvent mettre en évidence le potentiel des différents modèles de développement pour réduire la pauvreté à travers leurs effets sur l’emploi. Ce qui ressort clairement des observations est l’hétérogénéité des expériences et des résultats. En outre, elle suggère que la seule croissance économique ne sera pas nécessairement suffisante pour créer des emplois. Pas plus la croissance seule ne suffira à réduire la pauvreté. Même dans les pays qui ont réussi une industrialisation, les conditions du marché du travail se sont détériorées ces dernières années ce qui se traduit par une baisse de la qualité des emplois et par des inégalités croissantes. Les cas discutés ci-dessous constituent cinq grands types de modèle de développement : cas des économies qui ont effectué une transition vers l’industrie, cas où l’industrialisation s’accompagne de régimes dualistes du marché du travail, cas où la croissance est tirée par les services, cas où l’agriculture domine dans l’économie et cas des économies riches en ressources minérales.

1.3.1. Les États Est asiatiques ont suivi la voie classique de croissance de l’industrie

 Les États asiatiques ont réussi à reproduire le modèle classique de l’industrialisation des économies aujourd’hui développés. Ils ont privilégié la croissance économique et ont établi une structure étatique forte pour agir sur les décisions d’investissement et mobiliser le travail. Partant avec un retard technologique, ils ont copié, affiné et étendu les stratégies impulsées par les États des pays d’industrialisation précoce. Cela impliquait des politiques complémentaires dans les domaines économique et social. Le crédit, les investissements, l’entrée et la sortie d’entreprises dans des secteurs spécifiques et les prix ont été coordonnés pour réguler la concurrence, faciliter la mise à niveau technologique et la restructuration industrielle. Ils ont investi massivement dans l’éducation, la formation et la recherche, conduisant à une amélioration des qualifications au sein des secteurs et des échelles de revenu. Ils avaient réalisé une réforme agraire qui a accru la productivité et les niveaux de revenus dans le secteur rural. Et ils ont combiné une politique sélective de substitution aux importations et de croissance tirée par les exportations dans le cadre d’une politique industrielle adéquate. Ils ont aussi importé des licences étrangères, plutôt que de s’appuyer largement sur les investissements directs étrangers (IDE), et activement mobilisé des ressources par le biais de taux d’épargne très élevés qui ont été orientés vers des investissements à long terme. Ils ont adopté une politique de l’emploi à vie pour les travailleurs (principalement des hommes) engagés dans les industries de base et ont créé des liens forts entre l’emploi formel et la protection sociale qui a été alimentée par les entreprises privées avec l’État agissant comme un régulateur. Cette stratégie de développement a généré des taux de croissance élevés, de faibles niveaux de chômage et a aidé la majorité des gens à se sortir de la pauvreté. 

1.3.1.1. République de Corée : un itinéraire classique de développement

La République de Corée est un exemple d’un des États d’Asie orientale qui a suivi une voie de croissance classique dans laquelle la part de l’emploi industriel a augmenté. Le niveau de vie moyen a augmenté de façon spectaculaire et la part de la population pauvre dans le pays a chuté de 41 % en 1965 à moins de 8 % en 1991[7]. Toutefois, au moment de la crise financière asiatique en 1997, la part de l’emploi industriel avait commencé à reculer et l’emploi dans les services était en hausse. La crise a eu un impact tragique sur les marchés du travail, restructurant fondamentalement les modalités d’emploi et détruisant efficacement toutes garanties de l’emploi à vie.

L’évolution de la part de l’emploi dans l’agriculture, l’industrie et les services pour la République de Corée de 1980 à 2008 montre, qu’au début de cette période, un processus d’industrialisation était déjà en cours et l’emploi industriel s’élevait à 29 % du total des emplois. Cette part a culminé à 36 % en 1991. Mais les emplois dans les services ont pris une part croissante, dépassant 50 % en 1993. En 1980, l’agriculture représentait encore un tiers de tous les emplois. En 2007, sa part était tombée à un peu plus de 7 %. La part du produit agricole a également baissé. Dans le secteur industriel, la part de l’emploi a augmenté en même temps que la part du produit industriel pendant les années 1980, mais, dans les années 1990, les deux ont diminué. Toutefois, la part de l’emploi industriel a diminué beaucoup plus rapidement que la part du produit industriel.

Pendant la phase d’industrialisation rapide, les gains de productivité ont été associés à la croissance de l’emploi industriel. Dans les années 1990, cette relation entre l’emploi et la productivité industriels n’est plus observable  : la production n’augmentait plus assez vite pour compenser le redéploiement de la force de travail associé à ces gains de productivité. Dans le secteur des services, la part de l’emploi a augmenté plus vite que la part de la production. L’accroissement plus lent de la productivité dans les services, à son tour, a réduit la capacité de l’économie à améliorer les rémunérations salariales pour les travailleurs des services à l’inverse de ce qui avait pu être observé pour les salariés du secteur manufacturier au cours de la période d’industrialisation rapide.

Le tableau 3 montre la répartition de l’emploi entre emplois réguliers, temporaires et journaliers au sein de la République de Corée en 2005. À la fois, les heures travaillées et les gains horaires sont en moyenne inférieurs pour les emplois temporaires et journaliers, ce qui implique que le potentiel de gains (heures travaillées multipliées par les gains horaires) pour de tels emplois est significativement plus faible que pour les emplois réguliers. Les femmes salariées sont plus susceptibles de travailler dans des emplois non réguliers que les hommes. La plupart des emplois atypiques est concentrée dans le secteur des services, y compris le commerce de détail, les hôtels, les restaurants, les services publics administratifs et éducatifs. Dans les zones rurales, les emplois agricoles relèvent pour une part significative de l’emploi atypique. Le BTP contient une part importante de travailleurs journaliers, principalement masculins. Après la crise financière en Asie de l’Est, le nombre de contrats de travail temporaires et journaliers a augmenté considérablement. Il est estimé que l’emploi atypique est passé de 17 % de l’emploi total en 2001 à 29 % en 2006. Cet accroissement a rompu le lien de complémentarité entre emploi et protection sociale. Ceci a conduit à des réformes de politique sociale visant à assurer une plus grande couverture sociale pour ceux qui sont employés de manière atypique

Tableau 2

Répartition de l’emploi et de la production par secteur en République de Corée, 1980–2006

  1981–1985 1986–1990 1991–1995 1996–2000 2001–2006
Emploi  %          
Agriculture 29,6 20,7 14,6 11,5 8,9
Industrie 29,2 34,3 34,2 29,4 27,3
Services 41,1 45,0 51,2 59,1 63,8
Production  %          
Agriculture 14,9 10,5 7,1 5,3 4,0
Industrie 38,1 41,3 41,8 40,8 39,7
Services 46,9 48,3 51,1 53,9 56,3
Source: Heintz, 2009.          

TABLEAU 3

Répartition de l’emploi en République de Corée, 2005

  Répartition de l’emploi % Durée du travail hebdomadaire Salaire horaire, won coréen
  Homme Femme Homme Femme Homme Femme
Emploi urbain            
Régulier 40,2 25,0 59 39 14 570 10 871
petites entreprises 1,5 1,4 43 31 9 589 7 942
autres entreprises 38,7 23,6 59 47 14 771 11 059
Temporaire 15,1 28,6 33 24 7 140 6 048
petites entreprises 4,7 10,2 31 21 6 287 5 105
autres entreprises 10,4 18,4 34 25 7 529 6 580
Journalier 8,2 10,1 25 14 6 709 4 332
petites entreprises 3,2 5,4 22 14 6 403 4 173
autres entreprises 5,0 4,7 23 16 6 908 4 515
Employeur 9,9 3,5 52 54 n.a. n.a.
petites entreprises 6,0 2,9 53 54 n.a. n.a.
autres entreprises 3,9 0,6 50 52 n.a. n.a.
Indépendant 16,9 12,6 50 45 n.a. n.a.
Aide familial 0,9 9,1 44 57 n.a. n.a.
Emploi rural            
Régulier 0,9 0,8 40 32 9 009 7 760
Temporaire 0,4 0,8 25 20 5 507 4 874
Journalier 0,3 0,8 22 13 6 481 3 399
Employeur 0,3 0,1 57 59 n.a. n.a.
Indépendant 6,4 3,1 43 39 n.a. n.a.
Aide familial 0,5 5,5 42 43 n.a. n.a.
Note: Small-scale enterprises have fewer than five employees. Other enterprises have five or more employees. n.a. = not available. Source: Heintz, 2009. See also Heintz (2008) for details

1.3.1.2. Autres pays d’Asie orientale : la croissance combinée à la réduction de la pauvreté

 L’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande représentent un deuxième groupe de pays d’Asie qui ont également suivi la voie d’un développement tiré par la production industrielle, bien que les niveaux des formations et des qualifications, de l’épargne intérieure, de la protection sociale et de la capacité d’action de l’État soient beaucoup plus bas que ceux de la République de Corée et que le capital étranger joue un rôle plus important dans l’orientation de leurs stratégies industrielles. En Malaisie, l’emploi industriel s’est rapidement développé – de 7 % dans les années 1960 à environ 28 % en 2000. Alors que 55 % des Malaisiens vivaient de l’agriculture dans les années 1960, cette part est tombée à 16 % en 2000. La pauvreté est tombée de 50 % environ en 1970 à moins de 6 % en 2004[8].

La Chine et le Vietnam constituent un troisième groupe : les pays en transition d’une économie planifiée vers une économie de marché. Dans les deux pays, les gouvernements communistes ont facilité une croissance plus rapide, avec des cadres du Parti constituant d’abord un fer de lance dans la promotion des réformes et agissant dans certains cas comme des entrepreneurs, même lorsque les changements dans les orientations politiques ont offert plus de ressources, de droits de propriété et de pouvoirs de décision aux petits producteurs. L’industrialisation rurale constitue une partie importante de la stratégie de développement de ces pays, au moins dans les premiers stades de la décollectivisation[9]. Comme la transition progressait, leurs stratégies de développement ont appris à compter sur la haute productivité des entreprises étrangères, qui réduit la possibilité de faire correspondre la croissance de l’emploi et celle de la population active. Une grande proportion de la population est encore employée dans l’agriculture. Néanmoins, la pauvreté a fortement diminué à moins de 10 % en Chine et à moins de 15 % au Viet Nam.

1.3.2. Le dualisme de nombreux pays à revenu intermédiaire exacerbe les inégalités

 Beaucoup de pays à revenu intermédiaire sont fortement industrialisés. Par habitant, l’Amérique latine est la région la plus industrialisée du monde en développement. L’agriculture représente, en moyenne, moins de 10 % de la production nationale dans la région bien que l’agro-industrie soit florissante, notamment en Argentine, au Brésil et au Mexique. L’exploitation agricole plus capitalistique a remplacé le traditionnel latifundia (grandes propriétés) et est responsable d’une part écrasante de la production agricole. Dans le même temps, plus de la moitié de la population active urbaine est soit travailleur indépendant, soit employé comme domestique, soit employé dans de petites entreprises avec un faible salaire.

Quelques autres pays en développement, tels que les Philippines et l’Afrique du Sud partagent le modèle ambivalent de l’Amérique latine fait d’industrialisation et de dualisme (économies où coexistent un secteur formel qui offre des salaires élevés, des avantages sociaux, la sécurité et des perspectives de mobilité ascendante et un secteur informel caractérisé par de faibles revenus et moins de sécurité d’emploi, formation et mobilité). De 1950 à 1980, beaucoup de ces pays ont poursuivi une stratégie industrielle de substitution des importations, certains d’entre eux atteignant des taux de croissance élevés et réduisant la pauvreté pendant une partie de cette période. Ils ont été incapables, cependant, d’achever le processus de transformation industrielle, produisant à la place un marché du travail et des régimes de protection sociale très dualistes. La récurrence des crises économiques et des dettes massives dans les années 1980 a exposé la plupart de ces pays aux prescriptions politiques des institutions financières internationales (IFI). La nature asymétrique de la distribution des revenus en faveur des groupes à revenu élevé s’est articulée avec une industrialisation à forte intensité capitalistique et technicisée.

En Afrique du Sud, où l’État fondé sur l’apartheid a délibérément découragé l’émergence d’une économie nationale intégrée et a essayé de contenir le militantisme syndical noir, de nombreuses entreprises industrielles et propriétaires d’exploitations agricoles ont opté pour des méthodes intensives en capital en investissant dans des machines sophistiquées, nécessitant peu de techniciens qualifiés et une force de travail limitée. Une telle stratégie a aggravé le chômage, la pauvreté et les inégalités, ce que le gouvernement post-apartheid n’a pas été en mesure de renverser en poursuivant une stratégie de croissance fondée sur la recherche de fort gain de productivité[10]. Le chômage en Afrique du Sud est d’environ 27 %, un des taux les plus élevés dans le monde. Les stratégies de croissance des économies dualistes en Amérique latine se sont fortement appuyées sur les prêts étrangers et l’importation massive de biens d’équipement et de technologie. Ces importations ne pouvaient pas être soutenables avec des termes de l’échange des exportations clés détériorés et des taux d’intérêt montant en flèche, ni avec une stratégie de croissance tirée par les exportations qui a plus tard complété le modèle de substitution des importations, ne pouvant générer suffisamment de revenus pour payer la dette accumulée ou éviter la crise de balance des paiements des années 1980.

Malgré l’industrialisation, la moitié environ des effectifs du Brésil est officieusement employée. Le tableau 4 présente la répartition moyenne sectorielle de l’emploi et de la production au Brésil. L’emploi industriel a représenté entre 20 et 24 % du total des emplois sur la période 1980-2006. À la fois la part de l’emploi industriel et la part de la production industrielle ont baissé en moyenne sur cette période bien qu’il y ait plusieurs indices d’une certaine reprise de 2001 à 2006. La production a diminué plus vite que l’emploi industriel, ce qui suggère une réduction de la productivité moyenne dans les activités industrielles.

Le tableau 5 montre que la part des emplois non agricoles informels est identique à la part de l’emploi non-agricole formel, 41 %. Les femmes occupées sont plus susceptibles de travailler dans des emplois non agricoles informels que les hommes employées. Cela est principalement dû au grand nombre de travailleurs domestiques au Brésil, en grande majorité des femmes. Les gains sont généralement plus élevés dans l’emploi formel et plus faible dans l’emploi agricole, et les travailleurs dans des emplois non agricoles informels gagnent davantage, en moyenne, que la plupart des travailleurs agricoles. Toutes les catégories de l’emploi informel gagnent moins et, dans toutes les catégories d’emploi, les femmes gagnent moins que les hommes. Cela est dû à une combinaison de gains horaires moyens plus faibles et de moins d’heures de travail rémunéré chaque mois.

Néanmoins, la hiérarchie des revenus, avec des travailleurs non agricoles du secteur informel qui gagnent plus que la plupart des travailleurs agricoles, suggère qu’il y aura un maintien des pressions économiques pesant sur les nouveaux arrivants issus de l’exode rural, même si les migrants ruraux n’ont aucune chance d’être employé dans un emploi formel. Bien sûr, une certaine prudence est justifiée pour ne pas tirer des conclusions trop hâtivement : ces estimations ne prennent pas en compte d’autres facteurs, tels que les différences dans le coût de la vie entre les zones rurales et urbaines. La réduction de la pauvreté sera plus lente si l’emploi informel se développe et les salaires dans ces formes d’emplois précaires ne s’améliorent pas.

L’incapacité de l’industrialisation d’offrir un haut niveau de l’emploi formel dans les économies dualistes sape la complémentarité démontrée dans le cas de l’Asie orientale entre la participation au marché du travail et la protection sociale. Comme les chapitres suivants le montreront, les gouvernements qui sont désireux d’améliorer le bien-être des pauvres, ont plutôt étendu les programmes d’aide sociale, telles que les transferts monétaires. Alors que ces régimes ont contribué à réduire la pauvreté et les inégalités, les divisions nettes sur les marchés du travail et l’échec de la stratégie de croissance pour créer suffisamment d’emplois rémunérés de manière adéquate et socialement protégés rendent difficile pour la majorité de la population d’échapper à la pauvreté ou à une réduction sensible des inégalités.

Tableau 4

Répartition de l’emploi et de la production par secteur au Brésil, 1980–2006

  1981–1985 1986–1990 1991–1995 1996–2000 2001–2006
Emploi  %          
Agriculture 28,9 24,1 27,3 24,0 20,5
Industrie 23,5 23,5 20,2 19,8 21,0
Services 47,7 52,3 52,5 56,1 58,5
Production  %          
Agriculture 10,7 09,6 07,7 05,5 06,2
Industrie 44,9 43,2 36,8 26,3 28,7
Services 44,4 47,2 55,5 68,2 65,1
Source: Heintz, 2009.        

Tableau 5

Structure de l’emploi au Brésil, 2007

  Nombre d’emploi Répartition par rapport au total  %
Catégorie d’emploi Homme Femme Total Homme Femme Total
Formel non agricole            
privé 16 910 679 9 519 926 26 430 605 33 25 30
public 3 560 926 4 601 150 8 162 076 7 12 9
indépendants 568,888 599,940 1 168 828 1 2 1
employeurs 575,429 208,780 784 209 1 1 1
Formel agricole            
salariés 147 542 16 044 163 586 0,3 0,0 0,2
entrepreneurs 48 043 4 485 52 528 0,1 0,0 0,1
Total formel 21 811 507 14 950 325 36 761 832 43 39 41
Informel non agricole            
salariés (hors domestiques) 7 532 732 4 790 937 12 323 669 15 13 14
domestiques 409 871 6 214 878 6 624 749 1 16 7
indépendants 8 721 828 5 089 100 13 810 928 17 13 15
employeurs 1 558 830 660 610 2 219 440 3 2 2
aides familiaux 432 132 829 676 1 261 808 1 2 1
Total informel non agricole 18 655 393 17 585 201 36 240 594 36 46 41
Informel agricole            
salariés permanents 2 299 094 237 892 2 536 986 4 1 3
salariés temporaires 1 879 499 301 350 2 180 849 4 1 2
entrepreneurs 3 919 952 554 414 4 474 366 8 1 5
aides familiaux 1 189 497 1 673 175 2 862 672 2 4 3
Total informel agricole 9 288 042 2 766 831 12 054 873 18 7 14
Autre catégories            
Producteurs en autoconsommation 1 429 282 2 384 875 3 814 157 3 6 4
Autres/inconnus 94 825 219 397 314 222 0 1 0
Total 51 279 049 37 906 629 89 185 678 100 100 100
Source : Heintz, 2009.            

