Travailleurs migrants et xénophobie au Moyen-Orient

UNRISD

 

139-page-001L’Institut de Recherche des Nations Unies pour le Développement Social (UNRISD) a publié en 2006, dans le cadre de son programme Papers on Identities, Conflict and Cohesion, le rapport d’un sociologue libanais sur les travailleurs migrants dans les pays du Golfe arabo-persique*. Avec l’autorisation de l’UNRISD et de l’auteur, nous reproduisons ci-dessous le résumé en français.

 

L’étude de Ray Jureidini analyse l’évolution des migrations à destination des pays pétroliers et autres pays d’accueil du Moyen-Orient. Les emplois typiquement réservés aux migrants dans les pays d’accueil indiquent dans quelle mesure des secteurs professionnels ou des secteurs d’activité particuliers souffrent de “racialisation”. L’auteur étudie les causes des pratiques discriminatoires ou xénophobes des employeurs, de la société civile et de l’État, en dégage les caractéristiques communes avant de se pencher sur des cas particuliers. Il passe en revue les mécanismes officiels de recours et les aides apportées par des acteurs autres que l’État pour déterminer dans quelle mesure les problèmes locaux que rencontrent les migrants peuvent être résolus et le sont effectivement. Enfin, il propose des mesures politiques susceptibles d’améliorer les relations entre les migrants et la population locale, les employeurs, les agences de recrutement et les gouvernements des pays d’accueil.

Les travailleurs migrants ont commencé à arriver en masse au Moyen-Orient à la suite du boom pétrolier de 1973, qui a entraîné un énorme enrichissement pour les États du Golfe d’Arabie (les Émirats arabes unis, l’Oman, l’Arabie saoudite, le Qatar, le Koweït et le Bahreïn, membres du Conseil de coopération du Golfe ou CCG). Les États du Golfe avaient alors des plans de développement gigantesques, de quoi les financer mais une main-d’œuvre totalement insuffisante : les pays du CCG ne comptaient en tout que 1,36 millions d’actifs. Initialement, les travailleurs, manœuvres ou employés qualifiés, venaient d’autres pays arabes (c’étaient principalement des Égyptiens, des Yéménites, des Palestiniens, des Jordaniens, des Libanais et des Soudanais) et d’Asie (surtout du Pakistan et d’Inde). Entre 1975 et 1985, ils ont entraîné un quasi-doublement de la population de l’Arabie saoudite et du Koweït. Au début des années 80, le nombre des migrants recrutés en Asie du Sud-Est s’est mis à augmenter. Jusqu’à la fin des années 80, plus de la moitié des migrants d’Asie au Moyen-Orient provenaient de l’Asie du Sud-Est.


En 1985, les prix du pétrole ont connu une baisse rapide, les programmes d’équipement ont été fortement réduits dans les États du Golfe et l’immigration d’Asie a diminué de près d’un tiers. Ce repli a été atténué par la croissance de l’emploi dans le secteur tertiaire, qui a absorbé un grand nombre de travailleurs, en particulier des femmes venues de Sri Lanka, du Bangladesh, d’Indonésie et des Philippines. En même temps, le nombre des migrants d’autres Etats arabes a été réduit, pour des raisons autant politiques qu’économiques.

À la différence des pays d’émigration arabes, les gouvernements asiatiques ont activement encouragé la recherche d’emploi à l’étranger, dans laquelle ils voyaient à la fois un moyen de faire baisser le chômage ainsi qu’une source de revenus. Leur main-d’œuvre est devenue un important article d’exportation, générateur de recettes considérables. Par exemple, les fonds envoyés dans leur pays par les Sri-Lankais travaillant à l’étranger se sont élevés en 1999 à 1 milliard de dollars, ce qui représentait environ 20 pour cent des importations de biens étrangers de l’année précédente et dépassait le déficit commercial, qui était de 0,7 milliard de dollars.

Comme le nombre croissant de travailleurs étrangers “bon marché”, venus de pays d’Asie et d’Afrique, satisfaisaient à la demande de manœuvres dans les États du Golfe, les emplois que l’on trouvait sur les marchés secondaires du travail ont pris une couleur raciale. Autrement dit, les emplois sales, dangereux et difficiles furent assimilés aux travailleurs étrangers (d’Asie et d’Afrique), à tel point que les nationaux de ces pays les refusent, malgré les niveaux élevés de pauvreté et de chômage qu’ils connaissent.

