Chine communiste, Occident ultralibéral, La déroute programmée du capitalisme de marché

Gilbert Blardone[1]

 

152La Chine communiste avec une production intérieure de 4 402 milliards de dollars en 2008 (source FMI) est déjà la troisième puissance économique mondiale derrière les États-Unis (14 265 milliards de dollars) et le Japon (4 924 milliards de dollars). Elle est suivie de l’Allemagne (3 368 milliards de dollars), de la France (2 866 milliards de dollars) et de l’Angleterre (2 674 milliards de dollars). Son objectif annoncé est d’être au cours du XXIème siècle la première puissance économique. Elle l’est déjà en 2009 pour les exportations (1 190 milliards de dollars) devant l’Allemagne (1 000 milliards de dollars) et pour ses réserves de change qui, début 2009 s’élevaient à 2 272 milliards de dollars, pour la majeure partie composés de bons du Trésor américain.

Certes, les statistiques officielles chinoises ne sont pas très fiables de l’aveu même du Directeur du Bureau National des Statistiques (BNS) Monsieur Ma Jiantang qui a critiqué la façon dont certains responsables locaux gonflent les chiffres du PIB qu’ils envoient au BNS dans le seul but de démontrer combien ils sont capables de bien gérer l’économie locale. Le BNS procède actuellement à l’unification des méthodes de calcul provinciales et centrales ainsi qu’à l’amélioration de la qualité des statistiques recueillies à la base.

Il n’empêche, les succès économiques de la Chine, tant sur le plan intérieur qu’extérieur sont évidents depuis les réformes imposées par Deng Xiaoping, successeur de Mao Tse Tung entre 1976 et 1997. La Chine de Mao périclitait, celle de Deng Xiaoping explose. Pour la période la plus récente de 2005 à 2009, l’activité économique de la Chine mesurée à travers son PIB (Production Intérieure Brute) a augmentée de 82 %. A quoi tiennent les succès économiques de la Chine communiste ? Comment réagissent les Démocraties capitalistes ?

1/ Le triomphe du communisme de marché

La révolution dans la révolution imposée par Deng Xiaoping après la mort de Mao (1976) pour sortir la Chine du sous développement repose sur un choix de stratégie. Ce choix est l’inverse de celui que préconisera Gorbatchev dans les années 90 pour tirer l’URSS de sa léthargie. Gorbatchev tentera de combiner ouverture politique et dynamisme économique (glasnov et perestroïka) dans des structures politiques et économiques qui ont résisté au changement. Den Xiaoping, maintiendra un régime politique autoritaire à Parti Unique, le Parti Communiste, et libèrera l’économie en organisant la coopération des initiatives privées et publiques. Il conservera au Parti et à l’État leur rôle dirigeant, mais il débarrassera l’économie du carcan de la collectivisation et de la planification intégrale. Il compte sur les transferts de technologie occidentales associées aux initiatives privées et publiques chinoises pour faire décoller l’économie sous la houlette de l’État et du Parti.

La stratégie de Deng Xiaoping repose sur quatre piliers :

1 – Retour en grâce de la philosophie traditionnelle chinoise associée au marxiste.

2 – Le maintien d’un système politique autoritaire contrôlé par le Parti communiste.

3 – La construction d’un système économique nouveau, le Communisme de marché, baptisé pudiquement « socialisme de marché ».

4 – Une croissance économique fondée sur la mondialisation des exportations.

Le retour de la philosophie traditionnelle chinoise associée au marxiste

La révolution culturelle de Mao voulait leur mort, celle de Deng Xiaoping les a ressuscités : Lao Tseu, Confucius, Luxum, Sunzi, le stratège de « l’Art de la guerre » (5ème siècle avant J. C.). Tous ces maîtres de la philosophie chinoise traditionnelle influencent à nouveau la pensée stratégique chinoise, son sens de l’Homme, de la vie, de l’action et des relations à l’intérieur et à l’extérieur de la Chine[2]. Celle-ci « cherche à tirer partie, discrètement, de chaque situation pour obtenir un profit, sans pour autant se fixer un but idéal. Il s’agit  d’exploiter le potentiel de la situation, de se laisser porter par lui, et de le développer sans rien brusquer, jusqu’à en recueillir les effets à long terme plutôt que d’imposer une visée volontaire et immédiate. » Deng Xiaoping traduisait cette philosophie en disant « traverser la rivière en tâtant les pierres »[3].

Alors que les Occidentaux pensent « en termes de moyens et de fins, selon un plan projeté d’avance, les chinois pensent plutôt en termes de conditions et de conséquences. Ici encore, ils ne visent pas l’effet immédiat, mais font basculer progressivement le potentiel de la situation de leur côté. Si l’ennemi arrive reposé, la stratégie chinoise commence par le fatiguer, s’il arrive rassasié, il commence par l’affamer…  Il n’affronte ainsi son adversaire qu’après l’avoir privé de son potentiel. Aussi peut-il triompher de lui sans dépenses et même sans résistance. Il n’a qu’à cueillir le fruit prêt à tomber ».

« Ce qui me paraît être le propre de la Chine, écrit F. Jullien, c’est qu’elle part de la situation dont elle évalue « les facteurs porteurs » pour en tirer profit en s’adaptant progressivement à leur développement.

Le Parti a greffé la philosophie traditionnelle chinoise sur sa propre philosophie marxiste, son sens de l’Histoire, de l’évolution des forces productives défavorables, à long terme, au capitalisme, des rapports sociaux, du rôle du Parti pour maintenir la cohésion du système communiste chinois et poursuivre la lutte contre le capitalisme international en lui empruntant l’élément qui assure son dynamisme : le degré de liberté, d’initiative économique, compatible avec l’autoritarisme politique. Le Parti compte ainsi renforcer l’adhésion de la masse du peuple à son gouvernement. Confucius au secours de Marx plutôt que Marx contre Confucius.