1.3.3. Le développement tiré par les services peut-il être une alternative à l’industrialisation ?

La croissance dans les secteurs de service de nombreux pays en développement – en particulier des services à forte valeur ajoutée – a soulevé la possibilité qu’un développement tiré par les services pourrait offrir une alternative à la voie de l’industrialisation. Deux points sont à noter. Premièrement, les services ne sont pas nécessairement un substitut à l’industrialisation. De nombreux services contribuent à la production industrielle qui augmente la productivité moyenne. Deuxièmement, il y a eu une forte croissance des échanges internationaux de services. Si les services font de plus en plus l’objet d’un négoce, alors la demande de services n’a pas besoin de provenir d’industries nationales ou des consommateurs, mais pourrait résulter de la croissance industrielle dans d’autres espaces de l’économie mondiale. Que l’exportation de services puisse imiter le succès d’une stratégie d’industrialisation fondée sur l’exportation comme en l’Asie orientale, reste à démontrer.

1.3.3.1 Irlande : renforcer la croissance économique grâce aux services

 Dans certains pays avec des niveaux raisonnables d’industrialisation, le secteur des services peut être productif. L’Irlande, surnommée le Tigre celtique, a utilisé les services pour soutenir sa stratégie de croissance des années 1990, ce qui a permis de renverser une tendance longue de stagnation économique et de niveaux élevés de chômage dans le pays. La part du secteur des services dans les exportations a doublé, passant de 17 % à 34 % entre 1998 et 2004 et l’emploi dans les services qui a progressé d’environ 18 % entre 2002 et 2006, représente 67 % du total des emplois. La stratégie de développement tiré par les services est alimentée par des investissements directs étrangers (IDE) – avec des services financiers représentant environ 85 % de ces investissements en 2004 – et est basée sur un régime de faible imposition. Une série de conventions collectives, impliquant l’État, les employeurs, les syndicats et les agriculteurs, a été décisive dans le maintien de bas salaires en échange d’un niveau d’emploi élevé et d’un faible taux d’imposition sur le revenu. Toutefois, les dépenses sociales ont fortement chuté et les niveaux de pauvreté sont en augmentation constante depuis 1997, bien que la part des personnes dont les revenus s’élèvent à 60 % du revenu moyen, soit restée assez stable[11]. Des questions ont été soulevées quant à la nature enclavée du secteur des services financiers et quant au ralentissement de la croissance de la productivité dans l’économie lorsque les services deviennent dominants. La crise économique mondiale a eu un effet négatif sur la stratégie de croissance de l’Irlande, le chômage et l’industrialisation.

1.3.3.2. Inde : l’industrialisation contournée par la croissance des services 

La stratégie initiale de développement de l’Inde (1950-1980) était basée sur une industrialisation par substitution des importations et mélangée avec une certaine dose de redistribution pour répondre aux exigences des segments de la paysannerie que le parti au pouvoir avait mobilisés pendant les luttes anti-coloniales. Toutefois, le parti au pouvoir a été influencé de manière disproportionnée par les élites terriennes et affairistes au point que l’État n’a pas pu les discipliner suffisamment pour assurer une croissance élevée et un changement structurel[12]. Même lorsque l’objet des politiques publiques en arriva à la réduction de la pauvreté dans les années 1960 et 1970, l’intervention de l’État a pris des formes populistes et les tensions contradictoires au sein du parti ont rendu la croissance problématique et la redistribution inefficace[13]. Le résultat est un secteur manufacturier qui n’a pas pu atteindre les performances des pays de l’Asie orientale. Les changements récents dans le régime politique et l’importance croissante des services ont conduit à des taux de croissance élevés. Il n’est pas aisé, cependant, de savoir si le secteur des services transformera finalement l’économie indienne en stimulant les secteurs manufacturier et agricole à la traîne. La situation de l’emploi en Inde et le rythme de développement du pays ne s’inscrivent pas dans des catégories traditionnelles.

Dans son secteur industriel formel, l’Inde a connu une croissance sans emploi dans laquelle la production s’est élargie, mais l’emploi a stagné ou diminué. Une part importante de la population indienne est encore employée dans l’agriculture. Contrairement à la performance limitée de l’économie rurale, un certain nombre de services à forte valeur ajoutée ont pris leur essor au cours de ces dernières années. Peut-être les plus connues sont les services commercialisés liés aux technologies de l’information et des communications (TIC). Néanmoins, le secteur informel ou non structuré continue de représenter une grande partie de l’emploi urbain en Inde.

Le manque de complémentarité entre la présence sur le marché du travail et la protection sociale est particulièrement marquée en Inde et dans d’autres économies basées sur les services et l’agriculture. Dans le cas de l’Inde, 90 % de la population active appartient au secteur informel et n’a, par conséquent, pas une couverture adéquate par des programmes de protection sociale. La combinaison de la croissance rapide et l’émergence d’un nouveau secteur des services a produit des nouvelles interrogations sur le fait de savoir si l’Inde poursuivait un nouveau modèle économique contournant l’industrialisation traditionnelle en saisissant de nouvelles opportunités rendues possibles par les progrès des communications et des technologies informatiques.

Un certain nombre de facteurs font de la voie de développement tiré par les services une possibilité. Premièrement, les services peuvent avoir un impact positif sur la productivité des autres secteurs de l’économie, y compris le secteur industriel. Par conséquent, la croissance dans les services peut potentiellement soutenir une plus grande productivité et un meilleur niveau de vie. Deuxièmement, les services à forte valeur ajoutée sont pour la plupart commercialisables – par exemple des services d’information. Dans le processus de développement industriel classique, la croissance de la production industrielle nationale a généré des marchés pour un secteur des services en pleine expansion. Dans un monde globalement intégré, une croissance soutenue de l’industrie n’a pas besoin de précéder l’élargissement des services si ces services sont commercialisables. Troisièmement, les possibilités de réaliser des innovations technologiques et des économies d’échelle peuvent être plus importantes pour les services que ce que l’on croit souvent. Cela permettrait aux services d’usurper le rôle joué par l’industrie, du moins en partie, dans le modèle de développement classique.

La conceptualisation d’un modèle de croissance tiré par les services en Inde soulève un certain nombre de questions épineuses. Une récente analyse des moteurs de la croissance en Inde suggère que l’industrie manufacturière et la finance ont été les deux plus importants secteurs, les TIC ne figurent pas encore en bonne place. Du point de vue de l’emploi, ce modèle de croissance est préoccupant. Malgré des hausses remarquables, l’emploi dans le secteur des TIC reste relativement faible si on le compare à l’ensemble des emplois de service en Inde. Aussi, les individus doivent avoir des compétences suffisantes pour tirer parti des possibilités d’emploi dans le secteur des TIC. Les travailleurs venant du secteur industriel sont éventuellement capables d’occuper ces emplois. Cependant, il est peu probable, du moins dans le court et moyen terme, que les travailleurs issus de l’exode rural ou ceux venant de l’économie informelle puissent bénéficier des emplois liés aux TIC ce qui limite les possibilités du secteur de réduire la pauvreté. Enfin, le développement tiré par les services qui repose sur la promotion des services commercialisables, conduira presque certainement à l’aggravation des inégalités parmi les travailleurs du tertiaire. Les services marchands pourront profiter de rendements plus élevés et d’opportunités de travail améliorées, tandis que les services non échangeables (ceux étroitement liés au marché intérieur, y compris une large part de l’emploi informel urbain) ne peuvent pas obtenir des avantages équivalents. Les travailleurs pauvres sont plus susceptibles d’être concentrés dans les services non échangeables, ce qui suggère que ces personnes et leurs familles risquent d’être laissées en dehors de ce paradigme de croissance tirée par les services. Le modèle de développement de l’Inde souffre une autre contrainte. Le taux annuel de croissance de la production agricole dans la période post-libéralisation a été en moyenne près de 1 % inférieur à celui atteint dans les années 1980, ceci étant largement du à une baisse des investissements publics durant cette période.

Les niveaux soutenus de croissance ont permis de réduire la pauvreté en termes globaux. Selon les statistiques officielles, la pauvreté monétaire a commencé à diminuer, concernant environ 50 % de la population en 1977-1978 à environ 27 % en 2004-2005. Mais le taux de diminution est estimé avoir été plus rapide dans les années 1980, par rapport aux années 1990 et suivantes, ce qui suggère que la réduction de la pauvreté a subi un revers après le début des réformes néolibérales. Bien que l’écart entre les revenus par habitants ruraux et urbains se soit réduit dans les années 1980, il s’est à nouveau creusé dans les années 1990, et des progrès limités transparaissent dans de nombreux indicateurs physiques de bien-être et de pénurie. La malnutrition liée à la pauvreté reste élevée à environ 75 %. D’autres indicateurs, tels que la mortalité infantile ou les ratios hauteur-poids des enfants, sont décevants en termes absolus malgré l’augmentation de la production.

1.3.4. Les pays à faible revenu demeurent fortement agraires.

Beaucoup de pays à faible revenu suivent un autre type de transformation. Leurs stratégies d’industrialisation dirigées par l’État ont produit une forte croissance, des taux d’épargne et d’investissement élevés dans les années 1960 et 1970, même si elles ont tendance à avoir des coefficients de capital élevés (capital/valeur ajoutée), ce qui suggère une utilisation moins efficace du capital. Au début des années 1980, la majorité de ces pays étaient en crise et ont été contraints par les Institutions Financières Internationales (IFI) à adopter des politiques déflationnistes et de libéralisation de leur économie. Dans de nombreux cas, cela conduit à un processus particulier de désindustrialisation et d’un effacement de l’État. Leurs économies sont restées fortement agraires, avec un important secteur informel et des secteurs industriels et exportateurs moins diversifiés[14]. 

1.3.4.1 Kenya et Cambodge : essentiellement agricole

Le Kenya et le Cambodge représentent deux pays dans lesquels la production agricole est encore une part très élevée du PIB et où l’emploi agricole domine. En outre, les deux pays ont une base industrielle naissante et ont connu un certain succès ces dernières années en prenant place dans de nouveaux marchés d’exportation – le Kenya dans les produits horticoles et le Cambodge dans les vêtements. Le succès de ces secteurs d’exportation demeure précaire et il est difficile de savoir s’ils fournissent un fondement adéquat, par eux-mêmes, pour une industrialisation future et une création d’emplois. La grande majorité des emplois au Kenya est caractérisée par les activités agricoles d’une part, et une économie de services avec une part élevée du secteur informel d’’autre part. L’emploi agricole compte pour 62 % de l’emploi total (voir tableau 6). Les petits exploitants et les membres de leur famille travaillant sur de petites exploitations et des parcelles familiales constituent la grande majorité des emplois agricoles. L’emploi informel non salarié (y compris les travailleurs à leur propre compte ou les travailleurs indépendants, les employeurs et les travailleurs familiaux non rémunérés) constitue une source importante d’emplois en dehors de l’agriculture – à la fois comme une occupation principale et une source de revenus complémentaires. Globalement, les services dominent les emplois non agricoles, avec 79,5 % de tous les emplois en dehors de l’agriculture dans le secteur des services, et 80  % de toutes les entreprises familiales informelles ayant une activité tertiaire. Le secteur formel non agricole au Kenya est assez faible, il représente environ 11 % du total des emplois, y compris les emplois du secteur public. Seulement 9,2 % des emplois non agricoles sont dans le secteur manufacturier et 6,4 % dans la construction.

Tableau 6

Structure de l’emploi au Kenya, 2005

  Nombre d’emploi Répartition par rapport au total  %
Catégorie d’emploi Homme Femme Total Homme Femme Total
Formel non agricole            
salariés privé 534 959 160 319 695 278 8,1 2,6 5,4
fonctionnaires 319 581 171 296 490 877 4,8 2,8 3,8
entreprises publiques 43 578 16 24 59 818 0,7 0,3 0,5
employeurs 31 159 8 419 39 579 0,5 0,1 0,3
indépendants 56 885 53 682 110 567 0,9 0,9 0,9
autre auto employés 7 365 10 713 18 078 0,0 0,0 0,0
Formel agricole            
salariés 166 950 83 545 250 495 2,5 1,3 1,9
Total formel 1 153 112 493 501 1 646 613 17,0 8,0 13,0
Informel non agricole            
salariés 961 08 474 061 1 435 141 14,5 7,6 11,2
employeurs 84 382 39 28 123 662 1,3 0,6 1,0
indépendants 683 929 640 658 1 324 587 10,3 10,3 10,3
aides familiaux 87 875 113 653 201 528 1,3 1,8 1,6
autre auto employés 13 848 8 818 22 666 0,2 0,1 0,2
Total informel 1 831 113 1 276 470 3 107 584 28,0 21,0 24,0
Informel agricole            
salariés 549 334 233 104 782 438 8,3 3,7 6,1
indépendants 1 338 396 1 597 429 2 935 826 20,2 25,7 22,9
autre auto employés 277 041 710 174 987 214 4,2 11,4 7,7
aides familiaux 1 384 734 1 664 953 3 049 687 20,9 26,7 23,7
Total informel 3 549 504 4 205 660 7 755 164 54,0 68,0 60,0
Total agriculture 3 716 455 4 289 205 8 005 659 56,0 69,0 62,0
Autres/inconnus 88 543 247 51 336 054 1,3 4,0 2,6
Total général 6 623 009 6 224 213 12 847 222 100,0 100,0 100,0
Source: Heintz, 2009.            

La structure de l’emploi au Cambodge est similaire à celle du Kenya, l’agriculture et les services dominent. L’agriculture représente 59 % de l’emploi total et, comme le Kenya, est composée principalement de travailleurs à leur propre compte et de travailleurs familiaux non rémunérés (voir le tableau 7). L’emploi salarié du secteur privé représente seulement 13 % de tous les emplois. En dehors de l’agriculture, l’emploi non salarié (à compte propre ou travailleurs familiaux) est la plus grande catégorie d’emploi. L’emploi industriel est relativement restreint et le secteur du vêtement est responsable de plus de la moitié de toutes les opportunités d’emploi dans le secteur industriel. Les services représentent environ un quart de tous les emplois (soit 61 % des emplois non agricoles). Comme le Kenya, les efforts visant à réduire la pauvreté par l’emploi, basée sur la seule structure existante de l’emploi, devrait donc se concentrer sur l’augmentation du rendement du travail dans l’agriculture et les services.

Tableau 7

Structure de l’emploi au Cambodge, 2003/2004

  Nombre d’emploi Répartition par rapport au total  %
Catégorie d’emploi Homme Femme Total Homme Femme Total
Non-agricole            
salariés privé 476 328 373 674 850 002 14 ,5 11 ,3 12,9
salariés public 239 092 67 097 306 188 7,3 2,0 4,6
indépendants 441 030 454 373 895 403 13,5 13,7 13,6
employeurs 2 226 477 2 703 0,1 0,0 0,0
aides familiaux 181 853 342 387 524 24 5,5 10,3 7,9
Total 1 340 529 1 238 008 2 578 536 41,0 37,0 39,0
Agriculture            
salariés 133 265 148 166 281 431 4,1 4,5 4,3
indépendants 1 055 806 628 617 1 684 423 32,2 18,9 25,5
employeurs 2 503 1 980 4 484 0,1 0,1 0,1
aides familiaux 693 203 1 228 410 1 921 614 21,1 37,0 29,1
Total 1 884 778 2 007 173 3 891 951 57,0 60,0 59,0
Autres/inconnus 53 594 72 972 126 565 1,6 2,2 1,9
Total 3 278 900 3 318 153 6 597 053 100,0 100,0 100,0
Source : Heintz, 2009.            

Au Kenya, la croissance récente du secteur de l’horticulture fournit un exemple intéressant de la façon dont les performances à l’exportation peuvent être liés à la création d’emplois et à la réduction de la pauvreté. Les effets sur l’emploi de l’expansion rapide de l’horticulture comprennent ceux liés à l’augmentation de la production agricole des petits exploitants et au nombre de travailleurs employés dans les grandes opérations commerciales. Les principaux produits du secteur sont des fruits frais, légumes et fleurs coupées. Les fruits et légumes frais sont obtenus par de petits exploitants, tandis que la production de fleurs coupées est organisée par de plus grandes entreprises commerciales. En termes d’emploi salarié qui est concentré dans l’activité des fleurs coupées, 60 à 70 % des travailleurs sont des femmes et la plupart sont jeunes – la moitié de la main-d’œuvre a moins de 21 ans. Initialement, l’emploi dans le secteur horticole a semblé réduire la pauvreté et élever le niveau de vie des ménages, par rapport à ceux des ménages qui n’étaient pas impliqués dans le secteur. L’effet a été particulièrement fort en milieu rural. Toutefois, l’application des normes alimentaires internationales ont réduit la participation des petits exploitants dont la contribution aux recettes d’exportation a chuté de 70 % en 1999 à seulement 30 % dans les années 2000. Il convient également de noter que de nombreux emplois générés sont occasionnels et saisonniers et que le revenu est très variable.

Au Cambodge, le secteur dynamique d’exportations est l’industrie du vêtement. Représentant moins de 1 % du PIB en 1994, cette industrie atteint maintenant 16-17 % du PIB et près de 80 % des exportations. Les femmes représentent environ 81 % de tous les emplois salariés du secteur du vêtement. Toutefois, seulement 31 % de toutes les femmes qui travaillent comme employées salariées ont réellement des emplois dans ce secteur. De même, alors que les femmes représentent la moitié de toutes les personnes employées au Cambodge, elles ne représentent que 42 % de tous les employés salariés. Des personnes de provinces où le taux de pauvreté est plus élevé que la moyenne migrent pour travailler dans le secteur du vêtement. On estime que 71 % de tous les travailleurs du vêtement retournent 30 % ou plus de leurs gains à leurs foyers d’origine. Certaines entreprises de confection sont des filiales jointes avec des investisseurs cambodgiens, mais la plupart de ces entreprises sont entièrement sous contrôle étranger. Ce manque d’enracinement national des firmes rend la production plus mobile et plus sensible aux changements de politique.

Ces exemples du Kenya et du Cambodge soulignent la difficulté de construire les bases de nouvelles activités économiques orientées vers l’extérieur dans une économie à faible revenu dominée par l’agriculture. Que ce soit les produits horticoles ou les vêtements, il s’agit d’exportations à forte intensité de main-d’œuvre, soumises à de fortes pressions concurrentielles. Des facteurs externes – tels que la crise économique mondiale – ont un impact profond sur les marchés de ces produits et, finalement, sur l’emploi dans ces secteurs. Les accélérations récentes de la croissance dans de nombreuses économies agraires et autres étaient liées au boom des prix des matières premières et à la croissance de l’économie mondiale dans la période 2000-2007. Cette croissance a conduit à une certaine réduction de la pauvreté. Cependant, les crises économiques et alimentaires ont démontré la fragilité de cette croissance. Les indicateurs clés du bien-être, comme la nutrition, sont encore très faibles et peuvent même avoir empiré en raison de la libéralisation agricole qui a favorisé les agro-exportations. Un grand nombre de personnes continuent de vivre dans l’insécurité, même si, à partir de 1,25 $ par jour, ils sont au-dessus du seuil de pauvreté. Beaucoup se déplacent autour du seuil de pauvreté en fonction des conditions existantes en remplaçant des aliments plus nutritifs et coûteux par d’autres moins onéreux afin de réduire leurs dépenses quotidiennes. La nécessité de renforcer les moyens de subsistance des petits agriculteurs pour lutter contre la pauvreté dans les économies agraires a été fortement mise en évidence par la crise alimentaire. Les deux points suivants examinent ces questions avant de discuter du marché du travail et des questions d’emploi dans les économies riches en minéraux.

