Osman Aden Hared*
Samatar Ahmed Ali**
Djibouti est une république d’Afrique orientale située à l’entrée de la Mer Rouge, appartenant à la Corne de l’Afrique et limitée à l’est par le golfe d’Aden, au sud-est par la Somalie, au sud et à l’ouest par l’Éthiopie et au nord par l’Érythrée. Le pays possède une façade maritime longue de 370 km, qui donne sur la mer Rouge et le golfe d’Aden, sa superficie ne dépasse pas 23 200 km2 et sa capitale est la ville de Djibouti. C’est un territoire aride, la région offre surtout un intérêt stratégique par sa situation à l’entrée de la mer Rouge. La République de Djibouti est divisée en cinq circonscriptions administratives appelées districts, créés dans le cadre de la politique de décentralisation du gouvernement : Djibouti, Ali-Sabieh, Dikhil, Tadjoura et Obock. On constate que les districts sont de taille très inégale. Les districts formant la région Afar (Dikhil, Tadjourah et Obock), avec plus de 87 % de la superficie totale du pays, forment l’essentiel du territoire de la République de Djibouti. Á eux seuls, les districts d’Obock et de Tadjourah en représentent plus de 60 % du pays. Le district de Djibouti (la capitale) ne compte que pour 2,5 % de la superficie du pays et concentre 83,6 % de la population totale. La raison à cette extrême concentration urbaine se trouve dans la concentration, dans la capitale, des infrastructures économiques, sanitaires… C’est une décentralisation inscrite sur du papier mais que la réalité infirme.
Le pays compte deux grandes ethnies principales : les Afars et les Issas. Une autre ethnie, les Somalis, fait partie intégrante de la société et se divise en deux clans distincts : les Gadaboursis et les Issaqs. Le pays compte aussi des Arabes et un faible pourcentage d’européens (2,3 %), presque tous Français. Plus de la moitié de la population est concentrée dans la capitale où se côtoient également Européens, Arabes, Éthiopiens et des ressortissants de divers pays d’Asie.
Pour ce qui a trait aux langues, les ethnies djiboutiennes parlent des langues du même groupe (famille chamito-sémitique) et professent la même religion musulmane. Les Afars parlent l’afar ; les Issas, Gadaboursis et les Issaqs parlent le somali. Les Arabes parlent l’arabe littéraire. Bien que les langues officielles soient le français et l’arabe, le français est réservé aux communications formelles ou officielles. Le somali et l’afar demeurent les véritables langues véhiculaires dans tout le pays, alors que l’arabe est la seconde langue. Personne ne parle l’arabe officiel au sein de la population, mais c’est la langue du Coran et d’une partie de l’enseignement secondaire. Près de 98 % de la population est composée de musulmans sunnites. Le christianisme n’est pratiqué que par les communautés européennes.
Les côtes djiboutiennes furent fréquentées dès le 2ème millénaire par les commerçants arabes attirés par l’emplacement géographique du pays. Au carrefour de l’Afrique, du Proche-Orient et de l’océan Indien, Djibouti devint un important comptoir d’échanges entre les Arabes et l’Afrique au cours du Moyen-Âge que ce soit pour le trafic d’esclaves ou le commerce d’aromates qui arrivaient du Proche-Orient. Les Britanniques furent les premiers européens à avoir eu une politique expansionniste dans la région de la mer Rouge. Ils s’installèrent à Aden (Yémen du Sud). C’est aussi la situation géographique de Djibouti qui suscita l’intérêt des commerçants français. Dès 1839 des explorateurs français parcoururent la région. Souhaitant contrebalancer la présence anglaise à Aden au Yémen, la France établit en 1862, par un traité avec les sultans afars, une colonie à Obock. En réalité il s’agissait d’une concession commerciale accordée par le sultan à la France pour quelque 50 000 francs de l’époque.