Telle est la stratégie initiée par Deng Xiaoping depuis 1976 vis-à-vis du capitalisme de marché. De déficits extérieurs en croissance intérieure molle ou nulle, et en crises à répétition, celui-ci n’a cessé de perdre son potentiel économique et humain et ainsi de « s’affamer » lui-même !

Le maintien d’un système politique autoritaire

Pour Deng Xiaoping et ses successeurs l’introduction d’une économie de marché dans le système politique communiste de Parti Unique autoritaire n’impliquait pas, au contraire, la disparition ou même l’adoucissement de ce système. En effet, le Parti et l’Armée, assurent la cohésion et la sécurité intérieure et extérieure de l’empire. La Chine n’a jamais connu la démocratie, introduire la liberté d’expression et son corollaire le pluripartisme c’est risquer de la replonger dans l’anarchie, favoriser un retour des chefs de guerre et des luttes intestines qui ont fait le jouet des occidentaux. Pour les dirigeants communistes, il ne peut en être question. Par contre, pour renforcer son prestige aux yeux du peuple et flatter son nationalisme le Parti veut apparaître aujourd’hui comme l’héritier des Grands Maîtres de la pensée chinoise, comme le continuateur de la tradition impériale qui assume la glorieuse histoire de la Chine et accueille aujourd’hui toutes les Nations du Monde aux Jeux Olympiques qu’il a été chargé par elles d’organiser. Une telle stratégie estime le Parti est susceptible de susciter l’approbation d’une population fière des réussites de son pays. Le Parti  dispose pour y parvenir de relais dans chaque province et dans chaque commune. Il n’hésite pas à sanctionner ses cadres locaux ainsi que les intellectuels, les journalistes, les militants associatifs, tous ceux qui n’adhérent pas à sa politique. Cette stratégie allie l’absolutisme politique et l’autoritarisme du Parti avec la liberté de création économique et sociale d’où émerge peu à peu la société civile. Mais ses initiatives doivent demeurer dans les limites fixées par le pouvoir politique à travers les orientations du XIème Plan de « développement de l’économie nationale et de progrès social » en vue « de construire une Société de modeste aisance générale et de promouvoir l’harmonie sociale. »

Il est évident que dans ce contexte d’autoritarisme politique et de relative liberté d’initiative économique et sociale « les intellectuels critiques ou les étudiants de la place Tianammen, se sont finalement retrouvés isolés et désemparés, face à la violence du pouvoir »[4].

La Construction du Communisme de Marché

La collectivisation et la planification intégrale bloquaient toute initiative et condamnait la Chine à la stagnation perpétuant ainsi le sous-développement. Deng Xiaoping en a été conscient et dès sa prise de pouvoir en 1976 a décidé de desserrer le carcan administratif. Par rapport à l’ère précédente, il s’est bien agi d’une révolution dans les mentalités, les comportements et les structures de la Chine maoïste. Commencée dès 1976 elle continue à porter ses fruits. Un système économique nouveau est apparu : le communisme de marché. Deng Xiaoping et ses successeurs ont compris que l’initiative, la créativité économique et sociale étaient possibles même dans un régime politique qui en définirait les limites. En Chine, du fait de la tradition, dictature politique du prolétariat et créativité économique de ce prolétariat n’apparaissait pas comme antinomiques. Les faits, jusqu’ici, leur ont donné raison.

Dans ce nouveau système l’encadrement politique émane d’un plan indicatif quant aux objectifs à atteindre. La façon d’atteindre ces objectifs va relever de la coopération entre le secteur public et les initiatives privées.

En ce qui concerne le XIème Plan quinquennal (2006-2010) « de développement de l’économie nationale et de progrès social », l’objectif est de construire une société de modeste aisance générale et promouvoir l’harmonie sociale ». Les principaux objectifs intermédiaires sont :

– Promouvoir une croissance de l’activité économique (PIB) à un rythme moyen de 7,5 % par an.

– Maintenir la population en deçà des 1,36 milliard et assurer 120 millions d’hectare de terre arable.

En réalité le rythme de croissance annuel du PIB national a oscillé entre 8 et 12 %. La crise l’a ramené autour de 8 % en 2008, avec une reprise dès 2009 de 8,7 % grâce à un plan de relance en novembre 2008 de 4 000 milliards de yuans (1 $ = 6,83 yuans) soit 586 milliards de $ dont la répartition fait la part belle aux investissements (91 %) plutôt qu’aux dépenses sociales (santé, éducation) et au développement durable (9 %) Cette répartition est cohérente avec la composition de l’activité économique en 2009 et 2010. L’investissement (appelé formation brute de capital fixe) représente 45 % du PIB ; la consommation des ménages 35 % ; celle des administrations publiques 15 % ; le solde positif du commerce extérieur 6 %. Quant à la structure de l’économie (premier recensement sur l’économie nationale, décembre 2005) elle est la suivante : part du secteur primaire (agriculture, mines…) 13,1 % ; part du secondaire (industrie…) 46,2 % ; part des services 40,7 %. La tendance  générale est à la baisse de la part du primaire et du secondaire et à la hausse des services spécialement des services aux entreprises.

Le recul de la collectivisation ressort nettement de l’évolution du nombre et de la nature des entreprises. Selon le BNS, les entreprises ont évolué ainsi entre 2001 et 2005 : le recul du nombre des entreprises d’État et la forte croissance des entreprises privées est net.

Total des entreprises : + 7,4 % (+ 223 000)

Entreprises publiques :

– 48,2 % (Total restant :177 000)

Entreprises collectives :

– 46,9 % (Total restant : 402 000)

Entreprises par action ou  responsabilité limitée :

+ 35,2 % (Total : 406 000)

Entreprises privées :

+ 49,7 % (Total : 1 982 000)

Autres entreprises à investissement chinois :

+ 66 % (Total : 62 000)

Entreprises à investissements étrangers :

Hong Kong, Macao, Taïwan, autres investissements étrangers

+ 9,6 % (Total : 152 000).