1.3.4.2 Promouvoir l’emploi et la sécurité alimentaire par le soutien aux petits agriculteurs

 La crise alimentaire peut être attribuée aux politiques de libéralisation des années 1980 et 1990. Dans l’hémisphère Sud, les dépenses publiques pour l’agriculture ont diminué de 50 % entre 1980 et 2004, passant de 7,6 milliards de dollars à 3,9 milliards de dollars. À titre de comparaison, en 2006, les agriculteurs dans les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont reçu 130 milliards de dollars en paiements directs. En Amérique latine, les réformes de libéralisation économique des années 1980 et 1990 tendent à renforcer les fractures existantes entre les lieux de production et les producteurs et finalement ces régions sont entrées dans le nouveau millénaire avec une proportion plus élevée de pauvres et d’indigents ruraux par rapport à 1980. Les productions les plus dynamiques des années 1990 ont été celles des agriculteurs capitalistes, modernes en lien avec les marchés internationaux de l’agro-industrie et de l’exportation. Les productions en déclin sont celles des petits agriculteurs. L’un des coûts réels de la libéralisation en Amérique latine a été la hausse des importations agricoles.

Les effets des politiques de libéralisation rurales ont été plus profonds parmi les populations qui dépendent de l’agriculture en Afrique sub-saharienne. Comparée à d’autres régions en développement, l’agriculture en Afrique sub-saharienne avait apporté des recettes réduites avant la libéralisation, bien qu’en des proportions non uniformes. Les organes de l’État, tels que les offices de commercialisation, ont été perçues comme un fardeau coûteux pour les recettes publiques et inefficaces dans la fourniture des intrants et le paiement des produits des agriculteurs.

La réduction de la participation de l’État était censée renverser la situation. De 1989 à 2004, la part des budgets nationaux consacrée à l’agriculture dans la région a chuté de 7 % à 5,3 %. Les agriculteurs de plus grande échelle commerciale et les propriétaires fonciers ont été dans une meilleure position pour profiter de la hausse des prix et des nouveaux marchés que les petits exploitants. Dans plusieurs pays, et pour certains produits particuliers, la libéralisation a produit des pics de production pour des petits exploitants de cultures d’exportation, mais ces gains n’ont pas été stabilisés.

Comme la libéralisation a progressé, l’Afrique subsaharienne a enregistré une baisse constante de la part de ses exportations de produits agricoles dans le commerce agricole mondial. Pendant ce temps, les problèmes qui entourent la production alimentaire et la sécurité alimentaire, ont empiré. La pénurie de 2002 en Afrique australe a montré l’état de plus en plus périlleux de la vie rurale. La détérioration de la sécurité alimentaire des ménages au Malawi, en Zambie et au Zimbabwe a été attribuée à la disparition de subventions pour les engrais et les semences, à la raréfaction du crédit rural et au déclin des services de commercialisation agricole, en particulier dans les zones reculées. Bien que beaucoup décriés, les offices de commercialisation ont répondu aux besoins des petits exploitants pour leur approvisionnement en intrant, pour offrir des circuits de commercialisation à des fermes isolées et largement dispersées et pour améliorer les standards de qualité des denrées. Pour de nombreux observateurs, leur démantèlement a produit de graves ennuis. Les commerçants privés qui ont pris leur place fournissent des services de qualité inégale, évitent les agriculteurs dans les zones où les coûts de transport sont élevés et ne procèdent pas à des contrôles adéquats ce qui ne renforce pas le respect de la qualité.

Il y a une tendance à cantonner la production des petits exploitants aux marchés locaux présentés comme obsolètes, d’autant que le rythme de la dé-paysanisation (déplacement de paysans hors de la terre et le recours aux revenus non agricoles) s’accélère. La dé-paysanisation est cependant le résultat d’une politique organisée favorisant un régime alimentaire à travers les privilèges accrus donnés à l’agrobusiness au détriment de l’agriculture paysanne, orientation institutionnalisée par la structure des subventions autorisées par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les Zones de libre échange (ZLEA par exemple) ou les accords de partenariat économique (ALE / APE). En dépit de discrimination sur le marché, les petits producteurs ont un rôle social et écologique important (et de nombreux petits producteurs tiennent à les soutenir, comme en témoigne la mobilisation récente des mouvements transnationaux pour la souveraineté alimentaire). L’expulsion des petits exploitants aux périphéries urbaines des systèmes économiques caractérisés par une croissance sans emploi ne peut pas être appelée développement.

1.3.4.3. Un modèle alternatif agricole

 La politique de développement actuelle cherche à intégrer les petits agriculteurs dans ce que la Banque mondiale appelle une « nouvelle agriculture » qui est « dirigée par des entrepreneurs privés dans les chaînes de valeur étendues reliant les producteurs aux consommateurs »[15]. Il est espéré que le secteur privé serve de moteur d’entraînement dans « l’organisation des chaînes de valeur permettant aux petits exploitants et exploitations commerciales d’accéder au marché »[16]. Dans cette perspective, le problème de l’agriculture paysanne (ou de la pauvreté en milieu rural) est perçu comme un problème de productivité et d’éloignement de la chaîne de valeur agricole, à travers laquelle les agriculteurs pourraient acquérir des techniques pour intensifier la production de certains de leurs produits destinés aux marchés de consommation. Une telle vision se heurte à des problèmes dans la perspective du développement social et de la réduction de la pauvreté. Il y a souvent un compromis à trouver entre l’autoconsommation, la production pour les marchés locaux et la production pour les marchés mondiaux afin de s’attaquer au problème de la pauvreté et la faim dans les régions rurales[17].

La théorie néoclassique considère le commerce comme le catalyseur de la croissance et ce rôle ne peut pas être négligé historiquement. Mais le commerce ne garantit pas toujours des améliorations du bien-être, comme cela ressort clairement aujourd’hui. Par ailleurs, étant donné la catastrophe actuelle de la prolifération des bidonvilles, là où l’industrialisation et l’urbanisation ont été dissociées, se pose la question de savoir si le déplacement continu des populations rurales du fait de la production intensive de céréales industrielles (par exemple, les cultures fourragères contre les cultures vivrières) et la production d’aliments plus fortement valorisés à l’exportation correspondent à une vision appropriée pour le développement agricole. Le postulat selon lequel l’agriculture d’exportation est une nécessité économique, est peut-être l’hypothèse la plus contestable du point de vue de la protection sociale, des droits à l’alimentation et à un environnement durable. Dans un monde dont les limites se rétrécissement de manière drastique, où il est urgent de freiner les consommations inutiles et d’éliminer progressivement l’usage des combustibles d’origine fossile, l’amélioration de la productivité agricole pour alimenter le commerce international des aliments est sans doute moins important que l’amélioration d’une agriculture assurant une sécurité alimentaire aux populations locales sur la base de produits et d’une productivité appropriés.

Une approche alternative est préfigurée dans le travail d’évaluation parrainée par l’ONU (International Assessment of Agricultural Science and Technology for Development in 2008). Ce rapport préconise un rôle multifonctionnel de l’agriculture dans la réduction de la pauvreté, des inégalités sociales et entre les sexes, la stabilisation de la culture des populations rurales, la lutte contre la dégradation environnementale et le réchauffement climatique. Le rapport recommande de renforcer les systèmes alimentaires locaux et régionaux, la démocratisation de la politique alimentaire et de rendre prioritaire les besoins des petits agriculteurs en garantissant l’accès aux ressources productives (semences, terres, eau), au crédit, à l’information sur les infrastructures des marchés et les systèmes de commerce équitable. Le rapport s’interroge sur la pertinence de l’agriculture industrielle et les aliments génétiquement modifiés comme solution aux crises sociales et écologiques liés à l’agro-industrie mondiale dans la mesure où les marchés ne parviennent pas à estimer de manière adéquate la valeur des dommages environnementaux et sociaux. Il s’interroge également sur la mise en avant d’une approche axée sur le marché et sa focalisation étroite sur la productivité qui ne prend pas en compte à une vision qui intègre à la fois les aliments, les ressources et la sécurité nutritionnelle. Une telle approche de la sécurité alimentaire qui place les moyens de subsistance des petits producteurs au centre des politiques publiques, pourrait réduire la vulnérabilité et devrait être considérée comme une dimension cruciale de la politique sociale dans les économies agraires.

1.3.5. Sans une gestion attentive, la richesse minérale peut être une opportunité mitigée

 Dans de nombreuses économies riches en minerais, la transformation structurelle a entraîné un déplacement de l’agriculture vers l’exploitation minière ou un changement qui reste largement confinée au secteur primaire. Dans ces économies, le secteur minier domine la production, mais ne crée pas suffisamment d’emplois pour sortir la population de la pauvreté. Les acteurs dominants sont souvent des entreprises transnationales qui utilisent les technologies à forte intensité capitalistique, fournissant des emplois à une main-d’œuvre qualifiée restreinte et bien payée. Les gouvernements peuvent réaffecter les rentes minières à des secteurs plus productifs ou créer des canaux par lesquels ces rentes peuvent être réinvesties dans le reste de l’économie. Cependant, de nombreux pays n’ont pas utilisé ces rentes minières pour soutenir le développement des secteurs qui peuvent créer plus d’emplois. Les capacités de production industrielle restent extrêmement faibles même dans les économies à revenu élevé des États du Golfe. L’abondance des ressources naturelles peut générer des distorsions dans les systèmes économiques et politiques des pays conduisant au « mal hollandais ». Le « mal hollandais » (ou la « malédiction des ressources ») se réfère à des modes de consommation et d’investissement en période d’expansion (associée à une croissance spectaculaire des revenus provenant de l’extraction des ressources) qui ne sont pas soutenables pendant les périodes de ralentissement économique. Les taux de change et les taux de salaire s’apprécient, affectant les activités commerciales des secteurs industriel et agricole. Le résultat peut être une économie d’enclave, comme en Guinée équatoriale, qui produit des inégalités et une pauvreté extrêmes même dans des contextes de forte croissance. Les ressources minérales créent des opportunités pour la corruption et des pressions pour la redistribution des revenus qui ne favorisent pas le bien-être public et le développement. Les symptômes du « mal hollandais » sont susceptibles d’émerger dans des situations où les institutions qui réglementent le secteur des minéraux et gèrent les recettes fiscales, ne sont pas bien développées et où le pouvoir d’État est monopolisé par des dirigeants obnubilés par la recherche de rentes ou prisonniers de puissants intérêts privés.

Le Botswana représente un pays qui a géré ses richesses minérales beaucoup mieux que la plupart des pays en développement riches en minéraux. Sa stratégie de développement privilégie une croissance rapide, une saine gestion macroéconomique et le développement des infrastructures. Grâce à des politiques qui découragent la surévaluation du taux de change, des stratégies budgétaires qui fixent des objectifs aux dépenses publiques et la création de fonds spéciaux qui stabilisent les recettes minières, le gouvernement a toujours maintenu une macro-économie stable qui a permis d’éviter la dite « malédiction des ressources ». La démocratie multipartite, bien que dominée par un seul parti, a agi comme un frein à l’arbitraire gouvernemental, et un service public professionnalisé a aidé l’État à appliquer ses règles de gestion économique. L’élite gouvernante a forgé des liens solides avec les éleveurs de bétail et a réussi à construire des pactes avec les chefs traditionnels et les élites des principaux groupes ethniques ce qui a permis de maintenir la stabilité.

Cependant, le succès dans la gouvernance de l’économie ne s’est pas traduit par une croissance élargissant son assise et sa diversification. La part de l’agriculture dans le PIB a fortement baissé depuis 1960, même si la production par travailleur dans l’agriculture n’a pas augmenté. La diversification de l’économie vers le secteur industriel n’a pas été sérieusement tentée et, dès lors, achevée, puisque la part du secteur manufacturier dans le PIB a également diminué. En termes d’inégalité, les intérêts de la société civile organisée n’ont pas été assez fort pour obliger l’État à adopter des politiques plus redistributives. Alors que la part des salaires du secteur public a augmenté, le salaire minimum des employés moins qualifiés (moyennement éduqués) est tombé en dessous du seuil de pauvreté dans les années 1980, produisant une classe de travailleurs pauvres. Une caractéristique notable du développement du Botswana est son niveau relativement faible d’industrialisation et, comme l’Afrique du Sud, le niveau élevé du chômage. Les niveaux de chômage, d’inégalité (mesurée par le coefficient de Gini) et de pauvreté demeurent élevés à environ 20 %, 0,57 et 30 %[18]. Les pays miniers d’Indonésie et de Malaisie, qui sont parmi les 10 premiers pays en développement exportateurs de produits manufacturés, ont fait beaucoup mieux dans le passage de leur économie fondée de l’extraction minière à la production industrielle.

1.4. Les liens entre l’emploi et la pauvreté

La discussion qui précède sur l’emploi et les marchés du travail est élargie maintenant pour explorer les liens entre emploi et pauvreté. Deux types d’institutions sont essentielles dans la formation du lien emploi-pauvreté: le marché du travail et les ménages. La situation d’emploi est généralement définie et analysée au niveau de l’individu ou de son emploi. La pauvreté – pauvreté en terme de revenu, en particulier – est le plus souvent définie et mesurée au niveau du ménage. Par conséquent, la structure du ménage prenant en compte le rapport entre les personnes à charge et celles ayant un revenu va directement influencer le niveau de la pauvreté selon les possibilités d’accès à l’emploi de chacun de ses membres.

Globalement la participation au marché du travail est déterminée par les conditions économiques, ainsi que le contexte social et culturel, dans les normes de genre en particulier. Les ménages répondent souvent à des chocs économiques – y compris la hausse du chômage – en augmentant leur présence sur le marché du travail. Les études sur la dynamique du marché du travail en Amérique latine ont montré que les taux d’activité féminins augmentent en temps de crise économique, en réponse à des politiques qui déclenchent des déplacements de la force de travail, à l’instabilité de l’emploi et à des taux de chômage plus élevés. Les changements économiques qui poussent les femmes à rechercher davantage un emploi sont également associés à une détérioration de la qualité moyenne des opportunités d’emploi, c’est-à-dire une plus grande dépendance à l’égard des formes informelles ou précaires de travail rémunéré. Les ménages ont aussi accru leur participation au marché du travail en réponse au chômage structurel de long terme. Par exemple, une recherche en Afrique du Sud a montré que la participation des femmes au marché du travail a répondu à l’augmentation du chômage dans les ménages. Enfin, la pauvreté des ménages augmente également la probabilité que les enfants deviennent rapidement des actifs rémunérés. Par conséquent, la relation entre la pauvreté et l’emploi fonctionne dans les deux directions : la pauvreté peut accroître l’emploi total du ménage, souvent dans des activités plus marginales, en particulier chez les femmes et les enfants. Cependant, il est également important de reconnaître que le revenu d’emploi supplémentaire gagné de cette manière sera combiné avec d’autres sources de revenu des ménages, ce qui va influencer la profondeur et l’incidence de la pauvreté. Les liens entre l’emploi et la pauvreté dépendent de façon critique de la façon dont les travailleurs et les populations économiquement dépendantes sont organisés dans les ménages. Si le poids du soutien de la population dépendante est inégalement réparti, des risques plus élevés de pauvreté sont possibles pour certaines parties de la population. En outre, non seulement les revenus d’emploi doivent pourvoir aux besoins d’un plus grand nombre de personnes à charge dans les ménages, mais les choix en termes d’emploi sont également limités dans ces ménages, en raison des charges plus élevées de travail que demande la prise en charge des personnes dépendantes, travail non rémunéré.

Pour faire la lumière sur le lien entre emploi et pauvreté, ce rapport définit un taux de pauvreté des travailleurs pauvres. Les travailleurs pauvres sont définis comme les personnes qui sont (i) employés et (ii) vivant dans des ménages dont les niveaux de revenu ou de consommation sont inférieurs à un seuil de pauvreté. Le taux de pauvreté des travailleurs pauvres est le nombre de travailleurs pauvres dans une catégorie d’emploi particulière, exprimée en pourcentage du nombre total de personnes dans la catégorie du même emploi. Cela indique la probabilité pour les travailleurs dans certains types d’emploi du risque de vivre avec un revenu ou une consommation en dessous du seuil de pauvreté.

Les taux de pauvreté des travailleurs pauvres sont issus des seuils nationaux de pauvreté qui varient selon les pays, certains pays utilisent les données de consommation alors que d’autres utilisent des données sur le revenu. Lorsque les données sur les taux de pauvreté n’existent pas encore, ce rapport utilise les chiffres de deux pays – le Brésil et le Kenya – pour illustrer cette relation (voir tableau 8). Les seuils nationaux de pauvreté au Brésil et au Kenya sont déterminés différemment. Au Brésil, il est basé sur le revenu – qu’il s’agisse ou non des revenus d’un ménage tombé en dessous du seuil de pauvreté. Au Kenya, il est basé sur la consommation totale des ménages. Par conséquent, nous pouvons comparer le risque relatif d’être en situation de pauvreté parmi les catégories d’emploi dans ces deux pays, mais les taux de pauvreté ne sont pas directement comparables.

Tableau 8

Taux de pauvreté des travailleurs pauvres au Brésil et au Kenya

  Brésil, 2007,  en % Kenya, 2005,  en %
  Homme Femme Total Homme Femme Total
Secteur formel            
salariés non agricole 12,0 6,6 9,8 17,4 9,9 15,3
dont du secteur privé 12,6 6,8 10,5 16,9 12,3 15,8
dont du secteur public 9,1 6,1 7,4 18,3 7,9 14,7
indépendants non agricole 5,8 7,2 6,4 11,0 12,4 11,6
travailleurs de l’agriculture 30,6 17,2 28,9 31,5 27,7 30,2
Secteur informel non agricole          
salariés non agricole 26,2 24,8 25,4 35,3 29,4 33,3
dont gens de maison 31,6 31,0 31,1 39,0 30,5 32,3
indépendants non agricole 23,2 21,0 22,4 34,6 36,9 35,7
employeurs 5,5 2,3 4,6 21,4 24,1 22,3
aides familiaux 34,8 27,1 29,8 27,4 33,3 30,7
Secteur informel agricole          
salariés 56,2 48,5 55,4 43,2 51,9 45,8
indépendants 44,0 46,5 44,3 47,3 46,6 46,9
aides familiaux 63,1 59,0 60,7 50,4 47,2 48,7
Autres emplois            
producteurs en autoconsommation 52,9 50,3 51,3 n.a. n.a n.a.
Total 23,7 20,3 22,3 38,9 41,4 40,1
  Brésil, 2007,  en % Kenya, 2005,  en %
  Homme Femme Total Homme Femme Total
Emploi formel            
Agriculture 30,7 18,1 29,1 32,9 31,1 32,2
Industrie 11,4 8,2 10,5 16,8 22,9 18,0
BTP 20,9 8,6 20,2 20,9 40,5 24,9
Services 10,9 6,3 8,7 15,0 9,4 13,1
Emploi informel            
Agriculture 51,4 52,8 51,9 48,2 47,5 47,8
Industrie 24,6 20,6 22,6 39,4 51,9 43,2
BTP 31,0 29,6 31,0 51,9 74,3 56,3
Services 20,2 23,4 21,9 32,3 32,9 32,6
Notes: Estimates are based on 2007 data from a Brazilian household survey known as PNAD and the Kenya Integrated Household Budget Survey, 2005. The Brazilian poverty line is set at half the 2007 minimum wage per capita of 380 reals. Brazilian poverty rates are based on household income. Kenyan poverty rates are based on household consumption – rural and urban poverty lines, based on National Bureau of Statistics calculations. n.a. = not available.