En 1883, Léonce Lagarde fut nommé commissaire du gouvernement français à Obock. Il décida d’abandonner Obock sur la rive nord du golfe de Tadjourah pour la rive sud et de transporter à Djibouti le siége de l’administration coloniale. Nommé en 1884 gouverneur de Djibouti, Lagarde fit progressivement de la ville de Djibouti un port, où s’implantèrent des Somalis et des Arabes. C’est à cette époque qu’Arthur Rimbaud, installé à Tadjourah, commerçait avec Ménélik, l’empereur d’Éthiopie.
Le décret du 20 mai 1896 devient l’acte de naissance officiel de la Côte française des Somalis et dépendances. En 1946, la colonie devint un Territoire d’outre-mer (TOM). Au référendum constitutionnel de 1958, le maintien du statut de TOM l’emporta. Un nouveau statut du territoire fut préparé à Paris et adopté en décembre 1966 par le parlement. En mars 1967, les électeurs djiboutiens se prononcèrent par référendum, dans une proportion de 58,3 % pour le maintien de Djibouti au sein de la République française. En juillet 1967, le territoire de Djibouti pris le nom de Territoire français des Afars et des Issas. Après le référendum sur le nouveau statut de Djibouti, les Afars s’emparèrent des principaux postes administratifs du pays. Puis les mouvements indépendantistes se multiplièrent. En 1975, la Somalie revendiqua la ville de Djibouti et les territoires habités par les Somalis, accélérant ainsi le processus d’indépendance. Un nouveau référendum, tenu le 8 mai 1977, donna une majorité en faveur de l’indépendance (98,8 %). Le 27 juin 1977, le nouvel État accéda à l’indépendance sous le nom de République de Djibouti
La situation géostratégique de Djibouti
Djibouti est devenu un maillon important du dispositif de lutte contre le terrorisme. Sa position géostratégique privilégiée, au cœur de la Corne de l’Afrique, en face de la Péninsule Arabique, en fait un des endroits les plus convoités par les armées occidentales. Aux 2 800 soldats des Forces françaises de Djibouti, présents depuis des décennies sur le territoire, sont venus s’ajouter, depuis les attentats du 11 septembre 2001, des militaires de plusieurs armées européennes et des contingents des Forces spéciales américaines. Les autorités ont su tirer profit du regain d’intérêt des grandes puissances pour Djibouti avec les substantiels bénéfices financiers inhérents. C’est, avec le port, l’autre pilier de l’économie djiboutienne.
Au carrefour des trois continents
Petit État de l’Afrique de l’Est au carrefour de l’un des routes maritimes les plus fréquentées du monde, Djibouti jouit d’une situation géographique exceptionnelle. Depuis l’indépendance, le 27 juin 1977, les autorités du pays se sont employées à développer et moderniser les infrastructures et équipements afin de tirer profit de la position géographique. Ainsi Djibouti a su saisir cette opportunité et développer les trafics de transit et de transbordement pour la sous-région. L’économie de cette jeune République est basée sur plusieurs services et activités commerciales associées à la position stratégique de son port situé à l’intersection de la Mer Rouge et du Golfe d’Aden, principal axe commercial du transport maritime mondial entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique. En effet, le port de Djibouti, fleuron du secteur des transports avec un terminal à conteneurs performant, un port sec (Dry Port) et une zone franche commerciale opérationnelle depuis le 11 juin 2004, font de la ville de Djibouti le hub idéal de redistribution (port d’éclatement). Le port de Djibouti se tourne aujourd’hui vers un avenir prometteur en s’associant avec Dubaï l’un des meilleurs gestionnaires portuaires du monde.
L’efficacité du port de Djibouti
Aujourd’hui, les ports deviennent progressivement des centres de la dynamique mondiale, articulés à plusieurs pays à la fois par les jeux des investissements directs, des alliances, ou des activités d’assistance technique. Les ports sont des éléments actifs dans l’organisation du réseau de transport international.
En Afrique, les ports sont des éléments extrêmement importants dans les économies nationales. Ils jouent un rôle crucial dans le processus d’intégration du continent africain dans le marché mondial, puisque 90 % des échanges internationaux de l’Afrique se font par voie maritime (CNUCED, 2003).