Dans l’agriculture, la productivité reste un problème préoccupant pour la Chine alors que les paysans ont été les plus forts soutiens de la révolution maoïste. L’agriculture dispose de 10 % de la superficie cultivable mondiale pour 22 % de la population mondiale et sa productivité est faible. La population des zones rurales dépasse les 800 millions de personnes pour 223 millions d’habitants urbains. Le XIème plan se donne pour objectif d’assurer 120 millions d’hectare de terre arable et d’améliorer le revenu net moyen des citadins et des paysans de 5 % tout en améliorant les conditions d’existence (logement, transport, éducation, culture, santé environnement, …) L’agriculture a bénéficié d’aides publiques représentant environ 6 % du revenu des agriculteurs (20 % aux États-Unis ; 34 % dans l’Union Européenne ; 58 % au Japon). La pauvreté a diminué. Selon le BNS 400 millions de Chinois vivant dans les zones rurales sont sortis de la pauvreté entre 1979 et 2002 (chiffre confirmé par la Banque Mondiale). Il semble que ce soit le résultat du programme de construction « des nouvelles campagnes socialistes » c’est-à-dire du  développement des zones rurales en vue d’améliorer le revenu des paysans conformément  au XIème Plan. En 2010 un budget de 800 milliards de yuans (117 Md de $ ou 86 milliards d’euros) sera consacré à ce programme (13 % de plus qu’en 2009).

C’est cependant la pauvreté qui persiste dans les campagnes qui a poussé 230 millions de paysans à rejoindre les villes. Ces ouvriers-paysans, les « Mingong », ne possèdent pas le passeport intérieur, le Hukou, l’un des principaux moyens pour le Parti de contrôler la population et ses déplacements. Il est exigé pour obtenir le statut d’urbain. Les « mingong » ne jouissent donc pas des avantages sociaux réservés aux citadins (santé, éducation, etc…).

Ils sont exploités par leurs patrons, alors qu’ils sont parmi les premiers artisans des succès de la Chine à l’exportation.

Selon le BNS, la Chine a connu la plus importante et la plus rapide réduction de pauvreté de l’histoire. Le taux de pauvreté absolu (revenu inférieur à 1 $ par jour) concernait 74 % de la population au début de la réforme de 1981, initiée par Deng Xiaoping, pour atteindre 15 % en 2004. Cependant, en 2003, 30 millions de personnes vivaient encore avec moins de 77 dollars (57 €) par an.

Dans cette évolution, on constate deux tendances majeures en ce qui concerne les revenus : une nette baisse de la pauvreté absolue mais une forte augmentation des inégalités.

Selon le BNS en 2009 le revenu moyen des chinois en ville était de 17 175 yuans par an (2 115 $ ; 1 850 €) et de seulement 5 153 yuans (755 $ ; 555 €) dans les campagnes. En 2005, il était de 10 493 yuans en ville (1536 $ ; 1130 €) et de 3 255 yuans (477 $ ; 351 €) dans les campagnes. Les deux revenus moyens ont augmenté respectivement de 64 % en ville et de 59 % dans les campagnes. L’écart entre les deux s’est donc accru de 66 % passant de 7 238 yuans en 2005 à 12 022 en 2009.

Dans la ville de Shenzhen le salaire minimum a été fixé à 850 yuans par mois (125 $ ou 92 €). L’existence d’un salaire minimum n’est pas générale. A Pékin, une femme de ménage gagne environ 900 yuans par mois (192 $ ; 97 €), l’équivalent d’un salaire minimum. Son loyer dans un quartier pauvre de la capitale est de 300 yuans (44 $ ; 33 €).

Citons quelques exemples de l’explosion récente des inégalités[5]. Selon un centre d’information indépendant de Shanghai : « Le nombre de ceux qui possèdent une fortune d’au moins 150 millions de $ (110 millions €) a décuplé depuis 2004… il y en avait 100 il y a 6 ans, il y en a 1 000 maintenant. Les familles les plus riches, soit 8,6 % de la population totale, détiennent 60 %  du capital financier[6]. Le nombre des milliardaires en dollars est passé de 3 en 2004 à 106 en 2007[7]… C’est le BNS qui rappelle que la Chine est arrivée par son activité économique à se hisser à la 3ème place mondiale après les États-Unis et le Japon (classement à partir du PIB par le FMI) mais n’est qu’à la 104ème place pour le revenu par habitant.

Ce qui traduit une répartition très inégalitaire des fruits de la croissance entre régions et groupes sociaux, villes et campagnes. La pauvreté qui subsiste et les inégalités qui augmentent expliquent les nombreuses manifestations de mécontentement survenues ces dernières années, toujours réprimées durement par le pouvoir politique partisan avant tout de l’« Harmonie sociale ». Pour le pouvoir la grogne est si préoccupante qu’en mars 2010, à la session de printemps de l’Assemblée nationale populaire, parlement chargé d’entériner les décisions du gouvernement, mais aussi caisse de résonance des revendications sociales, le Premier Ministre Wen Jiabao a prévenu que l’année 2010 « allait être la plus compliquée pour l’économie » et qu’il était donc essentiel « de maintenir la continuité et la stabilité de nos politiques macroéconomiques » dans une économie mondiale « dont les principaux problèmes n’ont pas disparus »…

Devant la montée des inégalités, il a rappelé que le développement économique et social de la Chine « doit accorder davantage d’attention aux pauvres et aux groupes défavorisés parce qu’ils constituent la majorité… L’inflation, plus une redistribution inéquitable des revenus et la corruption pourraient affecter la stabilité sociale et même la stabilité du gouvernement »… Le Premier Ministre a conclu : « Cela prendra cent ans et même plus, pour que la Chine devienne un pays moderne ».