Source : Heintz, 2009.

Dans les deux pays, les taux de pauvreté des travailleurs pauvres tendent à être plus élevés dans l’emploi agricole que dans l’emploi non-agricole et dans l’emploi informel plutôt que dans l’emploi formel. Les taux de pauvreté pour les travailleurs indépendants du secteur formel, et en dehors de l’agriculture, sont les plus bas en moyenne. Au Brésil, les indépendants du secteur informel ont un plus faible risque de pauvreté que dans l’emploi salarié informel. Au Kenya, ce modèle se retrouve pour les hommes, mais pas pour les femmes. Globalement, le risque le plus élevé de la pauvreté est associé à l’emploi agricole. Au Brésil, les agriculteurs indépendants ont des taux de pauvreté plus bas en moyenne que ceux des salariés agricoles. Au Kenya, ce modèle ne vaut que pour les femmes. La partie inférieure du tableau 8 présente les taux de pauvreté des travailleurs pauvres par secteur d’activité économique. Encore une fois nous voyons les mêmes schémas. Le taux de pauvreté est beaucoup plus élevé pour les emplois informels que pour les emplois formels et les emplois agricoles présentent le risque le plus élevé de pauvreté. La comparaison intéressante est entre emplois de service et emplois industriels. Pour l’emploi formel, les emplois dans les services sont associés à un risque plus faible de pauvreté que les emplois dans le secteur industriel – cela est vrai pour les hommes comme pour les femmes dans les deux pays. Pour l’emploi informel, la même chose (la seule exception étant les femmes au Brésil où le taux de pauvreté dans le secteur industriel informel est légèrement inférieur à celui du secteur des services informels – mais cela peut s’expliquer par le grand nombre de travailleurs domestiques dans ce pays). Ces résultats soulignent l’importance d’avoir des politiques pour soutenir l’emploi dans les services lors de l’élaboration des stratégies de réduction de la pauvreté. Bien sûr, créer plus d’emplois formels et moins d’emplois informels aurait également un impact significatif sur les taux de pauvreté moyen. La part des emplois informels est plus grande dans les services que dans le secteur industriel. Par conséquent, les taux de pauvreté pour des emplois industriels peuvent être inférieurs aux taux de pauvreté pour des emplois de service classique puisque ces derniers sont plus susceptibles d’être déréglementés, précaires et sans protection sociale de base. Dans le cas de la République de Corée, une conclusion similaire peut être dégagée pour les emplois non réguliers. Une grande partie de l’augmentation des emplois non réguliers dans ce pays s’est produite dans les services et la construction.

Au total, le vrai défi est de viser une amélioration de la qualité des emplois dans les services et l’agriculture et de ne pas se focaliser uniquement sur l’accroissement de l’emploi industriel.

 

Chapitre 2

Inégalité de revenu et changement structurel

Certains considèrent que l’inégalité est une moindre préoccupation sociale. Tant que l’on parvient à réduire la pauvreté au minimum, estiment-ils, il ne devrait pas y avoir d’objection de principe aux gains immodérés des très riches. Manié par certains, cet argument se transforme même en plaidoyer : la concentration des richesses est à cultiver pour créer de l’épargne, des investissements et de la croissance. Pourtant, l’existence fréquente de fortes inégalités dans les pays les plus pauvres montre bien la faiblesse de cet argument. […]

Ce chapitre porte sur les causes, les caractéristiques et la dynamique de l’inégalité, et traite surtout des inégalités de revenu et de fortune, souvent appelées inégalités verticales. L’accent est mis sur la valeur à la fois intrinsèque et instrumentale des politiques et des processus de redistribution qui aboutissent à des résultats équitables. Le chapitre montre que l’aggravation des inégalités est liée à toute une gamme de politiques économiques qui ont dominé l’ordre du jour du développement ces dernières décennies : libéralisation financière, imposition régressive, privatisation dans un contexte de faible régulation, politiques des dépenses publiques qui ne protègent pas les pauvres en période de crise ou d’ajustement et politiques de l’emploi aboutissant à des formes précaires de flexibilité, à un glissement dans l’économie informelle, à une érosion des salaires minimaux et du pouvoir de négociation des syndicats. […]

2.1. L’égalité des revenus et de réduction de la pauvreté

 L’équité a une valeur intrinsèque et est essentielle à la réalisation des droits humains et de citoyenneté. Une dimension de l’inégalité – liée au revenu et à la richesse – est étroitement liée à la pauvreté. Au niveau le plus élémentaire, la répartition des revenus dans un pays a un impact direct sur le bien-être de son peuple. Une répartition plus équitable du revenu national signifie que le bien-être global (où le bien-être de chaque individu est donné à poids égal) est plus élevé pour un niveau donné de revenu moyen par habitant, et la pauvreté est plus faible.

Alors que l’égalité est souvent considérée comme une entrave à la croissance, dans certaines circonstances et, avec des arrangements institutionnels appropriés, une inégalité plus faible a le potentiel de contribuer à une meilleure efficacité économique. Le développement des pays scandinaves est un bon exemple. Grâce à un processus connu sous le mécanisme de Meidner-Rehn, l’engagement politique à créer une économie égalitaire, empêchait les entreprises d’entrer en concurrence sur la base des coûts salariaux, qui ont par conséquent été plus élevés que ceux de leurs concurrents internationaux. Les entreprises ont donc été obligées d’augmenter la productivité du travail afin de rester compétitives. Cette politique a précédé l’avancement de la région de l’échelle moyenne vers le haut de l’échelle européenne (et mondial) en termes de revenu. Un effet similaire a été observé aux États-Unis pendant le New Deal dans les années 1930 et l’âge d’or de la croissance économique. Pour la région européenne dans son ensemble, l’évidence montre que les pays à faible inégalité ont eu de meilleures performances en matière d’emploi. En d’autres termes, les entreprises peuvent absorber les changements technologiques à un rythme accéléré dans les sociétés qui ont systématiquement réduit les disparités dans les structures de rémunérations, en encourageant une augmentation de la productivité et en élevant les revenus par habitant plus vite que la moyenne mondiale.

Dans le même temps, de nombreuses évidences montrent une relation négative entre une très forte inégalité (souvent considéré comme un coefficient de Gini de plus de 0,4) et des améliorations en matière économique et de bien-être social. Une forte inégalité des revenus est dysfonctionnelle pour le développement pour de nombreuses raisons[19].

  • Premièrement, l’inégalité rend plus difficile à réduire la pauvreté par la croissance. Avec de graves inégalités la croissance a tendance à se concentrer dans certains secteurs, ceux qui ne sont pas liés à ces secteurs de croissance étant exclus de ces avantages. Une telle exclusion, à son tour, réduit le potentiel de croissance, en particulier dans un contexte de pauvreté, en limitant la capacité productive des pauvres et en circonscrivant donc leur contribution potentielle à la croissance. Dans de telles circonstances, une grande proportion de la population active (les pauvres) dispose d’une faible capacité productive pour des raisons suivantes : une alimentation inadéquate et une mauvaise santé, un faible niveau d’éducation ou de compétences, un manque de possibilités d’emploi ou l’accès limité aux ressources productives comme la terre et de crédit. Par ailleurs, l’exclusion économique d’une proportion importante de la population contribue à leur exclusion sociale et politique à travers des processus de marginalisation et le manque de reconnaissance ou de représentation.
  • Deuxièmement, de fortes inégalités peuvent aussi retarder la croissance se traduisant par la baisse de la demande globale effective à l’économie. Dans les sociétés très inégales, les pauvres sont plus susceptibles d’être enfermés dans une économie de subsistance et d’utiliser le revenu disponible pour l’achat de biens manufacturés. Cela limite la taille du marché intérieur et entrave le potentiel de l’industrialisation qui est un important moteur de croissance.
  • Troisièmement, l’inégalité a des implications négatives pour la construction d’États inclusifs qui ont la capacité de mettre en œuvre une politique de redistribution et des politiques économiques et sociales progressistes. De très fortes inégalités peuvent également compromettre la réalisation des droits civiques, politiques, économiques et sociaux, et l’exercice de la citoyenneté réelle. L’inégalité est souvent un facteur dans la hausse des niveaux de troubles, du crime et de malaises sociaux, qui sont antinomiques à la croissance. Dans les cas extrêmes, en particulier là où les inégalités se manifestent le long des lignes ethniques, elles peuvent conduire à la guerre civile et à l’échec de l’État.
  • Quatrièmement, sans interventions politiques délibérées, l’inégalité tend à se perpétuer. Elle conduit à la création d’institutions politiques et économiques qui contribuent à maintenir les privilèges politiques, économiques et sociaux des élites. Dans les sociétés très inégales, les pauvres ont peu d’influence politique ; en l’absence d’une représentation significative pour changer les structures sous-jacentes qui perpétuent les inégalités, ils peuvent se retrouver enfermés dans des trappes à pauvreté d’où il est difficile d’échapper.
  • Enfin, même dans des conditions de croissance rapide, l’inégalité est susceptible d’être renforcée par la distribution des externalités de la croissance. Par exemple, les pauvres sont plus susceptibles de porter directement le fardeau de la dégradation de l’environnement découlant de l’industrialisation rapide. Ce n’est que lorsque les fruits de la croissance sont répartis équitablement – soit directement, par le revenu ou socialement à travers la fourniture d’infrastructures et autres biens publics qu’une amélioration des conditions de vie et de bien- être est réalisable.

2.2. Tendances globales de l’inégalité

 2.2.1. L’écart de revenu global reste large

 La croissance économique est importante pour faciliter le changement structurel et pour la réduction de la pauvreté[20]. Une évaluation des revenus par habitant des grandes régions et pays de 1960 à 2006 illustre la persistance de l’écart de revenu global et combien la croissance économique soutenue et réelle a été réduite dans la plupart des économies en développement. Bien que la plupart des pays en voie de développement ait connu des épisodes de croissance pendant cette période, cette croissance n’a pas été soutenue dans la plupart des cas. Elle n’a pas non plus généré des emplois décents. L’écart de revenu (en termes de PIB par habitant) entre pays riches et pays pauvres n’a pas diminué.

En effet, les différences de revenu par habitant en 1960 étaient si grandes que la croissance, même des croissances rapides dans certaines régions au cours des quatre décennies et demie, n’ont pas réduit l’écart de manière significative.

Ainsi, tandis que le revenu par habitant de la région (en dollars américains constants aux prix de l’année 2000) est en forte croissance, par exemple, l’Asie de l’Est a pu augmenter plus de 10 fois au cours de cette période et tandis que les États-Unis ont connu une augmentation de moins de trois fois en 2006, le revenu moyen aux États-Unis est resté encore 15 fois supérieure à celui de l’Asie de l’Est. Pour les autres régions, les différences du revenu par habitant étaient encore plus importantes, voire dans certains cas, elles s’accentuaient. Ainsi, le PIB par habitant en 1960 des pays actuellement dans la zone euro était de 34 fois celle de l’Asie du Sud ; en 2006, ce chiffre avait augmenté légèrement à 36 fois. En Afrique subsaharienne, l’écart se creuse. En 1960, le revenu par habitant des pays de la zone euro était de 15 fois celle de l’Afrique sub-saharienne ; en 2006, la différence a augmenté de 38 fois.

Graphique 1

Le revenu par habitant en dollars américains 2000

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2.2.2. L’inégalité des revenus a amplifié dans la majorité des pays à travers le monde

 Les pays varient largement dans la nature de leur répartition des revenus. Le coefficient de Gini – la mesure la plus couramment utilisée de l’inégalité des revenus – varie de 0,20 en Slovaquie à 0,74 en Namibie, sur une échelle où 0 représente l’égalité parfaite et 1 représente l’inégalité totale. En général, la variance de l’inégalité des revenus entre pays en voie de développement est beaucoup plus élevée que celles des pays riches. Les pays à revenu par habitant de 20 000 $ ou plus ont des coefficients dans la fourchette de 0,25 à 0,45, alors que pour de nombreux pays à faible revenu, ce coefficient demeure à plus de 0,50. De fortes inégalités sont donc une caractéristique du sous-développement.

Dans de nombreux pays en voie de développement, les inégalités extrêmes sont produites par une mauvaise distribution des terres. Un niveau d’inégalité très élevé, telle que celui trouvée dans de nombreux pays latino-américains, est difficile à modifier sans une réforme agraire radicale. Inversement, une distribution des terres plus égalitaire est un support important pour maintenir le niveau d’inégalité plus bas dans le processus de développement. La structure initiale d’une économie – qu’elle soit fondée sur des industries extractives à forte intensité de capital ou sur des activités manufacturières s’appuyant sur une main-d’œuvre bon marché, par exemple – influe également le niveau d’inégalité des revenus susceptibles d’être trouvé ainsi que la facilité avec laquelle les politiques de redistribution des revenus peuvent être mises en œuvre.

L’expérience de développement de la première vague des pays Est-asiatiques montre que la montée des inégalités dans les premiers stades de développement n’est pas obligatoire. Dans le cas de la République de Corée et de la province chinoise de Taiwan, des réformes agraires radicales qui ont précédé l’industrialisation, l’utilisation des technologies appuyées sur une forte utilisation de la main-d’œuvre au cours des premiers stades de l’industrialisation, et des investissements dans le capital humain qui ont aidé à équilibrer les différentes opportunités offertes dans les zones urbaines et rurales, ont été importants pour prévenir des inégalités grandissantes. Des croissances fortes sans une aggravation de l’inégalité ont également été observées à Singapour et à Hong Kong en Chine, les deux cités-États où l’agriculture était insignifiante, mais où les gouvernements ont mis en œuvre des politiques sociales de base (en particulier de logement) visant à soutenir le processus de croissance.

Au cours des deux dernières décennies de libéralisation économique, il a été très difficile pour beaucoup de pays d’atteindre des taux de croissance économique plus élevés sans l’augmentation des inégalités. Des études récentes soulignent le fait que l’inégalité a augmenté dans la majorité des pays à travers le monde. Une récente étude[21] a montré que l’inégalité des revenus a augmenté dans 30 pays sur un échantillon de 49 pays entre les années 1990 et 2000. Il est demeuré inchangé dans six pays et dans seulement 13 pays l’inégalité a diminué. Un résultat similaire a été présenté dans une récente étude menée par l’Organisation internationale du travail (OIT). Cette étude a révélé que, entre 1990 et 2000, « plus des deux tiers des 85 pays pour lesquels des données sont disponibles ont connu une augmentation de l’inégalité des revenus, telle que mesurée par l’indice de Gini »[22]. Parmi les 20 pays industriels inclus dans l’échantillon, l’inégalité a diminué seulement dans quatre, tandis que parmi les 21 pays en transition inclus dans l’échantillon, l’inégalité a baissé dans trois de ceux-ci. Parmi les pays en voie de développement étudiés, les configurations du changement ont tendance à varier selon la région. En Asie, l’inégalité a diminué dans seulement deux des huit pays. De manière significative, l’Inde et la Chine étaient parmi les pays qui ont connu une augmentation de l’inégalité. En Amérique latine, l’inégalité a diminué dans six des 15 pays pour lesquels des données étaient disponibles. C’est seulement au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Afrique sub-saharienne que davantage de pays ont vu une baisse plutôt qu’une hausse de l’inégalité. Cependant, même si l’inégalité a diminué dans ces régions dans la plupart de pays étudiés, le niveau de l’inégalité existante demeurait élevé (plus de 0,40 de coefficient de Gini).

 2.2.3. L’écart se creuse entre les salariés et ceux qui tirent leurs revenus du capital

 Une tendance générale d’inégalité croissante des revenus dans le cadre de la libéralisation économique, reflétée dans les coefficients de Gini, est corroborée par des données sur d’autres dimensions de l’inégalité. Un important indicateur à cet égard est la répartition par facteur du revenu – c’est-à-dire, la répartition des revenus entre les salaires (revenus du travail) et des profits (les revenus du capital). Ceci fournit une indication générale de la façon dont les salariés se portent relativement aux employeurs et aux autres personnes qui tirent leurs revenus de la propriété du capital, tels que les équipements productifs et actifs financiers. Généralement, les pays industrialisés ont seulement un petit secteur de producteurs indépendants, et la majeure partie du revenu total découle de salaires ou de profits. Par conséquent, la part des salaires dans le PIB est étroitement corrélée avec l’évolution des inégalités du revenu global comme déterminé par une mesure agrégée telle que le coefficient de Gini. Ainsi, une augmentation de la part de salaires dans le PIB est susceptible de représenter une réduction de l’inégalité globale, puisque les salariés se trouvent plus souvent dans l’échelle inférieure de la répartition des revenus, alors que l’inverse est vrai pour ceux qui tirent leurs revenus du capital. Une augmentation de la part des salaires reflète aussi un resserrement du marché du travail et un pouvoir de négociation accru des travailleurs.

Dans les pays en voie de développement, la situation est moins claire, car il y a souvent un large secteur informel composé de petits producteurs indépendants ou de fournisseurs de services qui se trouvent au bas de l’échelle des revenus. Pourtant, leurs revenus sont généralement enregistrés dans les statistiques nationales comme des bénéfices ou des retours sur les actifs utilisés dans des activités de survie économique. Dans ce contexte, il n’y a pas d’interprétation simple de ce qu’est un changement de la part des salaires dans le PIB et quelle en est la signification en terme d’inégalité globale. Par exemple, si une augmentation de la part des revenus non salariaux est largement due à une augmentation des revenus moyens dans le secteur informel, alors ce serait un changement souhaitable du point de vue de la répartition. Néanmoins, même dans les pays ayant des niveaux d’informalité élevés, une analyse de l’évolution des salaires dans le secteur formel de l’économie peut fournir des informations utiles sur les tendances de l’inégalité. Un changement de la part des salaires dans le secteur formel peut être interprété de la même manière qu’un changement de la part des salaires dans les économies avancées. Par exemple, une baisse de la part de salaires dans le secteur manufacturier d’un pays en voie de développement est bien l’indicateur que le pouvoir de négociation des travailleurs s’affaiblit, soit en raison d’une offre excédentaire de travail relative à la demande, le pouvoir des employeurs est renforcé en raison des opportunités accrues qui résulte de la mondialisation, ou de la suppression des syndicats ou des mécanismes de négociation collective.

