Amérique latine : 2006 confirme le tournant à gauche

Michel Rogalski*

 

137-page-001« Un gouvernement est comme un violon, vous le tenez dans la main gauche et vous le jouez avec la main droite » Adage latino-américain

Depuis quelques années l’Amérique latine sort d’un rôle passif dans lequel les politiques d’ajustement structurel imposées par les institutions financières internationales l’avaient reléguée. Non seulement des équipes marquées à gauche, et fortement enracinées dans des luttes populaires, s’emparent, majoritairement, du pouvoir, l’exercent, sont confirmées dans leur mandat, résistent au froncement de sourcils du grand voisin du nord, et prétendent même s’en affranchir en s’organisant collectivement à travers des alliances régionales qu’elles entendent redynamiser. Diverse, cette nouvelle Amérique latine en effervescence inflige même un camouflet au président Bush en faisant échouer son projet d’un vaste ensemble continental, l’ALCA, sous direction américaine. Comment en est-on arrivé là ?

Des dictatures aux “démocratures”

Des vagues successives ont ponctué la vie politique du continent depuis plusieurs décennies. On se souvient des gorilles musclés des années 60-70, notamment des dictatures militaires féroces et répressives du Brésil, d’Argentine et du Chili avec leurs torturés et “disparus”. On sait maintenant comment des conseillers militaires français ont apporté à ces équipes leur savoir-faire acquis au cours des guerres coloniales. C’était aussi la période des guérillas et des résistances armées. Seules trois d’entre elles sont parvenues au pouvoir à travers ces formes de luttes : à Cuba où Fidel Castro renverse Batista qui avait transformé l’île en colonie américaine, au Nicaragua avec la victoire des sandinistes qui chassèrent l’équipe corrompue de Somoza, et au Salvador sous forme d’un compromis impliquant le partage des pouvoirs initié par Perez de Cuellar sous les auspices de l’ONU. Mais ce sont les échecs qui ont dominé ces luttes armées — guérillas urbaines et rurales — dans les années soixante : Venezuela, Bolivie, Pérou, Argentine, Uruguay, Brésil. Deux expériences restent atypiques. Par sa durée, la Colombie représente un record. Mais là, la protection de couches paysannes plus que l’objectif de la conquête du pouvoir central animaient dès le départ les guérillas qui ont trouvé les moyens d’entretenir près de quinze mille hommes en armes et de tenir ainsi l’armée puis les paramilitaires en échec. Les négociations, maintes fois rompues, ne portent que sur des objectifs périphériques attendus par la population — sort des prisonniers des deux camps, périmètres de souveraineté tolérés — mais ne permettent pas de penser une issue nationale au conflit. Le mouvement, plus récent, des zapatistes au Mexique, malgré sa prétention galactique, n’a pas véritablement de projet national et n’a jamais débordé les populations indigènes. Son rôle a été très effacé dans la dernière consultation électorale. Il lui a même été reproché d’avoir stérilisé les quelques milliers de voix qui ont manqué à la victoire du candidat de la gauche. Vers la fin des années soixante-dix, incapables de faire face aux problèmes sociaux et économiques montants, les juntes militaires discréditées durent passer la main, avec l’assentiment des États-Unis, à des équipes civiles. Compromis boiteux donnant naissance à des régimes hybrides — des “démocratures”, mélanges de dictature et de démocratie — où militaires tortionnaires et victimes durent apprendre à vivre ensemble à coup d’amnisties rétroactives symbolisant la fragilité des rapports de forces établis. L’Argentine et le Chili constituent des cas emblématiques de ces situations. Mais happés par la crise de la dette et le choc pétrolier ces équipes connurent des records d’impopularité, de corruption, d’instabilité politique et s’engagèrent dans les politiques d’ajustement structurel préconisées par le FMI et touchant de plein fouet les classes moyennes. Partout les inégalités et la marginalité sociale s’accrurent favorisant le développement du travail informel de survie et les violences urbaines. La ponction subie au titre du service de la dette représenta selon les pays et les années de 2 à 7 % du PIB. Pour la plupart, ces pays optèrent en faveur de politiques d’attractivité les mettant en concurrence et consistant à attirer un maximum de capitaux étrangers en menant des politiques de moins-disant social et fiscal. Dans le même temps, les fuites de capitaux, les exils dorés en Floride et les consommations ostentatoires des riches se multiplièrent, permettant à ces derniers de vivre du continent plutôt que de le développer. La protestation populaire s’amplifia et porta un besoin urgent de changement.