Entre temps, des médias tels que la presse et Internet où les défenseurs des Droits de l’Homme de plus en plus malmenés, n’hésitent pas à faire pression sur les autorités pour que « la légalité démocratique » socialiste actuelle s’améliore. Ils s’attirent pour le moment des réactions très sévères du pouvoir (lourde condamnation à 11 ans de prison de l’intellectuel Liu Xiaobo qui mettait en question le Parti Unique ; censure contre la presse qui demande l’assouplissement du « passeport intérieur, le Hukou », menaces contre Google et les internautes chinois)….

Les contestations, encore très minoritaires s’amplifient, jusque dans les campagnes pour des raisons très diverses (déplacements de population, pollutions liées à une industrialisation accélérée, expulsions et destructions d’habitations pour urbaniser, etc…). Grâce aux internautes, cette contestation et les revendications qu’elle porte, trouvent un large écho dans le pays.

La révolution Maoïste, liberticide, va-t-elle devoir s’incliner devant la révolution Internet, universelle et permissive ? Les internautes sont, certainement, aujourd’hui, les adversaires les plus dangereux du pouvoir en place, parce que techniquement difficiles à maîtriser et ils sont déjà 400 millions, semble-t-il.

Parmi les principaux objectifs du XIème Plan en cours de réalisation en vue de moderniser la Chine signalons :

– La construction de nouvelles régions rurales socialistes et la réduction des écarts entre la ville et la campagne concernant les services publics, les revenus et les niveaux de vie.

– La consolidation et la généralisation de l’enseignement obligatoire ; le perfectionnement du système de santé publique ; la prévention des calamités naturelles…

– Améliorer considérablement la capacité de contrôle de gestion du marché et le niveau de gestion de la Société.

– Enfin pousser  l’édification de la légalité démocratique socialiste, former le système juridique socialiste à la chinoise, renforcer l’éducation morale et faire progresser la construction d’une société harmonieuse.

Dans ce dernier point le Plan se montre favorable à l’émergence d’une Société civile, étant entendu  que le maître d’œuvre reste le Parti Communiste et son gouvernement. La démocratie peut être économique et sociale, pas politique.

La bureaucratie est omniprésente pour veiller à ce que l’initiative privée, surtout si elle est d’origine étrangère, dans la sphère économique, ne transgresse pas les règles établies par le pouvoir politique. Si les entreprises privées passent outre, deviennent trop importantes ou ne sont pas assez dociles (Danone, Google, etc…) l’État peut très bien les obliger à partir, nationaliser leur direction, ou les faire tomber pour non respect de la législation chinoise. « C’est pourquoi, en Chine, la maîtrise d’un réseau de relations (politiques, administratives…) est plus importante que la possession du capital »[8]

Tel est l’essentiel du système chinois « de communisme de marché » au plan interne

Les exportations comme levier de la croissance économique

L’inquiétude qui se fait jour dans le monde, notamment en Occident, devant la montée de la puissance économique chinoise a conduit le Premier Ministre en janvier 2010 a préciser devant l’Assemblée nationale populaire : « Certains disent que la Chine est arrogante, qu’elle est dure, mais le développement de la Chine n’affectera aucun pays… La Chine ne cherchera jamais l’hégémonie, même quand elle sera un pays développé ».

Il est vrai que la Chine, jusqu’ici, ne s’est pas montrée « arrogante » sur la scène internationale mais a simplement, à juste titre, voulu être respectée et participer, notamment dans le cadre du G 20, aux principales décisions internationales.

Par contre sa politique en matière de commerce international a sérieusement affecté le capitalisme occidental ébranlé par la stratégie chinoise visant à faire de ses exportations le levier de sa croissance économique interne et de son développement. Le succès est incontestable. En 2009, la Chine a ravi à l’Allemagne la place de premier exportateur mondial (1 190 milliards de $ contre 1 000). Elle a accumulé 2 272 milliards de $ de réserves de change devenant ainsi le premier créancier des États-Unis.

Au plan mondial la stratégie chinoise a consisté en fidèle disciple des philosophes chinois et en marxiste réaliste, à profiter au maximum des chances que lui offrait la nouvelle idéologie ultralibérale qui s’était imposée en Occident capitaliste depuis le premier choc pétrolier de 1973 ; codifiée en 1989 dans le « Consensus de Washington ». Cette idéologie préconisait en matière d’échanges internationaux la dérégulation des marchés de biens, de services et de capitaux ; la condamnation de tout protectionnisme… En matière monétaire, la liberté totale des changes et de la spéculation boursière…

Pour la Chine communiste maintenir le contrôle de son espace intérieur pour éliminer les prédateurs capitalistes étrangers et ne l’ouvrir qu’aux firmes utiles au développement du pays était une nécessité. Par contre utiliser au maximum les facilités offertes par l’idéologie ultralibérale en vigueur sur le marché mondial, pour inonder de produits chinois à bas prix les pays capitalistes, les condamner ainsi à une croissance nulle ou molle ; au chômage, aux délocalisations, était une opportunité que la Chine communiste ne pouvait pas laisser passer. C’est ainsi que les capitalistes ont fait de la Chine communiste la 3ème, bientôt la 2ème, économie mondiale et le champion des exportations.

Profitant donc de l’ultralibéralisme ambiant, la stratégie chinoise à l’échelle mondiale a consisté :

– à pratiquer la concurrence la plus sauvage possible dans les domaines économique, dumping économique : (non respect de la législation sur les brevets ; espionnage économique…) ; dumping social : salaires inférieurs de 30 à 50 % aux salaires des concurrents capitalistes ; absence de protection sociale généralisée ; dumping monétaire : le yuan (Renmimbi RMB) fortement sous évalué ;

– à tirer le maximum de bénéfice des délocalisations des entreprises capitalistes étrangères en Chine pour acquérir les technologies indispensables aux exportations. De ce fait 56 % des exportations chinoises sont réalisées par ces firmes capitalistes qui contribuent du même coup à détruire les entreprises et les emplois en Occident.