Une étude commandée par l’UNRISD, basée sur des données d’un panel de 25 pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la période 1973-2003, a constaté que la part des salaires dans le revenu national a diminué ou est restée constante dans 23 cas. Cette baisse a été assez importante dans certains cas. Entre 1980 et 2000, la part moyenne du travail a chuté de 10 points dans la zone euro – l’une des plus fortes baisses, et un signe clair de la redistribution des revenus du travail au capital. L’étude a également trouvé l’évidence d’un lien fort et persistant entre la répartition des revenus suivant les facteurs et par ménage. Dans l’échantillon de 25 pays, 17 des 18 pays qui ont connu une augmentation de l’inégalité dans la distribution des revenus par facteur ont également connu une augmentation simultanée de l’inégalité dans la distribution des revenus des ménages. Le même phénomène semble avoir été à l’œuvre dans certains pays en voie de développement. Gardant à l’esprit les difficultés de l’interprétation des changements dans la répartition par facteur des revenus dans les pays en voie de développement, il est bien important de noter les résultats de l’étude récente du BIT[23]. Cette étude, qui couvrait 29 pays avancés, 33 pays en voie de développement et 11 pays économies en transition, a conclu que les trois-quarts de ces pays ont connu une baisse de la part des salaires dans le revenu national. La plus forte diminution – de plus de 13 % – a été trouvée en Amérique latine. Les économies avancées et  asiatiques ont aussi connu des baisses importantes. La part de salaires a chuté en Asie de plus neuf points durant la période 1985-2002, et dans la même proportion dans les économies avancées au cours de la période 1980-2005.

2.3. Inégalités, changement structurel et termes intersectoriels du commerce global

 Comment ces changements d’inégalités en divers pays dans une économie mondialisée peuvent-ils être expliqués ? Y a-t-il un schéma commun global et, si oui, qu’est-ce que cela nous apprend sur la gouvernance économique mondiale ? Pour répondre à ces questions, cette section examine les ensembles de données mondiales, régionales et nationales sur l’inégalité économique développée par le projet sur les inégalités de l’Université du Texas. Ces ensembles de données constituent une ressource unique, fournissant des mesures cohérentes et fiables sur l’inégalité de rémunération pour un grand nombre de pays du début des années 1960 aux premières années de XXIème siècle. Ces mesures suggèrent certaines grandes tendances et les relations entre l’inégalité économique et le changement structurel.

Les toutes premières réflexions sur le développement considèrent que l’inégalité augmente dans les premiers stades de développement et qu’ensuite elle diminue. Un volet important de cette conception a été qu’une courbe en forme de U inversé décrit la relation entre le niveau de développement et le degré de l’égalité dans la répartition des revenus. La courbe Kuznets[24] a résumé le processus par lequel l’inégalité a augmenté dans les étapes initiales de développement, mais s’est ensuite inversée lorsque le développement a perduré. Kuznets a identifié la transition de l’agriculture à l’industrie comme le moteur principal d’un processus d’accroissement des inégalités dans les premiers stades du développement économique, tout simplement parce que les villes sont toujours plus riches en moyenne que la campagne autour d’elles. Cependant, comme le développement économique mûrit, le poids de l’agriculture dans l’économie tout entière se rétrécit, et, finalement, les phénomènes urbains viennent à dominer l’évolution des inégalités. À ce point, Kuznets a soutenu que la dynamique de la vie en usine, y compris la montée des syndicats et de la politique démocratique, serait la cause du déclin des inégalités.

La courbe de Kuznets décrit un processus de changement structurel (ou de transition intersectorielle) spécifiques à l’histoire du développement économique aux États-Unis, au Royaume-Uni, à une grande partie de l’Europe et au Japon. Le processus a été répété ailleurs – mais pas partout. Dans les pays riches en minéraux dominés par des industries extractives, ou dans les sociétés post-industrielles dominées par des services tels que la technologie et la finance, différents modèles seraient attendus. Le message ultime de Kuznets n’est pas qu’une seule courbe devrait être trouvée dans l’histoire de tous les pays dans toutes les périodes, mais que la compréhension de l’essence de l’inégalité réside dans la compréhension des transitions intersectorielles, ou des changements structurels, qui les produisent. Cela suggère que, pour les grandes sociétés agraires entrant dans un processus d’industrialisation, dont la Chine est le meilleur exemple aujourd’hui, la transition rurale-urbaine conduit toujours à la montée des inégalités. Seuls quelques autres pays en voie d’industrialisation ont une population agricole qui reste suffisamment grande pour que la transition intersectorielle de l’agriculture reste dominante au cours de ce changement. La plupart des pays en voie de développement, en particulier hors d’Afrique, sont sur le sommet et sur la partie descendante de la courbe.

Parmi les pays les plus riches, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon, une dynamique différente prend de l’importance. La plupart des économies avancées ont des mouvements procycliques de l’inégalité, parce que les secteurs où le revenu est plus élevé, par exemple les services en technologie et finance, produisent en période de boom un effet hautement bénéfique pour la croissance, qu’elle soit tirée par les investissements nationaux ou par les exportations. Ceci est également vrai pour les petites économies dominées par les services tels que la finance et l’immobilier, dont Hong Kong est un exemple récent bien saisissant. En attendant, le monde comprend des pays mono exportateurs (par exemple les pays tributaires d’un seul produit, comme le pétrole), où la répartition est déterminée par les caractéristiques particulières d’une économie extractive. Ils sont caractérisés par un revenu par habitant élevé, de bas salaires pour la main-d’œuvre non qualifiée (souvent des immigrées) et de fortes inégalités.

2.3.2. Les termes intersectoriels du commerce global sont un déterminant clé des inégalités

 Les transitions intersectorielles (modifications structurelles entre agriculture, industrie et services) au sein des pays et les conditions globales du commerce entre ces secteurs sont étroitement liées. Nous pouvons constater l’influence des termes intersectoriels de commerce global sur les inégalités au sein des pays, même en l’absence des changements structurels importants. Ainsi, un boom des prix des marchandises aura tendance à réduire les inégalités dans un pays avec un important secteur agricole, tout simplement parce qu’il tend à augmenter le revenu relatif des agriculteurs, tandis que la baisse des prix des matières premières pèsera sur les revenus. Une action du cartel pétrolier pour augmenter le prix du pétrole donne des ressources aux producteurs pour redistribuer ou investir (par exemple, dans la construction) ; en attendant, ceci peut augmenter le coût de production et les prix à la consommation dans d’autres pays, l’augmentation du chômage parmi les travailleurs de l’industrie et la réduction de revenus des classes moyennes dans les pays riches. Dans un monde de marchés financiers et de matières premières mondialisées, ces effets seront mondiaux : ils devraient se présenter un peu partout (ou presque partout) à la fois, et ils le font. Dès le début des années 1960, l’expansion ou la contraction des inégalités a eu tendance à être trouvée dans tous les pays. Cette évolution est marquée par quatre phases, comme illustré dans le graphique 2.

Graphique 2

Schémas mondiaux de l’inégalité, 1963–2002[25]

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Quatre phases des inégalités

La première phase, qui s’est produite dès la première année observée (1963) jusqu’à vers 1971, fut une période de relative stabilité, sans aucun mouvement commun dans les mesures d’inégalité.

La deuxième phase, de 1972 jusqu’à 1980 environ, a été une période de baisse modérée de l’inégalité dans la plupart des pays. Cette période a coïncidé avec l’effondrement du cadre financier global de l’ère de Bretton Woods, et le boom ultérieur inflationniste, encouragé par les grands prêts des banques commerciales aux taux d’intérêt réels négatifs.

La troisième phase est marquée par une forte augmentation de l’inégalité, commençant vers 1982 et jusqu’à la fin du siècle. Elle a été associée à la calamité de la crise mondiale de la dette, d’abord les plus sévères en Amérique latine et en Afrique, suivie par l’effondrement des gouvernements communistes en Europe centrale et orientale, et enfin par une vague de déréglementation et de libéralisation en Asie dans les années 1990. Les expériences spécifiques de chaque pays ou des régions varient, mais elles partagent plusieurs caractéristiques communes : les importations s’effondrent, une base fiscale qui se contracte et donc un repli du secteur public, la libéralisation des échanges, la désindustrialisation et le déclin simultané de la fonction publique et de la classe ouvrière industrielle. La mondialisation a fini par apporter des investissements financiers dans certains pays, en stimulant l’émergence des nouveaux secteurs, notamment l’immobilier, les assurances et banques, accompagnée par des rémunérations fixées aux standards mondiaux et une augmentation de la spéculation. Le schéma global est quasi semblable à celui trouvé dans une autre importante étude[26] qui a examiné les inégalités entre les pays, non pondérées par leurs populations. Cela ne devrait pas être une surprise : les événements qui augmentent l’écart entre les riches et les pauvres dans les pays devraient également, en principe, élargir le fossé entre pays riches et pauvres, puisque ces derniers sont simplement des entités déséquilibrées dépendantes des premiers. Ce processus contient des exceptions. L’Inde et la Chine, par exemple, ont évité la hausse globale des inégalités dans les années 1980, sans doute parce qu’elles n’avaient pas libéralisé leurs marchés financiers, et ont donc été relativement épargnées par la crise de la dette. L’inégalité en Chine a commencé à se manifester à partir de faibles niveaux pendant les années 1980, puis par la forte et problématique hausse des inégalités à partir de la crise de 1989. En Inde, la montée des inégalités a commencé avec les réformes de libéralisation de 1992. Ces exceptions nous aident à confirmer l’hypothèse selon laquelle le facteur important dans l’accroissement des inégalités dans l’ère de la mondialisation n’est pas le résultat des politiques nationales ou du changement structurel au sein même des pays, mais des forces mondialisées affectant les termes de l’échange intersectoriel.

La quatrième phase, à partir de 2001, est de nouveau associée au déclin de l’inégalité. Elle coïncide avec la détente de conditions de crédit qui ont suivi les attentats du 11 Septembre 2001 aux États-Unis et un désaveu des politiques issues du consensus de Washington associées à une croissance et un développement social défavorable dans de nombreux pays. Ces changements semblent avoir permis une croissance plus rapide et une réduction dans l’augmentation des inégalités extrêmes qui avaient affligé les pays en voie de développement les précédentes vingt dernières années. Le boom des matières premières durant cette période a également bénéficié aux pays à faibles revenus agraires. L’apparition spectaculaire de la crise économique mondiale en 2008 a sans doute mis un terme brutal à cette brève période de baisse des inégalités. Aujourd’hui les économies agraires sont confrontées à une croissance fortement réduite, une contraction de la production, la hausse du chômage et une nouvelle hausse de la pauvreté.

2.3.3. La plupart des économies à faible revenu agraires sont très inégales

 Si l’élément mondial dans la montée des inégalités dans les années 1980 et 1990 n’avait pas existé, il n’y aurait pas eu d’augmentation de l’inégalité économique moyenne dans le monde. En effet, étant donné l’inégalité touchant les forces de Kuznets dans le processus de développement économique, l’inégalité dans la plupart des pays et en moyenne aurait diminué.

La forte inégalité des sociétés à faibles revenus agraires peut être déconcertante. Toutefois, en particulier dans les tropiques, des traditions agricoles descendent souvent de systèmes fonciers féodaux ou de l’esclavage. Ces situations diffèrent des cas historiques examinés par Kuznets, comme le Royaume-Uni et l’Amérique du Nord du XIXème siècle, ou des économies d’Asie orientale suite à la réforme agraire, où prédominaient les petits tenanciers. Sauf dans certaines régions d’Afrique à faible revenu, les économies agraires avec des structures égalitaires des revenus sont rares, et, dans le siècle passé, n’ont eu tendance à émerger qu’après une révolution violente, comme en Chine (1949), à Cuba (1959) et au Vietnam. Même dans ces pays, cependant, les inégalités sont en hausse (bien que de très faibles niveaux) en raison de réformes économiques libérales.

Même hors du cas de ces pays, il est douteux que la courbe en U inversé aurait pu avoir une quelconque influence sur la hausse des revenus dans les dernières décennies.

2.3.4. Les forces mondiales désormais conditionnent le mouvement de l’inégalité au sein des pays

 Pris ensemble, les problèmes décrits ci-dessus brossent un tableau complexe, mais avec des traits réguliers. Pour un pays donné, le mouvement de l’inégalité peut être influencé par trois facteurs :

  • la position du pays sur une courbe de Kuznets augmentée par ce qui reflète les processus antérieurs de changement structurel,
  • le processus actuel de changement structurel et de croissance du revenu,
  • l’intégration du pays dans l’économie mondiale, et donc l’impact extérieur des changements en termes d’échanges intersectoriels.

En somme, dans la plupart des cas, le changement structurel dans le processus de développement économique tend à réduire les inégalités. Des exceptions existent, dont deux sont les suivants :

  • les sociétés agraires post révolutionnaires à faible revenu, entrées dans un processus d’urbanisation, d’industrialisation et de transition vers un capitalisme de marché,
  • les sociétés postindustrielles à revenu élevé qui se déplacent vers des économies dominées par les services en matière de technologie et de finance.

De même, les crises et les chocs qui, périodiquement, perturbent le processus de développement économique ont tendance à accroître les inégalités. Les changements structurels dans le processus de développement économique sont relativement lents, alors que les impacts du choc et de la crise sont rapides et très visibles dans les données (bien que de tels événements soient relativement rares à ce jour, au moins au niveau mondial).

Pour cette raison, les changements des prix relatifs (ou des termes de l’échange) entre les secteurs ont tendance à dominer le mouvement réel de l’inégalité économique. Le boom des matières premières est, en général, bénéfique pour les pays en voie de développement à faible revenu, tandis que les bulles financières et les chocs de taux d’intérêt généralement demeurent profitables aux pays à revenu élevé au sein des économies financiarisés, au moins en termes relatifs. Comme les prix du pétrole, des céréales et des taux d’intérêt sont fixés sur les marchés mondiaux, il n’est pas surprenant que le mouvement de l’inégalité économique doit désormais être en grande partie un phénomène commun mondial, opérant de la même manière (mais certainement pas de façon symétrique) dans la plupart des pays.

 2.3.5. Comment les changements structurels et les forces mondiales affectent les inégalités : exemples de pays

 Sur la base des arguments présentés ci-dessus, le reste de cette section met en évidence les principales caractéristiques de l’expérience de développement d’un certain nombre de pays. Ces cas illustrent la relation entre les différentes étapes et les modèles de changement structurel, l’exposition à des facteurs économiques externes et à des inégalités.

 2.3.5.1. L’industrialisation rapide : Le cas de la Chine

 La Chine fournit un exemple classique de l’évolution de l’égalité dominée par des changements structurels internes, du moins jusqu’à très récemment. Dans les années 1980 et 1990, le pays a été largement à l’abri des variations extérieurs des prix relatifs. Bien qu’elle soit maintenant bien intégrée dans les marchés internationaux de l’alimentation et des carburants, elle jouit encore d’un niveau de prix internes considérablement plus bas que les prix internationaux pour la plupart des biens de consommation courante, tels que la nourriture, les vêtements et le logement. La croissance rapide d’une économie largement agraire qui avait subi de grandes réformes après les pratiques égalitaires du communisme impliquait une inégalité grandissante, accélérée par l’urbanisation croissante. Les écarts ville-campagne incitent à des grandes migrations de la campagne vers les villes. Cette dynamique constitue pour la Chine le plus grand défi social, et les autorités se sont engagées dans un effort continu pour contrôler les migrations internes et la mise en œuvre d’un programme de construction suffisamment vaste pour pouvoir accueillir l’afflux vers les zones urbaines qui ne peut être empêché.

Ces dernières années, la situation de la Chine a été compliquée par l’afflux de capitaux spéculatifs. Une partie de ces capitaux trouve leur origine dans le boom des exportations qui ont gonflé le compte courant extérieur, qui a, à son tour, alimenté une explosion du secteur immobilier à Pékin, à Shanghai et dans quelques autres localités. Ces facteurs aggravent les inégalités entre zones rurales et urbaines, ainsi qu’entre les différentes régions ou provinces.

2.3.5.2. Dualisme et crise industrielle : le Brésil et le Mexique

 En revanche, dans la plupart des cas en Amérique latine, l’urbanisation massive, la mondialisation et, plus précisément, l’internationalisation de la finance se sont produites il y a quelques décennies. Dans les années 1980 et 1990, les différents pays se sont retrouvés frappés par les fléaux d’une croissance négative, par des termes de l’échange défavorables et par la crise de la dette. Ces évolutions ont entrainé un accroissement des inégalités. Au Mexique et au Brésil, la crise de la dette et la crise industrielle qui en ont résulté, ont été associés à une forte hausse des inégalités et l’effondrement des industries de substitution à l’importation a contribué à affaiblir la classe ouvrière syndiquée. Il est raisonnable d’en déduire que l’industrialisation fondée sur la politique de substitution à l’importation avait aidé à réduire les inégalités très élevées associées au dualisme économique latino-américain traditionnel, et que le passage plus tard vers un modèle de croissance orientée vers l’exportation seraient de nouveau caractérisé par une structure plus inégale des revenus. Cependant le mouvement à court terme de l’inégalité durant la transition entre ces deux modèles est clairement régi par les mêmes forces qui ont généré les crises macroéconomiques et industrielles en premier lieu.

L’expérience du Mexique et au Brésil durant cette période illustre également la relation distincte entre l’inégalité des salaires dans l’industrie et le taux de croissance économique. Tant que la croissance économique est suffisamment rapide pour absorber la hausse naturelle de la population active, les inégalités dans les structures de salaires tendent à être stables ou déclinantes. Lorsque la croissance tombe en deçà de ce seuil, l’inégalité tend à augmenter. Pour les pays relevant de ce dernier cas, la lutte contre la montée des inégalités est en grande partie liée à leur capacité de restaurer une croissance interne stable, absorbant ainsi une population active croissante dans l’emploi productif. Cependant, tant que ces pays restent exposés aux chocs financiers externes, une gouvernance financière mondiale plus stable doit aussi faire partie de la solution. L’expérience du Mexique pendant la crise du peso en 1995 démontre le lien entre le financement externe et les inégalités économiques pour de nombreux pays en voie de développement.

Une position à la périphérie de l’économie mondiale implique des relations commerciales importantes avec les pays plus riches, et donc avec une dualité dans l’économie productive et nationale, entre les producteurs qui vendent aux marchés extérieurs et ceux qui vendent aux consommateurs domestiques. Les premiers groupes de travailleurs ont tendance à être mieux payés que ceux des derniers groupes de travailleurs, tout simplement parce que les industries avec les clients riches, qui gagnent des devises étrangères, peuvent se permettre de payer une prime pour l’emploi. Les premiers sont aussi beaucoup mieux protégés d’une crise monétaire. Lorsque la crise du peso a frappé le Mexique en 1995, les secteurs d’exportation ont été en mesure, pour la plupart, de simplement convertir leurs revenus en dollars en salaires en pesos au nouveau taux de change. Par contre ceux qui travaillaient pour l’économie nationale, en tant que fabricants ou prestataires de services, n’ont pas pu faire cela et leurs salaires relatifs sont tombés instantanément lorsque le peso s’est effondré. De plus, le marché s’effrite, puisque les consommateurs ont été forcés de payer davantage pour des denrées importées (comme le maïs) à un prix considérablement plus élevé. Il y avait une forte hausse des inégalités de rémunération dans le secteur manufacturier mexicain suite à la crise du peso en 1995[27].  