Un héritage commun et désastreux

C’est dans ces conditions que Chávez au Venezuela (1999, 2001 et 2006), Lula au Brésil (2002 et 2006), Nestor Kirchner en Argentine (2003), Tabaré Vásquez en Uruguay (2004), Evo Morales en Bolivie (2005), Michelle Bachelet au Chili (2006), René Préval en Haïti (2006), Oscar Arias au Costa Rica (2006), Daniel Ortega au Nicaragua (2006) et Rafael Correa en Équateur (2006) conquirent le pouvoir majoritairement à travers des élections. Toutes ces expériences s’inscrivent dans des trajectoires singulières profondément ancrées dans l’histoire de chaque pays. Elles traduisent néanmoins partout l’épuisement des politiques néolibérales et l’impact de leurs dégâts. Elles sont portées par des mouvements sociaux très divers, variés dans leur composition et leur mode d’action : grèves syndicales, mouvements paysans, coupeurs de routes (“piqueteros”), associations de quartiers, marches des Indiens. Les apports idéologiques sont multiples et s’inspirent de la théologie de la libération, du marxisme, de l’indigénisme, du féminisme, de l’écologie, du nationalisme.

De cette tourmente électorale, qui a affectée le continent, les équipes très marquées à droite n’ont conservé le pouvoir qu’en Colombie, au Salvador et, d‘extrême justesse, au Mexique. Au total l’équilibre politique de la région s’en trouve modifié.

Des traits communs marquent tous ces pays. Au-delà des désillusions démocratiques largement partagées, ces expériences héritent toutes d’une situation catastrophique. Quand la gauche accède au pouvoir, elle doit reconquérir des marges de souveraineté économique perdues et donc établir un type de relations internationales nouveau qui rende ces pays moins dépendants. Elle doit aussi faire face à une importante population pauvre et donc à une forte attente populaire en direction de laquelle des signaux clairs doivent être émis. Il faut d’urgence soulager la misère des couches marginalisées — parfois jusqu’à 40 % de la population — tout en étant attentif à l’appauvrissement des classes moyennes malmenées et qui, ayant sanctionné les équipes précédentes, attendent beaucoup de ces nouvelles expériences. L’ampleur de la tâche est immense car cela fait depuis vingt ans que le modèle des transitions démocratiques s’épuise lentement et laisse des pays exsangues. Tout est à construire : système de santé, travaux d’infrastructures, contrôle des ressources nationales des hydrocarbures à l’eau, lancement de réformes agraires, augmentation de l’autonomie alimentaire, alphabétisation des adultes, scolarisation les jeunes.