La Chine a su aussi profiter de son adhésion à l’OMC en septembre 2001 pour se moderniser. Cette adhésion a justifié la fin du monopole d’État sur le commerce extérieur. Elle permettra d’établir une certaine concurrence entre des secteurs auparavant protégés. En donnant à la Chine accès au marché mondial sans restriction et en fermant les yeux sur sa pratique du dumping économique, social et monétaire, l’OMC a été un puissant stimulant de croissance, un multiplicateur de richesse pour la Chine. En 10 ans le PIB chinois a rattrapé celui du Japon ; les exportations ont été multipliées par 6 et l’excédent commercial par 12. L’investissement productif chinois et étranger (50 % du PIB) est responsable de 90 % de la croissance chinoise. Dans cette évolution l’OMC et les firmes capitalistes délocalisées en Chine ont donc joué un rôle essentiel.

Dans cette stratégie de conquête du marché mondial la monnaie chinoise, le yuan a tenu un rôle primordial. Monnaie non convertible, elle est entièrement contrôlée par l’État, notamment pour son émission et son taux de change avec les autres monnaies. Le yuan se trouve ainsi à l’abri de la spéculation. La liberté de mouvement des capitaux n’existe pas pour éviter l’afflux de liquidités, les crises financières qui s’en suivent et l’inflation. Les autorités pilotent la valeur du yuan qu’elles maintiennent volontairement sous évaluée vis-à-vis des autres monnaies notamment le dollar et l’euro pour faciliter les exportations et renchérir les importations en provenance des États-Unis et de l’Europe. C’est une technique efficace de protectionnisme. Une légère réévaluation a eu lieu en juillet 2008. Le yuan est passé de 8,28 yuans pour un dollar à 6,83. Depuis ce taux n’a pas changé. Si l’on considère la parité des pouvoirs d’achat (PPA) des deux monnaies, le yuan devrait être réévalué d’environ 50 % et passer de 6,83 yuans pour 1 dollar à 3,4. A cette revendication des pays capitalistes, le Premier Ministre chinois M. Wen Jiabao a rétorqué : « Certains pays veulent d’un côté que le yuan s’apprécie mais de l’autre adoptent sans aucun scrupule des mesures protectionnistes à l’encontre de la Chine… Nous maintiendrons  la stabilité du yuan a un niveau raisonnable équilibré ». Cette déclaration fait allusion à une taxe anti-dumping que l’Union Européenne a osé mettre à l’importation de chaussures chinoises. Elle prouve ainsi que la Chine entend continuer à fonder son développement sur ses exportations et les réserves de change qu’elle lui procure. Selon le FMI le taux de croissance du PIB chinois devrait être de 9,5 % en 2010.

Les pressions américaines pour une réévaluation du yuan s’accroissant, le 21 mars, la Chine a menacé d’exercer des représailles si les Etas-Unis lui imposaient des sanctions commerciales pour compenser la faiblesse du yuan. L’autre voie chinoise qui consisterait à donner la priorité au développement du marché intérieur et donc au bien être de la population ne semble pas à l’ordre du jour. L’Occident ferait bien d’en prendre acte pour rééquilibrer ses relations commerciales avec la Chine avant que ses économies en déroute ne s’effondrent complètement.

 2/ La déroute programmée du capitalisme de marché

Quand on croit que le « développement est le nouveau nom de la Paix »[9], on ne peut que se réjouir de constater qu’un pays de 1,3 milliard d’habitants, l’une des plus anciennes et prestigieuses civilisations, sort du sous développement. Mais il convient aussi de ne pas oublier que l’idéologie actuelle de cet immense empire l’incite fortement à détruire ses concurrents capitalistes occidentaux. De leur côté les puissances d’argent rêvent, elles aussi, — elles l’ont prouvé dans le passé — d’imposer au monde leur propre idéologie, aujourd’hui, l’ultralibéralisme, fondée sur les seuls rapports de forces, baptisés pudiquement rapports de « compétitivité ».

Dans la course au dynamisme et à la réussite économique, base de la domination politique, engagée entre la Chine communiste et l’Occident capitaliste depuis 1976, la Chine a incontestablement gagné la première étape. Les chinois ont admirablement su utiliser et retourner contre eux les principes et les pratiques de leurs concurrents.

Succès chinois, déconfiture occidentale

En 2010 la croissance économique chinoise approchera 10 % (FMI) tandis que l’Occident, l’Union Européenne notamment, peinera à dépasser 1 %. La Chine recueille toutes les entreprises capitalistes qui lui apportent les technologies dont elle a besoin dans les domaines aussi divers que l’aéronautique, l’automobile, la machine outil, l’électronique, l’énergie, etc… Une enquête récente auprès de 108 entreprises industrielles délocalisées en Chine révèle que 77 % d’entre elles l’ont fait pour accéder au marché chinois et 66 % pour le coût plus bas de la main d’œuvre[10]. La Chine compte déjà autant d’entreprises mondiales que l’Allemagne ou la France. Dans les services ses compagnies d’Assurance sont parmi les premières mondiales. Elle est l’un des éléments clefs du marché des matières premières. Grâce à ses nouveaux riches l’industrie française du luxe reprend espoir. « L’Empire du milieu, nouvel eldorado des grandes marques »[11]. 37 sociétés chinoises se retrouvent dans les 500 premiers groupes mondiaux selon « Fortune ».