2.3.5.3. Les économies en transition

 Dans les économies industrialisées d’Europe centrale et orientale, la combinaison d’un secteur manufacturier important et d’un régime politique communiste produit une faible inégalité jusqu’à ce que le système ne s’effondre, en 1989. Il est à noter, toutefois, que l’effondrement des régimes communistes en Hongrie, Pologne, Yougoslavie et Union soviétique n’était pas sans rapport avec une pression économique. Ces pays étaient profondément endettés vis-à-vis de l’Ouest à un moment de baisse des prix des produits primaires et de taux d’intérêt réels exceptionnellement élevés. Ces pressions ont exacerbé les inefficacités du système communiste, ce qui a incité à des efforts de réformes. Ces réformes à leur tour ont finalement ouvert la porte à un changement de régime. À ce point, la désindustrialisation et la libéralisation des prix, conduisant à un mouvement très rapide vers des niveaux de prix mondiaux ont élevé les inégalités de façon spectaculaire.

Le cas de la Fédération de Russie a été analysé en utilisant les données pour l’année 1990 à 2000. L’augmentation dramatique des inégalités est apparue en 1992, avec la mise en œuvre de la thérapie de choc qui a commencé par la libéralisation des prix. Cette évolution a été marquée par l’effondrement soudain des salaires réels dans les secteurs agricoles et manufacturiers. Ce changement a également eu des conséquences négatives sur la santé et l’éducation, précédemment pris en charge par l’État. L’énergie et la finance, par conséquent, sont devenues les principaux secteurs de la nouvelle Fédération de Russie, avec la hausse de stature de Moscou comme une ville mondiale dans un pays par ailleurs embourbé dans une stagnation post-communiste. La situation est devenue si extrême à la fin du siècle que le pétrole de la région sibérienne peu peuplée et le gaz de Tioumen et de Khanty-Mansy sont devenus les principaux moteurs de l’accroissement de l’inégalité générale des revenus russes. Pendant ce temps, les régions touchées par le conflit du Caucase du Sud se sont trouvées avec un revenu relatif bien en dessous du reste du pays. 

2.3.5.4. Les économies financiarisées

Aux États-Unis, les inégalités ont augmenté à partir du début des années 1980 sous le choc d’une politique monétaire restrictive et d’une valeur du dollar élevée, un mouvement en arrière sur la pente descendante d’une courbe de Kuznets. Ce mouvement a été répété pendant la récession de la fin des années 1980. Les inégalités de salaires, en particulier dans le secteur manufacturier, ont diminué pendant la majeure partie de la décennie étant donné que l’économie s’est redressée et a produit de nouveaux emplois. Le graphique 3 illustre l’étroite relation entre les inégalités dans la structure de rémunération dans le secteur manufacturier et le taux de chômage aux États-Unis.

Dans les dernières années de la décennie des années 1990, la croissance rapide aux États-Unis a été tirée par une bulle technologique. Cette croissance a produit une inégalité grandissante (représentée comme un mouvement sur la pente ascendante de la courbe de Kuznets) que le pays a traversé, passant d’une économie industrielle à des activités centrées sur la technologie et la finance. L’effet de cette transition sur les inégalités de revenu des ménages a été considérablement aggravé par l’appréciation spectaculaire des biens capitaux sur les revenus d’un très petit nombre de gens très riches. Si l’on enlève les effets de la hausse des revenus de cinq comtés : New York (Manhattan), Santa Clara, San Francisco et San Mateo (comtés de Californie), et le comté de King à Washington, environ la moitié de la hausse de l’inégalité dans le revenu des ménages aux États-Unis dans les dernières années des années 1990 n’aurait pas existé. En vérité, la croissance des revenus de 15 comtés neutralise toute l’augmentation de l’inégalité entre les comtés.

Graphique 3

Inégalité de rémunération mensuelle et chômage dans le secteur industriel, USA, 1953-2003

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Source : Galbraith, 2009[28].

La financiarisation, ou la domination croissante du secteur financier dans les économies nationales, est fortement liée à la réforme des politiques économiques néolibérales, qui commencent à triompher dans les années 1980 et 1990 et ont eu une tendance à privilégier les centres boursiers et financiers nationaux (Buenos Aires, Moscou, Sao Paulo, Shanghai et Pékin) au détriment de l’arrière-pays. Dans le sillage d’une crise financière ou des politiques de stabilisation, comme le Plan Real au Brésil, la part du secteur financier dans une économie et les inégalités globales entre les secteurs et les régions sont susceptibles d’être diminuées.

2.3.5.5. Certains pays ont évité la montée des inégalités

Même si la montée des inégalités a été caractéristique de la période en question (les années 1980 et 1990), ce phénomène n’a pas été observé partout. En Europe du Nord, notamment en Scandinavie, historiquement parmi les régions les plus égalitaires au monde, les mesures de l’inégalité sont restées stable pendant les années 1980 et au moins au début des années 1990. L’expérience nordique repose en partie sur la forte tradition de syndicalisation, la négociation salariale centralisée, et (dans le cas de la Norvège), la gestion collective des ressources tirées de la manne pétrolière. Pendant ce temps, dans certaines parties de l’Asie du Sud-est, en particulier Singapour et l’Indonésie, l’inégalité semble avoir diminué tout au long du début des années 1990. Dans certaines régions d’Amérique latine, notamment le Brésil et l’Argentine, l’inégalité semble avoir atteint un sommet avec les crises de 1993 et 2002, respectivement, et a diminué avec la croissance équilibrée expérimentée dans les années suivantes.

  

Chapitre 3

Combattre les inégalités ethniques et régionales

Le changement structurel a des effets différents selon les personnes, les groupes et les régions. Il n’est pas de développement humain sans appartenance à un groupe et lorsque les avantages et les coûts du changement structurel correspondent à des affinités ethniques ou religieuses, ou à un lieu géographique, les individus peuvent percevoir le développement au travers de ces clivages. De telles inégalités peuvent être une source de conflit et faire obstacle au bien-être. Cependant, les mesures de l’inégalité qui classent les individus et les ménages selon leur revenu excluent souvent les dimensions du groupe et de l’espace. […]

Ce chapitre analyse l’évolution des inégalités entre régions et entre groupes ethniques, ainsi que les politiques susceptibles de les atténuer. Il avance un certain nombre de raisons pour lesquelles les inégalités ethniques et spatiales sont essentielles pour comprendre la pauvreté.

  • Premièrement, les inégalités entre groupes (ou horizontales) sont une composante majeure de l’ensemble des inégalités dans un pays. Lorsque l’attention porte exclusivement sur les inégalités verticales, des différences importantes entre groupes et entre régions peuvent rester dans l’ombre. Certains groupes peuvent être sérieusement défavorisés et la pauvreté y atteindre une concentration supérieure à la moyenne, même lorsque les inégalités verticales sont faibles.

 

  • Deuxièmement, les inégalités régionales dans les grands pays en voie d’industrialisation ainsi que dans la plupart des pays en développement et des économies en transition semblent s’accentuer. Si les groupes ethniques sont concentrés dans certaines régions géographiques, l’industrialisation ou le développement peut laisser de côté les groupes qui ne sont pas implantés dans les zones économiques dynamiques et aggraver la pauvreté dans les régions négligées.

  • Troisièmement, les inégalités entre groupes ethniques peuvent dégénérer en conflit et, par là, nuire au développement. De fait, la plupart des conflits aujourd’hui ont une dimension ethnique et sont difficiles à régler.

  • Quatrièmement, les inégalités horizontales ou entre groupes ne sont pas négligeables parce que, dans certaines situations, il peut se révéler impossible d’améliorer la condition des individus sans agir sur celle du groupe. […]

3.2. Les inégalités ethniques et spatiales et le changement structurel

 Cette section traite de l’évolution des inégalités spatiales et ethniques dans des pays avec différents types de changement structurel. En plus de déterminer l’évolution des deux types d’inégalités, il met en lumière les principales politiques qui ont stimulé l’évolution des inégalités. Il est important de noter que les identités ethniques ne sont pas toujours faciles à cerner, car elles sont, pour la plupart, le résultat d’une circonstance socialement construite. Les caractéristiques de langage, la religion, la culture ou l’histoire partagée peuvent être floues et peuvent ne pas toujours décrire correctement l’appartenance ethnique d’une personne. Par ailleurs, l’ethnicité s’oppose ou ne recouvre que partiellement de nombreuses autres formes d’identité et est soumise à des changements[29]. Cela rend difficile le classement des individus par groupes ethniques. L’auto identification est importante. Toutefois, de nombreux pays ne comprennent pas l’ethnicité comme une variable dans leurs recensements. Des données précises sur l’origine ethnique ne sont donc pas facilement disponibles. Les études de cas suivantes analysent l’évolution des inégalités régionales en termes de revenus, de pauvreté, d’emploi et d’accès aux services, en s’appuyant sur les données des recensements et des enquêtes sur les mesures du niveau de vie de la part de la Banque mondiale[30] et les Enquêtes démographiques et sanitaires (EDS). Puisque les données sociales et économiques ne sont généralement pas disponibles sous forme ethniquement ventilées, les EDS sont la source principale de données pour évaluer les inégalités ethniques. Ces enquêtes ont été menées dans environ 70 pays en développement et sont généralement répétées tous les cinq ans. Les EDS standards se composent habituellement d’un questionnaire destiné au ménage et un questionnaire réservé aux femmes pour lesquelles un échantillon national représentatif de femmes âgées de 15 à 49 ans est interrogé. En plus de poser une série de questions sur des sujets tels que la planification familiale, la santé maternelle et infantile, le comportement  en matière de maternité, la contraception, l’allaitement et la nutrition, les enquêtes comportent également des questions sur l’origine ethnique, le lieu de naissance et la situation sociale et économique. Une hypothèse importante est que les inégalités inter-ethniques mises en évidence par les questionnaires concernant les femmes sont une bonne approximation pour mesurer les inégalités entre les groupes ethniques en général. Pour certains pays, l’étude LSMS a une variable ethnique et peut donc également être utilisée pour évaluer les inégalités entre les groupes ethniques. Les deux points suivants vont examiner comment ont évolué les inégalités dans les économies agraires et industrialisées.

3.2.1. Économies agraires

Comme le chapitre 1 l’a montré, l’échec de nombreux pays à faible revenu à s’industrialiser signifie que l’agriculture ou l’exploitation minière continue de jouer un rôle dominant dans leurs économies. Une grande proportion de la population active agricole reste dans le secteur vivrier qui représente l’essentiel de la production alimentaire, mais a des rendements inférieurs à ceux du secteur agricole exportateur et de l’industrie. Si les États n’ont pas un programme de redistribution, les stratégies de développement centrées sur les exportations agricoles et minérales peuvent mettre les régions et les groupes ethniques qui sont situés dans ces zones riches en ressources, dans une position privilégiée en termes d’investissements, d’emplois productifs, de services et d’infrastructures. Le Ghana et la Côte d’Ivoire sont les exemples d’une telle situation. D’autre part, les groupes ethniques locaux dans les régions dotées de telles ressources peuvent être désavantagés si des groupes extérieurs à la région utilisent le pouvoir d’État pour s’approprier les ressources ou si ces groupes extérieurs qui se sont installés dans ces régions bien dotées dominent la production ou la commercialisation de ces ressources.

Ghana

Les 23 millions d’habitants du Ghana sont divisés en 92 groupes ethniques, dont quatre comptants pour environ 86 % de la population. Malgré les migrations, les découpages ethniques et administratifs des régions coïncident à peu près. Les Akan sont de loin le plus grand groupe ethnique avec environ 49 % de la population, ils forment la majorité de la population dans cinq des 10 régions du sud, suivi par les Mole-Dagbani dans le nord, avec environ 17 % de la population. Le troisième groupe en importance, avec environ 13 % de la population, sont les Ewe, qui se trouvent principalement dans la région de la Volta, dans le sud-est. Le quatrième groupe, avec près de 8 % de la population, sont les Ga-Dangme, qui vivent principalement dans la région du Grand Accra. Les différences ethniques sont en partie renforcées par les différences religieuses : les musulmans, qui représentent seulement 16 % de la population, mais forment une partie importante de la population dans le nord.

La plupart des activités agricoles et minières sont concentrées dans le sud. La politique coloniale britannique a favorisé de lourds investissements dans les régions où l’or, les diamants, le bois et le cacao ont été produits facilement et le moins cher pour exportation. Il y avait très peu de développement des infrastructures ou de capital humain dans le nord. Les stratégies de développement post-coloniale ont renforcé ces inégalités, y compris les politiques d’ajustement structurel des années 1980, qui dirigeaient la majeure partie des fonds vers la capitale et les industries du cacao, du bois et des minéraux dans les régions de l’ouest, l’est, l’Ashanti et le Brong Ahafo. Certains projets ont été entrepris dans le nord dans les années 1990, y compris l’extension du réseau électrique national et la réhabilitation des axes routiers nord-sud, et les dépenses pour l’éducation et la santé ont augmenté. Cependant, la grande majorité des dépenses publiques et des investissements ont continué à être dirigés vers le sud.

Les schémas d’investissement actuels essentiellement semblables à ceux des années 1990, bien que plus de dépenses publiques et d’investissement ont commencé à être dirigés vers le nord à la suite de financement issue de l’initiative pour les Pays pauvres très endettés (PPTE), qui profitent de manière disproportionnée au nord. Les données confirment les inégalités régionales décrites ci-dessus. En 1960, la valeur ajoutée brute par tête obtenue au nord ne représentait que 17 % de celle réalisée dans la région du Grand Accra. Le nord est resté beaucoup plus pauvre en termes de revenus, d’infrastructures, de services, d’éducation et de médecine dans les années 1970. Selon une mesure composite du développement, les régions septentrionales et supérieures[31] avaient des niveaux de développement équivalent à seulement 11 % et 7 %, respectivement, de ceux de la région du Grand Accra au milieu des années 1970. D’autres indicateurs, notamment la scolarisation, la mortalité infantile et le partage des revenus, montrent également la persistance d’une forte fracture nord-sud. Bien que le nord semble avoir rattrapé le sud en matière d’alphabétisation et de mortalité infantile dans les années 1990, la fracture nord-sud en fait s’est aggravée considérablement en raison des effets de la pauvreté et du revenu. L’augmentation des dépenses publiques dans le nord a crée un dynamisme positif. Mais malgré de récentes améliorations, les disparités Nord-Sud restent sévères. Parce que les Mole Taupe Dagbani sont dominants démographiquement dans le nord et que la grande majorité d’entre eux vivent dans ces régions, les inégalités entre les groupes ethniques du nord et ceux du sud reflètent largement ces inégalités Nord-Sud.

Ceci est saisi par un certain nombre d’indicateurs, comme le montre le tableau 9[32].

Tableau 9

Inégalités sociales et économiques entre groupes ethniques au Ghana, 1993–2003

Indicateurs Akan Ga-Dangme Ewe Mole-Dagbani
1993 (%) (%) (%) (%)
Accès au réseau électrique 39.2 53.8 29.5 15.2
Dispose d’une chasse d’eau 8.6 12.9 6.6 3.1
Accès à l’eau courante 18.9 32.1 15.0 8.2
A terminé un cycle d’études primaires 66.7 64.0 59.2 15.1
A terminé un cycle d’études secondaires 3.6 8.8 4.3 1.4
1998        
Accès au réseau électrique 51.3 60.3 39.7 24.3
Dispose d’une chasse d’eau 11.3 17.3 7.8 2.6
Accès à l’eau courante 19.6 36.6 17.1 9.3
A terminé un cycle d’études primaires 68.1 65.8 64.2 13.6
A terminé un cycle d’études secondaires 4.7 11.3 6.3 1.5
2003        
Accès au réseau électrique 59.5 58.9 40.0 28.4
Dispose d’une chasse d’eau 15.0 22.4 15.3 3.0
Accès à l’eau courante 20.8 31.5 17.7 9.5
A terminé un cycle d’études primaires 72.5 64.5 61.7 22.2
A terminé un cycle d’études secondaires 7.6 13.1 10.4 4.1
Source : Brown and Langer (2009), based on the 1993, 1998 and 2003 Ghana Demographic and Health Surveys.

Côte d’Ivoire

La Côte d’Ivoire partage des caractéristiques similaires avec le Ghana. Les 20 millions d’habitants du pays sont divisés en 70 ethnies, qui sont habituellement regroupés en cinq groupes. Les Akan constituent le groupe plus important avec environ 42 % de la population et sont situés principalement dans les parties orientale et centrale du pays. Le sud-ouest est principalement habité par les Krou, qui constituent environ 13 % de la population. Les Mandé du Sud sont en grande partie à l’ouest et constituent environ 10 % de la population. Les Mandé voltaïque et du Nord sont dominants dans le nord et, ensemble, représentent environ 34 % de la population. Surtout, alors que les groupes du nord constituent la vaste majorité de la population ivoirienne dans les régions du nord (72 %), 44 % d’entre eux vivent dans le sud en raison d’une migration interne importante. La Côte d’Ivoire a une forte proportion d’étrangers, représentant environ 26 % de la population en 1998. Parce que la plupart de ces étrangers sont originaires du Burkina Faso, du Mali et de la Guinée, ils partagent d’importantes traditions culturelles et religieuses avec les Ivoiriens du nord. Les chrétiens forment le groupe le plus important, avec environ 34 % de la population, et les musulmans représentent environ 28 %. Cependant, comme l’immense majorité des non-Ivoiriens sont musulmans (environ 70 %), ils font l’équilibre en faveur des musulmans. Alors que les Akan et Krou sont à prédominance chrétienne, les Mandé voltaïques et du Nord sont principalement musulmans. Bien que le nord soit majoritairement musulman, environ 70 % de tous les musulmans vivent dans le sud. Comme le Ghana, la Côte d’Ivoire est caractérisée par une sérieuse fracture Nord-Sud, qui découle de différences écologiques et climatiques et de l’impact variable des politiques de développement colonial et post-coloniale. La puissance coloniale, la France, a soutenu l’expansion rapide, dans le sud et le sud-est du pays, de la production pour l’exportation de café et de cacao. Le gouvernement postcolonial de Félix Houphouët-Boigny a maintenu le modèle de développement tiré par les exportations agricoles. Alors que cette stratégie de développement a produit des résultats impressionnants, la concentration des investissements, des emplois et de la richesse dans les régions du sud du pays a exacerbé les disparités entre le nord et le sud.