Un arc en ciel de gauches

L’expérience la plus décevante est celle du Brésil, malgré les programmes d’aide aux familles pauvres ou le relèvement du salaire minimum. Cela ne compense pas l’ajustement des dépenses publiques pour rembourser la dette ou les hauts taux d’intérêt pour combattre l’inflation — ou attirer les capitaux ? — ni surtout les scandales à répétition pour corruption qui ont touché l’entourage de Lula, même si celui-ci conserve encore une indéniable popularité, comme l’a montré sa récente réélection. L’expérience a d’autant plus déçu qu’elle a été présentée comme un laboratoire de gauche en recomposition sachant allier marxistes, chrétiens, syndicalistes et accueillir les Forums sociaux mondiaux à Porto Alegre. Malgré tout cela, mais surtout grâce à des programmes sociaux ciblant les plus pauvres et la crainte du retour d’une droite revancharde, Lula a été réélu très confortablement et se trouve à la tête d’une nouvelle légitimité. Mais, bien loin d’avoir conquis tous les pouvoirs, il devra composer autant, sinon plus, que dans son précédent mandat, avec les représentants de la finance et de l’oligarchie. Le débat reste ouvert sur la caractérisation de son premier mandat : continuité ou rupture ? Évalué à l’aune de son programme de « sortie du libéralisme » porté par le projet du Parti de Travailleurs, on reste assurément dans la continuité, même si la revalorisation tardive du salaire minimum a été réalisée, et doit se poursuivre en 2007. Au Chili, succédant à Ricardo Lagos, Michelle Bachelet, issue de la coalition centre gauche qui gouverne le pays depuis 2000 a certes rompu avec la dictature de Pinochet (1973-1990) au niveau des libertés publiques mais n’a pas pris à bras le corps la question des inégalités sociales. Son élection relève plus d’une symbolique tenant à son équation personnelle qu’à une volonté de profondes réformes sociales. Mais dans un pays qui a été le laboratoire de la répression et de gestion néolibérale, et dont la société reste profondément clivée comme les obsèques de Pinochet l’ont montré, la poursuite d’une expérience de centre-gauche est profondément emblématique pour le continent. En Bolivie, le leader des cocaleros, Evo Morales, récemment élu, porte les espoirs des populations indigènes les plus marginalisées, propose un programme radical de récupération des richesses nationales et d’aide aux pauvres et n’hésite pas à se rapprocher de Fidel Castro et d’Hugo Chávez au risque de mécontenter d’emblée les États-Unis et les multinationales. Dans un pays réputé difficile à gérer, pauvre, vulnérable et profondément divisé, le nouveau pouvoir aura à faire face à beaucoup d’embûches, celles que ne peuvent manquer de susciter la “révolution” que représente l’arrivée au pouvoir d’un syndicaliste indien dans un pays dominé par une bourgeoisie blanche depuis des décennies. Contre toute attente, Evo Morales a déjà réussi à faire plier les firmes multinationales des hydrocarbures et les obliger à renégocier les conditions de leur présence en Bolivie. Mais incontestablement l’avancée la plus spectaculaire en Amérique latine s’incarne aujourd’hui dans l’expérience vénézuélienne où Hugo Chávez trace méthodiquement son sillon en surmontant les embûches — coup d’État avorté, grèves insurrectionnelles, référendum révoca­toire — que les partis de l’ancien pouvoir associés à la hiérarchie religieuse, aux groupes de presse, au patronat, ont accumulé depuis 1999. Les réformes institutionnelles ont été menées à bien, confortées par une légitimité politique reconnue. Mais l’instabilité de la situation tient au fait que les anciennes classes dirigeantes possèdent encore l’essentiel des leviers économiques et financiers et croient qu’il leur est toujours naturel de diriger le pays. Elles ne se sont pas résignées à la perte de leur pouvoir politique. Mais leur faiblesse structurelle est telle — pas de leader, pas de programme et grande division — qu’elles ont échoué à la présidentielle en décembre. D’où le penchant de certaines de leurs composantes à appeler à sortir de la légalité. Le président Chávez, élu sur un programme flou — le bolivarisme — commence à mettre en œuvre des mesures populaires en matière de santé, d’éducation, d’aide aux pauvres, d’utilisation des revenus pétroliers. Il a réussi à réinsérer dans la vie citoyenne plusieurs millions de pauvres qui étaient depuis des décennies écartés de fait de la vie politique. Il fait ouvertement référence à un « socialisme du XXI° siècle », bannière sous laquelle il a conduit sa réélection confortablement (61 % des voix) malgré des oppositions coalisées pour la circonstance et tisse des liens étroits de coopération avec Cuba. Mais le régime peine à construire un grand parti de masse qui permettrait de débattre des options dans tout le pays, au lieu que cela reste encore l’apanage de quelques mains. Il ne semble pas encore avoir pu rompre de façon convaincante avec la corruption qui mine depuis des décennies le pays, ni pris conscience de l’importance des besoins existants en matière de logements, question essentielle dans un pays urbanisé à plus de 90 %. L’atout principal de l’expérience en cours repose sur les performances économiques réalisées — taux de croissance et réserves de change élevées, inflation presque maîtrisée — qui lui confèrent une marge d’autonomie. Mais celle-ci reste tributaire pour l’essentiel des exportations pétrolières dirigées à 80 % vers les États-Unis. En huit années l’expérience d’Hugo Chávez s’est imposée comme une référence en Amérique latine à plusieurs titres : une volonté de maîtrise des ressources nationales et de résistance à l’hégémonie nord-américaine et une extension de la démocratie et de la participation populaire. Au moment où de graves ennuis de santé écartent Fidel Castro du pouvoir et ferment un cycle, la figure de Chávez semble relayer cette image dans l’opinion publique latino-américaine. Les références au « socialisme du XXI° siècle » ne doivent pas cacher que les classes possédantes du pays conservent pour l’essentiel la totalité de leur assise économique et financière et de leurs liens avec les États-Unis et n’ont en face d’elles qu’un pouvoir légal, légitime et populaire visant à mettre en œuvre ses projets de réformes à l’abri d’une armée loyaliste. L’affrontement social y est donc très vif ainsi que l’attestent les mobilisations de rues toujours fortes — quel que soit le camp qui les inspire — de 500 000 à un million de personnes.