L’Occident capitaliste qui avait pillé la Chine impériale au XIXème siècle contribue à la reconstruction au XXIème siècle de la Chine communiste. Juste retour des choses. Pendant ce temps l’Occident ferme ou délocalise chaque mois des entreprises en Chine ou dans les autres pays à bas coûts. La Chine manque de main d’œuvre qualifiée pour son industrialisation. L’Occident compte 10 % de sa population active au chômage. Le pouvoir d’achat en Chine s’améliore lentement mais sûrement. Le PIB par habitant a doublé en 10 ans. Il s’établit aujourd’hui à 202 € par mois (FMI). Celui des européens et des américains stagne ou régresse. Aux États-Unis où le seuil de pauvreté pour un foyer de quatre personnes se situe actuellement à 1 356 € par mois, le revenu des couches les plus pauvres (17 % de la population), compte tenu de l’inflation, a régressé depuis 1979 de 28,9 %[12]. L’État chinois contrôle sa monnaie évite ainsi l’inflation insupportable et la spéculation, il s’en sert pour doper ses exportations et freiner les importations inutiles ; les États Occidentaux ne contrôlent plus leurs Banques Centrales, ils ont livré leur monnaie au bon vouloir des banquiers qui s’en sont servis pour spéculer à outrance et précipiter les pays capitalistes dans la plus forte et la plus longue crise financière depuis 1929. Dans l’Union Européenne, la politique monétaire (gestion des taux d’intérêt et du crédit) ne relève plus des États, leur politique budgétaire est bridée par les Traités et n’est plus une arme de régulation de l’activité économique. La Banque Centrale Européenne (BCE) ne semble se préoccuper que des risques d’inflation. Sur le plan politique, les chinois, même lorsqu’ils sont critiques sont fiers de leur pays et aspirent à plus de démocratie. Les Occidentaux, surtout en Europe, doutent de plus en plus de la capacité de leurs dirigeants à maîtriser les effets internes et externes de la mondialisation. Déçus et inquiets pour l’avenir, ils se réfugient dans l’individualisme et l’abstention politique, de plus en plus sceptiques sur les capacités des démocraties à assurer la dignité et le bien être des citoyens.

A qui attribuer la déconfiture Occidentale ?

Les facteurs sont multiples mais l’un d’entre eux, depuis les années 70, semble déterminant ; il est idéologique et s’appelle l’ultralibéralisme.  Cette idéologie nouvelle a intoxiqué tous les acteurs politiques et économiques des démocraties, et inspiré des comportements à l’origine du désastre actuel, comme les excès de l’idéologie stalinienne autoritaire, collectiviste et planificatrice ont finalement détruit l’URSS. Malheureusement la leçon n’a pas été comprise en terre capitaliste et l’idéologie ultralibérale a ébranlé peu à peu les fondements même des Sociétés Occidentales, détruit leur système de régulation, condamné leurs gouvernements à l’impuissance, empêché une approche réaliste des problèmes. Un tel contexte a favorisé la montée en puissance de la Chine qui a très bien su exploiter les faiblesses et les contradictions des sociétés capitalistes et assurer la domination du communisme chinois sur l’économie mondiale.

            Le premier choc pétrolier du 23 décembre 1973 n’a pas été seulement énergétique, il a été tout autant psychologique et a marqué le début du déclin de l’Occident, notamment de l’Europe. Confrontés à un prix du pétrole qui avait quadruplé (de 3 $ le baril à 12 $), les pays capitalistes ont eu peur du manque de dollars pour approvisionner leurs économies en énergie. Craignant une grave crise de l’énergie, pour se procurer des dollars, les gouvernements ont remis en question les politiques des « Trente Glorieuses » (1945-1975). Ces politiques libérales étaient inspirées par l’économiste anglais John Maynard Keynes et sa « théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie »[13]. Elles étaient pilotées par les gouvernements qui fixaient les règles du jeu en vigueur entre les acteurs, États, entreprises, individus et ménages, Institutions financières Banques et Bourses…

Après 1973 se furent les idées de l’économiste américain Milton Friedman, Professeur à l’université de Chicago, Prix Nobel d’économie 1976 pour ses travaux sur la monnaie qui s’imposeront en politique économique et monétaire. Elles reposaient sur deux principes : « Le moins d’État » et le « tout marché ». Les Institutions financières internationales FMI et Banque Mondiale s’en emparèrent et les diffusèrent en les recommandant à tous les gouvernements. Elles furent codifiées par l’économiste John Willamson de la Banque Mondiale dans un document appelé  « Consensus de Washington » (1989). La politique préconisée prenait le contre-pied des politiques keynésiennes des années 1945-1975.

«  Le Consensus de Washington »

La Charte de l’ultralibéralisme peut se résumer en six points :

  • Désengagement des États de l’économie dont les interventions sont jugées inefficaces, c’est le moins d’État. Cela implique la réduction des dépenses publiques et des budgets en équilibre. En Europe ces principes seront repris dans le Traité de Maastrich (1992) et le Pacte de stabilité (1996).
  • Dérégulation généralisée des marchés notamment des marchés financiers. Il s’agissait de rétablir le rôle supposé de régulation automatique de l’offre et de la demande pour éviter les crises. Dans la réalité les crises financières dues à une spéculation débridées se multiplièrent entre 1974 et 2007. Nous vivons depuis 2007, la plus forte et la plus longue de ces crises qui affecte durement le monde capitaliste mais très peu la Chine communiste.
  • La privatisation des entreprises et des services publics estimés inefficaces.
  • L’ouverture inconditionnelle des frontières avec suppression des droits de douanes et interdiction de mesures protectionnistes. Cette doctrine est devenue celle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
  • En matière monétaire, l’indépendance des Banques Centrales par rapport aux gouvernements. Elles devront désormais fixer seules les émissions de monnaie et les taux d’intérêts, leur rôle principal est la lutte contre l’inflation. La politique monétaire échappe ainsi aux États. Il en est de même pour leur politique budgétaire. Les budgets devant être systématiquement en équilibre par peur de l’inflation.
  • La fusion Banques de dépôts (crédit à court terme) et banques d’affaires (crédits à long terme pour les investissements) doit favoriser les marchés financiers (bourses) c’est-à-dire la spéculation. La recherche systématique du profit maximum par toutes les banques sera à l’origine de toutes les crises depuis 1975.