À partir de la fin des années 1960, cependant, le gouvernement ivoirien a commencé à promouvoir la production alimentaire commerciale dans le nord afin de réduire les importations alimentaires. Une quantité croissante de dépenses publiques et d’investissements est allée au nord, ce qui a réduit modérément les inégalités régionales. Félix Houphouët-Boigny a activement encouragé les migrations internes nord-sud aussi bien que les migrations extérieures grâce à sa politique foncière, qui était basée sur le slogan, « La terre appartient à ceux qui la développent ». Beaucoup de nordistes ont migré vers les plantations de cacao et de café du sud. Pourtant, alors que les inégalités régionales de revenus ont été réduites entre 1965 et 1975, elles sont néanmoins restées sévères ce qui a menacé la stabilité politique. En réponse, le gouvernement a lancé le « Programme du Nord », un programme massif d’investissements publics, afin de réduire les inégalités. Avec la détérioration de la situation économique à la fin des années 1970, cependant, le flux d’investissements publics dans le nord s’est tari. La forte baisse du prix du café et du cacao a déclenché une grave crise économique et l’adoption de politiques d’ajustement structurel. De fait, l’impact négatif de la récession sur les dépenses a été considérablement plus fort dans les régions méridionales et la fracture régionale a été légèrement comblée de manière relative. Néanmoins, il semble que la guerre et la scission ultérieure du pays entre un nord contrôlé par les rebelles et un sud contrôlé par le gouvernement en 2002 a davantage nui à la situation sociale et économique du nord.

Les inégalités régionales de revenu à l’indépendance étaient en effet assez sévères. Le revenu par habitant (y compris les revenus non monétaires) à Abidjan en 1965 était 11 fois plus élevé que dans le nord ; les régions du nord connaissaient des conditions pires que celles des autres régions du pays. Le revenu par habitant dans la partie centrale du pays était 1,9 fois plus élevé que le nord ; dans les régions sud, il était 2,6 fois plus élevé. En comptant seulement les revenus monétaires, l’écart avec le nord était encore plus prononcé : le revenu monétaire par habitant à Abidjan, le centre et les régions du sud était de 37, 4,5 et 7 fois plus élevé, respectivement, que dans le nord. De même, les différences de niveau de scolarité entre le nord et le sud, ainsi qu’entre le sud et l’ouest, étaient également sévères dans les années 1967-1969. Le nord connaissait un taux de scolarisation dans le primaire de 14,9 % en 1967 contre un taux de 55,3 % dans le sud, 32 % dans le centre, 35,5 % dans la région centre-ouest, 33,1 % à Abidjan, et de 13,3 % dans l’ouest. En raison de l’investissement public et des dépenses publiques dans les régions septentrionales à partir de la fin des années 1960, la fracture Nord-Sud a considérablement diminué entre 1965 et 1975, comme indiqué dans le tableau 10. Pourtant, alors que les inégalités de revenus entre les deux régions ont été réduites durant cette période, le nord a continué à être sérieusement désavantagé. En 1975, le revenu par habitant dans le nord était encore d’environ 22 % de moins que la moyenne nationale et 65 % de moins qu’à Abidjan. L’épuisement des fonds pour le Programme du Nord a aggravé les inégalités. En 1985, la dépense moyenne par habitant dans le nord était d’environ 50 % en dessous de la moyenne nationale. Les données sur les dépenses moyennes pour 1985 suggèrent que bien que les Mandé voltaïques et ceux du Nord aient eu la plus faible dépense moyenne par habitant (244 000 et 338 900 francs CFA respectivement), la différence entre ces deux groupes ethniques du nord et la moyenne nationale (350 000 francs CFA) a été nettement moindre que les différences entre la moyenne nationale et les régions du  nord. Cela suggère que les nordistes qui ont migré du nord vers le sud ou sont nés dans le sud connaissaient un meilleur sort que les gens dans les régions du Nord eux-mêmes. Chacun des trois groupes ethniques du Sud avait une dépense moyenne par habitant qui était bien supérieure à la moyenne nationale.

Tableau 10

Inégalités sociales et économiques entre groupes ethniques en Côte d’Ivoire, 1994–2005

Indicateurs Akan Krou S, Mandé N, Mandé Voltaic
1994 (%) (%) (%) (%) (%)
Accès au réseau électrique 50,3 33,5 34,1 58,8 30,2
Dispose d’une chasse d’eau 25,0 18,7 10,3 16,6 10,5
Accès à l’eau courante 35,8 23,6 15,4 33,3 18,6
A terminé un cycle d’études primaires 26,8 29,3 16,8 16,3 13,3
A terminé un cycle d’études secondaires 1,4 1,0 0,4 1,1 0,7
1998/99          
Accès au réseau électrique 66,0 55,5 46,2 54,5 40,8
Dispose d’une chasse d’eau 27,7 21,8 8,4 12,9 11,8
Accès à l’eau courante 42,5 44,8 19,0 35,0 30,5
A terminé un cycle d’études primaires 42,9 51,6 23,6 15,8 20,0
A terminé un cycle d’études secondaires 4,9 4,4 0,8 1,6 1,9
2005          
Accès au réseau électrique 60,1 59,2 49,9 74,1 52,3
Dispose d’une chasse d’eau 27,4 26,0 14,6 15,6 11,2
Accès à l’eau courante 47,5 43,7 32,3 49,6 32,8
A terminé un cycle d’études primaires 44,3 53,3 33,7 21,5 24,8
A terminé un cycle d’études secondaires 9,8 6,4 4,5 3,9 3,5
Source : Brown and Langer (2009), based on the 1994, 1998/1999 and 2005 Côte d’Ivoire Demographic and Health Surveys.

Le tableau 10 fournit un certain nombre d’autres indicateurs pour la période 1994-2005, tirés de l’EDS. Alors que les inégalités entre les groupes ethniques du nord (Mandés du Nord et Mendé voltaïques) et du sud (Akan, Krou et Mandé du Sud) reflètent largement les inégalités nord-sud en termes de niveau d’instruction, les inégalités ethniques montrent une image quelque peu différente en suivant les trois autres indicateurs.

Plus précisément, les Mandé du Nord semblent avoir à peu près les mêmes niveaux d’équipement, ou même mieux, en matière d’électricité, de chasse d’eau ou d’eau courante à leur domicile que les trois groupes ethniques du sud. La raison principale de ceci est que les Mandés du Nord sont plus urbanisés que les autres groupes ethniques, puisque le commerce est leur principale activité économique. Cette comparaison rend possible un certain nombre de conclusions. Tout d’abord, dans les économies agraires comme le Ghana et la Côte d’Ivoire, les différences climatiques qui favorisent certaines régions pour une meilleure production agricole que d’autres sont un obstacle majeur à une croissance équilibrée, surtout en l’absence de politiques redistributives. Par ailleurs, les programmes d’ajustement structurel (PAS), qui favorisent l’investissement dans les secteurs marchands, exacerbent ces disparités. Toutefois, lorsque les gouvernements ont entrepris des programmes de lutte contre le sous-développement dans des régions relativement défavorisées – en Côte d’Ivoire dans les années 1960 et au Ghana ces dernières années – ces programmes peuvent avoir un impact relativement rapide et positif sur le bien-être.

3.2.2. Économies industrielles

 Le chapitre 1 a montré qu’un petit nombre de pays ou de zones en développement ont récemment subi un processus d’industrialisation au cours duquel l’emploi industriel a considérablement augmenté. Le niveau de vie moyen a augmenté, ce qui réduit considérablement la pauvreté. Alors que les plus réussies de ces expériences : Hong Kong, la Chine, la République de Corée et la Province chinoise de Taiwan – sont relativement homogènes ethniquement, d’autres – comme l’Indonésie, la Malaisie, Singapour et la Thaïlande – sont pluri-ethniques. Pauvreté et inégalités n’ont pas seulement des dimensions ethniques, mais peuvent nuire à une croissance rapide et aux changements structurels en l’absence des politiques appropriées qui corrigent les divisions ethniques ou régionales. L’expérience de la Malaisie et l’Indonésie illustre cet argument.

Malaisie

Parmi tous les pays d’Asie du Sud, la Malaisie se classe au deuxième rang en termes de développement (après Singapour), mais plus haut en termes d’inégalité des revenus. Avec un coefficient de Gini de 0,49[33], la Malaisie a également une forte inégalité en termes de développement humain au-dessus des pays de la région Asie du Sud-est. Parmi les pays de développement humain comparable, seul le pays latino-américain de Panama a une inégalité des revenus plus élevée. Cependant, les inégalités régionales en Malaisie se classent au second rang, le plus bas de l’Asie du Sud-est, surpassées seulement par la République démocratique populaire du Laos. Les inégalités et leurs corrections ont été au cœur de la politique économique malaisienne depuis 1969 – non les inégalités de revenus régionales ou verticales – mais les inégalités ethniques. Les premières années de l’indépendance de la Malaisie ont été marquées par de graves disparités sociales et économiques entre la majorité des Malais et les autres groupes autochtones (ainsi appelé la Bumiputra) – les agriculteurs sur cultures vivrières qui avaient tendance à être pauvres – et la minorité chinoise, qui avait dominé l’économie nationale. L’autre communauté importante d’immigrants était indienne. Ce groupe était socialement plus diversifié, avec de nombreux Indiens relativement aisés dans la fonction publique, mais aussi une proportion importante de travailleurs pauvres dans les plantations de caoutchouc.

La politique qui a inauguré la grande transformation industrielle et sociale après les émeutes ethniques de 1969 avait deux objectifs : réduire les inégalités ethniques et éliminer la pauvreté, indépendamment de l’appartenance ethnique. La stratégie de croissance crée par les exportations des industries de main-d’œuvre dans le textile, l’habillement et l’électronique a permis l’emploi d’un grand nombre de travailleurs non qualifiés d’origine ethnique malaise venus des zones rurales dans le secteur industriel formel[34]. Cependant, contrairement à la République de Corée et à la Province chinoise de Taiwan, où des capitaux nationaux ont agi comme une avant-garde pour le développement industriel, le gouvernement malaisien a préféré des investissements directs étrangers (IDE), car il se méfiait au début de la promotion des capitaux domestiques qui étaient divisés suivant des lignes ethniques. La discrimination positive, un pacte de coalition ethnique et une politique industrielle interventionniste, ont été poursuivis.

Afin de réduire les inégalités ethniques, le gouvernement a systématiquement utilisé des quotas ethniques et des objectifs ciblés pour réglementer l’accès à l’aide de l’État, ainsi que les opportunités entrepreneuriales, l’enseignement supérieur et le recrutement de la fonction publique, principalement en faveur des ethnies d’origine malaisienne. La coalition ethnique a impliqué un partage du pouvoir au niveau de l’élite par les principaux partis des trois principaux groupes ethniques. Le pacte a conservé la position du capital chinois et a largement accordé un contrôle de l’État aux Malais. Mis en œuvre dans un contexte de taux élevés de croissance, la discrimination positive et les stratégies industrielles ont reconfiguré la structure ethnique et permis à l’État, plus tard, d’appuyer la constitution de grands conglomérats nationaux à travers la privatisation des actifs publics. Alors qu’une grande partie des Malais gagnaient leur vie dans l’agriculture au cours des années 1960, en 2000, cette proportion était tombée à seulement 16 %. L’emploi manufacturier s’est élargi à pas de géant, de 7 % dans les années 1960 à environ 28 % en 2000. Bien que de nombreux objectifs ambitieux de la nouvelle politique économique n’aient pas été atteints complètement, la période a vu une diminution drastique des déséquilibres ethniques.

Le gouvernement malais publie régulièrement des données sommaires sur les inégalités ethniques à travers de multiples variables – comprenant les revenus, l’emploi et la pauvreté – bien que les données brutes des enquêtes sur les revenus des ménages soient étroitement surveillées. Ces données sont souvent citées dans les études universitaires, soit sous forme de moyennes ou de ratios de dispersion.

Elles montrent toutes une baisse significative de l’inégalité horizontale entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1980 – une période associée à la pleine application de la nouvelle politique économique, de l’adoption de la Loi sur la coordination industrielle en 1976 à l’assouplissement de la Nouvelle Economie Politique de l’administration Mahathir après la récession de 1986. Cette diminution se reflète également dans le rapport de dispersion entre Chinois et Bumiputra, mais pas aussi fortement. Depuis le milieu des années 1980, cependant, ces données montrent une tendance largement à la stagnation avec seulement des variations mineures de haut en bas, tandis que le ratio de dispersion entre Chinois et Bumiputra n’a cessé d’augmenter à nouveau, à l’exception de la période 1995-1999.

Deux régions se démarquent en termes d’inégalités régionales : à l’est les États malais de Sarawak et de Sabah, et au nord, les États à dominante malaise de Kelantan et de Terengganu. Peuplés en grande partie par les groupes Bumiputra non-Malais, Sarawak et Sabah n’ont pas réussi à bénéficier de manière significative des politiques pro-Bumiputra de la nouvelle politique économique. De même, le Kelantan et le Terengganu, bien que malais, restent à la traîne, avec des taux de pauvreté d’environ deux fois la moyenne nationale.

Comme nous l’avons vu, les inégalités ethniques ont diminué rapidement avant de se stabiliser dans le milieu des années 1980. En revanche, les changements dans les inégalités régionales ont été moins cohérents, mais la tendance est clairement ascendante. En 1970, les inégalités entre les groupes ethniques ont été d’environ un tiers plus élevé que celles constatées entre les États malais ; aujourd’hui, l’inverse est vrai, avec des inégalités régionales de plus de 40 % plus élevées que les inégalités ethniques. Cela suggère que les inégalités intra-ethniques peuvent avoir augmenté.

Globalement, la Malaisie a fait d’énormes progrès dans le développement humain. Au cours d’une génération, elle a réussi à élever le niveau de tous les groupes et à réduire les écarts entre eux dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’emploi et de l’industrie. Il n’en a pas été de même avec les communautés indigènes minoritaires généralement à la traîne en matière d’éducation et, par conséquent, d’emploi. Les données enregistrées concernant les revenus nets sont moins frappantes, en particulier pour les revenus inter-ethniques. Les revenus moyens ont augmenté considérablement pour tous les groupes. Bien que les écarts inter-ethniques à la moyenne aient diminué en terme de revenu, ils ont beaucoup moins diminué que les écarts en matière de santé et d’éducation. Cependant, il est important de noter que l’inégalité de revenu entre Chinois et Malais a été réduite à environ 25 % et à zéro pour les disparités entre Indiens et Malais.

Globalement les disparités intergroupes peuvent être restées relativement stables les unes par rapport aux autres, mais elles ont considérablement diminué en termes absolus. Pour donner une indication de cela, le graphique 4 dresse la carte des changements des taux de mortalité infantile par groupe ethnique depuis 1945. Alors que le ratio de performance est resté globalement stable – avec les groupes indiens et malais qui connaissent un taux de mortalité infantile environ 50 % plus élevés que celui des Chinois sur toute la période – le niveau absolu de la mortalité infantile a diminué de manière drastique.

Graphique 4

Taux de mortalité infantile par groupe ethnique en Malaisie, 1945-2000

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Indonésie

En Indonésie, la politique de l’État a mis l’accent sur les inégalités régionales. Depuis l’indépendance en 1950, le pays a été assailli par des problèmes régionaux et ethniques, en partie dus au fait de son étendue géographique, éclatée en quelques 2 000 îles. La diversité ethnique est extrêmement élevée, ce qui rend problématiques les tentatives de quantifier les inégalités ethniques. Selon le recensement de 2000 et l’enquête de 2002 auprès des ménages (Enquête nationale socio économique / SUSENAS), le groupe le plus important est constitué par les Javanais, qui représentent un peu moins de la moitié de la population. Le deuxième groupe par ordre d’importance (18 %) est celui des Sundanis, qui sont aussi originaires de Java. Outre ces deux grands groupes, aucun autre groupe ne représente plus de 6 % de la population.

L’Indonésie a suivi une stratégie de croissance orientée vers l’exportation, alimentée par les IDE et soutenue par des revenus pétroliers importants. La réduction de la pauvreté a été importante, mais n’a pas connu autant de succès qu’en Malaisie.

Le taux de pauvreté a diminué, passant d’environ 53,6 % dans les zones urbaines et 38,7 % dans les zones rurales en 1970 à 9,7 % et 12,3 %, respectivement, en 1996. Après 1998, l’Indonésie a institué un programme de décentralisation radicale, comprenant l’introduction d’une formule de péréquation obligatoire à travers laquelle le gouvernement central est obligé de distribuer plus d’argent aux provinces et aux districts les moins riches. L’Indonésie se classe désormais parmi les pays budgétairement les plus décentralisés dans le monde.

Un pic initial dans le niveau d’inégalité régionale apparaît au début des années 1970. Il est largement attribuable à la découverte et l’exploitation des ressources naturelles à Aceh, à Riau et en Papouasie, qui ont vu leur produit intérieur régional brut par habitant respectif, augmenter de manière significative. La baisse des inégalités provinciales qui s’ensuivit confirme l’interprétation standard, selon laquelle, bien que corrompu de multiples manières, le régime de Suharto a été relativement redistributif dans sa gestion des revenus issus des ressources naturelles, notamment par l’INPRES (les instructions présidentielles), un système de transfert à destination des régions[35]. Alors que globalement les inégalités diminuent entre 1990 et 1999, l’importance relative de ces inégalités s’explique par les différences entre les provinces qui sont passées de 13 % à 21 %. La politique de redistribution des richesses provenant des ressources naturelles et les prestations de services fournies aux régions ont été particulièrement efficaces dans les provinces à fortes richesses naturelles, mais aussi considérés par Jakarta comme de loyauté politique douteuse, soit en raison de leur incorporation forcée au pays, comme c’est le cas en Papouasie occidentale et au Timor oriental, ou à cause du souvenir de leur rébellion, comme à Aceh. La politique de redistribution des ressources a subi un cercle vicieux dans lequel une rébellion entraîne des effets sociaux et économiques négatifs, qui, à leur tour, engendrent une nouvelle rébellion. La pauvreté à Aceh a augmenté de 239 % entre 1980 et 2002 ; sur la même période, la pauvreté en Indonésie dans son ensemble a baissé de 4 %. En 2000, à Aceh, le produit intérieur régional brut a atteint le quatrième rang des 30 provinces, principalement en raison de revenus provenant des ressources naturelles, mais son rang en matière de pauvreté a également augmenté, arrivant à la cinquième place sur 28 provinces.

Le suivi des inégalités ethniques en Indonésie est difficile en raison de la diversité de la composition ethnique du pays et également parce que l’État a interdit la collecte de telles données pendant de longues périodes. Cependant, un aperçu de la dynamique des inégalités ethniques peut être obtenus par un examen des migrations internes. Sous Suharto, les nominations aux postes locaux de pouvoir par l’État central depuis Jakarta ont entraîné une augmentation de la domination politique des Javanais. En outre, le programme de migration massive parrainé par l’État, associé aux migrations informelles, est une source clé pour comprendre l’exclusion sociale et l’importance des inégalités horizontales sur les îles extérieures.