Des processus d’intégration en concurrence

Malgré ces avancées multiples, l’hégémonie nord-américaine reste déterminante sur tout le sous-continent, même si la tentative impulsée par les États-Unis depuis plus de dix années de formation d’un vaste ensemble continental — l’ALCA — a finalement échoué et se heurte à la volonté de nombre pays de renforcer l’alliance régionale du MERCOSUR (Mercado Común del Sur, créé en 1991) activement animée par le Brésil et récemment rejointe par le Venezuela (mais sans droit de vote) et ayant signé des accords d’association avec la plupart des pays andins. La question des regroupements régionaux est d’une grande importance en Amérique latine et représente un bon thermomètre des relations avec les États-Unis d’une part, et des relations de bon voisinage entre les pays du continent d’autre part. Deux projets se heurtent. D’un côté, une volonté d’intégration continentale sous domination américaine (ALCA) visant à étendre l’ALENA (Canada, États-Unis, Mexique) jusqu’à la Terre de feu, et de l’autre, des projets multiples de regroupement régionaux. Le poids du Brésil (presque 50 % du PIB continental) est décisif dans l’équilibre car il peut jouer le rôle du relais états-unien doublé de gendarme régional, moyennant quelques avantages, ou prendre la tête d’une résistance continentale. La dernière période a été marquée par l’échec du projet continental américain, la multiplication, à défaut, de traités bilatéraux de libre-échange avec les États-Unis, la réactivation du MERCOSUR, et l’apparition d’un autre projet à vocation continentale et à dimension plus politique, l’ALBA regroupant Cuba, le Venezuela et la Bolivie. Certains pays se rattachent à plusieurs projets à la fois. Le modèle de la construction européenne, parfois évoqué, ne correspond pas aux caractéristiques de ces rassemblements car le continent est dépourvu d’infrastructures continentales et n’ambitionne pas de mettre sur pied un système de gouvernance aussi supra-national que celui réalisé en Europe.

Un contexte de croissance économique qui tranche avec la décennie précédente

L’Amérique latine semble sortie de ses crises économiques et financières qui se sont succédées au cours de ces vingt dernières années et a renoué avec la croissance avec des taux qui sans être asiatiques sont au double de ceux de l’Europe. Croissance tirée par les excellentes performances du Venezuela et de l’Argentine mais qui n’a pas réussi à réduire les inégalités sociales de revenus malgré l’importance croissante des revenus transférés par les migrants — les remisas — comme le signale un rapport de la CEPAL sur la pauvreté. Depuis trois ans, le taux de croissance du continent oscille autour des 5 % par an et redonne aux pays de la région des marges de libertés qui se traduisent par des balances commerciales excédentaires entraînant la reconstitution de réserves de change, une appréciation des taux de change réels, des recettes budgétaires accrues, une baisse de l’endettement public, l’anticipation du remboursement de la dette extérieure, une progression du PIB par habitant. L’ensemble de cette évolution a été favorisée par les prix élevés des matières premières agricoles et minières exportées par le continent et une forte demande émanant des pays asiatiques, eux-mêmes en forte croissance. Les “notations” des organismes évaluant le risque-pays ont été révisées à la hausse donnant crédit à ces évolutions. Ce nouveau contexte économique a permis de sortir des postures de l’attractivité de la décennie précédente qui consistaient à une mise en concurrence vers le bas entre pays du continent afin d’attirer les capitaux nécessaires aux bouclages des circuits macro-économiques. Bref, le rapport aux firmes multinationales et aux institutions financières internationales s’est profondément modifié et explique les attitudes de souveraineté maîtrisées que l’on constate dans différents pays et qui se traduisent par des revendications sur les ressources naturelles et le réexamen des accords passés avec les firmes étrangères associées à leur exploitation. On assiste à des re-nationalisations de secteurs-clés de l’économie (énergie, télécommunications, servi­ces d’accès à l’eau potable) et à un refus de plus en plus partagé de la croissance dans l’inégalité, au retour d’un discours sur l’autonomie latino-américaine qui ne sont pas sans rappeler les thématiques portées dans les années soixante-dix par le Mouvement des Non-Alignés.