De cette idéologie, le Prix Nobel français d’économie, Maurice Allais, Polytechnicien et Ingénieur des Mines, spécialiste des marchés, présenté lors de son prix Nobel comme le « chantre du libéralisme » estime qu’elle conduit les économies occidentales à leur perte en les livrant sans défense à toutes les concurrences sauvages, notamment celle de la Chine. Il rappelle que le libéralisme qui a fait la force de nos économies depuis le XVIIIème siècle n’est pas l’anarchie mais suppose des règles du jeu contraignantes. Pour survivre nos économies doivent pouvoir se défendre contre toutes les formes de dumping c’est-à-dire de concurrences sauvages : « Le véritable fondement du protectionnisme, sa justification essentielle et sa nécessité, c’est la protection nécessaire contre les désordres et les difficultés de toutes sortes  engendrées par l’absence de toute régulation réelle à l’échelle mondiale »[14]

A propos de la situation actuelle dans l’Union Européenne Maurice Allais écrit « La politique libre échangiste de l’Organisation de Bruxelles a eu pour effet de générer un chômage massif, de détruire partiellement notre industrie et notre agriculture, et de réduire fortement la croissance de notre économie »[15]. Il ajoute, en authentique libéral et en Européen convaincu : « Ceux qui a Bruxelles et ailleurs, au nom des prétendus progrès, au nom d’un libéralisme mal compris, et au nom de l’Europe, veulent ouvrir l’Union à tous les vents d’une économie mondialiste dépourvue de tout cadre institutionnel réellement approprié, dominée par la loi de la jungle, et la laisser désarmée sans aucune protection raisonnable… ne sont en réalité que les défenseurs d’une idéologie abusivement simplificatrice et destructrice, les hérauts d’une gigantesque mystification »[16].

Réalisme contre ultralibéralisme

Selon Maurice Allais, les économies occidentales peuvent surmonter la déroute actuelle à condition de sortir de l’anarchie ultralibérale. Cela suppose de définir de nouvelles règles du jeu adaptées à la situation résultant, depuis 1973, d’une mondialisation livrée à elle-même. Il s’agit donc de substituer à l’intérieur des Nations comme à l’extérieur des politiques économiques et monétaires réalistes à des politiques purement idéologiques. L’idéologie ultralibérale repose sur la croyance en la capacité des marchés à s’autoréguler. La rencontre des offres et des demandes sur un marché suffirait à promouvoir en tout temps, l’équilibre économique, social et monétaire interne et externe. Si, par suite d’erreurs de jugement des acteurs ou d’interventions inopportunes des États, cet équilibre se trouvait rompu et qu’une crise survienne, la réaction des marchés suffirait à rétablir l’équilibre. Depuis 1973 cette idéologie s’est imposée aux classes dirigeantes occidentales de droite et de gauche et les crises se sont multipliées. Elles n’ont pris fin qu’à la suite des interventions des États. Déjà en 1929, lors de la Grande Dépression, il en avait été ainsi. Le système imaginé par quelques idéologues d’équilibre économique automatique n’a jamais fonctionné et, aujourd’hui, les économies capitalistes de marché sont en pleine déroute. Le retour au réalisme s’impose donc d’urgence.

Réalisme et politique intérieure des États

– Au « moins d’État » doit se substitue le rôle de l’État comme promoteur de l’intérêt général et de régulateur de l’activité économique, sociale et monétaire. En économie de marché l’État n’a pas à gérer lui-même, directement, l’économie. Par contre il doit définir le contenu de l’intérêt général ; par exemple, les investissements collectifs, les services publics… Il a aussi à préciser les règles du jeu, par exemple le rôle des Banques Centrales, les relations entre Banques commerciales et Banque d’affaires, les règles à respecter par les marchés financiers, les limites de la speculation, etc… Un plan indicatif, « réducteur d’incertitudes » (P. Massé) serait éclairant pour tous les acteurs économiques et faciliterait leur prise de décisions

– La dérégulation des marchés financiers à l’origine de toutes les crises depuis 1973 doit laisser la place à une organisation rationnelle de ces marchés. Les Banques Centrales et, en Europe, la Banque Centrale Européenne, doivent pouvoir coopérer avec les gouvernements pour à la fois garantir la stabilité de la monnaie et favoriser des politiques de croissance économique et de plein emploi (ce qui a toujours été le rôle de la Banque Centrale Américaine, la FED). Elles doivent aussi jouer le rôle de Banque des Banques, contrôlant le niveau de leurs réserves et leur besoin de fonds propres. Quant aux Banques Commerciales, si elles réunissent les deux départements du crédit à court terme aux particuliers et aux entreprises (réservé autre fois aux banques dites de dépôt) et du crédit à long terme (banques d’affaires), elle ne doivent pas pouvoir utiliser les dépôts à court terme de leurs clients pour des opérations spéculatives destinées à accroître leur propre profit. Cette confusion a joué un rôle décisif dans la préparation et le déclenchement de la crise des crédits immobiliers aux États-Unis en 2007.

– L’État se doit aussi de contrôler la spéculation par exemple en taxant très fortement (jusqu’à 100 % propose le financier américain Warren Buffet) les gains spéculatifs à court terme à l’origine des crises depuis 1973.

– La politique des revenus, notamment des salaires mérite, elle aussi, d’être régulée d’une part pour fixer le salaire minimum, d’autre part pour taxer les revenus extravagants (salaires, bonus, « parachutes dorés », etc…) qui sont de véritables défis au bon sens et au bien commun.

– Les services publics dans une économie qui vise la satisfaction des besoins fondamentaux sont un instrument privilégié pour atteindre cet objectif. L’État et les collectivités territoriales ont à veiller à leur efficacité. Mais les démanteler, sous prétexte d’inefficacité, c’est compromettre la couverture des besoins essentiels notamment pour les plus démunis et les classes moyennes et peser fortement sur leur niveau de vie.