Grâce à sa position géographique stratégique, au point de rencontre des trois continents et à proximité de l’une des routes maritimes les plus fréquentées du monde, le port de Djibouti est le noyau des échanges commerciaux dans cette partie du monde. L’évolution du trafic a connu une progression impressionnante de plus de 25 % entre 1999 et 2004. Suite au conflit avec l’Érythrée, les dirigeants éthiopiens ont décidé de transférer la totalité du trafic vers le port de Djibouti, débouché maritime de l’Éthiopie. D’autre part, le port de Djibouti offre également l’avantage d’être le seul port relié à l’Éthiopie par le rail et la route et peut donc aussi assurer un transfert de marchandises efficace et sécurisé. Bien qu’il soit concurrencé depuis 1997 par le port de Salalah (Oman) et le port d’Aden (Yémen), Djibouti possède des atouts non négligeables : il se situe sur le principal axe commercial du transport maritime mondial entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique ; il a un hinterland naturel important (Éthiopie, Ouganda, Burundi, Rwanda…) et un accès aux marchés de la région.
Partenariat stratégique avec Dubaï Internationals
La République de Djibouti, dont l’économie repose en grande partie sur ses activités portuaires, ne pouvait rester indifférent face aux ports concurrents dans la sous-région. Ces nouveaux ports ont la particularité d’être financés et gérés par des capitaux privés. Le terminal à conteneur d’Aden était géré par le port de Singapour jusqu’en décembre 2003 (un appel d’offre a été lancé depuis pour sélectionner un nouveau gestionnaire) et le port de Salalah est géré par Maersk Sealand (capitaux danois) depuis décembre 1997.
Ces grands opérateurs actifs sur le plan international visent deux marchés : les pays à fort potentiel de croissance (notamment les économies émergentes) et les pays qui sont dans une phase de déréglementation ou de privatisation de leur industrie portuaire. Dans une politique de privatisation et de concession, les autorités djiboutiennes ont trouvé le partenaire stratégique idéal pour Djibouti : Dubaï. C’est le 1er juin 2000 que fut signé le contrat de concession entre le port de Djibouti et Dubaï Internationals pour une période de 20 ans. Ce fut ensuite à l’aéroport de Djibouti de signer un contrat de gestion avec Dubaï le 15 juin 2002. Le 3ème volet de ce partenariat avec Dubaï fut la signature du contrat de gestion de la zone franche le 11 juin 2003. Ce partenariat donne maintenant satisfaction et permet de mettre en valeur la principale richesse de Djibouti : son port et sa position géostratégique.
Dubaï Ports (qui se compose de Dubaï Ports International et de Dubaï Ports Authority) possède, opère et gère 17 ports et terminaux à conteneurs dans 13 pays sur les 5 continents. Sa dernière acquisition, les terminaux internationaux de la compagnie CSX World Terminal, le place au 6ème rang des plus grands opérateurs de ports et terminaux à conteneurs.
La monnaie et le système monétaire djiboutien
Le Franc Djibouti a été créé par l’administration coloniale de l’époque qui voulait doter le territoire de la Côte française des Somalis d’une monnaie locale propre à favoriser le développement économique. Avec comme ambition de favoriser l’émergence locale d’une place financière stable qui pourrait faire pendant aux intérêts économiques britanniques de l’époque, solidement ancrés dans la région, le Franc Djibouti voit le jour le 20 mars 1949.
Afin de contrebalancer l’influence de la Livre Sterling, sa parité est déterminée de manière fixe par rapport au dollar des États-Unis, qui devient alors sa devise étalon. Pour garantir la pérennité de cet alignement et offrir aux opérateurs économiques des conditions de stabilité propres à fixer sur la place, l’émission est gagée par un dépôt en dollars des États-Unis sur la base de :
1 US$ = 214,392 Fdj = 888,67 mg d’or fin.
Depuis, le Franc Djibouti a connu un destin linéaire. Les perturbations des marchés financiers de 1971 et 1973 restent sans effet sur le Franc Djibouti qui sera réévalué à deux reprises par rapport au dollar des États-Unis, dont la parité devient le 13 février 1973 : 1 US$ = 177,721 Fdj.