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Ces évolutions se font sous le regard attentif des États-Unis dont l’intérêt pour la région reste maintenu malgré leur “fixation” moyen-orientale. Depuis les années soixante, ils ont adopté trois postures successives vis-à-vis de l’Amérique latine : l’anticommunisme et l’idéologie de la “sécurité nationale”, la lutte contre le narco-trafic puis contre le terrorisme. La première a justifié leur engagement aux côtés de la plupart des dictatures, leur volonté d’isoler Cuba et d’en renverser le régime et leur intervention dans les stratégies anti-guérillas. L’Alliance pour le Progrès des années soixante et soixante-dix en fut le volet présentable. La lutte contre la drogue se traduisit par la mise en place du Plan Colombie dont l’essentiel des financements est destiné au renforcement du potentiel militaire des pays qui y participent. Quant à l’action contre le terrorisme, initiée après le 11 septembre 2001, elle n’a manifestement pas porté ses fruits si l’on en juge par le refus de cinq grands pays du continent (Argentine, Brésil, Chili, Mexique, Venezuela) d’approuver l’intervention en Irak. La présence à l’époque du Chili et de l’Argentine au Conseil de sécurité ayant dû contribuer à faire renoncer les États-Unis à faire valider par cette instance leur projet d’intervention qui se fit ainsi sans l’aval des Nations Unies. Les États-Unis restent sous la hantise de deux types d’évolutions. L’État failli, comme la Colombie, qui se transformerait en bourbier en cas de franche intervention et dont un putsch ne résoudrait rien. Et les mauvais exemples cubains et vénézuélien qui représentent, pour eux, le second cauchemar. Mais une chose est sûre, les États-Unis ne peuvent plus aussi facilement qu’auparavant traiter l’Amérique latine comme une arrière-cour. Les mécanismes de domination et de prédation perdurent toujours, mais font l’objet de contestations de plus en plus fortes. Les orientations des politiques menées par les gouvernements latino-américains échappent souvent aux classifications européennes en termes de gauche-droite, ou gauche de gestion versus gauche de combat. Il serait vain de chercher à y voir, comme dans un miroir, le reflet de nos turpitudes européennes. Elles doivent être appréciées à l’aune de quatre critères essentiels : l’allégeance ou la souveraineté face aux États-Unis, la prise en compte des problèmes sociaux et notamment de l’attitude menée face à la pauvreté et aux inégalités, la volonté de construire les bases matérielles et financières d’une croissance nécessaire au développement, enfin le mode de gouvernance qui renvoie tout à la fois à la pratique de la démocratie, le respect des libertés publiques, la transparence, le degré de corruption. Succédant à des régimes dictatoriaux ou à des équipes déconsidérées, ces nouvelles expériences ont la lourde tâche de consolider la démocratie, faire face aux inégalités criantes et au désarroi des classes moyennes dans un contexte de large ouverture économique, d’une très forte violence sociale et d’un grignotage des sociétés par les activités informelles. C’est bien une nouvelle Amérique latine qui émerge dans les années 2000.

Note:

* EHESS / CNRS.