Claudia Jardim*
Le Président du Venezuela, Hugo Chavez, a ordonné au Commandement Unifié des Forces Armées (CUFAN) d’élaborer en deux semaines une carte des latifundia du pays pour faire avancer la réforme agraire et garantir la production alimentaire du pays. Dans ce pays, quatrième plus grand exportateur mondial de pétrole, plus de 70 % des aliments achetés par la population sont importés.
« L’heure est venue de démocratiser la terre au Venezuela », a indiqué le Président vénézuélien au cours du programme dominical Allô Président, le 29 août, précisant qu’il est enfin temps que la terre revienne aux paysans et serve à ce que le peuple travaille et produise.
Pour Chavez, dont le mandat a été ratifié par le plébiscite du 15 août, son gouvernement n’a accompli jusqu’alors que superficiellement ce qui était prescrit dans la Constitution. Selon lui, l’application de la Loi des Terres est une des mesures destinées à approfondir la « Révolution bolivarienne ».
« Durant cette nouvelle étape de la révolution, j’exige l’application stricte de la Constitution et de la Loi des Terres dans les campagnes du Venezuela » a déclaré le Président vénézuélien qui a inclus les grands propriétaires dans son appel au dialogue.
Adoptée en 2001, la Loi des Terres — une des causes de la colère de l’opposition — définit comme latifundium une propriété rurale de plus de 5 000 hectares. Le propriétaire qui n’utilise pas la terre pour la production peut être pénalisé par le paiement d’une amende variable selon le nombre d’hectares improductifs. Si, même ainsi, la propriété demeure improductive, un processus d’expropriation est déclenché dans lequel l’État doit payer pour l’acquisition de la terre.
En cinq ans, le gouvernement a établi près de 130 000 familles sur plus de deux millions d’hectares. Les chiffres, cependant, ne garantissent pas le changement des conditions de vie de ces familles. Nombre d’entre elles n’ont toujours pas accès au crédit agricole pour développer la production ou ne disposent pas d’infrastructures de base comme des écoles et des hôpitaux.
Pour Franco Manrique, du Comité des Terres Urbaines, qui s’oppose au paiement des terres expropriées, l’initiative du gouvernement est la bienvenue à condition qu’il veille à ce que le modèle de production des grands propriétaires ne soit pas reconduit : « Eliminer le latifundium ne signifie pas en finir avec le modèle latifundiste de production. Le gouvernement doit entraver les relations capitalistes et l’usage de nos terres par les transnationales », souligne Manrique. Selon lui, il faut renforcer l’organisation des mouvements paysans pour que, par l’accès au crédit agricole, ils puissent former des coopératives et garantir la diversité des aliments nécessaires à la population. « Jusqu’à maintenant, une grande partie du crédit agricole reste entre les mains des grands producteurs qui n’ont pas la capacité de nourrir la population », critique-t-il, en se référant à la production à grande échelle d’aliments peu variés. Parmi les grands producteurs vénézuéliens, on compte le groupe Polar, au premier rang parmi les entreprises spécialisées dans l’alimentation et les boissons et principale entreprise qui a soutenu le sabotage industriel de décembre 2002 en vue de promouvoir pendant deux mois le désapprovisionnement de la population.
Pour tenter de garantir l’approvisionnement des Vénézuéliens, Chavez a annoncé la création d’un Ministère de l’Alimentation qui, toutefois, servira tout juste à accroître la vente des aliments — importés pour la plupart — à un coût faible pour la population.
Un guêpier qui ne date pas d’hier
Immédiatement après l’annonce du Président, dans l’opposition, la Coordination Démocratique (CD) a répliqué à cette initiative par un communiqué de presse. Pour l’opposition, les déclarations du gouvernement stimulent les « invasions et les attentats contre la propriété… Au lieu de protéger les producteurs, elle protège les brigands », dit le communiqué. Pour la CD, l’application de la loi risque d’augmenter la violence à la campagne, spécialement dans les régions à la frontière de la Colombie. Elle estime que la négligence des autorités laisse le champ libre à la guérilla qui enlève les agriculteurs et considère donc que les déclarations du chef de l’État sont un monument de cynisme.
Zulia, l’État où la situation est la plus conflictuelle entre les paysans et les groupes paramilitaires, est gouverné par Manuel Rosales, lié à l’opposition, accusé par les agriculteurs d’être un des responsables de l’assassinat de dizaines de leaders paysans au cours des dernières années.
Annoncer la cartographie des latifundia après la victoire du référendum qui a renforcé encore davantage le pouvoir politique de Chavez signifie mettre sur le tapis un des motifs qui ont conduit l’opposition au coup d’État raté du 11 avril et au sabotage pétrolier en 2002. Une des premières mesures du bref gouvernement de Pedro Carmona (qui dura 48 heures) fut d’abroger les lois adoptées en 2001 et, parmi elles, la Loi des Terres.
Le secteur privé signale qu’il n’est pas disposé à dialoguer si le dialogue a pour condition l’application de la Constitution. Pour le président de l’Association des entrepreneurs agricoles (FEDEAGRO), José Manuel Gonzalez, l’annonce du Président est « un jeu macabre » : « D’un côté, il appelle au dialogue et d’un autre il crée toutes les conditions pour que, en nous agressant avec la Loi des Terres, nous opposions un refus ». Gonzalez affirme que, dans ces conditions, « le dialogue est exclu ».
Note:
* Journaliste brésilienne. Repris de : <http://www.rodelu.net/2004> ; 31 août 2004.