À l’accession du territoire à l’indépendance, le nouveau gouvernement djiboutien a souhaité ne pas modifier une situation et un système monétaire qui avaient déjà fait leurs preuves.
Conclusion : une économie prometteuse, non dénuée d’inégalités
La république de Djibouti se situe au cœur d’un marché de plus de 350 millions d’habitants regroupant les pays de la COMESA [1] et ceux de la péninsule Arabique. Malgré un marché local étroit, Djibouti commence à récolter les fruits de son émergence économique. En termes de revenu annuel par habitant (886 dollars), le pays fait mieux que la moyenne de l’Afrique subsaharienne (633 dollars) et deux fois et demie plus que le niveau atteint par le Ghana (369 dollars).
Dans un autre registre, la Banque mondiale presse les autorités de rattraper les retards pris dans les domaines sociaux, éducation des enfants, alphabétisation des adultes, mortalité maternelle et infantile, accès à l’eau et aux soins médicaux… Pour améliorer cette situation, les autorités djiboutiennes ont mis les bouchées doubles. Avec pour objectif de s’intégrer au commerce international et de transformer leur micro-État en zone franche industrielle et commerciale, une sorte de Dubaï de l’Afrique de l’Est. Avec le soutien de Dubaï, le pays a lancé l’un des plus gros projets d’infrastructures jamais réalisés en Afrique de l’Est. D’un coût global de 350 millions de dollars, le projet de construction du complexe portuaire de Doraleh, qui comprend un terminal pétrolier (en cours de construction) va transformer la physionomie de ce petit pays. L’addition des investissements en cours ou envisagés avoisine le montant annuel du Produit intérieur brut (600 millions de dollars) et on peut en espérer des retombées pour l’ensemble de la population.
Repères
Superficie du pays 23 200 km2
Population 779 100 habitants (2003)
Taux de croissance démographique : 4 % (moyenne annuelle 1975-2003), 1,8 % (2003)
Économie :
Produit intérieur brut (PIB) 708 millions $ courants (2003)
Taux croissance du PIB 3 % (2003)
PIB par habitant 886 $ courants (2003)
Taux croissance annuelle PIB/hab. : – 3,3 % (1990-2003)
Investissements Directs Étrangers 12,7 millions de $ (2003) 1,8 % du PIB
Aide publique au développement (APD) 77,8 millions $ (2003) 12,5 % du PIB
Service de la dette extérieure 17,7 millions $ (2003) 2,5 % du PIB
Indicateurs sociaux :
Espérance de vie à la naissance 52,8 ans (2003)
Indice de fécondité 5,1 (moy. 2000-2005)
Mortalité infantile 97 ‰ (2003)
Nombre de médecins par 100 000 habitants 13 (moyenne 1990-2004)
Population ayant accès à une eau de haute qualité 80 %
Alphabétisation des adultes 65,5 % (2003)
Scolarisation primaire 36% (moyenne 2002-2003, estimation UNESCO)
Indicateur de développement humain 0,495 (2003) ; classement : 150° sur 177 pays (catég. faible)
Source : Rapport mondial sur le développement humain, Programme des Nations Unies por le développement humain, Economica, Paris, 2005.
Notes:
[1] Le COMESA est un groupement d’intégration régionale composé de 20 pays africains qui ont convenu de promouvoir l’intégration régionale par le développement du commerce et de mettre en valeur leurs ressources naturelles et humaines. Les États membres du COMESA sont l’Angola, Burundi, Comores, RD Congo, Djibouti, Égypte, Érythrée, Éthiopie, Kenya, Madagascar, Malawi, Maurice, Namibie, Rwanda, Seychelles, Soudan, Swaziland, Ouganda, Zambie et Zimbabwe. (Voir « Coopération Sud – Sud en Afrique en vue de promouvoir le commerce intra-africain », Mahamat Abdoulahi, Informations et Commentaires, n° 131, avril – juin 2005 [ndlr]).
* et ** Master 1 EISA, séminaire : Décision et jeux des acteurs, Université Pierre Mendès France, Grenoble 2.