Dans chaque province, le revenu moyen global des migrants a été significativement plus élevé que celui des non-migrants. Dans certaines provinces, les résidents nés dans la province ont conservé un avantage de revenu en milieu rural, notamment les provinces dans la partie sud de Sumatra, qui a reçu relativement peu de migrants. Toutefois, dans les zones urbaines, les migrants avaient un avantage de revenu dans toutes les provinces, sauf dans le Kalimantan central. Par ailleurs, les disparités entre les migrants et les résidents locaux sont considérablement plus élevées dans les provinces plus pauvres.

Cette comparaison entre la Malaisie et l’Indonésie conduit à un certain nombre de conclusions. Premièrement, les politiques de redistribution – qu’elles soient surtout à caractère ethnique, comme en Malaisie, ou à vocation régionale, comme en Indonésie – ne sont pas incompatibles avec une croissance rapide. Deuxièmement, des améliorations significatives des indicateurs de base du développement humain peuvent être obtenues par des actions portant sur les multiples dimensions de l’inégalité horizontale (ce que confirment les preuves citées précédemment dans le cas du Ghana et de la Côte d’Ivoire). Mais la note finale doit être marquée par la prudence : là où les politiques ciblent la réduction d’une des dimensions de l’inégalité horizontale, cela peut ne pas se traduire par une réduction – et pourrait même être accompagné par une augmentation – dans  une autre dimension de l’inégalité horizontale, même lorsque ces deux dimensions sont largement mélangées au plan de la démographie.

 3.2.3. Économies dualistes

 Comme indiqué dans le chapitre 1, de nombreux pays à revenu intermédiaire ont accompli des progrès importants en matière d’industrialisation, mais ont moins bien réussi à intégrer de larges segments de leur population dans le processus de développement. Dans les situations où la majorité de la population est indigène, comme en Afrique du Sud, une politique de ségrégation ethnique a guidé le développement et il a été difficile pour la population noire majoritaire de bénéficier de celui-ci. Au Brésil, les groupes non blancs sont également défavorisés, même s’il n’y a pas de régime explicite de développement séparé. Au Mexique, des efforts ont été faits pour intégrer la paysannerie largement indigène par la réforme agraire, après la révolution de 1910 et la naissance du Parti Révolutionnaire Institutionnel. Cependant, les liens sociaux sont restés basés sur le népotisme et, après 1940, la structure dualiste agraire est réapparue lorsque les paysans ont perdu le contrôle de la terre dont ils étaient légalement les propriétaires.

Brésil

La population du Brésil, comme beaucoup de pays de l’Amérique latine, est caractérisée par un grand degré de brassage ethnique, avec nombre de personnes portant sur elles la marque d’un certain degré de métissage provenant des colons blancs, des descendants des esclaves noirs et des groupes autochtones. Depuis 1950, le recensement brésilien a distingué cinq groupes de population – Bronco (blanc), Preto (noir), Pardo (brun, ou métis), indígino (indigène) et amarelo (venu d’Asie de l’Est). Dans le dernier recensement, une légère majorité de la population s’est identifiée comme blancs, environ un tiers comme bruns, d’environ 7 % comme noirs, et moins de 1 % comme Asiatiques. Comme le graphique 5 l’indique, il y a un recoupement important entre la géographie et l’ethnicité, et entre la géographie et les bilans économiques et sociaux.

Le Brésil a suivi une politique d’import-substitution pendant la plupart du temps depuis son indépendance. Son économie était fortement tributaire du café, la rendant vulnérable aux fluctuations des prix de ce produit. La politique de substitution des importations n’a commencé à produire une industrialisation rapide que dans les années 1940 ; entre 1950 et 1975, l’économie a progressé d’environ 7 % par an. Dans les années 1980, cependant, l’augmentation de la dette et les chocs pétroliers ont conduit à la stagflation, une décennie perdue où la croissance du PIB par habitant a ralenti à 1,4 % et les revenus réels ont diminué de 6 %. Le Brésil, revenu à la démocratie en 1988 avec une nouvelle constitution qui a radicalement modifié l’économie politique, a mis en œuvre une importante politique de décentralisation budgétaire au niveau de l’État et a rendu obligatoire l’accès à l’éducation et la satisfaction d’autres priorités sociales et économiques.

Par la suite, face à une menace d’hyperinflation, l’administration de Fernando Collor de Mello a commencé un processus de libéralisation des échanges et de privatisation. C’est seulement après le Plan Real de 1994 que fut établi un taux de change fixe entre le réal brésilien et le dollar américain, toutefois les pressions inflationnistes ont été maîtrisées. Malgré les craintes selon lesquelles il pourrait être nécessaire de revenir sur les remboursements de la dette et d’annuler les restrictions monétaires de la décennie précédente, le président Luiz Inacio Lula da Silva, au pouvoir depuis 2002, a supervisé une ère continue, quoique modeste, de croissance.

Le Brésil est un pays de fortes inégalités régionales et ethniques, qui sont restées remarquablement stables sur le long terme. Le revenu moyen des ménages noir et brun est seulement la moitié de celui des Blancs. En fait, les ménages noirs et bruns représentent 66 % des ménages pauvres, alors qu’ils ne représentent que 48 % de la population.

La baisse des inégalités régionales à partir de la fin des années 1980, a résulté des initiatives majeurs de décentralisation, des taux de croissance plus élevés obtenus dans la majorité des États de la région pauvre du Nord-Est, d’une croissance significative du salaire minimum national réel et de la poursuite de mesures étendues d’assistance sociale dont ont bénéficié les États les plus pauvres. La valeur des transferts gouvernementaux par habitant a été beaucoup plus élevée dans les régions pauvres que dans les riches[36].

En 1980, alors que les niveaux d’emploi étaient à leur plus haut niveau, il y avait peu de différence entre les groupes ethniques. En effet, le taux d’emploi des bruns à 90,7 % était légèrement plus élevé que celui des Blancs (89,3 %), et que celui des noirs (89,5 %). Cependant les taux d’emploi ont diminué au cours des deux périodes inter-censitaires suivantes, alors que, le taux d’emploi des blancs a baissé beaucoup moins fortement, entre 1990 et 2000. Le taux d’emploi pour les hommes (blancs) a baissé de moins de huit points, tandis que la chute équivalente pour les groupes à la fois noir et brun a été environ de 14 points. Alors que les écarts d’alphabétisation pour les quatre groupes ont été réduits pour les moins de 40 ans, ils restent élevés pour les personnes âgées.

 Graphique 5

La répartition ethnique et le produit intérieur régional brut au Brésil, 2000

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Mexique

Comme le Brésil, le Mexique se caractérise par des frontières ethniques relativement fluides entre les Blancs, les métis et les peuples indigènes. Contrairement au Brésil, cependant, le Mexique n’a pas une importante population d’origine africaine. La capacité à parler une langue autochtone est souvent prise comme un substitut pour appréhender l’ethnicité. En 2000, 9,3 % prétendait parler l’espagnol et une langue indigène, 2,5 % ont dit qu’ils parlaient seulement une langue indigène, et 88,3 % ont déclaré qu’ils ne parlent aucune langue indigène. La répartition géographique des groupes autochtones est très concentrée, avec plus de 60 % des locuteurs de langues indigènes vivant dans quatre États : Oaxaca, Chiapas, Veracruz et Yucatán. Par ailleurs, les locuteurs indigènes ne constituent pas une majorité claire dans n’importe lequel de ces États, même si, dans le Chiapas, l’Oaxaca et le Yucatán, ils constituent environ la moitié de la population. Comme au Brésil, le processus de développement du Mexique a été marqué au début par des inégalités sociales sévères et croissantes qui ont donné lieu à des troubles politiques. La période du « perforateur » entre 1876 et 1911, désignée ainsi à partir du nom de Porphyries Diaz, qui a été président du pays durant toute la période, sauf pendant quatre ans, a été marquée par une croissance économique considérable entraînée par une politique d’ouverture aux investissements étrangers. Cette croissance a été déséquilibrée, cependant, les régions du nord voisines des États-Unis et abritant la plupart des ressources naturelles du pays, en ont été les principales bénéficiaires. Ces inégalités ont été le principal facteur déterminant de la chute vers l’instabilité politique et la guerre civile intermittente, qui a finalement amené le Parti révolutionnaire institutionnel au pouvoir à la fin des années 1920. Durement touché par la dépression des années 1930, c’est seulement après la Seconde Guerre mondiale que le Mexique a repris une croissance économique soutenue grâce à une politique réussie de substitution des importations, entraînant le miracle mexicain qui a connu la croissance et l’industrialisation jusqu’à la fin des années 1960. Comme le Brésil, l’économie du Mexique est entrée dans une période de stagflation dans les années 1980, avec une croissance minime du PIB et une inflation élevée entre 1982 et 1988. Le Mexique a commencé la mise en place de politiques de libéralisation en 1988, aboutissant à la ratification de l’Accord de libre-échange nord américain (ALENA) en 1994. Le Mexique a montré une tendance constante à la hausse des inégalités régionales. Tous les États ayant d’importantes populations indigènes ont commencé la période avec un PIB par habitant bien en dessous de la moyenne nationale. Cette situation, pour la plupart, est restée globalement stable au cours des années suivantes, avec deux exceptions notables : Quintana Roo et Campeche. Ces deux États ont connu une croissance rapide par rapport à la moyenne nationale au cours de la période et sont désormais bien supérieurs à la moyenne en termes de PIB par habitant. La région de Tabasco et de Campeche est le foyer de la plupart des ressources en pétrole et en gaz du Mexique, tandis que Quintana Roo, sur la péninsule du Yucatán, a bénéficié principalement du tourisme centré sur ses sites archéologiques mayas, qui représente désormais environ 50 % du produit intérieur brut régional.

L’absence de données fiables sur le revenu rend difficile un bon suivi de l’évolution des inégalités ethniques. En 1970, plus des trois quarts des populations indigènes étaient des travailleurs agricoles. En 1990, cette part avait diminué se situant à environ 60 %, mais ce chiffre a à peine changé dans la décennie de libéralisation, en restant à près de 60 % en 2000. En 1990, le ratio des populations autochtones dans les catégories professionnelles qualifiées et semi-qualifiées par rapport à leur proportion dans la population active dans son ensemble était de 0,39 – une augmentation marquée du ratio par rapport à son niveau de 1970 (0,28) et, en effet, plus élevé qu’en 2000 (0,36). En d’autres termes, depuis 1990, il y a eu seulement un tiers environ du nombre des indigènes exerçant des métiers spécialisés et semi-qualifiés que nous aurions dû avoir si l’emploi avait été réparti sans discrimination.

Alors que les indigènes ont maintenu un avantage d’ensemble apparent en termes de taux d’emploi, ce qui s’explique principalement par leur concentration dans le secteur agricole rural, un secteur qui a été peu concerné par la libéralisation. Le taux d’alphabétisation et le nombre moyen d’années de scolarité parmi les groupes autochtones et non autochtones dans le recensement de 2000, s’effondrent en fonction de l’âge des individus. Bien que tous les groupes aient fait des progrès significatifs au cours du temps, il y a une différence notable dans le taux de rattrapage parmi les groupes autochtones. Parmi les non-autochtones de moins de 40 ans, la pleine alphabétisation a été plus ou moins atteinte. Et tandis que les peuples autochtones dans ce groupe d’âge traînent derrière, les cohortes plus jeunes rattrapent de manière telle que, sur la base de ces tendances, des niveaux égaux d’alphabétisation pourraient être atteints dans un proche avenir.

En revanche, si la durée moyenne de l’éducation est également en hausse dans les deux groupes, l’écart absolu des années d’études aujourd’hui augmente chez les personnes âgées. Pour les moins de 50 ans ou plus, l’écart est resté relativement constant avec les groupes non indigènes ayant un avantage de près de trois années d’étude au sein de chaque cohorte d’âge, même lorsque la hausse à tous les niveaux apparaît dans les deux groupes parmi les cohortes plus jeunes.

Au Brésil et au Mexique, l’ère de la libéralisation a été accompagnée par trois grandes tendances : la décentralisation, la libéralisation du commerce et la privatisation.

La libéralisation du commerce est généralement perçue comme exacerbant les inégalités régionales. Le Mexique se conforme largement à cette tendance. Toutefois, le Brésil semble fournir des contre preuves à ce modèle en raison des taux de croissance supérieurs obtenus dans la majorité des régions pauvres, de l’augmentation du salaire minimum national et des régimes d’aide sociale de grande envergure qui ont bénéficié de manière disproportionnée aux États les plus pauvres.

Les deux pays ont également fait des avancées significatives dans les indicateurs de base du développement humain, indépendamment de l’ethnicité et de l’État d’origine, mais ont du mal à traduire cela en des diminutions de même ampleur en matière d’inégalités des revenus. Il est trop tôt pour dire si oui ou non les programmes récents de discrimination positive pour les noirs brésiliens auront des effets sur cette disparité.

 

Notes:

[1]  Ce chapitre est basé sur le travail de James Heintz (2009) avec des apports de J. Ghosh (2008), Y. Bangura (2008) et P. Mc Michael (2009). Il a été préparé par Yusuf Bangura.

[2]  United Nations, Commitment n° 3. United Nations, World Summit for Social Development: The Copenhagen Declaration for Social Development, 1995.

<www.un.org/esa/socdev/wssd/copenhagen_declaration.html> accessed in December 2009.

[3]  United Nations, Major Trends Affecting Families. Prepared by the UN Programme on the Family. United Nations, New York, 2003.

[4]  James Heintz, Employment, Economic Development and Poverty Reduction: Critical Issues and Policy Challenges. Background paper for UNRISD Report on Combating Poverty and Inequality, genève, 2009.

[5]  UN-HABITAT, State of the World’s Cities 2010/2011: Bridging the Urban Divide. UN-HABITAT, Nairobi, 2010.

[6]  International Labour Organization, Global Employment Trends for Women, International Labour Office, Geneve, 2008.

[7]  Huck-Ju Kwon, and I. Yi, Development Strategies, Welfare Regime and Poverty Reduction in the Republic of Korea. Background paper for UNRISD Report on Combating Poverty and Inequality, Geneva, 2008.

[8]  Boo Teik Khoo, Development Strategies and Poverty Reduction. Background paper for UNRISD Report on Combating Poverty and Inequality, Geneva, 2008.

[9]  Jean C. Oi, Development Strategies, Welfare Regime and Poverty Reduction in China. Background paper for UNRISD  Report on Combating Poverty and Inequality, Geneva, 2008.

Do Duc Dinh, Growth with Equity: Double Click for High Economic Growth and Quick Poverty Reduction: The Case of Vietnam. Background paper for UNRISD Report on Combating Poverty and Inequality, Geneva, 2008.

[10] Seekings, Jeremy and Nicoli Nattrass, Why Don’t the Poor Get More: The State and Poverty in Post-Apartheid South Africa. Background paper for UNRISD Report on Combating Poverty and Inequality, Geneva, 2008.

[11]  P. Kirby, Explaining Ireland’s Development: Economic Growth with Weakening Welfare. Programme on Social Policy and Development, Paper n° 37. UNRISD, Geneva, 2008.

[12]  Vivek Chibber, Organized Interests, Development Strategies and Social Policies. Background paper for the UNRISD Report on Combating Poverty and Inequality, Geneva, 2008.

[13]  R. Nagaraj, Development Strategies and Poverty Reduction: Indian Experience. Background paper for UNRISD Report on Combating Poverty and Inequality, Geneva, 2008.

  1. Kohli, State and Redistributive Development in India. Background paper for UNRISD Report on Combating Poverty and Inequality, Geneva, 2008.

[14]  Yusuf Bangura, Development Strategies and Poverty. Background paper for UNRISD Report on Combating Poverty and Inequality, Geneva, 2008.

[15]  World Bank. World Development Report 2008: Agriculture for Development. World Bank, Washington, DC., 2007.

[16]  Ibid.

[17]  P. Mc Michael, Global Food Crisis: Causes and Prospects for Policy Alternatives. Background paper for UNRISD Report on Combating Poverty and Inequality, Geneva, 2009.

[18]  H. P. Siphambe, Development Strategies and Poverty Reduction in Botswana. Background paper for UNRISD Report on Combating Poverty and Inequality, Geneva, 2008.

[19]  Eunna Lee, “Problems in Retaining the Legacy of the Traditional Idea of Family-Based Welfare Support in South Korea’s Social Welfare Provisions under the National Basic Livelihood Security (NBLS) System”, Paper presented at the Social Policy Association Conference, Edinburgh, Scotland, 29 June–1 July 2009.

[20]  Jayati Ghosh, Growth, Macroeconomic Policies and Structural Change. Background paper for UNRISD Report on Combating Poverty and Inequality, 2008.

[21]  H. G. Ferreira and Martin Ravallion, Global Poverty and Inequality: A Review of the Evidence. Policy Research Working Paper 4623. World Bank, Washington, DC, 2008.

[22]  International Labour Organization, The World of Work Report 2008: Income Inequalities in the Age of Globalization. ILO, Geneva, 2008.

[23]  ILO, op. cit.

[24]  Simon Kuznets, “Economic growth and income inequality”, American Economic Review, Vol. 45, 1955.

[25]   Hyunsub Kum, Inequality and Structural Change. Background paper for UNRISD Report on Combating Poverty and Inequality, Geneva, 2008.

[26]   B. Milanovic, Worlds Apart: Measuring International and Global Inequality, Princeton University Press, Princeton, N J., 2007.

[27]  P. Calmon, P. F. T. Conceicao, J. K. Galbraith, V. Garza-Cantu and A. Hibert, “The evolution of industrial wage inequality in Mexico and Brazil”, Review of Development Economics, 4 (2), June, 2000.

[28]  James K. Galbraith, “Inequality, unemployment and growth : New measures for old controversies”, Journal of Economic Inequality, Vol. 7, Issue 2, June, 2009.

[29]  Yusuf Bangura (ed.), Ethnic Inequalities and Public Sector Governance, UNRISD / Palgrave Macmillan, Basingstoke, 2006.

[30]  World Bank’s Living Standards Measurement Study (LSMS).

[31]  K. Ewusi, “Disparities in levels of regional development in Ghana”, Social Indicators Research, Vol. 3, n° 1, 1976.

[32]  G. Brown and A. Langer, Spatial and Ethnic Inequalities and Development : Country Experiences, Background paper for UNRISD Report on Combating Poverty and Inequality, Geneva, 2009.

[33]  Based on World Bank data ; Malaysian government data set it slightly lower.

[34]  Op. cité, Boo Teik Khoo, 2008.

[35]  M. Ravallion, Inpres and inequality : A distributional perspective on the centre’s regional disbursements”, Bulletin of Indonesian Economic Studies, Volume 24, Issue 3, December, 1988.

  1. Booth, “Poverty and inequality in the Soeharto era : An assessment”, Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol. 36, n° 1, 2000.

[36]  Neto Silveira, Raul da Mota and Carlos R. Azzoni, “Non-spatial government policies and regional income inequality in Brazil”, Regional Studies, first published 25 February 2010. Available online at :

www.informaworld.com/

smpp/section?content=a919515506&fulltext=713240928.