Réalisme et politique extérieure des États

L’ouverture inconsidérée des frontières a été la porte ouverte à toutes les concurrences déloyales (dumping). Les dégâts dans les économies occidentales ont été considérables : croissance nulle, chômage de masse, montée des inégalités, des pauvreté, des exclusions…

            Dans l’Union Européenne, vis-à-vis de l’extérieur, le réalisme supposerait la mise en œuvre d’une forme nouvelle et adaptée de « Préférence Communautaire ». Celle-ci était déjà prévue dans le Traité de Rome (1957). Elle fut progressivement abandonnée sous la pression libre-échangiste de l’Angleterre, du Danemark et de l’Irlande après leur entrée en 1973 dans la Communauté économique européenne (CEE). Préférence communautaire signifie que l’essentiel des biens et services utilisés dans l’Union trouve son origine dans les pays membres. Des taxes à l’importation doivent compenser les dumpings éventuels et décourager les concurrences sauvages. Une taxe carbone aux frontières de l’Union pourrait être l’une des formes modernes de la Préférence Communautaire. Enfin, si l’Union ne faisait rien contre le dumping, les pays membres devraient être habilités à faire jouer les « clauses de sauvegarde » prévues dans les Traités pour défendre leur marché intérieur et réduire ainsi le chômage.

Sans ces mesures, aucune politique de croissance économique forte et durable (+ 3% l’an) n’est possible dans l’Union et le chômage ne diminuera pas significativement. De cela les Partis et les Hommes politiques dans l’Union et en France en particulier, ne semblent pas conscients pour le moment. Et cependant les avertissements n’ont pas manqué : « La suppression de la Préférence Communautaire a eu pour effet de réduire le Produit Intérieur Brut par habitant d’au moins 30 %, probablement 50 % » estime Maurice Allais[17].

            Quant à la maîtrise de la mondialisation, elle passe par la création de ce que l’économiste François Perroux appelait des « zones d’échanges organisées » (ZEO). Maurice Allais estime que pour fonctionner efficacement, ces zones doivent réunir des pays ayant une culture commune, des niveaux de développement et de vie proches, des intérêts et des projets communs. L’Union Européenne constitue une amorce de ZOE. Il lui reste, pour être vraiment opérationnelle à préciser : ses frontières géographiques ; les compétences exactes de ses institutions, ce qui est du ressort des États membres et du ressort de l’Union, les rôles respectifs du Conseil des Ministres et des chefs de gouvernement, exécutif élu et responsable devant les citoyens et de la Commission faites de fonctionnaires nommés, qui ne sont pas le gouvernement de l’Union mais seulement l’organe d’exécution des décisions du Conseil, chargé aussi de faire des propositions. L’Union aurait aussi intérêt à harmoniser ses politiques sociales et fiscales et à organiser les solidarités économiques, sociales, techniques financières entre ses membres pour faire face, ensemble aux crises possibles. En Asie, en Afrique, en Amérique Latine des Associations de Nations existent déjà, transformables en ZEO. Ces zones pourraient établir entre elles des partenariats respectueux des diversités culturelles et sociales et des intérêts de chacun dans une attitude générale de coopération et non de conflits d’intérêts.

Lorsqu’il est question de maîtriser l’avenir, Maurice Allais nous dit : «  Ce combat doit être poursuivi en fonction d’un seul principe qui doit transcender tous les autres : l’économie doit être au service de l’Homme et non l’Homme au service de l’économie[18], Perroux ne disait pas autre chose quand il envisageait la finalité de l’activité économique. L’économie doit être au service « de Tout l’Homme et de tous les Hommes »[19].

On ne moralise pas le capitalisme, on le régule 

Quelle que soit l’inspiration philosophique des politiques réalistes à mettre en œuvre en Occident, le capitalisme financier triomphant depuis 1973 n’aurait pas beaucoup de chances de survie. La reprise en main de l’intérêt général par les États ôterait à l’argent l’essentiel de son pouvoir de domination et le profit ne serait plus la seule priorité. En effet, on ne moralise pas le capitalisme, l’appât du gain est trop fort, on le régule. Alors, les economies de marché occidentales n’auraient plus à craindre les concurrences sauvages, d’où qu’elles viennent. Les relations avec la Chine communiste pourraient évoluer vers « une coexistence pacifique » pour reprendre le titre de l’ouvrage de François Perroux, qui sera profitable à tous.

            Une économie dynamique fait vivre une démocratie dynamique et lui est indispensable. L’aspiration des peuples à une Société apaisée dans laquelle l’Homme, ses initiatives, ses responsabilités, ses besoins, ses espoirs, ses rêves de bonheur… seraient au cœur des préoccupations, dans un environnement respecté et sauvegardé, est à notre portée en ce début du XXIème siècle. Le G 20 ferait bien de s’en préoccuper. Encore faut-il en avoir conscience, le vouloir et en prendre les moyens.

 

Notes:

[1]  Economiste.

[2]  François Jullien, philosophe et sinologue, 2 et 3 décembre 2005, Le Monde, p. 21-27.

[3]   Ibid.

[4]  François Jullien, article cité.

[5]  Le Monde daté du 16 mars 2010.

[6]  Le Monde daté du 17 juin 2005.

[7]  Newsweek datédu 11 novembre 2007.

[8]  M. C. Bergere, historienne et Sinologue, Le Monde date du 23 février 2010.

[9]  Paul VI.

[10]  Le Monde de l’économie daté du 22 décembre 2009, p. 4.

[11]  Titre Le Monde date du 6 février 2010, p. 11.

[12]  Source : Center for American progress.

[13]  Editions Payot, Paris, 1936.

[14]  Maurice Allais, L’Europe en crise – Que faire ? –Pour une autre Europe, Ed. Clément Juglar, Paris, 200, 179 p., p.5 à 78. Ouvrage vivement recommandé.

[15]  Op. cit., p. 37.

[16]  Op. cit., p. 73.

[17]  Op. cit., p. 37.

[18]  Op. cit., p. 35.

[19]  François Perroux, L’économie du XXème sicècle, 3ème edition, PUG, Grenoble, 1991, p. 392 et p. 361 à 363.