L’étude traite en particulier des spécificités du contrat de travail temporaire délivré aux travailleurs étrangers dans les pays d’immigration du Moyen-Orient. L’auteur explique que les travailleurs étrangers temporaires ne sont pas “libres” officiellement, parce qu’ils ne peuvent pas accéder aux marchés locaux du travail dans leur pays d’accueil sans l’autorisation expresse de l’État. En d’autres termes, les employés temporaires sont d’ordinaire attachés légalement à un répondant / employeur jusqu’à l’expiration de leur contrat de travail, date à laquelle ils doivent soit obtenir le renouvellement de leur permis de travail soit quitter le pays. Ceux qui quittent leur employeur (ou s’évadent) tombent dans la clandestinité et risquent d’être arrêtés et expulsés. Des opérations “coups de poings” sont organisées régulièrement pour retrouver et expulser ces étrangers clandestins. Dans la plupart des pays, beaucoup continuent à vivre et à travailler dans la clandestinité mais on n’en connaît pas le nombre exact.

Dans les pays du Moyen-Orient, la préférence va typiquement aux travailleurs migrants qui bénéficient d’un contrat temporaire pour étrangers car ceux-ci ne peuvent pas espérer s’installer définitivement dans le pays ni en obtenir la nationalité. Dans la plupart des pays, ces travailleurs ne sont pas visés par le droit interne du travail et aucune des conventions des Nations Unies ou de l’Organisation internationale du Travail qui apportent une protection nationale ou internationale n’y est en vigueur ou n’a été ratifiée, surtout pour les travailleurs sans qualification. Cependant, malgré la nature temporaire de ces contrats de travail, les pays d’accueil gardent en permanence un réservoir de travailleurs migrants. Selon leur nombre, on voit souvent se former des communautés ethniques.

L’auteur s’attarde particulièrement sur les dimensions racistes du traitement des employés de maison d’origine asiatique venus au Moyen-Orient. Au Liban, les employées de maison asiatiques logées chez leurs employeurs vivent dans des conditions que l’on a assimilées à de l’esclavage. Les arrangements structurels, notamment l’usage de la violence, l’absence de liberté de mouvement et l’exploitation inhérente aux conditions d’emploi, ont abouti à des abus généralisés dans le cas de ces femmes, qui constituent un groupe particulièrement vulnérable. L’étude des employés de maison est intéressante car dans cette catégorie entrent la plupart des travailleurs étrangers du Sri-Lanka et des Philippines. De telles conditions et traitements peuvent se trouver dans d’autres pays du Moyen-Orient.

Toujours dans le cas du Liban, la présence de travailleurs syriens, qui, bien que sans papier pour la plupart, continuent de travailler librement à cause de la présence politique et militaire de la Syrie dans le pays, revêt en outre une dimension politique. Quant aux réfugiés palestiniens qui, depuis 1948, sont traités officiellement comme des étrangers, ils se sont vu interdire de facto l’accès de divers métiers et professions parce que : 1) la naturalisation et l’octroi de droits civils sont considérés comme contraires à la légitime revendication d’un droit de retour en Palestine et que 2) l’assimilation des Palestiniens entraînerait une arrivée massive de musulmans sunnites, ce qui perturberait le délicat “équilibre” démographique de la population.

La dimension xénophobe se présente sous trois aspects. Premièrement, elle est évidente dans la préférence donnée au contrat de travail temporaire qui exclut toute possibilité d’acquérir la nationalité du pays. Deuxièmement, les nationaux jouissent généralement d’un traitement préférentiel, bien que certains types de travaux subalternes soient “attribués” aux étrangers. Troisièmement, l’attitude de mépris adoptée envers ceux qui sont visiblement différents (les Asiatiques en particulier) est visible dans des lieux publics tels que les supermarchés, les aéroports et les administrations.

Si l’auteur fait diverses suggestions sur les mécanismes officiels de recours susceptibles d’atténuer ou d’éliminer ces formes de racisme et d’esclavage dans les pays du Moyen-Orient, on notera aussi que de telles réformes peuvent affecter le marché du travail et la demande de travailleurs étrangers. Si tel est le cas, il se peut que les gouvernements des pays d’envoi et des pays d’accueil ne se montrent pas franchement favorables à une réforme en profondeur.
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Note:

* Ray Jureidini Workers Migrants and Xenophobia in the Middle-East, UNRISD, Genève 2006.